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Donc nous partons du postulat que les êtres humains sont sexués, c’est-à-dire qu’ils possèdent deux sortes d’organes génitaux et qu’ils ont des caractéristiques morphologiques qui les classent en mâles ou femelles. Mais là s’arrête la différence en deux classes. Ensuite, chaque être humain est unique. En ce sens, il n’existe pas de notion de complémentarité mâle-femelle autre qu’anatomique. Donc, logiquement il n’y a pas de masculin et de féminin dans le psychisme. Mais reprenons l’idée freudienne que l’être humain est bisexuel. Et précisons bien car la confusion est grande en matière de vocabulaire : dans une femme et dans un homme au sens courant, il y a du masculin et du féminin. Freud va ensuite nuancer en attribuant au masculin, l’actif, l’agressivité, et au féminin, le passif, la douceur selon nos normes. Encore et toujours le chercheur reste prisonnier de sa culture. Ainsi, Françoise Héritier nous apprend qu’en Inde, le passif est plus valorisé car c’est une qualité masculine.250 Les termes sont certes employés dans un contexte différent du sens commun, mais la référence culturelle est toujours difficile à détacher et ce n’est sans doute pas un hasard. Donc, le masculin n’est pas tout l’homme et le féminin n’est pas toute la femme. Il s’agit d’une complémentarité dialectique en chacun d’eux. Mais le vocabulaire entraine une confusion qui est mise en évidence dans le développement antérieur. Cette confusion provoque des accusations de théorie réactionnaire, antiféministe et autres qualificatifs peu flatteurs251. A cet égard, signalons que la hiérarchisation entre les valeurs attribuées au féminin et les valeurs attribuées au masculin est fortement ancrée dans notre culture et si les psychanalystes n’ont pu réellement s’en extraire totalement, un article récent signalé par Françoise Héritier 252 montre que ces notions sont toujours d’actualité :

250 Françoise HÉRITIER, Hommes, femmes : la construction de la différence, op. cit.

251 Réaction que nous avons sentie très violemment sous-jacente dans le livre de Michel TORT,

Fin du dogme paternel, op. cit.

La particularité des gamètes femelles est un régime métabolique particulier. Une fois différenciées, ces cellules vont témoigner d’une extraordinaire inaptitude poursuivre leur développement ; elles entrent dans un état d’inertie physiologique tel qu’elles sont vouées à mourir si elles ne sont pas activées. C’est alors que se révèle la nécessité de la fécondation : la gamète male assurera la fonction activatrice naturelle. Cette vertu séminale a été reconnue depuis la plus haute Antiquité. Et pourtant la puissance vitalisante de la semence mâle – ou du pollen – reste encore mal expliquée, alors qu’elle joue un rôle clé dans la reproduction sexuée. (Lavergne et Cohen)

Cet article de l’Encyclopaedia Universalis, portant des jugements de valeurs sur la fécondation, date de 1984. Françoise Héritier note la similitude avec la théorie d’Aristote. Il suffit de remplacer les gamètes mâles par la pneuma.

Pourquoi alors utiliser ces deux notions très marquées culturellement ? Parce qu’il faut utiliser les moyens que l’on a pour faire une démonstration et que ces mots permettent de visualiser des qualités et défauts que l’on prête aux hommes et aux femmes. Et parce que le chercheur est aussi lui-même englué dans sa propre problématique. Ainsi une anthropologue comme Françoise Héritier aurait s’en doute pu utiliser pour caractériser le masculin et le féminin le binôme froid et sec/chaud et humide.

Il s’agit donc d’expliquer pourquoi en général les hommes préfèrent les femmes et inversement soit le choix de l’objet si l’on part de l’idée que l’être humain n’est pas déterminé à la naissance. Il s’agit également dans notre développement de chercher les raisons qui motivent une hiérarchisation des sexes.

Nous allons donc partir de la notion de bisexualité de l’être humain qui à notre sens signifie qu’il est potentiellement masculin et féminin. Ou plus simplement que nous avons un potentiel de valeurs bipolaires comme actif/passif, doux/agressif, conciliant/inconciliant. Ces valeurs sont marquées, sont sexuées par notre culture. Nous verrons que ceci implique que nous ne sommes en rien complémentaires. Car ces valeurs se déploieront ou non suivant notre développement psychique, faisant de chacun d’entre nous un être unique. Cette impossibilité de complémentarité entre l’homme et la femme est un changement important de conception. C’est une hypothèse qui invalide le classement que nous faisons de toute chose selon un système bipolaire qui implique un équilibre pour obtenir l’harmonie. Ainsi Françoise Héritier dans Masculin/Féminin, la pensée de

la différence253 explique longuement, au travers d’exemples variés, cette organisation du monde. Le fonctionnement du biologique, du social et du naturel sont inclus dans la même organisation et communiquent. La stérilité peut être expliquée par un déséquilibre dans le champ du climat, du sacré. Ainsi, elle explique que, chez les Samo du Burkina Faso, « l’harmonie est nécessaire au bon fonctionnement du monde. De tout il ne faut ni trop, ni trop peu : excès comme défaut sont porteurs de désordre »254 . Cette notion de complémentarité se retrouve dans de nombreuses civilisations. Pour la Chine, citons le Ying et Le Yang. En Grèce, Platon décrit dans Le Banquet cet être hermaphrodite à deux dos, cet être rond que Zeus énervé par son arrogance finit par couper en deux et qu’il menace de rediviser encore si cela ne suffit pas. Or, nous ne sommes pas à égalité masculin-féminin, ni même tout l’un ou tout l’autre. Il est donc impossible de trouver sa moitié. Ce qui est peut-être le plus recherché est d’ailleurs l’alter ego, l’autre moi-même.

