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Quand nous critiquons la conduite d’un individu, nous disons qu’il n’a pas reconnu telles valeurs, ou s’il les a reconnues, qu’il n’a pas agi

rationnellement à leur égard. Les droits – nous dit G.H. Mead – que nous reconnaissons à autrui peuvent être exigés à notre égard, mais nous ne

pouvons pas lui demander ce que nous-mêmes refusons de respecter. C’est vraiment contradictoire, nous ont dit les élèves, de ne pas “voir” respectée

la valeur qu’exige l’enseignant ou le collège. Vouloir transmettre de manière autoritaire, soit à l’école, soit dans la famille ou en n’importe quelle

situation, comporte toujours un déni implicite de la place du sujet dans sa propre éducation. Je ne peux pas, en dépit de tous mes efforts, contraindre

quiconque à apprendre, comme l’a prétendu l’enseignant Ignacio dont nous avons déjà parlé. Si quelqu’un prétend nous imposer un choix par une

contrainte au nom d’une valeur à laquelle nous n’adhérons pas, et qui n’a pour nous aucun pouvoir de motivation, il est naturel qu’on le repousse, sans

conclure pour autant que les valeurs qu’il cherche à imposer sont sans “valeur”. Mais il y a aussi un aspect également dangereux : si nous exigeons que

les valeurs soient liées à nos motivations personnelles, le risque est de voir notre choix de nous engager au nom d’une valeur reposer sur notre

motivation, qui elle-même ne se révèle que par ce choix. Si ce cercle se referme, nos motivations (nos désirs) deviennent simplement les sources de nos

valeurs et l’on peut tomber dans une illusion axiologique ou dans une auto-éthique, comme nous l’expliciterons dans la troisième partie de notre

travail.

L’apprentissage proprement humain n’est jamais simple inculcation, il est toujours, simultanément, appropriation de connaissances et construction de

la personne dans une ambiance d’affection et de respect. Il ne suffit pas que la leçon soit bien faite et que la piste de ski soit là, il faut aussi que

l’individu accepte de s’y lancer. Le maître doit accompagner avec sûreté et clarté sans jamais imposer ou faire à la place de l’autre, parce que

l’éducation éthique et morale suppose une participation active, l’implication de l’élève à partir de sa conviction personnelle

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. « Les valeurs vraies,

nous dit Legrand, ne sont pas imposées. Une valeur véritable est celle qui, pour moi, résulte d’un projet qui est le produit de ma liberté, c'est-à-dire

universalité des valeurs posées, mais aussi, liberté du sujet qui les pose »

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. Il est donc nécessaire que les dilemmes moraux discutés soient en relation

avec le vécu des élèves. Pour atteindre cet objectif il faut faire passer l’enseignement moral par la socialisation en impliquant les élèves.

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Démocratie, consensus, participation, débat dans la salle de classe. Mais, dans les cas des normes, l’Institution doit garder une “certaine autorité” et parfois doit donner le “dernier mot” quand, du

côté élève, il n’y a pas de disposition à l’écoute et au dialogue, ou s’il y a le rejet constant de tout ce qui a le sens d’autorité, d’exigence, d’organisation, nécessaires dans la vie de la société et de tout

groupe humain. C’est le paradoxe très difficile à gérer entre exercer une autorité et s’ouvrir au dialogue des acteurs éducatifs.

Le refus de la façon de transmettre amène souvent au refus de la transmission, même si la personne qui refuse est consciente de l’importance de cette

valeur. Voyons les réponses données par les élèves sur les critères qu’ils signalaient comme déclencheurs du rejet de l’enseignant et des valeurs qu’il

essaie de transmettre :

L’enseignant est loin de la réalité :

o « Le monde ‘idéal’ enseigné est contraire à la réalité : à quoi cela sert-il si je vois tout le contraire dans la rue ? La société donne des idéaux et

elle fait tout le contraire : il faut regarder la réalité. » (Daniel Eduardo)

Attitudes et langage :

o « Comment peut-on croire aux transmetteurs quand ils montrent par leurs attitudes tout le contraire ? »

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.

o « Profs rigides et agressifs : cela amène à la révolte. » (Sebastián). « Prof grossier qui criait beaucoup. » (Jeison).

o « La contradiction claire et visible de profs qui exigent du respect mais qui ne nous respectent pas. ». (Santiago Albeiro)

o « Profs qui ne s’intéressent pas aux élèves, comme nous disait une enseignante l’autre jour : « Je m’en fiche que vous réussissiez ou non vos

études. » » (Alexis)

Problèmes de relation avec les élèves :

o « Méfiance de l’enseignant envers nous. » (Daniel).

