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394 Dans cet aspect il est très proche de Tagore et dans une autre mesure de Gandhi, parmi beaucoup d’autres

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Nous touchons ici l’importance de la « conscientisation » de Paulo Freire, sujet que nous aborderons dans le chapitre 7.

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Cité par THANING, Kaj. Op. cit., p. 49

réunir, d’être commandé et d’être dirigé dans sa langue »

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. Dès le départ, ces écoles ont servi à garantir l’égalité des droits du paysan en face

d’autres groupes sociaux, comme l’a fait à son tour, Tagore et Paulo Freire. (chapitre 7).

Les Hautes Ecoles sont toujours des écoles libres pour adultes, qui ne préparent pas à un examen, mais ont pour objectif toute la vie humaine. Chacune

garde pleine liberté d’organiser l’enseignement et de choisir son fondement spirituel. Elle doit aider les jeunes à utiliser leur intelligence et leur sens de

réflexion ; avec cela elle forme tout l’homme. L’école s’efforce d’» éveiller, nourrir, illustrer un regard plus haut qu’on n’y est habitué sur la vie

humaine en général et sur la vie humaine du peuple danois et de l’homme danois ». Pour cela, dans cette l’école, l’enseignement oral a une grande

importance, enseignement qui ne s’appui pas directement sur les livres. Grundtvig a donné beaucoup plus de valeur à la conversation comme forme

d’enseignement qu’à la conférence. Ce n’étaient pas les maîtres qui devaient interroger les élèves, mais les élèves devaient interroger leurs maîtres : le

discours devient dialogue. La répugnance de Grundtvig à l’égard d’un enseignement bâti sur les livres était une répugnance contre la superstition que

constitue la doctrine que ce que l’on peut lire dans des livres, c’est cela la seule vraie doctrine. Dans l’esprit libéral de Grundtvig, les écoles qui ne

satisfaisaient pas aux besoins des élèves devaient fermer… « Je jetais mon regard sur la vie, la vraie vie d’homme telle qu’on la vit sur terre et je vis

immédiatement que la plupart des hommes n’ont que faire de livres pour être formé à une vie attrayante et féconde. Ce dont ils ont besoin, c’est d’un

cœur sincère, un solide bon sens, de bonnes oreilles et une bonne bouche, et d’être intéressés à parler avec gens vraiment bien formées qui peuvent

éveiller leur attention et leur montrer ce qu’est la vie lorsque la lumière illumine »

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. « Nous avons dormi ou rêvé éveillé sur nos livres, tournant et

retournant de vieux ossements… nous nous sommes accrochés à nos points de vue et à nos hypothèses concernant les causes petites ou grandes, les

bons et les mauvais motifs »

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- et nous avons ainsi perdu le temps que d’autres ont mis à profit pour parvenir à des résultats remarquables.

Grundtvig creusa dans les couches profondes du peuple et y trouva des sources d’énergie insoupçonnées pour le réveil spirituel et national, d’où le

Danemark moderne est issu. Un résultat mesurable de cette réaction en chaîne qu’il a provoquée est le mouvement coopératif. C’était le droit du

paysannat à être traité en égal par les autres groupes de la société qui était l’objet du mouvement, comme Tagore l’a prôné également. La formation à la

vie humaine complète avait laissé des traces sensibles dans les paroisses rurales du Danemark. Il a renforcé chez son peuple la conscience de soi qui

était nécessaire pour la création par de nombreux milieux locaux de coopératives de toute sorte. Pour lui « aussi longtemps qu’un peuple conserve sa

force, il peut, grâce à une meilleure lumière projetée sur sa vie, corriger ses erreurs et prolonger ses jours. » Chaque peuple doit avoir le courage

d’être lui-même, et c’est seulement lorsqu’il a pris conscience de sa propre identité qu’il peut être question d’une influence réciproque féconde avec les

autres peuples, parce que prendre conscience de ce qu’on est évite de tomber dans l’immobilisme : « La loi de la vie humaine comme de toute vie est le

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Cité par THANING, Kaj. Op. cit., p. 49.

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Ibid. p. 96.

mouvement perpétuel », nous dit Grundtvig. L’école populaire sera au service de la culture propre de chaque peuple. Les disciplines de base y seront

l’histoire et la littérature nationales, la langue du pays, ses chansons populaires, ses mythes.

