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Évoquons maintenant un autre point important qui illustre le déclin de la domination paternelle en France : celui du nom. En effet, c’est à travers la transmission du nom que, pour certains, l’autorité du père apparaît la plus symboliquement déclinante. Mais les derniers changements concernant l’autorité au sein de la famille sont-ils réellement repérables à travers la dite transmission du nom ? Traditionnellement, le nom patronymique du père ayant reconnu l’enfant ou du mari seul prévalait. C’est la marque d’appartenance à une lignée. Un homme se reconnait père de cet enfant en lui donnant son nom. L’enfant trouve sa place dans la chaine des générations. Il en était clairement ainsi dans la Rome antique où le père soulevait ou non l’enfant. Cette reconnaissance dépendait exclusivement de sa volonté. Notons qu’il n’en est pas de même pour l’homme marié qui est nommé comme père par la loi et non de son propre fait. Il a à sa disposition une action en désaveu de paternité, mais il lui faudra prouver une absence de liens biologiques. Sa volonté de ne pas être père ne lui est pas accordée s’il est marié. En cas de naissance naturelle, la transmission du nom paternel est moins assurée. Ainsi en cas de reconnaissance prénatale par la mère d’un enfant naturel, c’est-à-dire hors des liens du mariage, l’enfant portait le nom de sa mère et celle ci dispose d’ailleurs de l’autorité parentale à son égard comme nous l’avons sous certaines conditions. Des pères non avertis de ses dispositions juridiques en ont été cruellement affectés. L’article 311-21 du code civil stipule toujours que l’enfant porte le nom du premier parent qui le reconnaît (ce qui avantage la mère). Bien sûr, lors de l’établissement de la seconde filiation, par déclaration conjointe, les parents peuvent choisir suivant le régime commun. Mais il faut un accord et cette fois aucun recours n’est prévu. Pour le régime d’attribution du nom qui a été mis en vigueur en 2005, nous pouvons voir un effort en faveur de l’égalité entre les époux. Actuellement, les parents choisissent quel nom leur descendance doit porter : « soit le nom du père, soit celui de la mère, soit les deux noms accolés dans l’ordre choisi par eux, dans la limite d’un nom de famille pour chacun d’eux »(article 311-21). Sans déclaration conjointe pour les enfants ayant une

double filiation, les noms sont placés selon l’ordre alphabétique76. On peut donc remarquer qu’ici encore pour que chacun puisse transmettre son nom, il est nécessaire d’être d’accord. C’est sans doute encore reconnaître que l’attribution relève du domaine privé ce qui escamote la fonction sociale du nom selon la formule de Fenouillet. Le nom en effet nous représente dans la société. Mais on peut aussi remarquer que si le législateur a voulu reconnaître l’égalité dans le couple à travers la transmission du nom, en cas de désaccord, c’est la solution traditionnelle qui l’emporte. Il n’est donc pas besoin de recourir au juge. La justification de ce maintien d’une position pour une fois traditionnelle est que le père ne pouvant s’affirmer en tant que père comme la femme par la gestation, il est apparu nécessaire de maintenir cette dernière possibilité d’affirmation de l’autorité paternelle. Ces diverses prises de positions qui semblent traduire un certain malaise montrent que la transmission du nom est une notion très importante et également que la société française par la voie de ses législateurs est encore très attachée au symbole de l’institution familiale et à la notion de lignée patrilinéaire. Et pourtant on peut se demander s’il s’agit bien là d’une grande concession à l’autorité parentale. Ainsi, si l’on prend l’exemple de l’Espagne, où chacun sait que les enfants portent le nom de leurs deux parents, il ne semble pas que cela soit dans ce pays un symbole de l’affaiblissement de la puissance paternelle.

Examinons de plus près ce double nom. Il s’agit tout simplement de montrer que l’enfant représente par son nom l’union de la lignée du père du père et du père de la mère. La mère ne transmet pas (comme en France également maintenant) le nom de sa mère mais le nom de son père. Enfin quand les enfants deviendront parents, quel nom vont-ils transmettre ?