o « On exige de nous d’être à la hauteur de l’enseignant et quand l’enseignant descend-il jusqu’à nous ? » (Juan Camilo)

o « Petit, j’ai eu un prof raciste, un jour il m’a dit : « vous êtes une ordure ». Cela m’a fait mal. ». (Alexis)

o « Impossible de “recevoir” des valeurs d’un prof qui, fermé sur lui-même, entrait dans la classe, dictait son cours et sortait sans causer avec ses

élèves. » (Johan Sebastián)

o « Profs qui exigent qu’on leur donne raison ; pourquoi, s’ils ne nous écoutent pas ? » (Carlos Mario)

o « Nous les jeunes, les discours nous ennuient, bien qu’ils soient importants, et qu’on puisse comprendre après leur importance. Mais nous

trouvons parfois des discours démodés qui ne nous touchent pas parce que le monde et notre monde sont différents. » (Santiago Albeiro)

Imposition de normes :

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Cas d’un responsable du collège accusé de pédophilie. Le déclin de l’Institution à cause de cette situation fut évident et catastrophique pour le bon renom de l’Institution, parce que les médias ont fait

du bruit au niveau national. Beaucoup d’élèves quittèrent l’Institution la plongeant dans une crise économique très grave, d’autres ont dû subir les moqueries de leurs amis : « Vous étudiez dans un

collège de « maricas « (pédales) ». Qu’est-ce qu’on pouvait dire une fois l’image négative installée dans la tête des individus ? (rappelons-nous ce qu’on pensait sur les accusés de l’» affaire Outreau »

avant qu’ils aient été acquittés : « tout le monde nous regardait comme si nous étions des monstres ») Nous avons rencontré quelques personnes qui, scandalisées, questionnaient fortement le collège,

mais nous avons trouvé aussi des élèves, des enseignants et des parents qui disaient : le dommage a été fait, l’image du collège est au plus bas, mais cela a été le problème d’une personne, pas de toute

une Institution si respectée dans la ville.

o L’obligation d’assister aux actes religieux du collège. (Christian David)

o Imposition des normes, simplement parce que ça « doit être comme ça ! ». (Sebastián)

Méthode :

o « Le prof d’éthique a tort de prétendre nous enseigner les valeurs toujours par la théorie en évitant de dialoguer avec les élèves. » (Carlos

Mario)

o « Prof désagréable, autoritaire, très fort : « vous faites ce que je vous dis de faire, un point, c’est tout ! ». (Camilo Andrés)

o « Prof qui exigeait trop quand j’étais en primaire. Depuis je n’aime pas l’étude et je dois faire des efforts pour répondre au collège. » (Daniel

Eduardo).

o « Des profs pour qui “laisser-faire”» est une méthode : sans discipline, sans orientation, sans autorité nous n’apprenons rien et on se moque de

tout. ». (Christian Fabian)

o « Profs qui toujours menacent de punir. Ils pensent que cela signifie avoir de l’autorité. Ils ont tort de penser qu’en utilisant la peur on se donne

plus de respectabilité. » (Alejandro)

o « Profs ennuyeux avec qui on n’apprend rien, ou profs monotones qui répètent toujours le même discours et le même cours tous les ans. »

(Jeison)

Les processus d’identification des jeunes passent par leurs interactions avec des “autrui significatifs”. S’ils ne trouvent pas ce “courant” affectif, la

transmission risque de se stopper avant qu’elle arrive chez le récepteur parce que celui-ci crée une barrière infranchissable. Il y a une réaction

instinctive qui peut se dégrader au fur et à mesure que la relation, dans notre cas avec l’enseignant rejeté, demeure dans le temps. Nous avons tous

connu des enseignants très bien formés mais dans l’incapacité à se mettre en relation avec les élèves, ce qui les empêchaient de transmettre leur savoir

et leurs valeurs aux étudiants. Nous avons déjà signalé que généralement l’on pense que ce que l’on possède et ce que l’on maîtrise se transmet

facilement. Mais il n’est possible de le faire que si le récepteur est jugé capable de recevoir le message, parce qu’une transmission réussie exige entre

les deux personnes une équivalence et non un rejet tel que nous le percevons dans les réponses des élèves. Le meilleur transmetteur est peut-être celui

grâce auquel le disciple va égaler le maître et peut-être le dépasser en parcourant son propre chemin. Pour cette raison, il n’est pas possible de dire que

pour les jeunes et le monde démocratique, la “transmission” de valeurs soit réalisable par des adultes autoritaires

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, autosuffisants, arrogants ou

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Nous pensons qu’auparavant l’autorité verticale et autoritaire – parents, morale rigide, machisme, etc. - permettait une transmission des valeurs reproduisant cette ambiance acceptée par la plupart.

