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Dans la position de la femme, on note l’exclusion du politique, du religieux, mais également du lien filial ce qui parait paradoxal. La mère accouche de son enfant, c’est un fait naturel, mais bien souvent une deuxième naissance vient faire la coupure et symbolise l’entrée dans le monde de la culture. C’est la déclaration du père208 ou de la maternité, les rites d’initiation. Et bien souvent, les enfants renaissent dans la torture, dans la douleur, comme une inscription dans la chair pour effacer, repousser, la première naissance derrière ce second cri, la marque de l’entrée dans le monde des hommes. Citons ici l’exemple des Baruya. Ceux-ci croient que le sperme crée le fœtus, le lait, les os, la chair ; il donne la vie

207 Françoise HÉRITIER, Hommes, femmes : la construction de la différence, op. cit. p 49 et s 208 En effet la mère ne peut en pratique déclarer l’enfant sauf à se déplacer à la mairie dans un délai de trois jours ; ce qui certes possible mais demande une âme très militante

d’homme. « Il est au service de la domination générale des hommes sur le reste de la société, du gouvernement de la société par les hommes.209 » Ainsi, s’établit une homosexualité rituelle. De 9-10 ans à 15 ans les jeunes garçons vivent avec des hommes, et reçoivent du sperme par fellation. Plus vieux, ils en donnent. Les jeunes ont un rôle de femmes dans la maison des hommes ; ils sont soumis. Puis, en vieillissant, ils deviennent dominants et vers 20 ans épousent des femmes. Dans ce contexte, les femmes se sentent responsables de tout désordre qu’une mauvaise gestion de leur sang impur pourrait causer.

Est-ce la marque du refoulement de cette période périnatale où la mère allaitante est indispensable à la survie du petit humain, né prématuré ? La femme portant l’enfant, l’allaitant, il est logique qu’un lien exclusif les lie. Il est logique que la femme soit portée à avoir initialement un rôle nourricier du fait de l’allaitement maternel. De ce lien, le père est initialement perçu comme exclu. L’est-il nécessairement, rien n’est sûr, mais dans l’imaginaire, sans presqu’aucun doute. Mélanie Klein lie les images maternelles et paternelles. Elles participent conjointement à la construction du Moi en le délimitant. Mais il s’agit d’une recherche, d’une hypothèse, qui n’est pas perçue consciemment par les protagonistes. Le père apparait dans la réalité à la marge de cette relation. Et, du point de vue de la survie du clan, il semble que les femmes soient perçues comme un bien qui offre la possibilité de produire des hommes et ainsi agrandir la puissance du clan. Ainsi, la filiation biologique n’a que peu d’importance, la progéniture apporte une force de travail, et une force belliqueuse. Là est l’intérêt. Les femmes sont donc un bien utile qu’il convient d’enfermer car ce bien peut être volé, ou échangé. En effet, les femmes ont un pouvoir celui d’engendrer, il n’est pas possible de s’en passer. Aucun homme n’est né sans nombril. La question reste, pourquoi cette volonté de domination a prévalue et non la conciliation ? C’est un fait quasiment universel que la différence de sexes a conduit à une hiérarchisation, le masculin opprimant le féminin. Le féminin n’a pas réagi. La

peur était plus grande du côté des hommes que du côté des femmes ? Cette vision que nous venons de présenter et qui exclut les femmes en les assimilant à un bien, certes de valeur, certes hautement convoité, mais à un bien quand même, est propre à scandaliser toute femme et pas seulement les féministes. Mais nous allons reprendre cette analyse structurale fort hardie qu’a posée Claude Lévi-Strauss dans ces premières recherches.

Quand on sait que tout être humain est d’abord de sexe féminin et que la différenciation intervient ou non ultérieurement dans le développement embryonnaire, la vision de cette oppression quasi universelle suscite bien des interrogations sur notre développement psychique et notamment sur notre bisexualité supposée. Nous allons donc reprendre cette organisation sociale avec comme point de départ la critique de Irène Théry210 sur la vision de la société bâtie sur le contrat, en reprenant également le mythe construit par Sigmund Freud de

Totem et Tabou211 et la théorie de Claude Lévi-Strauss. Commençons avec Irène Théry qui utilise une analyse holistique de la différence de sexe. Pour elle,

hiérarchisation ne signifie pas opposition, mais englobement. Nous craignons que

ce ne soit pas le sens le plus couramment utilisé qui est : classer selon un ordre de valeur ou d’importance. Reprenons sa démonstration. L’homme et la femme sont les deux représentants de l’Homme en tant qu’espèce et donc l’homme englobe la femme. Oui. Certes la femme peut être la maitresse du foyer, du monde intérieur tout en étant exclue du monde extérieur. Mais il n’en reste pas moins que cette notion d’englobement n’est pas très connue et on peut se demander pourquoi distinguer l’Homme avec un H majuscule, terme désignant l’espèce et homme pour désigner un représentant de cette espèce. Et surtout pourquoi, s’il n’y a pas domination, avoir choisi le terme homme pour représenter l’espèce humaine ?212 Enfin reconnaitre qu’il n’y a pas domination de la femme en lui reconnaissant une

210 Irène THÉRY, La distinction de sexe : une nouvelle approche de l’égalité, Paris, Odile Jacob,

2007.