Sa pensée sur l’école primaire nait du fait que l’enseignement des enfants doit être vivant, libre et naturel. Toute forme d’enseignement par cœur et tout

enseignement dogmatique (même la religion, car c’était le rôle de l’Église et des parents d’éveiller la conscience chrétienne des enfants), doivent être

bannis et l’on doit mettre l’accent sur la narration orale du maître ainsi que sue le chant et le jeu. En plus des conférences, le chant vint aussi à marquer

les hautes écoles. Le système d’apprendre par cœur et le caractère “inutile” de la matière enseignée rendent les élèves paresseux et indifférents, au

point que l’école était une école de mort et non de vie. Il est donc indispensable que les enfants en viennent tout d’abord à aimer leur école et ce que

l’école puisse leur donner. Grundtvig exige des interactions dynamiques et vivantes à l’école entre ses différentes branches, entre les instituteurs et les

parents, entre les instituteurs et les élèves. Ce n’est pas l’enseignement sérieux ou l’interrogation qu’il faut, mais la libre conversation. C’est la

nécessite de “la liaison bilatérale” tant d’actualité aujourd'hui. Les enseignants doivent donner aux enfants, en plus des connaissances de base, la

lecture, l’écriture et le calcul, l’occasion de s’occuper d’animaux et de plantes et de l’aspect pratique de la vie. L’histoire et la religion doivent être

animées par le récit du maître et par le chant. Le développement de l’intelligence de l’enfant profiterait ainsi également de l’engagement de sa vie

affective et d’une bonne part de souvenirs vécus. De cette façon la transmission est l’incorporation des valeurs avaient plus de chances de réussir.

Grundtvig met en évidence la valeur propre du petit peuple, de gens de condition modeste qui souffrent de l’imposition des valeurs propres des classes

moyennes et supérieures des villes. L’avenir, pense t-il, leur appartenait et l’instruction des enfants doit prendre son point de départ dans le milieu

auquel ils appartiennent et auquel appartient leur classe sociale. Le peuple doit d’abord prendre conscience de lui-même, de sa propre identité, avant

que la vie, sous toutes ses formes, puisse à nouveau prospérer. Il ne fallait absolument pas d’examens définis pour des situations définies, mais que

tous aient le droit d’être considérés capables de faire, que tous aient ou non le diplôme. « L’humain ne s’exprime qu’à travers les communautés

nationales ». Plus une langue est riche dans son expression, et plus elle sera habile pour faire passer le message qui libère la vie humaine. Il faut que le

langage quotidien soit vivant, que les mots soient lourds de signification pour chacun de ceux qui les emploient, et cette signification, ils la trouvent

dans la vie quotidienne du foyer et de la nation. C’est là que le vocabulaire trouve sa dimension d’image. Il ne cessait de répéter qu’il ne cherchait plus

à « réformer » ni les gens ni les choses, qu’il acceptait l’univers tel qu’il est.

Pour Grundtvig, il fallait substituer une culture vivante à celle complètement morte qui régnait jusqu’alors. Le principal adversaire est la culture latine

classique, qui non seulement a été le tourment des collégiens, mais, dépourvue de cœur, elle s’est opposée à la nature, coupé les milieux dirigeants des

masses et dépouillé les peuples de leurs cultures propres. On cultive la lettre et le livre, et on en perd le sens du vivant et du spirituel. Il faut donc créer

une nouvelle culture spiritualiste qui projette sa lumière sur l’ensemble de la vie humaine. Il faut libérer les peuples, briser les chaînes et renverser les

vieilles structures autoritaires et sclérosées. Grundtvig arrive à cette découverte de la vie concrète et de toutes les possibilités qu’elle contient, parce

qu’il s’était converti à “la nature”.

Grundtvig attaque violemment « la culture de collégien »

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: « Plus un garçon apprend de grammaire et de mathématiques, et plus il est gâché aussi

bien pour la vie que pour la culture, car les ailes sur lesquelles son esprit devaient s’envoler et qui devaient porter les mots ont été rongées à la racine

pour en faire de mauvaises plumes, l’encre remplace le sang dans ses veines, les sources de la vie sont taries et son cœur changé en encrier. On ligote

l’imagination et combat les sentiments pour que puisse développer une réflexion intemporelle et désincarnée… Lorsqu’on fait des enfants des

vieillards, il ne faut pas s’étonner qu’ils retombent en enfance dès l’âge mûr »

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. Non, la culture ne doit pas trahir la vie. Elle doit en jaillir et la servir,

c’est la vie humaine qui en est la raison d’être.

Rien de ce qui est humain ne saurait être étranger à la “culture universelle”, car elle doit recouvrir à « la totalité de l’immense et merveilleux évènement

qu’est la vie humaine se déroulant dans le temps, évènement aux facettes multiples, complexe et embrouillé, sans rien négliger de ce qui peut exprimer

la vie sous quelque forme que ce soit, et incluant tout ce qui concerne l’homme, tout ce qui l’attire, tout ce qui l’intéresse ou le préoccupe, toute la

nature avec ses exploits et sa science »

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. Faire de la poésie est une sagesse de vie et non seulement un plaisir d’esthète. L’histoire des générations qui

nous ont précédées n’a donc pas valeur de norme pour notre vie d’aujourd'hui, mais elle met à notre disposition un trésor d’expériences où chacun peut

puiser à sa guise pour déterminer son propre mode de vie aujourd'hui et se frayer un chemin vers l’avenir.

