• Aucun résultat trouvé

Chapitre 12. Discussion

12.4. Autodétermination en période de transition

Un des événements de vie majeurs survenant lors de la période d’émergence de l’âge adulte est la poursuite d’études dans le supérieur. La littérature nous enseigne que les processus d’autodétermination par le biais de la motivation à la poursuite d’études et de la

satisfaction/frustration des besoins psychologiques de base contribuent au développement positif de l’individu lors d’événements de vie majeurs (Deci & Ryan, 2000 ; Deci &

Vansteenkiste, 2004). En considérant le continuum de la TAD et la conception en trois dimensions de la motivation à la poursuite d’études (i.e., motivation autonome, motivation

contrôlée et amotivation ; Shahar et al., 2003), nous avons pu mettre en évidence cinq profils distincts de motivation : motivation combinée, motivation autonome élevée, motivation autonome faible, démotivation et amotivation. Comparés à ceux obtenus par Cannard et al. (2016) dans le contexte universitaire français, nous retrouvons les mêmes profils de motivation combinée (i.e., scores élevés en motivation autonome et contrôlée), de motivation autonome élevée (i.e., appelé motivation intrinsèque par Cannard et al. (2016) ; score élevé de motivation autonome), de démotivation (i.e., scores faibles en motivation autonome, contrôlée et amotivation) et d’amotivation (i.e., score élevé en amotivation). La présence du profil

amotivation dans notre échantillon comme dans celui de Cannard et al. (2016) renforce la spécificité du contexte culturel français. En effet, parmi les différentes études interrogeant des

Discussion

profils de motivation académique en contexte universitaire, seule la France présente ce profil (Boiché & Stephan, 2014). Ce constat soulève des interrogations relatives aux raisons et intérêts poussant les adultes en émergence à poursuivre des études dans les universités françaises. D’après Dubet (1996), diverses raisons émergent : par anticipation des bénéfices

sociaux liés aux diplômes dans une logique de placement comme le suggère Van de Velde (2008) ; par vocation ; ou encore par désir de participer à la vie sociale des étudiants. En terme d’intérêts, Fernex et Lima (2006) montrent qu’ils peuvent être variés allant de l’accès à un travail intéressant à l’accès au « marché des élites ». Sachant que la poursuite d’études est

une attente sociale forte dans la société française (voir la fiche intitulée « kit parents : aider mon enfant à s’orienter après le bac » proposé par l’Office National d'Information Sur les

Enseignements et les Professions26), nous émettons l’hypothèse que les adultes en émergence du profil amotivation poursuivent des études par convention (i.e., motivation non- autodéterminée) et non par volonté intrinsèque (i.e., motivation autonome). En ce sens, nos résultats apportent un éclairage complémentaire sur l’influence des spécificités culturelles françaises sur la motivation à la poursuite d’études des adultes en émergence primo-entrants.

Par ailleurs, notre échantillon présente également un profil caractérisé par la dimension motivation autonome exclusivement : motivation autonome faible (i.e., score faible de motivation autonome et scores moyens de motivation contrôlée et d’amotivation). Ce profil n’apparaît pas dans l’étude de Cannard et al. (2016), menée auprès d’adultes en émergence

inscrits en Licence 1, 2 et 3. Il serait donc spécifique aux primo-entrants d’autant plus qu’il est le profil le plus fréquemment observé après le profil motivation combinée. Les profils liés à une moins bonne réussite universitaire (i.e., démotivation et amotivation) représentent, quant à eux, 22.6% de notre échantillon ce qui est inférieur aux observations de Cannard et al. (2016). Ainsi, lors de l’entrée à l’université, les adultes en émergence sont davantage motivés

26 Cf. lien suivant : http://kitparents.onisep.fr/apreslebac/Etudes-apres-le-bac/Pourquoi-faire-des-etudes-

Discussion

et présentent plus de motivation autonome. Pan et Gauvain (2012) mettent en lumière que la motivation autonome est plus élevée en première année universitaire qu’en deuxième ou troisième année car, les individus ne serait pas encore déçus par l’université (i.e., différence entre les attentes et la réalité). La période d’entrée à l’université représente alors le moment

où la motivation autonome est la plus importante. Nos résultats soulignent donc les particularités de la motivation à la poursuite d’études des adultes en émergence primo-

entrants dans le contexte universitaire français.