211 Sigmund FREUD, Totem et tabou, Paris, Payot & Rivages, 2001.

certaine autorité dans le domaine privé est un argument qui nous apparait spécieux si l’on considère l’exclusion des femmes de la vie publique et leur enfermement. Même sans être dans la notion d’opposition, il n’en reste pas moins que la notion de classement selon la valeur demeure. Théry soutient que cette classification homme, femme relève de l’ethnocentrisme et que dans maintes sociétés ces termes n’existent pas. Elle prend appui sur la société Samoa et relève que les personnes sont classées suivant leur place, leur attribution, leur fonctions (beau-frère, amant, demoiselle, vivants). Ainsi, elle pose d’emblée le primat du relationnel. Mais nous objecterons que cette classification n’exclue pas l’existence d’une répartition des rôles selon le sexe, même si ce n’est pas perçu ainsi par la langue de l’intérieur de la société Nous avouons notre incompétence dans la connaissance de cette société, mais la répartition des tâches selon le sexe est tres marquée égalment chez les Samoa213. C’est une classification transversale, comme il existe une classification également hiérarchisée des générations. La nécessité de classer par opposition binaire qu’éprouve l’être humain a été mis en avant entre autres par Claude Lévi-Strauss214. La nécessité de ranger permet d’ordonnancer le monde, de se situer par rapport à un système normé. Les rites c’est rassurant, l’obsessionnel le sait. Il suffit de penser combien l’inclassable dérange. Que faire de l’hermaphrodite de naissance ? Vite, trouvons lui un sexe sans attendre. Bien sûr, l’être humain est unique et il existe une infinité de variables dans les relations humaines, indépendamment de son sexe, sans oublier la complexité intrinsèque de l’individu lui-même. Mais la classification apparait comme une nécessité sociale. Ainsi nous rejoignons l’affirmation d’Irène Théry sur sa critique du contrat social :

Il n’y a pas d’individu clos sur leurs propriétés, antérieurs à une société ; nous sommes une espèce fondamentalement historique, qui ne tient ce qu’elle est que de la transmission de ses manières propres de penser et d’agir. En incluant dans la vie sociale

213

Une petite recherche nous a amené à trouver une explication donnée par Serge Tchenkezoff : les mots sexe, sexuel n’existent pas, il faut se référer aux catégories mâle/femelle. Le rapprochement sexuel ne peut s’énoncer directement, mais par l’utilisation de périphrases in Serge TCHERKÉZOFF, Faasamoa, une identité polynésienne: économie, politique, sexualité : l’anthropologie comme dialogue culturel, Paris, L’Harmattan, 2003.

tous les aspects de la vie, y compris sa dimension sexuelle et reproductive, en refusant de renvoyer le corps a un supposé présocial ’’biologique’’, Mauss a fait le pas décisif vers l’acceptation du donné humain. »215

La différenciation de sexes est revue sous l’angle du relationnel. Cet angle fait défaut à la notion de contrat. L’homme dit naturel est seul ; il ne tisse pas de liens, mais il doit porter en lui toutes les dispositions à la vie en société car dans cette conception la constitution de la famille n’est pas considérée comme le premier lieu d’apprentissage de la vie sociale. De ce fait, la société se crée un peu du néant, du mythe du contrat. Cette façon d’expliquer une origine qui sort un peu du néant a d’ailleurs été un temps reprise par Claude Lévi-Strauss pour l’apparition du langage :

Quels qu’aient été le moment et les circonstances de son apparition dans l’échelle de la vie animale, le langage n’a pu naître que tout d’un coup. Les choses n’ont pas pu se mettre à signifier progressivement. A la suite d’une transformation dont l’étude ne relève pas des sciences sociales, mais de la biologie et de la psychologie, un passage s’est effectué, d’un stade où rien n’avait un sens, à un autre où tout en possédait.216

Les conséquences en sont : premièrement, l’exclusion des femmes du contrat social ; deuxièmement, la justification de la différence hiérarchique entre les sexes par son origine naturelle. Ici, il apparait indispensable dans la recherche de la structure de cette organisation de s’arrêter sur le travail de Sigmund Freud avec l’invention du mythe explicatif de Totem et Tabou et de Claude Lévi-Strauss avec Les structures élémentaires de la parenté.