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Cet aspect est capital pour la compréhension du processus de transmission des valeurs, comme nous l’avons évoqué ci-dessus : dans ce processus, la configuration joue un rôle de premier ordre si l’on veut comprendre les interactions symboliques qui identifient ces valeurs et de quelle façon dans

chacune de ces interactions les valeurs deviennent des normes et les normes des pratiques qui guident et conforment un groupe particulier. Le « soi »,

nous dit Mead, « se développe à partir d’un processus social qui implique d’abord l’interaction des individus dans le groupe, ainsi que la préexistence

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G.H. Mead part non de la société mais des individus en tant qu’ils interagissent, et parviennent, à travers l’imitation réciproque, à se représenter eux-mêmes sous forme de symboles langagiers. Le

symbole n’est donc plus la représentation de la société, mais le produit d’un processus dynamique d’interaction à travers lequel se constitue l’expérience sociale que les individus font des autres et

d’eux-mêmes. Le symbole, nous dit-il, n’est rien de plus qu’un stimulus dont la réaction est donnée à l’avance, c’est-à-dire que nous prenons la ou les attitudes de la communauté et y réagissons dans

cette conversation de gestes. Il nous donne un exemple : « Il y a le mot et un coup de poing. Le coup est l’antécédent historique du mot ; mais si le mot est une insulte, la réaction est à présent comprise

dans le mot, elle est donnée dans le stimulus lui-même. Le symbole ne signifie rien de plus. Or, si la réaction est faite sous forme d’une attitude servant à mieux contrôler l’action, alors la relation entre

ce stimulus et cette attitude correspond à ce que nous entendons par symbole significatif. » Cf. MEAD, George H. Op. cit., p. 154. (la forme en italique est de nous)

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H.G. BLUMER a explicité quels sont les trois principes fondamentaux de l’« Interactionnisme symbolique » :

1. Les humains agissent à l’égard des choses en fonction du sens que les choses ont pour eux.

2. Ce sens est dérivé ou provient des interactions de chacun avec autrui.

3. C’est dans un processus d’interprétation mis en œuvre par chacun dans le traitement des objets rencontrés que ce sens est manipulé et modifié. Sur “l’interactionnisme symbolique” on peut consulter :

De QUEIROZ J. M., ZIOTKOWSKI, Marek. L’interactionnisme symbolique. Rennes : Presses Universitaires de Rennes, 1994 ; STRAUSS, Anselm L. Miroirs et masques. Une introduction à

l’interactionnisme. 1992 ; WINKIN, Yves (sous la direction de). La nouvelle communication. Paris : Seuil – Essais, 2000 ; les œuvres de Irving Goffman citées dans notre bibliographie.

de ce groupe… L’individu ne possède un soi qu’en relation avec les soi des autres membres de son groupe social »

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. Il est impossible de définir donc

un seul modèle de transmission parce que les configurations sont nombreuses, se mélangent dialectiquement et forment une échelle plus au moins

définie de la plus à la moins influente. Il n’y a rien de minuscule dans les activités ordinaires des personnes parce qu’il y a toujours une relation étroite

entre le « micro-social » et le « macro-social » : « l’interprétation qu’on observe au niveau micro-social, qui se fonde nécessairement sur des

considérations théoriques, requiert en l’occurrence une théorie du social qui ne peut être purement locale »

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. Néanmoins le niveau « micro » ne

constitue pas, comme on le pensait auparavant, le simple reflet des forces à l’œuvre au niveau « macro », c’est en ce sens que le « micro » explique le

« macro » et réciproquement.

Elias dans "La société des individus" nous montre comment un individu (micro) qui se croit autonome oublie qu’il est soumis à des interdépendances

de plus en plus contraignantes (macro). C’est une loi paradoxale qui régit les transformations de la conscience de soi : plus denses sont les dépendances

réciproques qui lient les individus, plus forte est la conscience qu’ils ont de leur autonomie. Mais ce processus de renforcement de

l’individualisation est inscrit pour Elias dans le divorce établi dans toutes les sociétés démocratiques entre les aspirations sociales des individus, nourris

par une plus grande possibilité de choix dans leurs aspirations, et les limitations imposées, avec plus au moins de rigidité, selon la position qu’ils

occupent dans la société et leurs chances de réussite objectives. Le sentiment d'autonomie se renforce par celui d'injustice et de culpabilité, ainsi que de

séparation de la société, comme nous l’avons constaté dans nos entretiens avec des jeunes de quartier populaire (les banlieues de Medellín) et de la

