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Nous avons déjà dit que la transmission n’a rien de ponctuel, de défini, d’achevé. Elle est un processus qui traverse la vie dans tous ses trajets avec des

changements qui peuvent l’affecter. Notre hypothèse, basée sur notre propre expérience, est qu’on peut affirmer que les éléments qui interviennent

dans la façon de transmettre les valeurs à travers les différents âges, ont la même importance, signification et hiérarchisation. D’une façon simple et

très générale, notre hypothèse est la suivante : pendant l’enfance, c’est l'affectivité qui a la première place, affection extériorisée par une ambiance

familiale chaude et par des relations très affectives des adultes (au sens positif ou négatif) qui incarnent pour l’enfant les valeurs à faire siennes. La

“raison” est ici embryonnaire et ne compte pas beaucoup

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. Entre l’enfance et l’adolescence, l’affectivité continue à prédominer, mais la raison

commence à avoir sa place, exprimée par les questions multiples que l’enfant pose. Pourtant, il reste très attaché aux valeurs familiales, valeurs qui

seront enrichies maintenant par les valeurs de l’école et de son petit cercle d’amis. Pendant l’adolescence, et à cause des bouleversements et

changements de l’individu, nous constatons un déplacement du centre d’intérêt : ce qui compte le plus pour un adolescent, ce sont ses propres

sentiments. Le plaisir et les nouvelles expériences prennent une place considérable et la raison est parfois envahie par le « je » : « ce que je veux, ce

que je pense… ». Pourtant, pour l’adolescent, même le plus rebelle, l’affection de sa famille est importante, mais le monde des pairs et des petit(e)s

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VALDES JIMENEZ, Yohanka. Le processus de transmission de valeurs : défis pour la famille cubaine actuelle. http ://168.96.200.17/ar/libros/cuba/valdes.rtf.

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Pour G. H. Mead, « L’enfant est un certain être à un moment, et un autre plus tard ; son identité actuelle ne détermine pas ce qu’il sera dans quelques instants. C’est à la fois le charme et

l’insuffisance de l’enfance. Vous ne pouvez pas compter sur l’enfant ; vous ne pouvez pas supposer que tout ce qu’il fait va déterminer ce qu’il fera à un moment donné. Il n’est pas organisé en un tout

L’enfant n’a aucun caractère déterminé, aucune personnalité définie […] Dans la mesure où l’enfant adopte effectivement l’attitude d’autrui qui lui permet de déterminer ce qu’il va faire par rapport à

une fin commune, il devient un membre organique de la société ». Cf. MEAD, George Herbert. Op. cit., p. 135.

ami(e)s l’emporte souvent sur le cercle familial et l’école. À l’âge adulte

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, avec un système de valeurs déjà “incorporé”, c’est la raison qui prend la

première place, sans négliger à aucun moment la valeur de l’affectivité et des sentiments. Pour les anciens, ce ne sont pas les nouvelles valeurs, mais

leur expérience qui leur montre ce qui est le plus important dans la vie : l’attachement familial et l’affect reprennent la première place. Comme nous

l’avons déjà souligné, nous nous intéresserons principalement dans notre travail aux adolescents en recherche de clarté et d’équilibre entre ce qu’ils ont

reçu et toutes ces nouveautés qui touchent leur esprit. Cependant, nous nous permettons de dire quelques mots sur la transmission dans l’enfance

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.

La transmission aux enfants la plus précoce, s’opère, pour l’essentiel, en dehors de toute volonté explicite. Aucun individu ne naît dans le vide ou dans

un monde où l’on fait table rase de tout. Chacun reçoit un capital culturel qui va exiger de lui un travail complexe d’inculcation et d’assimilation,

d’abord inconscient, et un travail continu sur lui-même qui lui demandera beaucoup d’efforts. Pourtant, bien qu’elle soit en partie inconsciente, la

transmission du capital culturel n’exclut pas le travail d’inculcation explicitement conçu comme tel. Les parents qui méconnaissent ou négligent

l’attention qu’ils doivent donner à tout ce qu’ils “transmettent” aux enfants n’envisagent pas la gravité des conséquences inhérentes à cela : les

stéréotypes du rejet et de la haine, les représentations des inégalités sociales, les préjugés sur les races dites “inférieures”, le mépris des autres ethnies,

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Nous restons très circonspects sur la signification commune que l’on donne au terme “adulte” : Qu’est-ce que “être adulte” ? Les adultes sont-ils préparés pour vivre des choses réservés aux adultes ?

