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« La complexité ne comprend pas seulement des quantités d’unités et interactions qui défient nos possibilités de calcul ; elle comprend aussi des incertitudes, des indéterminations, des phénomènes

aléatoires. La complexité dans un sens a toujours affaire avec le hasard… Ainsi, la complexité coïncide avec une part d’incertitude […] c’est l’incertitude au sein de systèmes richement organisés […]

La complexité est donc liée à un certain mélange d’ordre et de désordre… » MORIN, Edgar. Introduction à la pensée complexe. Paris : Seuil, Essais, 2005, pp. 48-49.

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Cf. NATANSON, Jacques et Madeleine. Op. cit., pp. 203.

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Nous constatons l’impasse dans laquelle se trouve aujourd'hui la transmission des valeurs, parce que la société contemporaine ne marche pas selon les

valeurs “enseignées” par les agents qui s’attribuaient, ou à qui l’on attribuait, la fonction de transmettre les valeurs – que ce soient les parents et la

famille, les maîtres et l’école, les prêtres et la religion, les médecins, l’État lui-même. Ceux-ci se trouvent, hélas, dans une situation délicate qui rend

difficile et incertaine la transmission de leur message. Or, plaçons-nous devant les questions suivantes : Sommes-nous sûrs de ce qu’on doit

transmettre ? Avons-nous pensé aux conditions dans lesquelles une transmission peut réussir ? Et plus profondément encore : existe-il ce qu’on appelle

“transmission” ou sommes-nous dans “l’impossible transmission” ? Pensons-nous encore que l’activité de transmission se limite à la réception d’un

message ? Par essence, ne comporte-t-elle pas aussi la façon dont le récepteur l’accepte ?

Commençons par quelques évidences. En premier lieu, la transmission fondamentale, au-delà des biens et des valeurs, c’est la transmission de la vie,

de la capacité à créer. C’est pour cela que réfléchir sur le pourquoi de la transmission, c’est interroger les origines de la vie. Toutes les civilisations et

religions proposent des mythes

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qui, d’âge en âge, évoquent le couple primordial transmetteur de la vie »

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. Attachés aux mythes, les rites jouent un

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DE GAULEJAC, Vincent. L’histoire et héritage. Roman familial et trajectoire sociale. Paris : Desclée de Brouwer, 1999, p. 153.

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En général, on peut dire : En premier, le mythe, tel qu’il est vécu par les sociétés archaïques, constitue l’histoire des actes des Êtres Surnaturels. En second, cette histoire est considérée comme

absolument vraie (parce qu’elle se rapporte à des réalités) et sacrée (parce qu’elle est l’œuvre des Êtres Surnaturels). Troisièmement, le mythe se rapporte toujours à une “création” ; il raconte comment

quelque chose est venu à l’existence, ou comment un comportement, une Institution, une manière de travailler ont été fondés. C’est la raison pour laquelle les mythes constituent les paradigmes de tout

acte humain significatif. Quatrièmement, en connaissant le mythe, on connaît l’“origine” des choses et, par suite, on arrive à les maîtriser et à les manipuler à volonté ; il ne s’agit pas d’une connaissance

“extérieure”, “abstraite”, mais d’une connaissance que l’on “vit” rituellement, soit en narrant cérémoniellement le mythe, soit en effectuant le rituel auquel il sert de justification. Enfin, d’une manière ou

d’une autre, on «vit» le mythe dans le sens qu’on est saisi par la puissance sacrée, exaltante, des événements qu’on remémore et qu’on réactualise. Par conséquent, “vivre” les mythes implique une

expérience vraiment “religieuse” puisqu’elle se distingue de l’expérience ordinaire, de la vie quotidienne. Cf. Mythe. Dictionnaire des mythologies et des religions des sociétés traditionnelles et du

monde antique. Paris : Flammarion, 1981, p. 139.

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rôle essentiel dans la transmission : s’il est vrai que les rites sont un comportement répétitif

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, en fait ils ont une action réflexive, qui fait en

permanence retour sur elle-même pour que l’acteur se voie ou s’entende lui-même en train de faire les mêmes gestes. Le rite, loin d’être un

comportement morbide, comme le pensait Freud, est un comportement actif et profondément vivant. Ensuite, quoi qu’il en soit, chacun est porté par

une histoire qui précède largement sa naissance. La transmission commence avant même la venue au monde de l’enfant en devenant le lien, en partie

inconscient et en partie conscient, qui existe entre les parents et lui. Enfin, nous vivons de nombreuses interactions au-dedans de plusieurs

“configurations” qui donnent un sens particulier à toute façon de transmettre.