On admire tous ceux et celles qui se révoltaient ou se révoltent encore aujourd’hui contre toute forme d’imposition des valeurs. Aujourd’hui, comme nous l’avons souligné dans le chapitre 1, l’ambiance

a changé complètement dans beaucoup de sociétés et pour cela la transmission passe par le dialogue et le respect de l’autre comme personne. Même si pendant l’enfance l’autorité est “autoritaire”, de

plus en plus l’enfant – d’un certain âge - est vu comme quelqu’un qui a quelque chose à dire sur ce qu’il aime ou n’aime pas. Avec l’adolescent le dialogue devient un impératif même s’il doit accepter

les normes nécessaires pour vivre en communauté.

narcissiques. Pourquoi ? Parce qu’elle est verticale, sans dialogue, c’est-à-dire sans communication “affective”, sans respect de la personne. Parce que

ces adultes se considèrent eux-mêmes comme les détenteurs de la vérité et les autres comme des mineurs qui n’ont rien à dire. C’est l’aveuglement qui

caractérise cette sorte de détenteurs de la vérité, car ils oublient que l’être humain est toujours changeant et que par conséquent, il ne peut pas être

enfermé dans des “vérités” closes, dans des programmes, comportements ou propositions rigides absolutisés. Dans tous nos entretiens sans exception

l’aspect relationnel “affectif” et le respect dû aux autres, tient une importance essentielle pour la réussite de la transmission, aspect que les interviewés

exprimaient, en parlant des “autrui significatifs”, par des expressions telles que : « il/elle me respectait », « il/elle m’écoutait », « il/elle me donnait des

conseils mais j’avais une parole à dire », « il/elle m’accompagnait », « il/elle m’écoutait, respectant ma pensée et mes expériences propres », « il/elle

me valorisait », « il/elle m’aimait », « nous dialoguions », etc.

Les structures plus ouvertes des jeunes, se heurtent contre les structures verticales et autoritaires des adultes. Les adultes méconnaissent parfois les

langages issus d’interactions des élèves avec leurs pairs et appris au contact continu avec la musique, la TV, l’internet, la technologie. Ces langages

jouent chez les jeunes un rôle de premier ordre, pour cela ils refusent un langage démodé. Dans l’effort d’une transmission des valeurs, il faut donc un

langage “interculturel” (adulte

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– jeune) et le dialogue parce que souvent leurs systèmes éthiques, leurs symboles et leurs aspirations se heurtent entre

eux, et parfois se rejettent. Du côté de l’école, on trouve beaucoup d’a priori qui peuvent avoir des conséquences fâcheuses dans la vie d’un élève.

Parents et éducateurs causent beaucoup de torts par ignorance ou par leur manque de chaleur dans leur rôle de transmetteurs. Comme disait

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Alexandre Jollien, écrivain tétraplégique : « J’ai pris conscience qu’une partie de ce que l’on m’avait appris s’opposait à mon épanouissement, à la vie

en société ».

L’école offre une normativité qui manque parfois dans le sein de la famille ou que les jeunes prennent comme un langage désuet et arbitraire. On peut

donc comprendre pourquoi ce manque amène quelques jeunes à rejeter la normativité exigeante d’une Institution. C’est au fond tout le problème de

l’autorité qui se fait dans le processus de la transmission, alimenté par la rencontre avec de nouvelles interactions et normes au sein de l’Institution. Les

élèves voient parfois l’intégration à l’école comme le fruit de leur « domestication », comme une affaire d’horaires à respecter, d’habitudes à prendre,

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L’adulte, en tant que valeur et qui ne s’oppose ni à l’enfance ni à l’adolescence, mais au contraire qui conserve les traits les plus essentiels pour son être. Nous parlons donc d’adulte en tant qu’opposé

à l’infantilité entendue comme l’ensemble de traits qui amarre la personne au monde de la puérilité. Pour les jeunes et les enfants, l’adulte est une valeur, un “autrui significatif”, une “figure normative”

acceptée et respectée, s’ils le voient comme figure libératrice de toutes les formes d’attachement et d’aliénation qui les empêchent de faire ce qui est nécessaire pour parcourir leur propre chemin et

d’être eux-mêmes.

de codes à acquérir, d’obligations auxquelles il faut se soumettre, d’autorités qui prétendent savoir tout et dont ils sont de simples récepteurs. Pourtant,

cela ne signifie pas que l’institution et l’enseignant doivent s’incliner devant toutes les attentes et tous les désirs de l’élève, parce que celui qui est