En critiquant l’individualisme aveugle, Grundtvig ne partage pas la conviction des libéraux sur l’avènement inévitable d’une société harmonieuse si

chacun jouit d’une liberté sans autre limite que le respect de celle des autres. Pour lui, la liberté repose sur le respect de la liberté de l’autre : « Celui qui

veut être libre doit d’abord veiller à ce que son prochain le soit aussi » et « si tu n’es pas libre, je ne le suis pas non plus ». C’est en l’exigeant pour les

autres qu’on peut en profiter pour soi-même, d’où la nécessité permanente d’un mouvement humaniste de « réveil » veillant à ce que la liberté inspire

toujours les relations entre hommes. Il est sarcastique avec ceux qui prétendent se contenter de se sentir libres intérieurement sans chercher à réaliser la

liberté dans le monde, dans la vie concrète. C’est dans cet esprit qu’il lutte contre ceux qui croient pouvoir tirer du monde des idées des principes

universels qui façonneraient la vie concrète, les partisans des « lois de moralité ». Tout ce qu’il y a de bon dans les lois, les formes extérieures de la vie

sociale, les constitutions, etc., est lié à la situation d’un moment donné. La vie se développe sans cesse et les formes sont toujours à modifier. Il faudra

adapter sans cesse les structures de vie de telle sorte qu’elles suivent l’évolution.

Il faut commencer une œuvre d’éducation pour que la vie soit alimentée, pour que le peuple puisse se réveiller et que la vie humaine recommence à

vivre dans l’école, l’Eglise, l’Etat etc. : « On n’y parviendra pas en rédigeant un nouveau rituel, en élaborant une nouvelle constitution ou un nouveau

plan d’enseignement, mais on le fera en insufflant une vie nouvelle dans les prêtres, les politiciens, les professeurs ». Grundtvig distingue clairement

entre la formation d’érudits et l’éducation à la vie, la vie humaine comme la vie civile, une éducation dont l’objet serait la vie concrète et l’instant

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P. Freire va parler d’» école bancaire ». Cf. Chapitre 7.

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Cité par THANING, Kaj. Op. cit., p. 108.

présent. La vie humaine n’est-elle pas plus mystérieuse, plus libre et plus admirable que la vie des plantes des champs ? » C’est de cette vie humaine

qu’il faut prendre conscience, et cela ne peut se faire que dans sa propre langue maternelle, tout comme l’humain ne se réalise qu’à travers les peuples.

Pour Grundtvig, l’humanisme est inséparable des cultures populaires : c’est à travers le caractère national de chaque peuple que l’on peut atteindre

l’universel humain. On ne doit jamais considérer l’humanité de façon abstraite ou d’un point de vue théologique : elle est une réalité historique

concrète qui n’existe qu’incarnée dans une nation. C’est en nous-mêmes, dans notre propre histoire qu’il nous faut chercher la forme danoise de notre

humanité.

La vie est en perpétuel développement : elle ne s’arrête jamais, elle est en marche vers son but. Il réagit là violemment contre la prétention du Siècle

des Lumières qui en était venu à s’imaginer être arrivé, grâce à la raison, au degré suprême de l’intelligence, au plus haut sommet de l’histoire.

L’histoire éclaire le présent et nous fait mieux comprendre la vie humaine que ne le fait notre expérience avec toutes ses limites. Elle nous explique

pourquoi le monde à l’aspect qu’il a aujourd'hui, et en même temps, elle nous aide à trouver le chemin pour aller de l’avant. C’est au nom de la vie

qu’il nous faut devenir des hommes conscients.

Le présupposé de Grundtvig est qu’il y a “une force vitale” à l’œuvre au cours de l’histoire… C’est l’“esprit”, mais un esprit commun qui est l’élément

porteur et unificateur de la vie et de l’histoire d’un peuple. Il s’exprime prophétiquement dans ses mythes, il est source de vie au cours de son histoire

et il se manifeste aux heures critiques. C’est l’“esprit du peuple” non pas d’abord l’esprit ou l’élan vital d’un individu, car chacun est intimement relié à

l’ensemble. La liberté est « l’élément où vit l’esprit », liberté « non celle de loups ou des ours, mais celle des fils d’hommes adultes »… La pensée libre

est celle qui est débarrassée de tout à priori.