Nous partirons de ce que Sigmund Freud énonce en 1923 dans Le déclin du

complexe d’Œdipe : « La libido est régulièrement et légalement de nature

masculin, qu’elle survienne chez l’homme et chez la femme »255. En 1925, il

précise dans Quelques conséquences psychiques de la différence sexuelle

anatomiques : « Il n’y a qu’une libido, qui est mise au service de la pulsion

sexuelle tant masculine que féminine »256. Pour Serge André, cette modification est due au fait que la sexualité féminine ne peut donc émergée qu’au prix du refoulement de la libido masculine, et qu’il ne reste donc plus que le symptôme hystérique. Ensuite, Freud va ajouter le fait que cette libido s’exprime selon un mode passif et actif. L’enfant doit se détacher de la mère et donc passer d’un mode

253 Ibid. 254 Ibid. p 130

255 Paul-Laurent ASSOUN, Leçons psychanalytiques sur masculin et féminin, op. cit. p 86 256 Françoise HÉRITIER, Masculin-féminin., la pensée de la différence, op. cit.

passif à un mode actif257. Les composantes de masculin et féminin, ou actif/passif sont en chacun de nous, combinées selon une infinité de variables, façonnées par notre histoire, notre culture. Pour mieux se distancer par rapport à ces termes, utilisons la présentation de Silvia Lippi, dans « Virilité en perte »258. Elle évite toute confusion possible en prenant appui sur un texte de Machiavel. Lippi utilise les termes inusités de fortune pour féminin, passivité ; et elle parle de vertu pour fonction phallique, activité. La fortune contre la vertu : « La fortune vient invalider la fonction phallique du sujet, elle dégonfle sa puissance. Tout acte du sujet est soutenu par le désir du phallus. » Mais ce désir est contrarié et la fortune permet ainsi à l’homme de se dégager de la toute puissance phallique. Ce n’est donc vraiment pas une opposition, mais plutôt une dialectique vers la conquête du phallus et de son indissociable manque. « Ce qui n’est ‘‘pas tout’’ dans le phallique ne le nie pas pour autant »259. Elle prend l’exemple du petit garçon qui veut s’identifier au père pour être aimé du père. Mais l’autre versant de cet amour est la haine, car prendre la place du père c’est le tuer pour le remplacer auprès de la mère. Montrons donc l’ambivalence du ressenti de l’enfant : l’enfant a nourri une haine primordiale envers ce père qui le sépare de sa mère. Il pense que le père le sait et va chercher à se venger. Pour échapper à la vindicte paternelle supposée, il peut essayer de s’identifier à la représentation qu’il a de ce père imaginaire. Dans sa forme la plus extrême, c’est la voie sadique. Il existe aussi la possibilité de se faire aimer de son père comme une femme, c’est l’attitude passive, voire masochiste. Celles-ci sont des composantes de l’être humain, mais nous voyons des formes extrêmes pathologiques. Concrètement, prenons comme exemple une famille où la mère est battue par son époux ; les enfants pourront se soumettre aux coups du père et d’autres, en grandissant, frapperont à leur tour la mère. Serait-ce les deux modalités prises par une demande d’amour envers le père ? C’est en tout cas une position délicate dans laquelle se trouve le sujet. Il semble qu’il doive

257 Serge ANDRÉ, Que veut une femme?, op. cit. p 25

258 COLLECTIF, Parentalités d’aujourd’hui... et d’ailleurs, op. cit. p 204 259 Ibid. p 207

résoudre son conflit intérieur face à l’angoisse de castration, à la fonction phallique qu’il s’agit de dépasser. Cette position inconfortable, composé de tiraillements entre fortune et vertu est identique pour le petit garçon et la petite fille. Tous les deux doivent faire face à l’ambivalence des sentiments qu’ils éprouvent pour le père. Tous les deux l’esquivent, refoulent la haine de l’immixtion du père dans la fusion avec la mère. L’homme et la femme sont construits, structurés de la même façon. Et logiquement nous pouvons en arriver à penser que « l’homme et la femme, nous ne savons pas ce que c’est 260» L’homme et la femme se sont construits autour d’un manque irréductible. Nous verrons que Lacan a repris la théorie freudienne pour en dégager la structure et proposer une hypothèse à la distinction des sexes. Cela nous permettra de trouver une solution envisageable à l’oppression des représentantes du sexe féminin. Lacan résout l’opposition apparente qu’il y a à soutenir que l’homme et la femme ne sont pas différents dans leur psychisme, mais que néanmoins ils s’adaptent plus ou moins à leur anatomie. Maintenant ne serait-ce que leur anatomie qui les influence, ou bien plutôt leur identification aux images parentales ?

En conséquence, on peut revenir à la petite fille et au petit garçon et rappeler les différentes thèses sur le développement de l’enfant et sa sexualisation. Abordons le complexe d’Œdipe.