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Les conjoints : vers l’autorité partagée

C’est au sein de l’institution du mariage, que nous pouvons très clairement voir au cours du XXe siècle le déclin de la suprématie de l’homme. Ainsi, en 1938, c’est la fin de puissance maritale. L’article 213 du code civil était initialement

rédigé ainsi : « Le mari doit protection à sa femme, la femme doit obéissance à son mari ». Rappelons que ce devoir d’obéissance avait pour corolaire un droit de correction47. Et même s’il était, semble-t-il, déjà tombé en désuétude en 1938, il convient de rappeler qu’il fût considéré comme légal. Ainsi, une ordonnance du XVe siècle explique « quand et comment un homme peut effectivement battre sa femme ». Complétons par l’exemple plus récent du Code Napoléon qui excuse le meurtre par le mari de la femme adultère. La femme est considérée comme la propriété du mari à cette époque pas si éloignée.

Cette puissance maritale fut donc remplacée par la notion de chef de famille. Il exerçait cette fonction dans l’intérêt de la famille. Elle fut limitée au vu de certaines concessions à la liberté de son épouse (liberté politique, liberté de vote, liberté confessionnelle et liberté de relations et correspondance). Il conservait néanmoins le pouvoir de première décision dans les cas non prévus par la loi. Cette notion de chef de famille disparaît en 1970 et les quelques cas prévus par la loi où sa décision restait prépondérante furent supprimés en 1975. Citons ainsi la décision concernant le choix du domicile conjugal. L’article 213 est actuellement ainsi rédigé : « Les époux assurent ensemble la direction morale et matérielle de la famille. Ils pourvoient à l’éducation des enfants et préparent leur avenir ».

Si les deux époux sont reconnus comme égaux c’est également parce que l’identité distincte de la femme est reconnue. Avant 1938, la femme mariée était une incapable majeure, c’est à dire qu’elle n’était pas reconnue comme adulte responsable. Ses activités étaient subordonnées à l’autorisation de son époux. Rappelons-nous la difficulté qu’eut La Comtesse de Ségur à jouir de ses droits d’auteur ou, plus proche de nous, comment Colette vit ses premiers écrits publiés sous le nom de son mari. En se mariant, une femme perdait son droit d’être adulte.

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Pour montrer que le respect de l'épouse n'a pas été toujours évident nous rapportons cet extrait particulièrement édifiant (« Le mari qui bat sa femme, la blesse, la taillade de haut en bas et se chauffe les pieds dans son sang, ne commet pas d’infraction s’il la recoud et si elle survit ». (XVIIIème siècle, le droit de Bruges) Geneviève MAIRESSE, « Violences envers les femmes : a qui profite le crime ? », [En ligne : http://www.revue-democratie.be/index.php?p=art&id=108]. Consulté le 21 novembre 2010.

Heureusement, l’article 216 du code civil est dorénavant ainsi rédigé : « Chaque époux a la pleine capacité de droit ». Signalons subsidiairement que légalement chaque époux conserve son nom de naissance en vertu de l’article premier de la loi du 6 fructidor an II (23 août 1794), jamais aboli. Il énonce très clairement : « Aucun citoyen ne pourra porter de nom ni de prénom autres que ceux exprimés dans son acte de naissance : ceux qui les auraient quittés seront tenus de les reprendre. » L’article IV de la même loi ajoute par ailleurs « qu’il est expressément défendu à tous les fonctionnaires publics, comme les huissiers du Trésor de désigner les citoyens dans les actes autrement que par le nom de famille et les prénoms portés dans l’acte de naissance. » C’est en vertu d’un usage conditionné par le code napoléonien que la femme prend le nom du mari. Le mari ayant l’autorité légal dans le ménage, le nom de la femme s’efface en même temps qu’elle. C’est un usage assez symbolique qui efface l’existence d’une femme avant son mariage et marque son entrée dans la lignée de l’époux. Pourtant, a

contrario dans le nord de la France, selon Gérard Cornu, le mari ajoute à son nom

celui de sa femme par un trait d’union et la coutume française et totalement inconnue en Belgique et nous savons que les femmes mariées espagnoles conservent leur nom à une très grande majorité (77%)48.