En complément, les différents profils obtenus ont ensuite été caractérisés en terme de satisfaction/frustration des besoins psychologiques de base. Comme attendu, les profils les plus autonomes (i.e., motivation combinée et motivation autonome élevée) sont caractérisés par des scores plus élevés en satisfaction des besoins et plus faibles en frustration ; ce sont alors les profils les plus accomplis/autodéterminés. À l’inverse, les profils les moins

autonomes (i.e., motivation autonome faible, démotivation et amotivation) présentent des scores plus faibles en satisfaction des besoins et plus élevés en frustration ; ils sont donc moins accomplis/non-autodéterminés. Ces résultats vont dans le sens de la littérature (e.g., Bidee et al., 2016 ; Müller & Louw, 2004) et attestent de la relation existante entre les deux processus d’autodétermination. De plus, comme le soulignaient Martinent et al. (2015), la

relation entre motivation et besoins est dépendante du type de motivation et de besoin concernés. En effet, dans nos résultats, les trois besoins psychologiques de base ne semblent pas avoir la même importance au sein des différents profils de motivation. Seul le profil amotivation est caractérisé à la fois par la satisfaction et la frustration des trois besoins. Ce résultat diffère de celui de Martinent et al. (2015) pour qui l’amotivation prédisait seulement la non-satisfaction du besoin d’affiliation. La recherche menée par Martinent et al. (2015) portait sur des athlètes adolescents. D’après Deci et Ryan (2008a), la relation entre motivation

Discussion

et besoins varie en fonction du contexte dans lequel elle prend place. Dans le contexte spécifique d’entrée à l’université, cette relation est plus importante que dans le contexte

adolescent-sportif puisque l’entrée à l’université s’accompagne de questionnements identitaires et d’exploration de Soi pour lesquels les besoins sont particulièrement sollicités (e.g., Amiot et al., 2008). L’étude de la satisfaction/frustration des trois besoins apporte donc un éclairage venant compléter l’analyse des questions de motivation en contexte universitaire. Ainsi, nos résultats soulignent l’importance d’étudier à la fois la motivation à la poursuite d’études et la satisfaction/frustration des trois besoins psychologiques de base afin de mieux

appréhender les processus d’autodétermination des adultes en émergence primo-entrants.

Concernant l’évolution des dimensions d’autodétermination au cours de la première

année universitaire, seules les dimensions motivation contrôlée et amotivation de la motivation à la poursuite d’étude présentent une évolution en moyenne. La dimension motivation autonome et les dimensions de satisfaction/frustration des besoins (i.e., autonomie satisfaction, autonomie frustration, affiliation satisfaction, affiliation frustration, compétence satisfaction et compétence frustration) sont, quant à elles, stables en moyenne au cours du temps. Ratelle, Guay, Larose et Senécal (2004) révèlent qu’en moyenne entre la fin du lycée et la fin de la deuxième année universitaire la motivation autonome (i.e., motivation intrinsèque et régulation identifiée) ainsi que la motivation contrôlée (i.e., régulation introjectée et régulation externe) sont instables au cours du temps. À l’inverse, l’amotivation ne varie qu’entre la fin de la première année universitaire et la fin de la deuxième. Leurs

résultats indiquent également que les motivations autonome et contrôlée varient davantage entre la fin du lycée et la fin de la première année universitaire qu’entre la fin de la première

année universitaire et la fin de la deuxième. D’après Mignon (2012), les premiers mois passés à l’université ont une incidence sur l’évolution de la motivation ce qui expliquerait qu’elle

Discussion

varie davantage durant cette période. De fait, davantage de fluctuations devraient être observées en considérant une période de développement plus restreinte que celle envisagée par Ratelle et al. (2004). Ainsi, comme notre recherche se centre exclusivement sur la première année universitaire avec trois occasions de mesure rapprochées, nos résultats permettent d’obtenir une vision plus fine des fluctuations des dimensions de motivation à la poursuite d’études et permettent de cibler davantage l’évolution des dimensions qui pourrait être à risque quant à l’adaptation des adultes en émergence primo-entrants. En outre,

concernant les dimensions de satisfaction/frustration des besoins, à notre connaissance, aucune recherche ne s’est penchée sur leur évolution en moyenne au cours du temps. Sur la

base de la TAD, nous avions fait l’hypothèse que ces dimensions pouvaient varier en fonction du temps et des profils de motivation d’appartenance, la satisfaction des trois besoins

conduisant à une autonomisation de la motivation et la frustration à une externalisation (i.e., motivation contrôlée ; voir Bidee et al., 2016). Nous nous attendions donc à ce que l’instabilité des dimensions motivation contrôlée et amotivation se retrouvent dans l’évolution des dimensions de satisfaction/frustration des besoins. Or, ces dimensions s’avèrent être

stables au cours du temps. Nos résultats indiquent donc que l’évolution moyenne des dimensions de motivation est indépendante de celle des dimensions de satisfaction/frustration des besoins. Ce constat interroge davantage sur la relation unissant motivation à la poursuite d’études et satisfaction/frustration des besoins au cours d’une période de transition de vie

majeure.