Communauté des Indiens Paez en Colombie. Au sujet de leur avenir, bien que les possibilités de choix se soient multipliées, les jeunes ont le sentiment

qu’ils sont au plus bas échelon de la société et que leurs chances sont minimes par rapport à celles des jeunes citadins. C’est vrai qu’ils jouissent d’une

plus grande autonomie, mais à côté ils ont le sentiment que la société est injuste envers eux, du fait qu’ils sont nés dans des lieux qui « naturellement »

font d’eux des exclus. Ces configurations ont une échelle de valeurs transmise et à transmettre, mais, comme on a pu aussi le constater, on rencontre

des jeunes qui, malgré une enfance difficile, ont été capables de faire face aux vicissitudes de la vie.

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171

Ibid. p. 139.

172

DURU-BELLAT, Marie. VAN ZANTEN Agnès. Op. cit., p. 213

173

Ce qu’on appelle aujourd’hui la “Résilience”. Pour Boris Cyrulnik, la “Résilience” ce n’est pas cette capacité que nous avons de rebondir, qualité que nous devons au fait d’avoir surmonté l’épreuve

d’un passé difficile. C’est plutôt une qualité utile qui nous pose la question de la façon dont ceux qui n’ont pas eu à la forger dans l’enfance parviennent à affronter les vicissitudes de la vie. Pour

comprendre l’importance de ce terme nous signalons les œuvres de Cyrulnik : Les Nourritures affectives. Paris : Odile Jacob, 1993 ; Les Vilains Petits Canards. Paris : Odile Jacob, 2001 ; Le Murmure

des fantômes. Paris : Odile Jacob, 2003.

Dans une étude sur la transmission de valeurs, la question se pose de l'identité. Nous devons tenir compte du fait que l'individu peut changer de rôle, et

par suite devenir responsable d'une place qui ne lui est plus garantie par sa naissance

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. L'identité et la subjectivité s'objectivent dans le discours et

deviennent reconnaissance sociale. Dans la pensée de Mead, ce que le sujet intériorise lors des processus éducationnels de la socialisation, ce sont, avec

le langage, des “gestes significatifs” et des “rôles” sociaux incarnés par des “autrui significatifs”. Le surmoi et l'identification sont ici constituants de la

subjectivité comme intériorisation, pourtant, on peut remarquer que l'intériorisation n'est pas seulement autocontrainte mais aussi rationalisation et

légitimation, universalisation selon le processus cognitif dont l'ontogenèse (développement de l'enfant) reproduit la phylogenèse (histoire de la

civilisation). Elias résout donc un premier paradoxe celui d'un sentiment d'autonomie qui augmente avec celui des contraintes sociales, mais en

répondant aussi à une évolution où les normes et les contraintes semblent s'alléger. Avec la moindre rigidité des conventions qui brident les

spontanéités, le contrôle intériorisé des pulsions et des émotions devient encore plus nécessaire et plus exigeant

175

.

En fait, il ne suffit pas de comprendre un individu par ses caractéristiques personnelles, parce qu’il nous faut encore l'expliquer par la situation

historique et par sa position dans le groupe ou son histoire. Les individualités peuvent bien être décisives dans l'action, mais elles ne peuvent choisir

leur situation historique, aller au-delà des possibilités du moment. La marge de l'action est réelle mais relativement étroite, et les résultats en sont

imprévisibles étant donné la multiplicité des acteurs et leurs interdépendances. Pour Howard T. Hall, « l’adaptation interne au contexte permet chez les

êtres humains l’accomplissement d’une fonction extrêmement importante : la correction automatique des déformations ou des oublis dans un

message »

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.

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A ce sujet, il est intéressant de connaître la pensée de Pierre Bourdieu, notamment dans : Les héritiers. Les étudiants et la culture. Paris : Les Editions de Minuit, 1985 et avec Jean Claude

PASSERON. La Reproduction. Éléments pour une théorie du système d’enseignement. Paris : Les Editions de Minuit, 2002. Pour une critique de ces idées, entre autres : LAHIRE, Bernard. Le travail

sociologique de Pierre Bourdieu : dettes et critiques. La Découverte, 2001 ; ALEXANDER, Jeffrey C. La réduction, critique de Bourdieu. Cerf, 2000 ; GRUEL, Luis. Pierre Bourdieu, l'illusionniste.

