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Construire une démarche de géographie dynamique pour analyser les transports

3.1 Les structures émergentes du transport artisanal : que nous apprend la cartographie ?

3.1.1 Données disponibles et Données collectées

Les données nécessaires à l’analyse d’un système de transport artisanal

Les systèmes de transports collectifs artisanaux reposent sur l’autonomie des équipages de véhicule et l’éclatement de la propriété (voir Partie 1). Cela implique une très faible, voire une absence, de planification de la desserte. Ils doivent donc être analysés différemment des autres systèmes de transport1. Il s’agit pour nous de considérer le transport collectif artisanal

comme un phénomène qui s’inscrit dans la ville, dans son organisation à la fois sociale et spatiale. Il prend ainsi part à une structure qui le dépasse et dont certains éléments doivent être précisés pour que l’analyse soit complète. Nous nous attachons donc à présenter les principaux éléments de l’environnement qui interagissent avec notre objet d’étude (Figure 3.1).

Le système de transport est inclus dans l’environnement urbain, qui peut être appréhendé grâce à la définition de la structure urbaine. Autrement dit, la forme du réseau urbain, l’état des infrastructures et la localisation des activités sont autant d’éléments qu’il faut prendre en compte pour comprendre comment fonctionnent les transports auto-organisés. Par exemple, dans l’analyse de la répartition de la desserte, il est nécessaire de situer les routes qui sont carrossables et celles qui ne le sont pas. De même, les fréquences de passages doivent être étudiées en lien avec la répartition des activités : l’hypothèse d’une fréquentation différente des zones résidentielles et des zones d’activités doit être posée. En lien avec ces contraintes environnementales, les besoins en mobilité sont matérialisés par les usagers qui composent la demande pour les transports collectifs. Les caractéristiques de ces usagers doivent également être analysées précisément afin de comprendre quelles sont leurs stratégies de choix modaux et d’itinéraires.

D’autre part, le système de transport s’inscrit dans un contexte institutionnel et dans un contexte local, à la fois social et culturel. Il est évident que la législation concernant les services de transports collectifs ou les véhicules roulants a son importance, de même que le rapport à la norme et à son respect. Ces différents éléments de contexte sont bien entendu reliés entre eux, mais notre objet d’étude reste le système de transport collectif. Nous ne préciserons donc pas les relations entre ces éléments, mais uniquement leurs relations au système de transport.

1. J’entends par là les systèmes de transport collectifs institutionnels, dont les horaires et les itinéraires sont fixés par une autorité centralisatrice.

FIGURE 3.2 – Schéma du processus d’émergence

Une fois cet environnement posé, comme nous l’avons fait dans le chapitre 2, nous pouvons présenter les caractéristiques du système de transport en lui même. Il se caractérise par des structures organisationnelles, économiques, sociales et spatiales. Son fonctionnement interne peut être analysé selon plusieurs échelles spatiales et organisationnelles. Les différents acteurs et agents du système interagissent au niveau micro. Ils font émerger au niveau global des structures et des dynamiques particulières (Figure 3.2). Celles-ci ont en retour une influence sur le niveau individuel par un processus de rétroaction. Ce phénomène d’émergence se caractérise dans les transports artisanaux par le lien entre les actions et interactions des équipages de véhicules au niveau micro et la structure du système de transport au niveau global (Figure 3.3). Les équipages de véhicules sont les principaux acteurs du système de transport artisanal puisque la totalité du service repose sur leurs choix au quotidien. Ils sont finalement peu influencés par les pouvoirs publics, du moins dans les deux cas que nous étudions. Nous avons présenté leurs caractéristiques à la fin du deuxième chapitre.

Nous pouvons maintenant nous intéresser au niveau global du système de transport collectif. Notre interrogation porte sur la structure émergente. Quelle est sa nature et quelles sont ses propriétés ? Pour répondre à cette question, nous avons dû établir un protocole original qui se différencie de l’analyse de système de transports collectifs plus planifiés. En effet, l’offre de transports collectifs interroge autant que la demande dans le transport artisanal puisque ni l’un ni l’autre n’ont été élaborés dans une démarche de planification. Ainsi, pour analyser cette offre de transports collectifs originale, nous nous sommes inspirée des méthodes utilisées depuis les années 1960 pour étudier les déplacements individuels. Finalement, ces systèmes de transports émergents se caractérisent de la même manière que les déplacements individuels :

FIGURE 3.3 – Schéma de l’émergence dans un système de transport artisanal

ils ont une empreinte spatiale et une empreinte temporelle. Analysons les structures de ces deux dimensions.