« Toute lumière au service de la vie est douce et agréable ». Elle éveille le plaisir de vivre, elle cherche à développer et prolonger l’élan vital qui est la

source cachée de toute vie. Grundtvig sait que Rousseau et ceux qui ont parlé avec lui de retour à la vie et à la nature avaient des idées sur l’éducation

qui étaient proches des siennes. Il s’oppose pourtant à eux, car ils se contentaient de construire sur la base de la bonté originelle de l’individu. Ils ne

croient pas à l’esprit, dit-il, ils ignorent que l’esprit vital est bien plus important que la nature de chaque individu. C’est la vie humaine en elle-même et

sa signification qu’il s’agit de mettre en relief, c’est pour cela qu’il a pensé aux hautes écoles populaires comme le moyen de développer chez

l’individu la conscience de son appartenance à une communauté, à un peuple. Elles sont des « écoles au service de la vie” et non des « écoles de mort »

où l’enseignement était son propre but, ou un gagne-pain, où les livres tenaient plus de place que la vie. Dans une haute école populaire, toutes les

classes sociales, toutes les professions sont représentées, mais chacun y arrive enfermé en lui-même car « tous ignorent tout des réalités terrestres et

quotidiennes en dehors de ce qui se rattache immédiatement à leur métier ou situation ». Il faut donc promouvoir l’esprit commun… ils partagent une

chose en commun : c’est la condition même de l’éducation au service de la vie… L’essentiel restera toujours ce qui est vivant, ce qui est commun.

Entre la science et la culture populaire il doit y avoir échanges et fécondation mutuelle. Mais il faut combattre « la science sans esprit ni vie » qui tente

de tout expliquer en réduisant le réel à une combinaison d’éléments extrêmement simples et faisant ainsi disparaître l’aspect énigmatique de la vie.

Grundtvig ne place le “péché” ni dans la corporéité de l’homme, ni dans les structures sociales, mais l’identifie avec le désir de se suffire à soi-même,

avec l’égoïsme qui réside dans la volonté de l’homme.

En résumé, ce qu’il y avait de révolutionnaire dans les idées de Grundtvig sur la Højskole intéresse quatre domaines différents, à savoir : en premier

lieu que la voie orale est une condition importante à une action spirituelle ; on dirait aujourd’hui : pour établir le contact et favoriser la communication.

En deuxième lieu, que l’enseignement de son école populaire s’adresse aux adultes ; Grundtvig était convaincu que ce n’est pas l’enfance, mais la fin

de l’adolescence qui est l’âge du développement réel. En troisième lieu, qu’il s’adresse à tous, mais surtout aux classes sociales qui n’ont pas reçu un

enseignement supérieur. Enfin, que l’enseignement a sa fin en lui-même, qu’il ne saurait amener ou justifier aucune forme d’examen. Nous pouvons

dégager de ces quatre aspects les points suivants :

1. C’est une “école pour la vie”.

2. Il y a clairement le rejet d’un enseignement éloignée de la vie, et qu’il appelle : “école noire”, où l’enseignement abstrait ignore les réalités du peuple. Chaque peuple doit

avoir le courage d’être lui-même.

3. La mise en valeur de la voie orale pour favoriser la communication et la libre expression des personnes. La valeur de la conversation l’emporte sur l’enseignement d’une

conférence ou des livres.

4. L’enseignement doit être vivant, libre et naturel. Il faut mettre l’accent sur la narration et non sur un système qui exige apprendre par cœur, ce qui rend les élèves paresseux et

indifférents.

5. Le contact avec la nature (animaux, plantes) et de l’aspect pratique de la vie en plus des connaissances de base.

6. Les matériaux utilisés pour l’enseignement sont la langue maternelle, l’histoire du peuple et le chant. La langue maternelle véhicule la libre expression et la conscience

nationale.

7. En étudiant l’histoire du peuple et ses particularités, on creuse les couches profondes du peuple pour trouver les sources d’énergie insoupçonnées pour le réveil spirituel et

national.

8. Le libre déploiement de la pensée en pleine liberté pour briser les chaînes et ne pas se laisser anéantir par l’adversaire

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. Il faut promouvoir l’intelligence et le sens de

réflexion des jeunes.

9. La liberté, mais avec la limite du respect de celle des autres.

10. L’importance d’éduquer les adultes, parce que la fin de l’adolescence est l’âge du développement réel.

11. La séparation de l’école et de l’Église, pour permettre une éducation en liberté.

12. Le droit du paysannat à être traité en égal par les outres groupes de la société.

13. Affirmant la conscience nationale, il existe une l’influence réciproque féconde dans la relation avec les autres peuples.

14. L’importance de mettre en place des interactions dynamiques et vivantes à l’école entre ses différentes branches, entre les instituteurs et les parents, entre les instituteurs et les

élèves.

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