Évidement il ne s’agit pas d’un âge déterminé : après 18… 20…. 25 ans. Il y a des enfants de 50 ans et il y a des “ adultes” de 17 ans. Pour ce travail nous gardons l’acception commune : c’est l’âge

après l’adolescence, mais il ne faut pas l’attacher uniquement à l’âge en ignorant les possibles conflits dont la personne est porteuse à cause de son éducation, du contexte et des expériences négatives.

Tout ce bagage d’expériences et de situations peut influer sur une façon de penser et d’agir “non adulte”.

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Nous omettons de donner une bibliographie à ce sujet, parce que cela dépasse les limites de notre travail. Dans l’étude que nous ferons de la “Configuration famille”, Chapitre 5 de la deuxième partie,

nous aurons lapossibilité d’approfondir l’importance pour l’enfant du cercle familial, parental et des adultes pour une transmission “adéquate” des valeurs.

l’incapacité d’accepter d’autres cultures, etc.

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En plus, l’adulte des sociétés industrielles tient à perdre les vertus de l’enfance parce qu’il faut être

sérieux, il faut travailler : le manque de joie, de curiosité, de faculté d’étonnement, de créativité l’empêchent d’acquérir une véritable maturité affective

et malheureusement, cela est transmis aux enfants. L’éducation devra donc faire tous les efforts pour éviter de “mettre à mort l’enfant” chez l’enfant

même et chez le jeune, et au contraire, l’aider à s’épanouir.

Chercheurs infatigables, les enfants veulent tout comprendre et le mot “pourquoi” revient sans cesse à leurs lèvres. Hélas, souvent cette soif de

connaissance se heurte à l’indifférence ou au manque d’écoute des parents qui viennent détruire cet intérêt. Dans nos entretiens, quelques jeunes se

plaignaient qu’ils n’avaient pas été écoutés par les parents et les adultes quand ils étaient petits. D’autres, par contre, se rappelaient l’intérêt que ceux-ci

montraient toujours sur tout ce qu’ils faisaient : jeux, dessins, activités scolaires. Généralement l’enfant qui a été écouté et accompagné montre une

plus grande ouverture vis-à-vis de ses parents et une plus grande capacité de relation avec ceux qui l’entourent. Mais l’enfant ne peut pas rester

toujours dans une dépendance affective sans courir de graves risques pour sa personnalité. Pour lui un système de valeurs et de croyances va prendre le

relais de sa dépendance affective par rapport à l’image que renvoient de lui ses objets d’attachement, c’est-à-dire, ses parents. Mais, une fois organisé,

ce système des valeurs et des croyances, processus nécessaire dans toute construction de la personnalité, est alimenté de façon autonome par les

représentations et les modèles venus de l’extérieur. Ce changement va susciter des questionnements, parce que son monde familier commence à rétrécir

et de nouvelles configurations essaient de lui transmettre de nouvelles valeurs, de questionner celles déjà reçues ou de les renforcer. Les enfants ont

plus de capacité que les adultes à intégrer, gérer et accepter la différence.

C’est avec l’école que l’enfant et l’adolescent vont transformer le capital culturel transmis en capital scolaire institutionnalisé. C’est un changement qui

va exiger un travail spécifique, des investissements éducatifs et un travail pédagogique que les parents négligent parfois par ignorance au par manque

du temps qu’ils doivent à leurs enfants. Comme nous le développerons plus largement à propos de la “configuration famille” (Chapitre 5), la tâche des

parents sera d’agir en créant une étroite relation entre la maison et l’école, et en recherchant le meilleur environnement scolaire possible pour leurs

