• Aucun résultat trouvé

Transports collectifs artisanaux : Lima, Brazzaville et autres cas pratiques

2.1 Lima et Brazzaville : trajectoires et contextes

2.1.2 Brazzaville la verte

Brazzaville mérite bien son qualificatif coloré. Cette ville est émaillée de jardins et d’es- paces arborés.

La République du Congo compte aujourd’hui près de 4 millions d’habitants. Brazzaville concentre plus d’un tiers de la population du pays avec 1,5 millions d’habitants. La capitale politique partage le pouvoir avec la capitale économique, Pointe Noire, qui compte près de 700 000 habitants. La majorité de la population se situe sur l’axe Pointe-Noire / Brazzaville. Ainsi, le Congo a un des taux d’urbanisation les plus élevés d’Afrique alors qu’il y a moins de 1 habitant au kilomètre carré dans le Nord du pays. Ainsi, un numéro de Politique Africaine

titrait dans les années 1980 Le Congo : banlieue de Brazzaville [CREPAO, 1981]. Évolution urbaine de Brazzaville

Brazzaville a été fondée en 1880 par Pierre Savorgnan de Brazza sur ordre du Comité français de l’Association Internationale Africaine. Il semble, contrairement à ce que laissent penser de nombreux textes de l’époque, que ce plateau au bord du fleuve Congo était occupé par la cité N’Couna (ou M’Foa) du chef Makoko de Mbé [Ziavoula, 2005]. Savorgnan de Brazza s’approprie donc ce territoire et pose une base d’exploration et surtout de colonisation. Ce poste avancé est rapidement relié à la côte Atlantique pour assurer son développement, notamment commercial. La seule piste allant de l’Atlantique à la rive droite du fleuve Congo passe alors par Brazzaville. Elle devient un centre pour tous les échanges de l’Afrique Équatoriale Française, dont elle devient la capitale en 1903. La ville est donc planifiée par les colons français qui y concentrent toutes leurs administrations. La ville coloniale était à l’origine un lieu de pouvoir, de répression et d’asservissement, et cette image perdure dans la mémoire collective [Coquery- Vidrovitch, 1993]. Cependant, Brazzaville était aussi le lieu de la contestation. Les villages du pourtour de la ville étaient habités par des autochtones dissidents, qui refusaient d’adopter les modes de vie imposés par l’administration coloniale. Ces zones, devenues des quartiers de l’actuelle agglomération, abritaient des nomades, d’anciens esclaves et des paysans [Balandier, 1955].

Dans les années 1910, le centre-ville est structuré autour des activités administratives et commerciales et réservé aux colons, les grandes avenues sont tracées. Dans le même temps, les périphéries sont rebaptisées les "Brazzaville noires". Elles sont structurées en parcelles destinées aux familles expulsées du centre-ville. Les quartiers de Bacongo et de Poto-Poto sont les premiers à être aménagés [Balandier, 1955].

La construction de la voie ferrée entre Brazzaville et Pointe Noire entre 1920 et 1934 renforce la position centrale de la capitale. Résultant d’une politique de "mise en valeur des colonies françaises" mise en place par le ministre des colonies de l’époque [Sarraut, 1923], ce chantier va transformer Brazzaville et son rôle dans la région. L’objectif affiché était de

mettre en valeur le pays pour justifier "notre occupation et notre tutelle" [Sarraut, 1923]. En réalité, il s’agit surtout d’exporter plus facilement des matières premières. Plusieurs centaines de travailleurs arrivent à Brazzaville et s’installent dans les quartiers périphériques. À la fin de la construction, la ville devient un centre de tri pour toutes les marchandises qui arrivent et repartent en pirogue sur le fleuve. Les matières premières issues de l’exploitation des ressources locales transitent vers l’Europe sans avoir besoin de faire appel aux voisins belges qui occupent la rive gauche du fleuve Congo. Cette position centrale est encore appuyée par le statut de capitale de la France Libre donné à Brazzaville par le général de Gaulle entre 1940 et 1943. Ainsi entre 1900 et 1954, Brazzaville passe de 5000 à 86 000 habitants.

Le Congo acquiert son indépendance en 1960, mais la période coloniale a une influence importante sur la situation actuelle. La bicéphalie urbaine perdure. Pointe Noire affirme son statut de capitale économique et Brazzaville reste la capitale politique. En tant que plus importante agglomération du pays et destinataire d’un grand nombre de politiques publiques, Brazzaville révèle bien les tensions et les questionnements qui secouent le pays. D’autant plus que près d’un Congolais sur trois est brazzavillois.

Problématiques actuelles

Les questions politiques vives au Congo reposent sur des tensions entre les groupes originaires du Sud et ceux du Nord du pays. Les différentes vagues d’arrivée à la capitale ont créé des regroupements en fonction de la région et de l’ethnie d’origine. Ainsi, le Nord et le Sud de Brazzaville, mais aussi les différents quartiers sont des lieux de résidence marqués [Dorier-Apprill and Domingo, 2004]. La généralisation de la scolarisation n’a pas eu raison des confrontations identitaires, renforcées par la guerre civile des années 1990. À partir de 1993, les contestations des résultats de toutes les élections ont entraîné des conflits armés répétés. Les présidents successifs, Pascal Lissouba et Denis Sassou N’Guesso se disputent la victoire, jusqu’à la prise de pouvoir définitive de l’actuel chef de l’État Denis Sassou N’Guesso en 2002. Ces troubles politiques ont eu un impact important sur la société congolaise. Les mouvements politiques de l’époque instrumentalisaient systématiquement l’ethnicité et les différentes milices revendiquaient leurs origines et celles de leurs leaders [Soni-Benga, 1998]. Les ressorts de la mobilisation restent les mêmes aujourd’hui. Les tensions ne sont pas résorbées à Brazzaville par une structure urbaine qui reste ethniquement fragmentée. Les enjeux de la construction démocratique se heurtent à cette manipulation récurrente des masses qui sert le pouvoir en place [Yengo, 2006].

