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Réduire la responsabilité de la socialisation de l’école à un appareil d’inculcation de valeurs communes, intériorisées par les individus et modelant leur personnalité nous empêche de voir que la socialisation et la subjectivisation des individus ne se réalisent pas seulement dans la transmission des rôles,

mais par la manière dont ils gèrent des logiques d’action de plus en plus complexes et diversifiées. Les acteurs sont à la fois socialisés et singuliers ; ils

deviennent des sujets actifs qui doivent construire eux-mêmes leur expérience, parce que nous ne pouvons les réduire à des récepteurs passifs,

tranquilles et uniformes. Dans beaucoup de discours et textes sur la transmission on trouve parfois la pensée naïve que le plus important est la

pédagogie

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, ou le témoignage, ou la sensibilité face à une situation sociale explosive qui va permettre une transmission réussie. Chaque individu a

une manière particulière de gérer les logiques d’action et, pour le comprendre, il faut tenir compte de la complexité de son parcours historique, des

configurations dans lesquelles il a été, ou est immergé, et des interactions qui l’identifient en tant qu’individu actif, unique

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et singulier.

Mais, l’école ne peut rien toute seule. Dans la transmission de valeurs, elle doit se présenter comme un transmetteur qui agit toujours contre l’avis

selon lequel tout ce qui est en dehors de ses murs est mauvais. Au contraire, elle doit se montrer toujours pour le créatif, le réflexif, et le

communautaire. Transmettre les valeurs à l’école, signifie s’ouvrir à la réalité du monde pour s’engager vers un dialogue ouvert et critique pour éviter

ainsi de tomber dans la naïveté d’un côté, ou de l’autre dans l’isolement du monde. Évidement le mot “école” est lourd de charge sentimentale, mais il

est clair que l’éducation, en tant que transmetteur de savoirs, et plus profondément de valeurs, sent aujourd’hui l’exigence d’une plus grande attention

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BOBIN, Christian. Tout le monde est occupé. Folio, 1999, pp. 11-12.

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Ce que nous dit Laurent Cornaz est très éclairant à ce sujet : « En s’appuyant sur des modèles de scientificité dits “complexes”, la pédagogie cherche à conforter l’éducateur dans une légitimité que ni

l’institution, ni le savoir enseigné ne suffisent plus à lui conférer. Mais, la mise en évidence des ressorts cachés de l’intégration sociale, des mécanismes inconscients des apprentissages, l’invention de

procédures didactiques de plus en plus sophistiquées, le recours aux technologies nouvelles n’empêchent pas la crise de l’éducation de s’approfondir ». Cf. CORNAZ, Laurent. Op. cit., p. 198.

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En parlant de “sujet actif” nous écartons tout individu “aveugle”, c’est-à-dire conditionné et incapable de réagir à un système de “valeurs” inculqué comme absolu, intouchable et unique. Quand nous

parlons de “transmission de valeurs” nous tenons compte d’un processus complexe qui tient compte d’un sujet actif, marqué certainement par une culture particulière, mais qui a la capacité de réagir, de

confronter, d’accepter les changements et adéquations nécessaires à sa propre synthèse.

au monde. Comme nous dit Nicole de Diesbach : « Si, selon Illich, l’école, la fameuse vache sacrée, est morte (il n’a pas dit combien de temps il

faudrait pour cela), l’éducation pourtant ne mourra jamais, pas plus que notre liberté, notre faculté d’invention, notre habileté créative, notre force à

déplacer ce qui est monolithique. Ce sont les systèmes éducatifs qui doivent changer en fonction de l’époque dans laquelle nous vivons, pour la bonne

raison que tout ce qui existe est en perpétuel mouvement, à commencer par chaque cellule de notre corps. »

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Plus encore, l’école doit faire face à des

objectifs éducatifs devenus, dans la société industrielle de gains, de consommation, une marchandise de plus !

Bien que l’on ne puisse pas réduire la transmission à des modèles précis, pour notre réflexion il nous semble intéressant de signaler les trois modèles

d’enseignement proposés par François Galichet

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. Dans le contexte de l’éducation à la citoyenneté, comme une valeur à transmettre, ces modèles sont

plus au moins présents dans le processus de la transmission des valeurs : D’abord le modèle mimétique dont le propos est de trouver un modèle de

référence (les Lumières, la Raison, la Patrie, la République) que les élèves ont à intérioriser, à s’approprier grâce à l’aide, ou à l’exemple de

l’enseignant. Ensuite, le modèle analogique dont le propos est de constituer, d’organiser un milieu éducatif qui reproduise, mais en miniature, le plus

fidèlement possible, le milieu économique, social et politique dans lequel les élèves auront à vivre demain ou souhaitent vivre et prospérer. Enfin, le

modèle réaliste qui pousse à la confrontation avec la réalité “en personne”, contraignant l’élève à sortir de la neutralité et de l’universalité qui

caractérisent le milieu scolaire. Ce dernier modèle va lui permettre de se plonger dans le monde des différences réelles, l’obliger à prendre conscience

de lui-même comme différence, comme singularité opposée à d’autres.