Notre démarche dans ce travail est ethnographique et non psychanalytique, bien que nous ne puissions pas éviter de signaler la contribution fournie par

la psychanalyse à l’étude de notre sujet. Avant d’entamer l’explicitation de la démarche ethnographique, évoquons brièvement l’apport de la

psychanalyse en ce qui concerne la “théorie du transfert”. C’est Freud qui a eu « le grand mérite d’avoir sorti la question de la transmission de pensée

du marécage occultiste pour la placer sur un terrain plus sûr, plus accessible à l’investigation psychanalytique »

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. Tout d’abord, le transfert de pensée

relève d’un mode de communication primitif, au sein de la relation mère-enfant des premiers temps. Il est privilégié chez les psychotiques ainsi que

chez les enfants dans la relation avec la mère, dans la télépathie, dans le rêve, la régression de l’hypnose et la mystique. Ensuite, le transfert de pensée

se réalise dans les analyses et les psychothérapies analytiques. Enfin, ce sont les « transferts en miroir » qui occuperont l’attention des

psychanalystes

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.

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Raison pour laquelle Freud avait vu en eux un comportement névrotique, animé par la pulsion de mort qui se cache derrière toute répétition mécanique. Cf. ses textes : « Au-delà du principe de

plaisir », « Actes obsédants et exercices religieux », et « Totem et tabou ».

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ARFOUILLOUX, J.-C., Relation d’inconnu, séduction, transfert de pensée. In, BARBIER, André, DECOURT, Pierre. Op. cit., p. 50.

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Dans la psychanalyse on parle de « transfert » (Gedankenübertragung) et non de transmission de pensée : il y a du transfert de pensée. La bibliographie à ce sujet est abondante et échappe aux

objectifs de notre travail. Pourtant, nous signalons : De Sigmund FREUD notamment les écrits utilisés pour étudier “le transfert” : La dynamique du transfert, 1912 ; L’inquiétante étrangeté ; Le Moi et

le Ça ; Les nouvelles conférences de 1933 (Rêve et occultisme) ; L’interprétation des rêves ; Le délire et les rêves dans la Gradiva de Jensen ; La technique psychanalytique ; Conseils aux médecins sur

le traitement analytique ; Le début du traitement ; Psychanalyse et télépathie ; Rêve et télépathie. Pour une critique et la mise en place de la “théorie du transfert de pensée” : BARBIER, André,

DECOURT, Pierre (sous la direction de). Transmission, transfert de pensée, interprétation. Puteaux : éditions du Monde Interne, 1998 ; CICCONE, Albert. La Transmission psychique inconsciente.

Identification projective et fantasme de transmission. Paris : Dunod, 2000 ; BERNAT, Joël. Transfert et pensée. Paris : L'Esprit du Temps (Coll. « Perspectives psychanalytiques »), 2001 ; GRANOFF,

Wladimir, REY, Jean-Marie. Le transfert de la pensée : une lecture de Freud. Éditions Aubier Psychanalyse, 2005. De la revue Études freudiennes(n

o

34) nous soulignons les articles suivants : GORI,

Roland. Pensées de transfert ou transfert de pensée ; LARIVIERE, Michel. La transmission de pensée : un reste pour la psychanalyse. DONNET, Jean-Luc. L'institution, l'auto-analyse.

Pour Freud, la force motrice d’une thérapie est l’amour du thérapeute, un amour qui n’est rien d’autre que la résurgence de l’amour pour la mère ou le

père. Cela veut dire que le patient guérit grâce à un transfert positif. L’analyste utilise, selon lui, le transfert du patient (c’est-à-dire sa suggestibilité)

pour l’amener à surmonter ses résistances de transfert. Dans le transfert, le patient est en effet censé reporter sur la personne du médecin le complexe

de représentations et d’affects qui caractérise sa structure œdipienne. Mais, disent les critiques de la psychanalyse, que prouve cette répétition, si elle se

produit ? Si elle est présente, elle prouve au mieux qu’une forme de sociabilité est récurrente chez ce patient, non qu’elle joue le rôle pathogène qu’on

veut lui faire tenir. Si le transfert ne se manifeste pas, il est difficile d’en conclure quoi que ce soit.

Les relations précoces de l’enfant avec ses parents, avec leurs apprentissages, leurs vécus, génèrent la plupart du temps des schémas infantiles qui

peuvent marquer la personnalité et stimuler de futurs comportements. Les schémas infantiles (schémas d’“abandon”, de “méfiance et abus”, de

“vulnérabilité”, de “dépendance”, de “carence affective”, d’“exclusion”), ne sont pas déterminants dans la construction psychique, parce qu’ils vont

cohabiter avec d’autres forces : les croyances, le système de pensées que chacun s’est forgé au fil des ans. Pour un psychanalyste « thérapeutique »

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, à

notre époque, tout est loin d’être clair, parce que la réalité montre bien que certains patients vont mieux dans leur vie, mais que leur anxiété, leur

dépression, leur colère et leur propre haine d’eux-mêmes ne s’améliorent guère. Les patients comprennent certains “pourquoi” mais ne changent pas

toujours leurs dysfonctionnements émotionnels (et donc comportementaux)

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. C’est pourquoi des voix s’élèvent contre les interminables et coûteuses

séances psychanalytiques et contre certains de ces principes

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.

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