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Le transfert de technologie, frein à l’innovation en santé

CHAPITRE I — LES TRAITS DES PRATIQUES PROHIBÉES PAR LES ARTICLES 101 ET 102 TFUE, EXACERBÉS PAR LES CARACTÉRISTIQUES DES PRODUITS DE SANTÉ


Section 1 : Les mécanismes de régulation des produits de santé, outils des pratiques défensives

II. Le transfert de technologie, frein à l’innovation en santé

Les pratiques de contractualisation cherchant à protéger le monopole des primo-arrivants s’étendent également aux stratégies visant à empêcher l’innovation et le développement de nouveaux produits, c’est le cas du rachat de technologie concurrente. À l’instar des pratiques de pay-for-delay, le rachat n’est pas anticoncurrentiel per se, il est même au contraire considéré comme pro-concurrentiel dans la plupart des situations (A). Cependant, le soucis de conservation du monopole du laboratoire princeps le pousse à dévoyer son principe et à le transformer en accord anticoncurrentiel sanctionné à l’aune de l'article 101 TFUE (B).

A. Le caractère pro-concurrentiel de principe du rachat de technologie

L’innovation est cruciale dans le secteur pharmaceutique, au regard de l’investissement des laboratoires dans les activités de recherche et développement. À cette fin, les transferts de technologie, décrits par le règlement 316/2014/UE comme le transfert de technologie portant sur la concession de licences de droits sur la technologie, est considéré comme favorable à l'innovation . Ce transfert améliore également l’efficience économique sur le 365

marché en ce qu’il favorise la multiplication des actions de recherche et développement, et incite les entreprises à lancer de nouveaux produits et donc à multiplier l’offre pour les patients et professionnels de santé . La 366

concurrence par les prix et par la qualité s’en trouve améliorée.

Ce type de transfert relève de la coopération garantissant aux producteurs l’accès à des ressources essentielles ; stratégie en matière pharmaceutique non seulement autorisée mais également incitée du point de la concurrence fondée sur l’innovation. En la matière donc, le principe doit s’inverser puisque le droit de la concurrence favorise ces stratégies même si, par exception, certaines peuvent être interdites ou limitées. Cette faveur de principe est clairement exprimé par les lignes directrices portant sur l’application de l’article 101 TFUE à des catégories d’accords de transfert de technologie : 367

Comm. UE., Lignes directrices concernant l’application de l’article 101 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne à des catégories

364

d’accords de transfert de technologie, JO C 89 du 28.3.2014, p. 3–50, pt. 238

Règlement (UE) n °   316/2014 de la Commission du 21   mars 2014 relatif à l’application de l’article 101, paragraphe 3, du traité sur le 365

fonctionnement de l’Union européenne à des catégories d’accords de transfert de technologie Texte présentant de l'intérêt pour l’EEE, JO L 93 du 28.3.2014, pp. 17–2

Règlement (UE) n °   316/2014 de la Commission du 21   mars 2014 relatif à l’application de l’article 101, paragraphe 3, du traité sur le 366

fonctionnement de l’Union européenne à des catégories d’accords de transfert de technologie Texte présentant de l'intérêt pour l’EEE, JO L 93 du 28.3.2014, pp. 17–23, considérant n°4 et article

Comm. UE, Lignes directrices concernant l’application de l'article 101 TFUE, pt. 44 367

Le règlement d’exemption par catégorie et les présentes lignes directrices couvrent les accords de transfert de technologie. Aux termes de l’article 1er, paragraphe 1, point b), du règlement d’exemption par catégorie, la notion de «droits sur technologie» couvre le savoir-faire ainsi que les brevets, les modèles d’utilité, les droits de dessin, les topographies de produits semi-conducteurs, les certificats de protection supplémentaire pour produits pharmaceutiques [...]. L’innocuité de principe de ces accords de transfert de technologie est donc établie,

indépendamment du marché visé. Pourtant, en matière de produits de santé, les entreprises n’hésitent pas à dévoyer le principe même de ces accords.

B. Le caractère anti-concurrentiel de l’éviction par le rachat de technologie

Les accords de transfert de technologie conclus par les entreprises peuvent de façon ponctuelle, par leur mise en oeuvre, dissuader l’innovation voire la rendre impossible pour leurs concurrents. En procédant de la sorte, ces derniers peuvent enfreindre le droit de la concurrence . Le dévoiement des effets pro-concurrentiels du transfert 368

de technologie résulte de l’accaparement de ces technologies par le laboratoire princeps afin de minimiser les pressions concurrentielles potentielles que ce dernier est susceptible de subir.