Le problème majeur dans la transmission du nom est celui d’appartenance à une lignée. Ce qui semble important pour le sujet est son inscription dans une histoire, sa possibilité de se situer. Nous reprendrons ce point dans un chapitre ultérieur, mais nous souhaitons ici rappeler que, historiquement, l’intangibilité du

nom de famille, sa transmission par la lignée paternelle, est récente. Certes, en droit romain, le citoyen avait trois noms : son prénom, le nom de sa famille et celui de son clan (sa gens). Mais cette transmission s’est perdue. La transmission du nom du père est un mode issu de la féodalité (pour les ainés, héritiers des fiefs). Les cadets pouvaient porter le nom de la mère. C’est véritablement avec l’initiative de François 1er (ordonnance de Villers-Cotterêts, 1539) et la création de l’état civil que les noms sont fixés. La règle de la transmission du nom du père est récente comme le rapporte Mme Marie-Jo Zimmermann (député socialiste) que nous citons77 :

Pour justifier cette situation, on nous parle de « tradition millénaire ». Rien n’est plus faux. Les historiens attestent en effet que, sous l’Ancien Régime, il arrivait fréquemment que les femmes transmettent leur nom. En fait, tout cela résulte uniquement de l’arbitraire de la jurisprudence de la Cour de cassation qui a décidé, il y a un siècle et demi, que le nom des enfants devait être, obligatoirement, celui du père.

Certes, certains patronymes indiquent que l’on a voulu indiquer une parenté. Ce sont les préfixes signifiant « fils de » comme mac (ex : Macdonald), fitz (ex : Fitzgerald), sohn (ex : Andersohn), ben (ex : Benjamin) et en France a ou de. Remarquons qu’en France les préfixes sont très peu nombreux à la différence d’autres pays comme le Royaume Uni. Notons également que l’on traduit ce préfixe par « fils de », à croire que les filles n’étaient pas dignes d’être nommées. Mais rien ne dit qu’il s’agissait d’identifier une lignée (hors le cas de la noblesse). Peut-être s’agit-il tout simplement de s’y retrouver entre plusieurs homonymes. N’est-ce pas également une volonté d’Ordre et de Police comme le montre bien la centralisation du pouvoir qui s’opère à l’époque de François 1er avec la fin de la féodalité qui a prévalu à la fixation de la transmission du nom ? En effet, un individu n’a besoin, pour se situer, que de savoir, de mémoire d’homme, qui sont ses parents et ses ascendants proches dans ses rapports sociaux. Dans le Haut Moyen Age, le nom est souvent formé d’une partie du nom du père et de celui de la mère. Et il n’y qu’un seul nom de porté.78 Il est également possible de donner

77 ASSEMBLÉE NATIONALE, « 2ème séance du jeudi 21 février 2002 », [En ligne : http://www.assemblee-nationale.fr/11/cra/2001-2002/index.asp]. Consulté le8 août 2011. 78A ce propos http://fr.encarta.msn.com/encyclopedia_741538880_2/famille_histoire_de_la.html