Les données nécessaires sont les suivantes. Dans un premier temps, l’effectif du transport artisanal permet d’avoir une idée de la disponibilité du service à l’échelle de l’agglomération. Cette donnée est difficile à obtenir comme nous allons le voir. Ensuite, pour étudier la répartition spatiale de la desserte à l’échelle de l’agglomération, nous avons besoin des tracés des itinéraires des transports collectifs ou du moins des routes parcourues par des bus. Cependant, cette répartition spatiale doit être nuancée par les rythmes qu’elle prend : certains itinéraires sont plus ou moins parcourus. Nous devons donc partir à la recherche de données de fréquences de passage des bus.

Des méthodes d’acquisition multiples

Au cours de l’acquisition de nos données, deux défis se sont posés. Dans le cas de Lima, la taille de l’agglomération et du système de transport à étudier a rapidement nécessité des moyens techniques et financiers trop importants pour pouvoir collecter un certain nombre de données. Dans les deux cas, la fiabilité des données et des informations fournies par nos différents interlocuteurs, notamment les pouvoirs publics, peut être remise en question. Afin de tenter de limiter les biais générés par ces deux situations, nous avons fait le choix de multiplier les sources afin de croiser les informations (Figure 3.4).

FIGURE3.4 – Tableau des données utilisées pour étudier les transports artisanaux

Lima La collectivité territoriale en charge de la gestion de l’agglomération liménienne est la Municipalité Métropolitaine2. Dans le cadre du projet de Bus Rapid Transit, l’entreprise

Protransporteen partenariat avec la coopération internationale japonaise JICA a été chargée par la Municipalité Métropolitaine d’élaborer un projet de BRT. Cette mission a donné lieu à une étude générale du transport à Lima assortie de propositions d’aménagements. Le rapport a été rendu public sous la forme d’un dossier volumineux en 2007 : le Plan Maestro [JICA and CTLC, 2007]. Cette enquête à grande échelle s’intéresse aux structures des déplacements à Lima et à tous les modes de transports utilisés. Il s’agit de la seule base de données complète disponible à l’heure actuelle sur les transports à Lima. Nous avons bien conscience de son ancienneté, mais le développement d’une enquête de cette ampleur n’est pas dans nos moyens pour l’instant. Nous pourrions faire évoluer notre modèle de Lima en intégrant des données plus récentes sans changer le modèle en lui même. Une telle approche permettrait l’étude des changements qui sont intervenus depuis cette période dans les transports à Lima. Cela pourrait constituer un nouveau développement de ce travail. Cependant pour l’instant nous utilisons les données du Plan Maestro.

Celui-ci repose en premier lieu sur une enquête de demande. Elle a été effectuée sur le modèle d’une enquête ménage-déplacement. 427 zones d’enquête ont été élaborées et un échantillon de ménages a été interrogé dans chaque zone. Nous utilisons des données issues de cette enquête pour comprendre la structure de la demande.

En ce qui concerne les différents modes de transport, les enquêtes reposent sur plusieurs types de méthodes : des enquêtes cordons, des comptages, des enquêtes par entretiens ... Nous avons pu nous procurer les données de comptages concernant les transports collectifs.

2. Traduction littérale de "Municipalidad Metropolitana" qui regroupe toutes les communes de l’aggloméra- tion en une seule échelle administrative.

FIGURE3.5 – Extrait de la grille de l’enquête

Nous disposons ainsi des fréquences de passage des véhicules sur 120 points de comptages dans l’agglomération. La Municipalité Métropolitaine nous a fourni les données concernant les concessions des transports collectifs. Nous avons effectué nous-même des relevés GPS concernant les dateros puisqu’aucune donnée n’existait sur le sujet.

Brazzaville Dans le cas de Brazzaville, les données de seconde main sont inexistantes. Nous avons donc mis en place un certain nombre d’enquêtes par nos propres moyens. Des relevés GPS ont été effectués pour les tracés des itinéraires. Nous avons recruté des enquêteurs pour effectuer des comptages de fréquences et une enquête origine / destination des usagers (Figure 3.5, 3.6, 3.7). Ces enquêtes ont nécessité une mission de terrain financée en partie par l’UMR ESPACE en 2014. 12 enquêteurs ont été mis à contribution durant plusieurs semaines afin de mener à bien cette collecte de données3.