Nous avons donc vu l’émergence de l’égalité dans le couple marié. L’émergence de cette dite égalité nous amène à penser qu’elle influe sur la conception du mariage. Ainsi, l’on constate une contractualisation du mariage au détriment de l’institution. Par contractualisation, nous entendons que le mariage finit par se réduire à un contrat entre les deux époux qui n’engagent qu’eux mêmes, ne regarde ni les tiers, ni l’État. Le juge n’aura donc qu’à vérifier la bonne exécution et pourra en prononcer l’annulation avec plus de facilité. Les conséquences pourraient être une grande diversité des contrats. La transformation des devoirs en obligations contractuelles peut, en excluant l’élément moral, présenter le contrat comme un rapport de forces, un affrontement des narcissismes

48 Marie-France VALETAS, « Le nom des femmes mariées dans l’Union européenne », bulletin

mensuel d’information de L’Institut national d’études démographiques, vol. / 367, avril 2001,

plus qu’un engagement commun constructeur. Mais cette transformation des mentalités est le fruit de divers changements. Les normes juridiques sont conjoncturelles ; elles sont le résultat d’un vote. Cette demande de contractualisation n’est pas uniquement la résultante de l’égalité voulue pour les femmes. Se sentir reconnue, responsable n’implique pas nécessairement vouloir écraser l’autre ; ce serait même plutôt l’inverse D’autres facteurs doivent entrer en ligne de compte. Sans vouloir plus avant développer, il est évident que le déclin de la sacralisation du mariage, le déclin du religieux, ôte la distance que nous qualifierions de respectueuse par rapport à l’institution. Mais la tendance à la contractualisation est peut-être aussi une réaction à la déstabilisation masculine. Dans un contrat, la notion de rapport de forces peut l’emporter sur celle de consensus. Si un des éléments est sûr de soi, il peut pousser au contrat pour obtenir l’avantage. A l’inverse, si l’on veut se prémunir, si une grande prudence préside à l’union, la volonté de conclure un contrat peut s’imposer. C’est ce que l’on peut constater en matière de contrat de mariage portant sur le patrimoine. Mais là encore la fonction de tiers symbolique de la loi, pourra peut-être, préserver le plus faible.

Le mariage instaure un certain nombre de devoirs : « Les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, secours, assistance » (article 212 du code civil) et « s’obligent mutuellement à une communauté de vie » (article 215 al 1er du code civil). Nous venons également de voir que les époux assument ensemble la gestion morale et matérielle de la famille.

Mais l’égalité engendre l’expression de volonté pour aménager les rôles et les devoirs. Or le mariage est une institution, c’est à dire qu’il y a un troisième partenaire qui veille au respect des règles du mariage. La famille est considérée comme un fondement de notre société et l’État veille à son fonctionnement. Les intérêts personnels de chacun des membres peuvent donc s’opposer aux obligations d’ordre public que le mariage leur impose. Bien sûr les obligations personnelles peuvent faire l’objet d’aménagements tant que les parties ne portent pas le litige à la connaissance du juge. Par exemple, ils peuvent se mettre d’accord pour se dispenser de vie commune ou du devoir de fidélité. Légalement, ces « pactes conjugaux » sont nuls, car ses devoirs sont impératifs. Mais déjà se

comme leur nom l’indique, concernent l’organisation des obligations des parents envers leurs enfants. Le juge s’appuie bien souvent sur ces pactes parentaux pour organiser la garde des enfants lors des divorces. Il en de même des pactes de séparation à l’amiable. « La nullité admise par la jurisprudence au début du XXe siècle est parfois contestée par la doctrine contemporaine, qui se fonde sur la

contractualisation49 du mariage50 ». Ce qui est clairement une première pierre vers la contractualisation. Quant aux pactes patrimoniaux, ils existent déjà, puisqu’il s’agit des contrats de mariage.

Par ailleurs, les devoirs du mariage sont tempérés par les libertés individuelles qui sont particulièrement réactives à l’évolution des mentalités. Il appartient donc au juge de statuer au cas par cas. Ainsi la liberté spirituelle peut s’opposer au devoir de fidélité si certaines sectes peuvent prôner l’abstinence sexuelle ou inversement encourager la liberté sexuelle, et la liberté corporelle n’autorise pas l’adultère. Mais si les devoirs conjugaux semblent primer sur certaines libertés individuelles du fait du mariage, ils peuvent subir des amoindrissements imposés par l’évolution des mœurs. Ainsi l’adultère n’est plus pénalement sanctionné depuis 1975. Seul demeure, en matière de responsabilité pénale, l’abandon de famille.