Pour nous approcher du « Comment les valeurs avaient été transmises dans la famille et à l’école ? »

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, nous avons dialogué avec nos interviewés, sur

ces questions principales : « Dans votre enfance, quelles furent les personnes qui vous ont influencés davantage et pourquoi ? » ; « Au collège, quels

étaient ou quels sont les enseignants qui ont eu plus d’influence sur vous et pourquoi ? » ; « Les valeurs que vous dites avoir reçues, comment vous les

a-ton transmises ? » ; « Si vous aviez un ou deux enfants, quelles valeurs reçues leur vous et pourquoi ? » ; « Que ne leur

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DE DIESBACH, Nicole. Éducation : transmission d'un savoir ou découverte d'un potentiel ? Paris : L'Harmattan, 2005, p. 167.

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Un exemple en est le document du Ministère d’Éducation Colombien, intitulé « Politique Educative pour la Formation Scolaire dans la Connivence » qui dit : « La formation de sujets habilités pour

une vie commune en harmonie est un processus d’appropriation cognitive des valeurs du respect des autres, de la tolérance, l’honnêteté et la solidarité, elle est aussi la capacité pour gérer sentiments et

émotions, savoir faire face aux conflits, travailler en groupe, partager, chercher les solutions aux problèmes, argumenter, dialoguer et se donner des buts ». Comme moyen pour le faire le document

propose seulement celui de « motiver » les élèves. Nous ne sommes pas contre le fait d’avoir une liste prioritaire des valeurs « à transmettre » (on parle souvent de les “enseigner”), mais nous nous

interrogeons sur : les moyens et comment on doit le faire en tout en respectant ce qui a été dit dans notre chapitre sur la transmission.

vous pas et pourquoi ? » ; « Quelles sont les conditions qui vous ont empêchés ou qui vous empêchent d’accepter une valeur proposée ? ». Bien que

nous nous soyons attachés au discours des interviewés, nous pensons, comme l’a affirmé Scheler, que « les formes d’expression, dont la validité et

l’exercice ne s’enracinent que dans la tradition (authentique), et dont la nature est telle qu’on ne peut s’écarter d’elles que par un acte de volonté,

peuvent transmettre des réalités morales ayant une valeur positive ou négative »

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. Ce que nous dit Henri Lefebvre est aussi éclairant : « Au cœur du

quotidien et de ses paroles se trouvent des valeurs éthiques, supports de la vie sociale qui la rendent supportable. Le discours et le quotidien recouvrent

d’une chair faible mais douce la crudité et la brutalité des rapports structurels, squelette de la société ».

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Et dans un autre texte, le même auteur nous

signale : « le quotidien, comme le langage, contient, impliquées mais voilées dans et par les fonctions, des formes évidentes et des structures

profondes »

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. Enfin, pour Christine Delory-Momberger le biographique est une catégorie de l’expérience qui permet aux individus d’intégrer, de

structurer, d’interpréter les situations du vécu

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.

Si l’éducation est orientée vers la formation de la responsabilité et de la capacité à choisir, elle donnera à l’élève la claire vision nécessaire pour

différencier les valeurs et les antivaleurs dans un monde qui n’offre pas toujours le meilleur pour l’épanouissement de la personne. Comme nous

l’avons entendu un jour, il ne faut pas permettre que l’esprit critique et la capacité de jugement soient sacrifiés au bénéfice d’un esprit crédule, mais

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J.P. Pourtois et H. Desmet, nous proposent un paradigme composé de douze besoins répartis selon quatre axes cherchant à expliquer comment l’individu construit son identité au cours de sa

socialisation et de sa personnalisation, dans un rapport dialectique de développement et de crise. Le but de ce travail est que l’éducateur puisse faire une synthèse articulée de toutes les dimensions pour

favoriser chez l’enfant une construction identitaire riche et solide. En lisant ce texte, nous comprenons les enjeux d’une transmission en éducation et la responsabilité de l’enseignant et de l’école en tant

que transmetteurs des valeurs et en tant que figures normatives pour les élèves. Les quatre axes avec leurs besoins correspondants sont : Besoins affectifs (l’attachement, l’acceptation, l’investissement) ;

Besoins cognitifs – accomplissement (la stimulation, l’expérimentation, le renforcement) ; Besoins sociaux (la communication, la considération, les structures) ; Besoin de valeurs – idéologie (le bien et

le bon, le vrai, le beau). Selon les auteurs pour chaque besoin il doit y avoir une pédagogie. Cf. POURTOIS, Jean-Pierre, DESMET, Huguette. L’éducation postmoderne. Paris : PUF. pp. 79-196.