L’État au Congo est un objet complexe et paradoxal. En tant qu’héritage de la colonisation, il apparaît comme déconnecté de la société civile. Dans un contexte de luttes politico-ethniques, il sert d’outil à des intérêts clientélistes [Dubresson and Raison, 1998]. Le pouvoir politique est d’autant plus délégitimé qu’il ne parvient pas à structurer des services publics essentiels. Bien que Denis Sassou N’Guesso se revendiquait du maxisme à l’origine, sa politique économique est libérale actuellement. D’autre part, la politique des institutions internationales dans les années 1980, autour du développement local des territoires et de la décentralisation étatique et urbaine, a eu pour effet de déconstruire le pays au profit des régions ethniques [Ziavoula, 2005].

Dans ce contexte, Brazzaville est le marqueur des évolutions du pays, autant sur les plans politiques et sociaux qu’économiques. La reconstruction de la ville depuis le début des années 2000 repose sur plusieurs types d’acteurs. D’un côté, les ONG se présentent comme intermédiaires avec les bailleurs de fonds pour la population locale, mais elles se proclament également représentantes des intérêts des citadins. Cette double casquette amoindrit la pertinence et la portée des actions. D’autre part, l’État pare au plus pressé en se concentrant sur son image. Les quartiers centraux sont rapidement repeints, mais les Brazzavilles noires sont laissées à l’abandon. Dans ce contexte, les solidarités locales et familiales prennent le dessus [Ziavoula, 2006]. Au cours de cette reconstruction, la période coloniale continue d’influencer la structure de la ville actuelle. Une fragmentation s’observe encore aujourd’hui à travers la séparation des fonctions urbaines, les clivages ethniques et la séparation des catégories socio-économiques [Ziavoula, 2005]. Le centre-ville concentre la majorité des infrastructures et des activités : centres commerciaux et marchés, voies goudronnées, gare, hôpitaux, ambassades, sièges d’entreprises, banques et ONG ... Les périphéries quant à elles ont conservé des fonctions plutôt résidentielles et leur structure quadrillée [Frérot, 1999]. Les cartes de densité de population et de répartition des rues goudronnées semblent construites en creux l’une de l’autre (Figure 2.12). Le centre est bien visible du fait de sa densité moins importante d’un côté, et de la concentration de rues goudronnées d’un autre côté. Brazzaville a une structure spatiale particulière : la population est plus nombreuse en périphérie, les infrastructures sont plus nombreuses dans le centre.

"Brazzaville est une ville informelle [...] le territoire de lutte entre l’ordre et le désordre organisé" [Ziavoula, 2005]. En effet, la construction urbaine relève plus de la société civile et des acteurs privés que des acteurs institutionnels. Les plans d’aménagement successifs n’ont pas réussi à changer cette situation. Depuis les années 1980, des plans de développement urbains ont été mis en place afin d’encadrer l’expansion de l’agglomération. Mais cette réglementation est inadaptée aux réalités sociales et ne permet pas aux communes de disposer

collectifs et initiati ve indi viduelle

FIGURE2.12 – Éléments de structure urbaine à Brazzaville

de suffisamment de ressources pour concrétiser leurs projets d’aménagement. Cette question financière met en exergue le conflit d’autorité entre le pouvoir de l’État et les collectivités locales. Dans ce pays à l’économie de rente fondée sur l’extraction minière et pétrolière, la répartition des richesses et l’organisation de la fiscalité ne permettent pas des investissements de développement suffisants. De même que pour les transferts financiers, les transferts d’autorité et de compétences de l’État vers le niveau local n’ont pas lieu. L’État devient donc le seul pourvoyeur de projets et d’autorité, les collectivités locales ont un pouvoir moindre. Ainsi, la commune d’origine du président actuel, Dolisie, est une des seules à être reliée à la capitale par une route goudronnée. Cette petite ville de quelques milliers d’habitants dispose également d’une mairie neuve et d’un tout récent éclairage public. Cette situation d’inégale redistribution est également visible à Brazzaville où le centre est beaucoup mieux équipé. L’absence de pouvoir et de moyens des collectivités est d’autant plus visible dans la capitale du fait de son importance dans la vie politique nationale. Les plans d’aménagement sont l’œuvre de l’État et la Mairie centrale comme les Mairies d’arrondissement sont bloquées dans leurs initiatives. Ces représentations locales du pouvoir sont pourtant plus au fait des problématiques de leur arrondissement et des solutions à mettre en place[Dorier-Apprill et al., 1998].

Dans ce contexte, la société civile est porteuse de nombreuses initiatives hors de la législation. Une grande partie de la production urbaine et de la vie quotidienne repose sur le secteur informel. La construction de logements, les fournitures en eau et en électricité, les commerces divers ... échappent en totalité ou en partie au contrôle des autorités. Les transports en commun font partie de ces services qui émanent de la société civile. La dernière entreprise de transport public, la Société des Transports Brazzavillois, a fermé ses portes en 1988. Depuis lors, ce sont les fulas fulas, présents dés les années 1920, qui opèrent exclusivement le service de transport. Fula vient du verbe Kofula qui signifie "accélérer", "aller vite". Ces transports sont connus pour constituer une source d’emplois faciles d’accès pour les jeunes brazzavillois.

2.2 Acteurs et agents du transport artisanal : deux modes