Au niveau de chaque profil pris séparément (i.e., variabilité intraprofil), deux profils parmi les cinq que nous avons mis en évidence ne varient pas au cours du temps : motivation autonome élevée et motivation autonome faible. Ce résultat est cohérent avec la littérature pour le profil motivation autonome élevée qui est le profil le plus adaptatif en contexte académique pour les adultes en émergence inscrits en première année universitaire (Ratelle et

Discussion

al., 2007). En revanche, nous nous attendions à ce que le profil motivation autonome faible varie au cours du temps. Ratelle et al. (2004), dans une approche intra-individuelle, mettent en évidence que la motivation autonome (i.e., régulation identifiée et motivation intrinsèque) présente lorsqu’elle est faible deux trajectoires d’évolution entre la fin du lycée et la fin de la

deuxième année universitaire : déclin et augmentation modérée. Dans notre recherche, au regard des moyennes de motivation autonome obtenues par chaque profil à chaque temps de mesure, il nous apparaît que les adultes en émergence ayant participé à l’ensemble du

protocole ont une motivation autonome élevée. Nous supposons que, pour cette raison, nous n’observons pas de fluctuations dans le profil motivation autonome faible caractérisé par la

motivation autonome seulement. À l’inverse, les profils motivation combinée, démotivation et amotivation qui ne sont pas exclusivement définis par la dimension motivation autonome sont instables dans le temps et présentent des variations au sein des dimensions motivation contrôlée ou amotivation. Le profil motivation combinée a une motivation contrôlée plus faible ainsi qu’une amotivation plus élevée en fin d’année, autrement dit ce profil est moins motivé en fin d’année qu’en début. Sachant que le profil motivation combinée durant l’adolescence est considéré comme le profil le plus adaptatif en contexte académique (Ratelle et al., 2007), nous nous attendions à ce qu’il soit stable durant la première année universitaire. Ratelle et al. (2004) émettent l’hypothèse selon laquelle les variations de la dimension

amotivation au cours de la période de transition lycée-université sont liées à l’influence des caractéristiques personnelles de l’individu et de l’environnement dans lequel il évolue. De plus, l’apparition au cours de l’année d’une motivation non-autodéterminée (i.e., motivation

contrôlée) serait en partie expliquée par une déception relative au contexte universitaire (e.g., Pan & Gauvain, 2012). Nous supposons alors que la baisse de motivation observée dans le profil motivation combinée est due au contraste entre les attentes des adultes en émergence vis-à-vis du contexte universitaire et la réalité. Par ailleurs, contrairement au profil motivation

Discussion

combinée, le profil démotivation présente une motivation contrôlée plus élevée en fin d’année qu’en début d’année universitaire. Au regard de la TAD (Ryan & Deci, 2000), l’augmentation

progressive du score de motivation contrôlée laisse penser que les adultes en émergence de ce profil trouvent en fin d’année davantage de bénéfices extérieurs à suivre une formation

universitaire. Nous supposons que ce bénéfice de fin d’année réfère à l’obtention d’une récompense (e.g., Ryan & Deci, 2000) qui est la validation de la première année et le passage en deuxième année. Enfin, le profil amotivation présente une diminution du score d’amotivation au cours de l’année. Lors du troisième temps de mesure, ce score est quasiment

similaire à celui des autres profils. Symonds, Schoon, Eccles et Salmela-Aro (2019) montrent que le niveau d’amotivation diminue progressivement durant la période de transition lycée-

université. Comme le suggéraient Ratelle et al. (2004), nous supposons que le contexte universitaire et plus particulièrement la période de transition lycée-université a un effet sur le score d’amotivation des adultes en émergence ce qui induirait, au regard de la TAD (Ryan &

Deci, 2000), que les individus appartenant à ce profil finiraient par trouver un intérêt à leurs études sans pour autant être plus motivés. Nos résultats soulignent donc l’évolution singulière de la motivation à la poursuite d’études au sein de chacun de ces profils. En outre, notons que nos observations dévoilent également une absence d’évolution de la satisfaction/frustration

des besoins psychologiques de base au sein des différents profils. Comme pour la motivation autonome, il semblerait, au regard des statistiques descriptives, que la satisfaction des besoins soit élevée au sein de l’ensemble des profils à chaque temps de mesure. Ainsi, comme l’ont

souligné Bidee et al. (2016), l’autonomisation de la motivation est liée à la satisfaction des besoins psychologiques de base. Ces résultats intraprofils correspondent aux résultats interprofils que nous avons discutés précédemment et reflètent la relation unissant autonomie et besoins lors de l’entrée à l’université ; la satisfaction des besoins étant un prérequis au développement et au maintien d’une motivation autonome (e.g., Müller & Louw, 2004).

Discussion

12.5. Liens entre environnement familial, attachement, transition