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Prenons le cas d’Adolf Hitler si longuement étudié à cet égard. On a essayé sous divers angles d’expliquer la relation entre ses souffrances pendant l’enfance et leurs conséquences traduites par tout le

mal qu’il a déchaîné. Citons seulement quelques approches bibliographiques à ce sujet : FROMM, Erich. La passion de détruire : Anatomie de la destructivitéhumaine. Paris : Robert Laffont, 2001

(de Collectif) Hitler. Paris : Dargaud, 2004 ; LIONEL, Richard. D’où vient Adolf Hitler ? Paris : Autrement, 2000 ; ZAQDOUN, Roger. Hitler et Freud. Un transfert paranoïaque ou la genèse

incestueuse d’un génocide et les persécutions aujourd’hui. Paris : L’Harmattan, 2003 ; GAUDIOT, Bruno. L’archaïsme déchaîné. Paris : L’Harmattan, 2003. Pour un regard sur la responsabilité du

peuple allemand vis-à-vis des actions de Hitler : ARENDT, Hannah. Eichmann à Jérusalem. GOLDHAGEN, Jonah. Les bourreaux volontaires d’Hitler. Seuil, 1998 ; HUSSON,

Édouard. Une culpabilité ordinaire ?, Hitler, les Allemands et la Shoah : les enjeux de la Controverse Goldhagen. L’Œil, 1997.

enfants. La transmission doit continuer à l’école comme un enrichissement de ce que les parents ont transmis à la maison, et non comme le saut dans

un monde étrange provoquant des conflits douloureux. Pourtant, pour compenser ce qui manque à la maison, ou ce qui ne va pas dans un bon sens pour

la formation de la personne de l’enfant ou de l’adolescent (autoritarisme, maltraitance, froideur dans les relations, incitation à la haine, etc.), l’école

doit essayer de “transmettre” un système de valeurs qui captive son attention et lui permette de faire la comparaison. Par contre, si l’école n’accomplit

pas sa tâche, c’est à la famille que revient le devoir d’affirmer ses valeurs dans l’accompagnement, la réflexion, le dialogue et le témoignage.

Dans le processus de transmission on découvre le décalage entre le besoin qui peut être comblé et le désir jamais satisfait, tension exprimée dans le

langage et dans les actions ; tension qui rend possible de recevoir éducation et transmission. Le refus par les enfants des valeurs de la famille est

souvent considéré comme une déloyauté vis-à-vis de tous les efforts faits pour bien l’éduquer. C’est une situation qui entraîne parfois la rupture, voire

la malédiction et toujours le conflit et la souffrance. Prenons l’exemple de Rodolfo et Lucelly

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qui nous ont raconté leurs difficultés avec leur fils

Sebastián de 15 ans : « On donne à nos fils tout ce qu’on sait, avec amour, mais la transformation de l’adolescence arrive et nous ne savons pas ce qui

se passe avec cet âge : les garçons changent beaucoup ! Sebastián, lui, ne veut rien faire. Il mène une vie un peu compliquée pour nous. Auparavant il

était un enfant et un garçon sympa, drôle, et tendre. Je suis triste - dit Lucelly - et je me demande : en quoi me suis-je trompée ? Les jeunes aujourd’hui

ne comprennent pas que tout a un temps, et qu’on doit grimper échelon par échelon l’échelle de la vie et non vouloir sauter des étapes dans sa vie ».

Sebastián, pour sa part, voit les choses autrement : « Maintenant pour moi la famille n’est plus le primordial dans ma vie… ce sont plutôt mes amis et

ma petite amie parce qu’on est entre égaux qui partagent leurs problèmes ; entre nous on s’écoute et on se donne mutuellement des conseils… Je

n’aime plus que ma mère me touche, j’évite tout contact avec mes parents »

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. On peut constater comment les personnes, les familles et les sociétés

ont cherché à élaborer des dispositifs efficaces pour assurer la transmission de leurs valeurs, mais elles doivent faire face à de rudes contradictions.

Cela va, comme le note Régis Debray, « de l’imprégnation au conditionnement, de la persuasion à la séduction, de la suggestion à la pression, du

dressage à la contagion»

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