Si l’on se déplace vers les règles régissant le divorce, on s’aperçoit également que la place de l’État en tant que tiers supervisant le mariage se « défragmente » : ainsi, examinons la place du divorce pour faute. Certes, il est maintenu, mais amoindri. Il symbolisait en quelque sorte la reconnaissance officielle d’un manquement aux obligations du mariage. Le coupable était puni. Maintenant, disparaît le cas où le divorce était prononcé de façon péremptoire, si un des conjoints avait été condamné à une peine prévue dans l’article 131-1 du

49 En italique dans le texte

code pénal51. Cette disparition montre, si l’on reprend les mots de M. Fenouillet, « que le mariage devienne pour l’essentiel une question privée et atteste que l’État a renoncé à en faire un relais de la loi républicaine52. » Sans nous attarder, signalons que la faute devient une cause facultative de divorce. L’appréciation très subjective en est laissée aux juges. De plus, la reconnaissance de la faute n’est plus associée à des sanctions patrimoniales. La tentative faite récemment pour proposer que les divorces à l’amiable puissent relever de la compétence des notaires s’inscrit dans la même ligne d’évolution. Ce qui revient à vouloir faire reconnaître une dominante privée au mariage et à accentuer la perte de sa valeur institutionnelle. Le divorce ne sera peut-être plus un jour prononcé par un juge, mais dans une étude. Mais c’est là oublier comme le dit Marie-Cécile Moreau :

Que le divorce par consentement mutuel est dans la quasi-totalité des cas, un consentement au divorce et rien de plus. Les modalités et les conséquences du divorce pour les conjoints et pour les enfants, restent toujours en litige. Il faudra, c’est humain, discuter, négocier, ajourner, admettre, rediscuter, renégocier, parfois même se tourner vers un divorce contentieux. Les auteurs de la nouvelle proposition croient-ils vraiment, qu’il soit possible pour les futurs divorcés par consentement mutuel, de planifier, eux seuls leur séparation dans un respect, sans contrôle, d’une réelle égalité de leurs deux libertés respectives ?53

C’est donc clairement une atteinte aux libertés individuelles, lesquelles sont garanties par la constitution.

Si l’on réfléchit à la notion d’égalité entre les conjoints, on peut s’apercevoir qu’elle peut avoir des conséquences perverses. Ainsi, la notion de la famille comme lieu d’échanges sociaux et creuset de valeurs n’est plus vraiment cotée. « Elle est devenue un choix fondé sur l’amour et la libre décision, elle n’est plus le

51 Article 131-1 : « Les peines criminelles encourues par les personnes physiques sont : 1° La réclusion criminelle ou la détention criminelle à perpétuité ; 2° La réclusion criminelle ou la détention criminelle de trente ans au plus ; 3° La réclusion criminelle ou la détention criminelle de vingt ans au plus ; 4° La réclusion criminelle ou la détention criminelle de quinze ans au plus. La durée de la réclusion criminelle ou de la détention criminelle à temps est de dix ans au moins. »

52 Dominique LASZLO-FENOUILLET, Droit de la famille, op. cit. p 139

53 Marie-Cécile MOREAU, « Le divorce par consentement mutuel devant notaire ? », Observatoire de la parité, 2008.

lieu de la contrainte mais celui du contrat.54 » Ce n’est pas ce fait qui est critiquable, c’est plutôt que nous rentrons dans un univers peu stable. Les contrats ne tiennent que par la volonté de deux parties et dans la mesure où chacun y trouve son compte. Les deux parties étant supposées disposer d’un pouvoir de décision égal, les litiges doivent être tranchés par le juge car la notion de concession, de sacrifices, n’intervient pas avec la même acuité qu’autrefois. Pourquoi ? Auparavant, le mariage était sacré, c’est un fait. Mais, il suffit de voir le nombre de divorces à la Révolution Française, pour comprendre qu’aussitôt que certaines femmes emprisonnées dans le mariage ont pu pousser la porte, elles n’ont pas hésité. 60% des demandes unilatérales provenaient des femmes. Outre la régularisation de situation de fait, et la volonté de se protéger contre la terreur, André Burguière souligne que c’est dans le milieu des boutiquières et artisans, donc un milieu où la femme est autonome, qu’on trouve le pic des statistiques. A contrario, en milieu rural, même en cas de violences conjugales, le divorce n’était pas admis, la femme ne trouvant aucune aide dans son réseau familiale ou relationnelle.55 C’est peut-être parce qu’elles ne s’estiment pas assez reconnues que les litiges augmentent. Ainsi Irène Théry souligne l’augmentation de la tendance procédurière. Elle cite à titre d’exemple particulièrement frappant le cas d’une épouse demandant au juge d’obliger son époux à séparer le blanc des couleurs avant de faire la lessive. Mais va-t-on réellement vers une contractualisation du mariage ? On peut objecter que choisir de s’unir par le mariage c’est vouloir être reconnu aux yeux de tous en tant que couple et c’est également vouloir bénéficier d’une protection accrue. Cela n’est pas offert par l’union libre. Aussi penchons-nous sur la création du PACS et sa simulation du mariage. Celui-ci a été à la base conçu pour les homosexuels. Il ressemble au mariage dans son côté solennel car il doit être enregistré auprès du greffe du tribunal de grande instance et certains Maires procèdent à une simili-cérémonie de mariage à la mairie. On peut poser comme hypothèse que l’engagement