En cohérence avec le fonctionnement du système de transport, nous avons localisé nos enquêteurs aux points de repère (Figure 2.21). Nous avons effectué cette enquête en deux phases. La première, du 29 Avril au 9 Mai 2014, a permis d’enquêter les principaux arrêts. Ces données ont été complétées par une deuxième phase du 26 Mai au 6 Juin qui s’est intéressée aux arrêts moins importants, notamment en périphérie. Le calibrage du questionnaire a été

3. Ces enquêteurs ont été formés le 18 et le 19 Avril. Dans un premier temps, nous avons explicité les concepts de déplacement, trajet, correspondance, motif... afin que toutes les questions soient bien claires pour eux. Des jeux de rôles ont ensuite permis de tester des mises en situation. Le lendemain, chacun a été accompagné pour quelques enquêtes puis laissé en autonomie. La saisie des premières fiches suite à cette première matinée a permis de souligner la nécessaire clarté des notes et remarques

FIGURE 3.6 – Guide pour les enquêteurs

réalisé entre le 22 et le 25 Avril 2014, avec l’aide de trois enquêteurs. Nous avons interrogé en tout 3978 personnes. Nous disposons d’un échantillon de 4300 déplacements répartis sur la journée, de 4h00 à 22h00. Les tranches horaires de 4h00 à 6h00 et de 18h00 à 22h00 n’ont pas été directement enquêtées4. Nos enquêteurs ont travaillé de 6h00 à 18h00. Les origines-

destinations de ces déplacements ont été agrégées au niveau des 21 arrêts de bus principaux servant de points de repère aux usagers et aux opérateurs. Le nombre de déplacements par arrêt sélectionné varie de 251 à 747. Ainsi nous avons un intervalle de confiance qui varie de 6,18 à 3,58 selon les arrêts, avec une médiane à 4,925(La carte des arrêts de Brazzaville est

disponible en Figure 2.21).

En ce qui concerne les comptages, nous avons effectué des relevés à 9 emplacements différents (Figure 3.8). Ils ont eu lieu durant une journée de semaine et dans les deux sens de circulation. Ces données nous donnent un aperçu partiel des fréquences de passage des bus. Les fréquences sur les axes qui relient deux points ont ensuite pu être estimées.

L’information la plus difficile à obtenir a été celle du nombre de bus en circulation. Après un certain nombre d’entretiens auprès des autorités municipales et nationales en charge des transports, nous avons obtenu des chiffres allant de 500 à 3000 bus en circulation. Nous avons donc fait le choix de compter les bus et minibus en circulation à partir d’une photographie satellite du type de celle présente en Figure 3.9. Cette méthode permet de figer l’agglomération et les véhicules en circulation à un instant précis. Les bus et minibus de Brazzaville sont peints en vert avec le toit blanc. Cette caractéristique nous a permis de les différencier des voitures, qui sont également plus petites. La photographie a été agrandie et quadrillée en petites zones dans lesquelles nous avons pu compter le nombre de bus6. Les résultats de ces comptages

sont représentés sur carte en Figure 3.11. La précision de cette méthode peut être remise en question, cependant en la croisant avec les autres sources, nous pouvons avoir une estimation du nombre de bus en circulation.

Toutes les informations obtenues par des enquêtes ont ensuite été confrontées avec des données issues d’entretiens semi-directifs auprès des différents acteurs du système. Les différentes administrations ont été contactées et interviewées.

4. Les questions portaient sur le déplacement en cours et sur les autres trajets de la journée. Certains répondants ont donc fait état de déplacements effectués hors de nos heures d’enquête.

5. Nous avons estimé à un million le nombre de déplacements journaliers à Brazzaville à partir des données existantes sur les autres grandes villes africaines [Diaz Olvera et al., 2010].

6. Ce travail fastidieux a été effectué par Romain Méjéan lors d’un stage de Licence en 2014. Je le remercie encore pour sa contribution.

FIGURE3.9 – Photographie satellite avec localisation des arrêts de bus clés