éduqué ne peut pas choisir lui-même ce à quoi il doit être éduqué, même si aujourd’hui il peut y avoir un peu plus de dialogue et si l’adulte a un

impératif “devoir d’antécédence”. C’est au fond un conflit entre générations qui exige de l’adulte la responsabilité de ne pas abandonner l’enfant sans

l’inscrire dans une histoire en lui donnant les moyens de se développer dans la collectivité qui l’accueille. Les adultes doivent ouvrir l’enfant et

l’adolescent à cette histoire, leur enseigner comment elle a été “écrite”

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, puis leur faire connaître dans quelles interactions ils vivent leur propre vie et

à partir de là, avec le bagage de leur propre parcours, expériences et connaissances, les aider à entreprendre le travail d’“écrire” leur propre histoire. Il

y a certainement chez les enfants, les adolescents, les élèves une revendication d’autonomie, mais, il est très dangereux de les livrer à eux-mêmes,

abandonnés, comme s’ils étaient des adultes, sans les limites nécessaires pour modeler leur personnalité.

Le problème de l’autorité face aux adolescents, comme nous le verrons plus largement en parlant de l’autorité des parents, est pour beaucoup un

casse-tête. Il existe, c’est sur, des problèmes bien réels, comme nous l’a dit un enseignant en France : « En fait, le rapport à l’autorité a changé. Certains

jeunes glissent dans un monde virtuel. Ils transposent trop facilement dans la vie réelle la violence qu’ils découvrent dans les jeux vidéo ou sur Internet.

Et les parents, forts du concept de “l’enfant roi”, n’osent plus intervenir. À partir du moment où ils paient pour l’éducation de leurs enfants, qu’ils les

confient à un établissement, ils attendent du personnel une prise en charge totale, et notamment celle des mauvais côtés… Les violences verbales et

même physiques se multiplient. Si vous faites une remontrance, à l’aide des téléphones portables, les parents sont aussitôt mis au courant et vous

appellent pour vous faire des reproches. Pas tous heureusement… »

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. Ce problème face à la norme et à l’autorité, en tant que mise en pratique des

valeurs ou en tant que véhicules des valeurs, s’exprime toujours par les formes les plus variées de contestation et de violence. Une enseignante disait :

« Pour nous, les enseignants féminins, c’est devenu naturel qu’après l’insulte viennent les menaces au niveau sexuel avec des images et paroles

vulgaires. Pour beaucoup d’entre nous, il existe une augmentation d’agression physique qui commence par l’approche menaçante de l’élève ». Cette

problématique si complexe montre que la transmission des valeurs se trouve dans une grave impasse parce que tous ceux qui devaient être les “autrui

signifiants” (parents, enseignants, adultes, forces de l’ordre, institutions) ont perdu leur crédibilité. Pourquoi ? Les causes sont multiples et échappent à

l’objet de notre travail, pourtant au fur et à mesure que nous avançons dans notre réflexion, nous trouvons des pistes pour analyser ce problème, très lié

à la violence des jeunes en milieu scolaire.

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Une méthode qui continue d’attirer l’attention est celle du livre « Le Tour de France par deux enfants » qui permet de poser les questions récurrentes de la transmission du savoir et de ses modalités,

tout en suggérant, en précurseur et avec les moyens propres de l’époque, des réponses par la voie de l’interactivité et de la pluridisciplinarité.

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Propos d’un enseignant parus dans le journal Ouest-France, Mercredi 1

er

février 2006 sous le titre : » 22 ans en milieu scolaire et j’ai craqué ». Il y a, selon ce texte, 80.000 personnes du milieu

enseignant en France qui ont déposé des plaintes pour violences en milieu scolaire.

Autorité et transmission sont très liées. Mais quel type d’autorité dans l’éducation ? Pour Eirick Prairat

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l’influence éducative (ou autorité) a quatre

grandes caractéristiques. D’abord, c’est une influence libératrice, positive, serviable, parce que le mot “autorité” vient du mot auctor dérivé du verbe

augere (augmenter). L’autorité

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fait croître, elle fait grandir l’enfant et l’adolescent. Ensuite, c’est une action indirecte, parce qu’elle n’est pas une

simple action mais une activité qui vise à susciter, en l’autre, une activité. Elle n’est pas une volonté qui s’oppose et s’impose à une autre volonté pour

la soumettre, mais une volonté qui s’allie à une autre volonté pour l’aider à vouloir et à éclairer une liberté qui se cherche. Puis, c’est une influence

temporaire qui rejette toute influence manipulatrice, qui exige la mort du père pour faire advenir un alter ego, de sorte qu’elle est circonscrite dans le

temps. Enfin, elle présuppose la reconnaissance et non l’acte d’une soumission aveugle accordant aux autres, comme l’affirme Georg Gadamer, « une

plus grande perspicacité ». En résumé l’autorité vit le paradoxe d’être une influence qui pour se déployer comme influence requiert d’être reconnue par

celui-là même qui en sera le bénéficiaire.

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