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LEFEBVRE, Henri. Critique de la vie quotidienne. De la modernité au modernisme. Pour une métaphilosophie du quotidien. Vol. III. Paris : L’Arche Éditeur, 1981, pp. 66-67.

334

Idem. p. 8.

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« L’homme écrit sa vie. La perception et l’intelligence de son vécu passent par des représentations qui présupposent une « figuration » du cours de son existence et de la place qu’y peut prendre telle

situation ou tel événement singulier. Cette activité de biographisation apparaît ainsi comme une herméneutique pratique, un cadre de structuration et de signification de l’expérience par lequel l’individu

se donne une figure dans le temps, c’est-à-dire une histoire, qu’il rapporte à soi même. » DELORY-MOMBERGER, Christine. Op. cit., p. 3.

toujours ouvrir des espaces qui donnent place à la question. Une éducation qui “décapsule” la curiosité et l’émerveillement propre de l’enfant,

capacités malheureusement “tuées” à l’école par une éducation très intellectualiste, permettra de les ouvrir à l’exploration et à la reconnaissance du

monde des valeurs. Une éducation qui enseigne à différencier et trouver le lien entre la connaissance et tout ce qui a été transmis par les générations

précédentes, saura se maintenir dans l’actualité sans tomber sur les snobismes acritiques et saura distinguer les connaissances qui appartiennent au flux

incessant des faits, des problèmes qui composent la réalité. Scheler nous éclaire ce point en disant : « Préférer les valeurs anciennes aux nouvelles,

c’est maintenant faire preuve d’aveuglement et d’illusion sur le plan moral. Pourtant les règles préférentielles entre les anciennes valeurs restent

entièrement intactes »

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.

Pour que le processus de transmission de valeurs soit efficace, nous avons remarqué chez les interviewés leur demande continuelle d’une ambiance

éducative où l’enseignant, tout en respectant la “pertinence” du sujet, n’ait pas peur d’apprendre aussi de l’étudiant. La “pratique” de la confrontation

devant les problèmes concrets ou immédiats, la compréhension des faits et de leurs causes historiques, la participation responsable de l’élève dans le

processus d’apprentissage, sont des moyens qui facilitent la transmission. Carl Rogers nous le dit clairement : « le seul éduqué est celui qui a appris

comment apprendre, comment s’adapter au changement, qu’aucune connaissance est sûre, et que seul le processus de recherche de connaissance

fournit les bases pour la sécurité »

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. Ils veulent une ambiance éducative permettant l’implication de “toute” la personne éduquée sans la réduire

uniquement à son intelligence ou son affectivité isolée ; une ambiance où l’autoévaluation se réalise dans le dialogue et l’écoute de soi-même en étant

attentif aux autojustifications, aux attitudes de victime et à l’enfermement sur leurs propres idées et expériences. Ils veulent une ambiance, enfin,

permettant le déroulement des activités qui facilitent ou renforcent le sens de l’indépendance et de l’autonomie de l’élève. Dans cette même ligne,

enseigner des attitudes, c’est-à-dire un “agir moral”, suppose le travail de reconnaissance du niveau de l’apprentissage affectif poursuivi par l’élève, en

sachant que les caractéristiques affectives de la personnalité de chaque individu sont acquises ou modifiées par l’apprentissage et qu’elles impliquent la

présence de réponses ou de réactions émotives positives ou négatives, et que ces réponses émotives demeurent stables une fois acquises . « Ce constat

exige une véritable didactique de l’affectivité basée sur des stratégies (imposition, récompense, information, participation, imitation, punition…), des

méthodes (stage pratique, visite, journal collectif, jeu de rôle, jeu, observation, réalisation…) et des techniques (enseignement par les pairs,

enseignement programmé, exposition, étude de cas, dialogue, projet, témoignage…) qui devient nécessaire »

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.

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SCHELER, Max. Op. cit., p. 315.

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Cité par De DIESBACH, Nicole. Op. cit., p. 144.

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