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Chapitre 12. Discussion

12.3. Transition d’habitation et entrée à l’université

L’entrée à l’université s’accompagne de nombreux changements dans les conditions

de vie des adultes en émergence primo-entrants. En 2018, moins d’un quart des étudiants français vivaient au domicile parental (Lautié, 2018). En reprenant les travaux de Kins et de ses collaborateurs (2009, 2010, 2011, 2012, 2013, 2014) ainsi que ceux de Mendonça et Fontaine (2013), nous avons mis en évidence trois classes distinctes de transition d’habitation : co-résident, semi-indépendant et indépendant. Les classes « co-résident » et

« semi-indépendant » sont identiques à celles trouvées au sein de la population belge (Kins et al., 2009). Par contre, la classe « indépendant » présente une spécificité : celle d’un retour plus fréquent au domicile familial. En effet, dans l’étude de Kins et al., (2009), les adultes en

émergence appartenant à la classe « indépendant » retournent au domicile familial rarement à jamais alors que dans notre échantillon, ils y retournent une fois par mois, une fois tous les deux mois ou encore occasionnellement à jamais. Les adultes en émergence belges semblent donc être plus indépendants que les français. D’un point de vue culturel, les conditions de

départ du foyer familial peuvent varier (Kins et al., 2014). En France, 55% des adultes en émergence doivent quitter le foyer familial pour poursuivre des études dans le supérieur

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(http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr). Nous supposons que l’obligation de quitter le domicile familial entraîne des retours plus fréquents. Sachant que quitter le foyer familial est un événement de vie stressant (Kins et al., 2014 ; Stroebe et al., 2015), les adultes en émergence peuvent ressentir le besoin d’y retourner afin de retrouver le confort de l'enfance

(Galland, 2013). Ce constat laisserait penser que ce besoin est plus important au début de l’événement de vie stressant soit au début de la première année universitaire. Pourtant, nos

résultats révèlent qu’au milieu de la première année (T2), alors que les individus n’ont significativement pas changé de classe, les adultes en émergence des classes « semi- indépendant » et « indépendant » retournent plus régulièrement au domicile familial. En fin d’année (T3), les individus ne se retrouvent plus dans les mêmes classes et les classes « semi-

indépendant » et « indépendant » apparaissent comme étant plus indépendantes que précédemment avec des retours moins réguliers au domicile parental. Il semblerait ainsi que suite au premier semestre, les adultes en émergence ressentent davantage le besoin de retourner au domicile familial et qu’en fin d’année, après le second semestre, une prise d’indépendance apparaisse. Nous formulons l’hypothèse que l’annonce des résultats relatifs

aux examens du premier semestre génère un stress chez les adultes en émergence qui les conduit à chercher du réconfort au sein de leur domicile familial (Galland, 2013 ; Nelson et al., 2011). À l’inverse, en fin d’année, les individus gagnent en indépendance. Tipandjan,

Schäfer, Sundaram et Sedlmeier (2012) montrent que pour les adultes en émergence étudiants, être éloigné de sa famille est une expression du processus de prise d’indépendance. En effet, la prise d’indépendance des adultes en émergence s’accompagne d’une distanciation de la

famille qui se veut de plus en plus importante avec l’avancée dans les études (Danic & Valdes, 2016). Ainsi, nous pouvons supposer que les observations faites en fin d’année

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soulignent donc l’importance de considérer le phénomène de transition d’habitation en adoptant une approche longitudinale lors de l’étude du devenir adulte des individus.

Par ailleurs, il est intéressant de noter que dans notre échantillon, en T1, 59.37% des adultes en émergence sont co-résidents alors qu’en Nouvelle-Aquitaine en 2018, 80% des étudiants ont quitté le domicile familial pour poursuivre des études (Lautié, 2018). Notre pourcentage de co-résidents met donc en lumière que lors de la première année universitaire, les adultes en émergence n’ont majoritairement pas quitté le domicile familial. Ce pourcentage semble de plus en plus important depuis quelques années (voir l’enquête de la COMmunauté d’Universités et Établissements d’Aquitaine intitulée « Condition de vie des

étudiants : Logement et transports, Février 2019 »25). D’un point de vue démographique, les

villes universitaires françaises font de plus en plus face à une crise du logement étudiant contraignant les futurs étudiants à continuer à cohabiter avec leurs parents faute de logement à des prix abordables (Denis, Mounguengui, Sahraoui, & Sellam, 2011). En effet, Solard et Coppoletta (2014) mettent en évidence que le statut socio-économique des parents joue un rôle sur le phénomène de décohabitation : tout le monde n’est pas en possibilité de pouvoir décohabiter. Cette réalité économique et sociale renvoie à la question des motifs choisis ou subis ayant entraîné le départ du foyer familial. Parmi ces motifs, nous pouvons retrouver les caractéristiques du logement parental telles que la localisation, la superficie accordée à l’enfant ou le manque d’intimité, ainsi que des caractéristiques liés à la famille comme la

structure familiale ou encore la possibilité de verser une pension alimentaire (Laferrère, 2005 ; Laferrère & Wolff, 2004). En complément, Perret (2007) montre que la mobilité des étudiants primo-entrants les conduisant à décohabiter ou non dépend également des disciplines d’études, du contexte régional ainsi que du parcours scolaire. Outre ces aspects

sociodémographiques, Baanders (1996) explique que la décision de quitter ou non le domicile

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familial dépend aussi des conséquences liées au départ anticipées par les adultes en émergence ainsi que des attentes sociales qu’ils perçoivent. Ainsi, dans un contexte nouveau de crise du logement étudiant et au regard du pourcentage d’adultes en émergence co-

résidents mis en évidence dans nos résultats, les motifs choisis ou subis poussant les individus à quitter le foyer familial devraient être pris en compte dans la compréhension de la période de transition d’habitation que vivent les adultes en émergence primo-entrants.