54 Michel SCHNEIDER, Big Mother : psychopathologie de la France politique, op. cit. p 240 55

André BURGUIÈRE, « La Révolution et la famille », Annales. Économies, Sociétés,

qu’implique le mariage ne séduit plus. Mais que l’aspect apparemment moins contraignant du PACS apparaît comme un moyen terme permettant une meilleur satisfaction des besoins immédiats. Il ne reste plus qu’à ajouter un pincée supplémentaire de rituel, et les futurs pacsés-séparés seront satisfaits. Et, si les homosexuels vont obtenir en 2013 le droit au mariage malgré le PACS, c’est certes afin d’obtenir ders droits égaux aux couples hétérosexuels, mais c’est surtout pour ne plus être considérés comme différents des hétérosexuels. Le mariage est, par son côté solennel, une reconnaissance du couple formé par la société. Ce besoin s’exprime moins du côté des couples hétérosexuels qui sont de plus en plus séduits par le côté pragmatique du PACS avec ses économies d’impôts et sa facilité de séparation. La lutte pour la reconnaissance de leurs droits passe, pour les homosexuels, par le symbolique de l’institution du mariage. C’est peut-être un peu schématisé, mais c’est ce qui est immédiatement visible. Maintenant c’est peut-être aussi que, plus responsables, plus surs d’eux-mêmes, les conjoints ne ressentent pas le besoin d’une protection accrue, l’apparente simplicité du PACS les séduit. Peut-être est-ce aussi la volonté inexprimée de préserver l’intime, de limiter l’intervention du tiers. Chez les pacsés, ce sentiment se mêle aussi à la conscience d’une instabilité possible de leur union. Ce n’est plus la vision d’un engagement à vie, mais d’un contrat renouvelé par tacite reconduction. C’est la recherche du développement personnel dans le cadre de la vie humaine. La notion de finitude de l’existence et de pragmatisme nous semble très présente. La sacralité du mariage apporte une autre dimension qui dépasse ces notions, une autre vision comme la transmission, le don.

Maintenant si Irène Théry signale l’augmentation des procédures, c’est pour mettre l’accent sur le rôle grandissant du pouvoir judiciaire, son ingérence dans l’intimité des familles. Les familles ne seraient plus capables de résoudre en interne les problèmes rencontrés. Mais il convient également de souligner qu’un certain nombre des procédures de poursuites n’étaient jamais entamées. Connaissant mieux leurs droits, étant plus éduqués, les hommes et les femmes se

défendent. A titre d’exemple, citons quelques extraits du rapport Chiffres clés

pour l’égalité entre les hommes et les femmes56 :

57 % des femmes victimes de violences physiques, soit 613 000 femmes, ont dit avoir été victimes de violences au sein de leur ménage, soit plus du double que le nombre d’hommes dans la même situation (292 000). L’auteur d’au moins un acte de violence est le conjoint pour près de la moitié des femmes victimes et un autre membre de la famille pour 37,8 % d’entre elles. Dans l’ensemble, 1,4 % des femmes de 18 à 75 ans (soit 308 000 femmes) ont affirmé avoir été victime d’un conjoint sur deux ans, soit une valeur près de trois fois plus élevée que celle observée chez les hommes des mêmes âges

Les campagnes de sensibilisation ont, nous l’espérons, un impact certain : « Une femme décède tous les 3 jours sous les coups de son compagnon. Un homme décède tous les 13 jours, victime de sa compagne. Parmi les femmes responsables de morts violentes, 1 femme auteure sur 2 subissait des violences contre 1 homme sur 15.57 » Ce sont là des faits graves, mais qui montre bien que le nombre des procédures n’est pas encore assez important dans certains domaines.

En conclusion, l’égalité dans le mariage demande que les conjoints sachent l’utiliser. Nous avons un peu l’impression que nous commençons une période d’apprentissage ou des liens différents se sont tissés entre les hommes et les femmes et que si les deux y ont gagnés en liberté, ils refusent parfois de comprendre les nouvelles responsabilités qui en découlent.

Ce chapitre nous a semblé indispensable car il préfigure l’évolution des relations entre les parents et les relations filiales. La famille, c’est d’abord un couple. L’enfant vient après et l’évolution au sein de cette famille conjugale n’est pas sans éclairer celle des rapports entre les parents et les enfants.