PU-Rennes, 2005 (critique trop attachée aux “Héritiers” mais qui ne couvre pas toute l’œuvre de Bourdieu, notamment Esquisse d’une théorie de la pratique).

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“ L’égoïsme consiste à préférer un soi borné à un soi épanoui… Notre société se construit à partir des intérêts sociaux, et nos relations sociales constituent notre moi. Quand nos intérêts immédiats

entrent en conflit avec ceux des autres que nous avions ignorés, nous avons tendance à oublier ces derniers et à tenir compte uniquement des nôtres. La difficulté, c’est de prendre conscience de ces

intérêts plus larges et de les associer rationnellement avec ceux qui sont plus immédiats. On peut se tromper, mais se tromper n’est pas pécher ». G.H. MEAD. Op. cit., p. 329.

Au sein de la transmission, la question de l’interaction des sujets est essentielle. C’est Irving Goffman

177

qui va nous donner les éléments pour la

comprendre. Pour lui les interactions

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sociales constituent la trame d’un certain niveau de l’ordre social parce qu’elles sont fondées sur des règles et

des normes tout autant que les grandes institutions, telles la famille, l’État, l’Église, etc. L’interaction directe, spontanée, universelle est celle que crée

la communication linguistique interpersonnelle, mais ces interactions apparaissent si banales, si naturelles, tant aux acteurs sociaux qui les “jouent”

qu’à l’observateur qui les étudie, que seuls quelques cas extraordinaires, très ritualisés, tels les mariages ou les enterrements, retiennent habituellement

l’attention. Or, c’est dans les rencontres les plus quotidiennes que se livrent les enjeux sociaux les plus riches d’enseignement. C’est précisément ces

interactions quotidiennes que Goffman va s’efforcer d’observer dans deux excellents exemples présentés par ses livres : Les rites d’interaction et

Asiles

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(parmi d’autres).

Bien que Goffman utilise dans son œuvre le terme « communication » dans un sens étroit, les acteurs sociaux participent à un système où tout

comportement livre une information pertinente comme on le relève clairement dans son livre Asiles. Tout geste, tout regard, tout silence s’intègre dans

une sémiotique générale. Il se passe toujours quelque chose sur la scène de la présentation de soi, parce que même si un individu peut s’arrêter de

parler, il ne peut s’empêcher de communiquer par le langage du corps. Il peut parler à propos ou non. Il ne peut pas ne rien dire. La transmission des

valeurs passant par le corps est “montrée” au monde par le langage corporel. C’est pour cela que nous pourrions parler, dans notre travail,

d’incorporation des valeurs : je peux enseigner une valeur à travers le discours, mais nos interviewés ont signalé que la personne même de l’enseignant

dans son agir quotidien, transmettait “inconsciemment” et dans une relation affective signifiante dans sa façon de se mettre en relation avec le monde,

avec les autres, les valeurs qu’ils avaient à leur tour “incorporées”. Tant pour Goffman que pour les autres auteurs présentés dans ce chapitre, le

comportement est régi par un ensemble de codes et de systèmes de règles. Quand une personne se présente aux autres, elle projette, en partie

sciemment et en partie involontairement, une définition de la situation dont l’idée qu’elle se fait d’elle-même constitue un élément important. C’est

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Cf. GOFFMAN, Erving. Les rites d’interaction. Paris : Les Éditions de Minuit, 1974. La mise en scène de la vie quotidienne. 1. La présentation du soi. Paris : Les Éditions de Minuit, 1973 ; La mise

en scène de la vie quotidienne ; 2. Les relations en public. Paris : Les Éditions de Minuit, 1973 ; Asiles. Études sur la condition sociale des malades mentaux. Paris : Les Éditions de Minuit, 1994.

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On peut trouver un aperçu des différents auteurs qui touchent directement ou indirectement les interactions sociales dans : WINKIN, Yves (sous la direction de). La nouvelle communication. Paris :

Seuil – Essais, 2000.

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À ce sujet deux livres sont incontournables : l’un, classique, « Les Fils de Sanchez » d’Oscar Lewis, et l’autre de Loïc Wacquant, « Corps et âme. Carnets ethnographiques d’un apprenti boxeur ».

Ce sont des travaux ethnographiques où l’on peut comprendre la complexité des interactions symboliques des acteurs dans des situations bien différentes : un asile (Goffman), une famille mexicaine

(Lewis), le monde de la boxe (Wacquant).

cette projection de soi que nos interviewés ont remarquée en répondant à notre question : quels sont les autrui significatifs qui vous ont transmis des

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