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1.3 Étudier le transport artisanal : quels défis, quelles solu tions ?

1.3.2 Dans l’opérationnel

Des systèmes de transport planifiés spécifiques pour les villes du Sud ?

Après avoir suivi les politiques de libéralisation de la Banque Mondiale et du FMI dans les années 1990, les projets d’aménagement se tournent aujourd’hui vers la mise en place de systèmes de transport adaptés à des contextes de manque d’infrastructures et de moyens économiques limités. La technologie du Bus Rapid Transit (BRT), équivalent du Bus à Haut Niveau de Service (BHNS), séduit depuis la mise en activité de celui de Curitiba au Brésil au début des années 1980 [Ardila Gómez, 2004]. Ces transports de masse fonctionnent sur la base de bus de grande taille circulant sur des voies réservées, à la manière d’un métro en surface. Cette alternative a pour avantage d’atteindre des performances proches d’un métro grâce à la circulation en site propre tout en limitant les dépenses d’infrastructures [Wright and Fjellstrom, 2003]. Plus de 200 villes dans le monde ont mis en place ce type de transport collectif [ALC-BRT, 2016]. Il s’agit pour certaines de la colonne vertébrale d’un système de transport intégré multimodal qui utilise des bus de rabattement. Ces aménagements favorisant le transport collectif et l’intermodalité améliorent la qualité de vie des citadins [Montezuma, 2011]. Ils peuvent être considérés comme un premier pas vers la mise en place d’un système de transport collectif intégré. C’est le cas de Lagos où un BRT a été introduit en 2008 pour servir de base à une organisation multimodale [Mobereola, 2009].

BRT ou transport artisanal ?

Le BRT a l’image d’un système de transport qui émane de la ville du Sud, puisqu’il a été inventé au Brésil. Le risque est cependant de plaquer le modèle sans tenir compte du contexte.

Ce type d’écueil est un marronnier de l’aménagement du territoire qui se retrouve dans les projets de développement et de transports collectifs [Godard, 2001]. Pour les cas de BRT, le risque est double : à la fois dans la fracture sociotechnique que révèle la mise en place de ces nouveaux systèmes et dans l’intégration des transports préexistants. En effet, pour qu’un nouveau système de transport fonctionne, il doit transformer les habitudes des usagers. Ce processus a fonctionné à Bogotá [Gil-Beuf, 2007] mais le manque de lisibilité du nouveau système a été un problème difficile à résoudre à Santiago du Chili [Hernández and Witter, 2015]. Le transport artisanal repose sur la communication entre les usagers et les équipages de véhicules. Cet échange quotidien construit des codes communs qui se passent de média. Nul besoin de cartes ou de fiches horaires pour circuler, les crieurs accompagnent les usagers. La disparition de cette relation à la fois sociale et économique peut rendre la mobilité inaccessible à certaines catégories de population qui ne maîtrisent pas les nouvelles technologies qui permettent de s’informer dans le nouveau système ou qui ont simplement des difficultés avec la lecture. A contrario, le transport artisanal émane directement de la ville et correspond à des "configurations de fourniture" adaptées [Olivier de Sardan et al., 2010]. Autrement dit, les combinaisons d’acteurs qui permettent le service s’adaptent au contexte et aux besoins. Pour les services de mobilité que nous étudions, les phénomènes sont similaires à ceux de l’accès à d’autres ressources qui se distribuent en réseau : eau, alimentation, électricité ... Ils constituent un secteur dynamique de l’économie populaire urbaine [Jacquemot, 2013]. La question de l’action publique sur ces systèmes repose sur le renouveau que ces modèles peuvent apporter à la conception des organisations des transports urbains. En tant que processus ascendants, ils pourraient constituer des sources d’inspiration pour de nouvelles solutions de mobilité collective [Amar, 2004].

Vers des systèmes intégrés

L’intégration des transports artisanaux dans des systèmes institutionnels pose de nombreux défis. Les enjeux sociaux de ce secteur sont connus. Les nombreux emplois, certes précaires, fournissent une activité à des primo arrivants issus de l’exode rural depuis le milieu du XXème

siècle, comme c’est le cas des motos-taxis de Cotonou [Agossou, 2004]. Du point de vue des usagers, la mobilité quotidienne de quartiers isolés ou délaissés par les pouvoirs publics repose en partie sur ces services informels, comme c’est le cas pour les autres services urbains de base tels que l’eau ou l’électricité. L’absence de réseaux institutionnels est palliée par des solutions issues de la société civile [Criqui, 2014].

Cependant, la question est complexe et il n’est pas question d’idéaliser ces solutions alternatives qui ont de nombreuses externalités négatives. En revanche, elles fonctionnent et il semble difficile de simplement remplacer ces systèmes par des transports publics. Que faire des emplois ? Comment construire une desserte aussi efficace malgré la concurrence des transports artisanaux ? Comment favoriser l’institutionnalisation des transports informels ?

La réponse à toutes ces questions est essentielle à la construction d’un système de transport durable pour les villes où la mobilité quotidienne repose pour l’instant sur le transport artisanal [Godard, 2009]. Les risques d’une fragmentation de l’offre entre transporteurs légaux et illégaux plus ou moins intégrés à une desserte planifiée ont été soulignés pour le cas de l’Afrique du Sud [Lomme, 2004]. Les systèmes de transports collectifs sont dans la même situation que les autres réseaux urbains : l’enjeu principal est l’uniformisation du secteur et des infrastructures alors qu’ils se composent de multiples offres et acteurs [Jaglin, 2012]. Il apparaît nécessaire d’investir des fonds publics pour permettre de limiter les externalités négatives de ce secteur tout en conservant leurs avantages. Ces investissements semblent souvent trop importants pour un secteur qui jusqu’alors n’appelait aucune dépense de la part de la collectivité [Lomme, 2004].

D’un point de vue opérationnel, s’interroger sur les structures spatiales des transports artisanaux et mettre en évidence les relations dynamiques qui existent entre les différentes échelles de ces systèmes permettrait d’identifier les processus à l’œuvre et leurs qualités. Cependant, considérer les transports artisanaux pose de nombreux défis qui sont relevés par des champs disciplinaires variés. L’exploration des méthodes d’analyse s’impose pour permettre de construire des outils adaptés à chaque cas. Dans ce contexte, nous proposons de construire une approche spatialisée du transport artisanal.

1.4 Enjeux et positionnement de la recherche : d’où tra-