son nom à un étranger pour créer des liens79. La connaissance orale est suffisante surtout à l’époque ancienne où la culture orale ne subit pas la dévalorisation qu’elle connaît dans nos sociétés occidentales. Rappelons, à titre d’appui, qu’en Afrique il est habituel d’intégrer, à toutes salutations, les membres de la parenté. Le nom n’a donc pas cette immuabilité au Moyen Age. Ce n’est pas nécessaire car c’est par la reconnaissance au sein du groupe que l’on se situe. En instituant que le père transmet son nom, on en fait une référence et on fabrique, avec la norme, l’exclusion. C’est davantage la reconnaissance par rapport au tiers qui est en jeu et, si la norme n’est plus la même, la symbolique du nom patronymique peut sauter sans que cela soit dommageable pour l’individu. Le plus important ne serait-il pas de parler à l’enfant, de répondre à son questionnement afin de l’aider à se situer et aussi de lui permettre de sentir que, s’il est membre de la famille, il n’en est pas un objet mais un sujet qui va devoir choisir. N’est ce pas ce que Françoise Dolto appelle « le parler vrai »80 ? Et pour l’aider, peut-être est-ce plus encore le prénom qui va assurer ce rôle. Il a été choisi, il a une signification. Et parfois il traduit certes l’espoir des parents qui peuvent choisir un prénom pour son étymologie comme Sophie (la sagesse) ou le charisme d’un personnage historique tel Alexandre (le Grand bien sûr ou le tsar à la limite). Parfois aussi on retrouve dans les prénoms la notion de transmission avec le prénom de l’ascendant qui doit obligatoirement être donné. Peut-être pourrait-on penser que c’est la nomination individuelle, c’est-à-dire le prénom qui permet déjà à l’enfant de se situer en tant que sujet, d’échapper à la fusion d’avec la mère, c’est son « nom à lui ». Le prénom est en fait son nom propre. Et tout en le désignant lui, ce prénom le relie à ses parents par l’attention du choix qu’ils ont fait.

Citons en guise de conclusion de ce point sur la transmission du nom Marylise Lebranchu, alors garde des sceaux, lors des débats à l’Assemblée nationale :

79 Régine LE JAN, Famille et pouvoir dans le monde franc (VIIe-Xe siècle) : essai d’anthropologie sociale, vol. 1/7, Paris, Publications de la Sorbonne, 1995. p 180 et s

J’avais alors salué cette initiative comme la consécration des principes de parité, de liberté et d’égalité dans ce qui est l’élément, à la fois le plus intime et le plus social de notre identité : notre nom. ..Il est du reste paradoxal, à l’heure où nous souhaitons tous reconnaître l’égalité au sein de la famille, que la loi consacre pour la première fois cette primauté (du nom du père par défaut). On cherche en effet en vain aujourd’hui dans le code civil une règle indiquant que l’enfant légitime prend le nom de son père. 81

A l’issu de cette partie, nous avons pu identifier, dans la pièce sur la Famille, quatre personnages dont les rôles évoluent : Le Père, la Mère, l’Enfant, le Juge représentant de la société. Le rôle principal est d’abord tenu par le Père. Ainsi Pierre Legendre insiste sur le fait que le pater familias tient sa légitimité du pouvoir politique. La fonction paternelle n’est pas séparable de celle de citoyen. On peut en déduire que le Père est le garant de valeurs fondamentales qui sont le liant de la société traditionnelle. Le juge n’intervient que si le Père ne respecte pas son rôle. D’une certaine façon, il se tient à la lisière de la sphère familiale et n’entre en scène que pour rectifier, impulser des directions. Ainsi est inventée la loi salique en France qui renforce la transmission du pouvoir masculin en rejetant comme chef de lignée la première fille. Puis, une sorte d’accélération se produit dans la redistribution des rôles. La Mère et le Père ont les deux rôles principaux et le rôle de l’Enfant s’étoffe, et le juge, qui intervenait peu, est de plus en plus obligé de s’investir. Il joue un peu le rôle du metteur en scène car les acteurs ont un peu tendance à « tirer la couverture à eux », ce qui apportent des frictions et gène le jeu de scène. Il essaie également de préserver l’Enfant qui ne peut placer son texte. Bientôt, il va risquer de se retrouver déborder par l’ajout d’un nouveau personnage la Science (les procréations médicalement assistées). Il lui faudra aussi compter avec des candidats acteurs qui modifient ou vont modifier le profil de Père et Mère en proposant des adaptations (les familles monoparentales, les familles recomposées et les familles homosexuelles) qui, elles, pour l’instant, jouent essentiellement en « off du festival »). Bref, c’est une pièce qui a eu beaucoup de succès et qui doit s’adapter à notre société actuelle pour continuer à plaire. Il va s’en dire que comme certains ne supportent pas de voir Racine jouer en complet veston, quelques grincheux s’obstinent à refuser les adaptations et crient au blasphème.

L’établissement de la filiation ou de la remise à plat de l’adage «