À cet égard, le cœur du sujet semble synthétisé par l'affirmation de la Commission dans le cadre de sa décision Servier , laboratoire ayant eu « eu recours à une stratégie qui consistait à racheter systématiquement 369

toute menace concurrentielle ». En somme, sur un marché où il restait peu de technologies non-protégées, il est reproché à Servier d'avoir acquis la technologie la plus avancée, coupant « l'herbe sous le pied » de plusieurs

génériqueurs qui, semble-t-il, souhaitaient l'utiliser. Un tel comportement a contraint les génériqueurs à l'abandon

d'un certain nombre de projets, reportant par voie de conséquence leur entrée sur le marché . Qualifié à la fois 370

d’entente et d’abus de position dominante par la Commission européenne, le comportement de Servier avait un but défensif, en ce que la technologie en question n'avait jamais exploitée ; qu’elle constituait donc un avantage concurrentiel et technique dont les génériqueurs avaient été privés.

Si la société Servier présente cette analyse de la Commission comme excessivement novatrice, ce raisonnement avait déjà été suivi dans des situations similaires portant sur l’acquisition d’un droit de propriété intellectuelle sur une technologie. Néanmoins, au regard des éléments de l’espèce, il est possible d’interroger la méthodologie ainsi que les éléments considérés comme pertinents par la Commission. En effet, il semblerait que Servier ait proposé à une PME une licence sur la technologie en cause, à des conditions justes, raisonnables et non discriminatoires, offre qui aurait légitimement limité l'effet d'éviction de l’acquisition de Servier, à laquelle la PME n'aurait pas donné suite. La Commission fait pourtant état d'une technologie acquise mais finalement non- exploitée. Ce type de pratique encadrée par la Commission européenne permet donc de mettre en lumière l’importance de l’innovation en matière de santé et la fragilité des facteurs d’innovation371.

Comm. UE. Rapport de la Commission, application du droit de la concurrence dans le secteur pharmaceutique 368

Comm. UE., Communiqué de presse, « Ententes et abus de position dominante: la Commission inflige des amendes à Servier et à cinq fabricants 369

de génériques pour avoir freiné l'entrée sur le marché de versions moins chères d'un médicament cardiovasculaire », IP/14/799, 9 juillet 2014 LAIGNEAU, J-F., et al., « Chronique de droit des produits de santé : bilan 2014 (Suite et fin) », Petites affiches, 21 août 2015, n° 167, p. 7 370

GRYNFOGEL, C., op. cit. 371

Cette étude permet également d’observer une évolution dans les pratiques défensives des monopoleurs sur les marchés de produits de santé. Si la protection de leur monopole se fondait initialement sur des pratiques défensives unilatérales, procédant d’une réelle guerre juridique afin de garantir l’exploitation commerciale exclusive, ces pratiques ont muté et se sont contractualisées et complexifiées de façon à dissimuler leur objet anticoncurrentiel, afin de s’accaparer le marché et les outils d’innovation, en se positionnant dans la zone grise existant entre coopération et collusion. La spécificité des produits de santé s’exprime également par des pratiques agressives.

Section 2 : La nature des produits de santé, source d’agressivité concurrentielle

Une fois obtenues les autorisations sanitaires nécessaires, l’arrivée des concurrents sur un marché de produits de santé est inévitable. Si l’ancien monopoleur a échoué dans ses tentatives d’éviction des concurrents à l’entrée du marché, il n’est pourtant pas démuni face à eux. Les différents attributs des marchés de produits de santé sont donc non-seulement instrumentalisés en amont de la commercialisation des produits, mais peuvent également servir d’outils dans le cadre de pratiques agressives en aval. L’agressivité concurrentielle connaît chez les économistes plusieurs définitions. Si certains, tels que Miles et Snow considèrent que celle-ci est corrélée à la perception et aux besoins de la demande (Paragraphe 2) , d’autres estiment que cette dynamique rend compte 372

de comportements directement orientés vers les concurrents et l’offre et qui en émane (Paragraphe 1) . Dans ces 373

deux hypothèses, l’agressivité concurrentielle des concurrents s’analyse à travers le prisme des spécificités des produits de santé . 374

§ 1 : La délivrance singulière du produit de santé, instrumentalisée pour structurer l’offre

La pratique anticoncurrentielle n’est réprimée que pour autant qu’elle affecte le marché . Le droit européen 375

de la concurrence précise que l’entente n’est réprimée que si elle a pour objet ou effet de porter atteinte à la concurrence. Il est fréquent que les stratégies anticoncurrentielles se fondent sur les traits particuliers des produits visés. La logique économique et commerciale étant en théorie exogène à la logique sanitaire dont sont imprégnés les produits de santé, les entreprises établissent en la matière des stratégies principalement non-tarifaires (I). Néanmoins, les phénomènes de déremboursement, de dé-plafonnement des prix et de crise sanitaire participent à l’émergence notable de pratiques tarifaires en matière de produits de santé (II).

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