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Le but du dévoiement : la prolongation du monopole des entreprises sur leur innovation

CHAPITRE I — LES TRAITS DES PRATIQUES PROHIBÉES PAR LES ARTICLES 101 ET 102 TFUE, EXACERBÉS PAR LES CARACTÉRISTIQUES DES PRODUITS DE SANTÉ


Section 1 : Les mécanismes de régulation des produits de santé, outils des pratiques défensives

I. Le but du dévoiement : la prolongation du monopole des entreprises sur leur innovation

L’innovation médicale et scientifique est récompensée et protégée en matière de produits de santé par plusieurs outils. Ces éléments participent à l’incitation à l’innovation en la rendant rémunératrice. Ces outils sont pourtant à double tranchant, s’ils permettent aux entreprises de tirer profit de leurs efforts, ils leur offrent pourtant un avantage concurrentiel dangereux. Si l’AMM, condition sine qua non de la commercialisation des produits de santé offre aux fabricants un avantage concurrentiel (A), ce dernier est renforcé par la protection de la propriété intellectuelle (B).

Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne, article 102 313

A. L’avantage concurrentiel conféré par les autorisations sanitaires

Les autorisations sanitaires, octroyées aux produits de santé, qu’il s’agisse des autorisations de mise sur le marché pour les médicaments , ou du marquage CE médical pour les dispositifs de santé , confèrent un 314 315

avantage concurrentiel aux laboratoires et industriels. Comme expliqué précédemment, l’autorisation de mise sur le marché constitue la condition d’accès au marché pour les producteurs et donc l’accès à la commercialisation et aux profits. Lorsque plusieurs acteurs bénéficient de cette autorisation, ceux-ci ne disposent pas individuellement d’une position dominante. Il est néanmoins fréquent que sur les marchés de produits particulièrement innovants, peu d’acteurs réussissent à obtenir une AMM, au regard de la durée nécessaire afin de mener à bien un programme de recherche. Lorsqu’un unique acteur dispose d’une autorisation de mise sur le marché ce dernier dispose d’un plein monopole.

L’intensité du contrôle « pré-autorisation » de mise sur le marché ainsi que post-commercialisation met en lumière le mérite relatif des producteurs disposant de ces fameuses autorisations sanitaires. Ces derniers étant contraints de respecter des critères sanitaires et budgétaires, ce n’est qu’au prix de ce travail continu de

compliance qu’ils ont accès au marché des produits de santé. Par leur nature, les autorisations sanitaires,

conditions sine qua non de la commercialisation des produits limite ainsi considérablement le nombre d’offreurs sur le marché. Les autorisations sanitaires représentent donc un avantage patrimonial considérable, figurant au titre des actifs immatériels des laboratoires et entreprises de production.

B. L’avantage concurrentiel prolongé par la protection de la propriété intellectuelle


L’autorisation de mise sur le marché, qu’il s’agisse de l’AMM ou du marquage CE médical, prévoit la commercialisation de ces produits pour une durée de 5 ans renouvelables indéfiniment. Ces autorisations, du fait de leurs exigences de sécurité sanitaire, limitent grandement le nombre de concurrents sur un même marché. Ce système, propre au produit de santé ne saurait donc garantir au primo-arrivant sur le marché l’absence totale de concurrents sur ce même marché pour la période future . Il ne confère en effet aucune exclusivité commerciale. 316

Il est donc essentiel pour les producteurs d’asseoir leur position sur le marché en ayant recours à une batterie d’outils de protection de la propriété intellectuelle.

Assurée par le dépôt de brevets, la protection de la propriété industrielle, attribuée exclusivement aux « inventions nouvelles impliquant une activité inventive et susceptibles d’application industrielle » , est 317

aisément acquise par les producteurs de produits de santé, leur marché étant fondé sur l’innovation. Cette protection permet au fabricant de tirer les bénéfices des investissements inhérents au développement de produits pour une durée de 20 ans . Il s’agit donc d’une protection commerciale qui octroie au détenteur de ce titre 318

l’exploitation commerciale exclusive du produit breveté. Par voie de conséquence, l’industrie pharmaceutique et

Ministère des Solidarités et de la santé, https://solidarites-sante.gouv.fr/soins-et-maladies/medicaments/professionnels-de-sante/autorisation-de-

314

mise-sur-le-marche/article/autorisation-de-mise-sur-le-marche-amm «   Pour être commercialisée, une spécialité pharmaceutique doit obtenir préalablement une autorisation de mise sur le marché (AMM). L’AMM est demandée par un laboratoire pharmaceutique, pour sa spécialité, sur la base d’un dossier comportant des données de qualité pharmaceutique, d’efficacité et de sécurité, dans l’indication revendiquée »

Directive 93/42/CEE du Conseil du 14 juin 1993 relative aux dispositifs médicaux, 12.7.93, JO L 169/1 315

Aut. conc., Plavix, op. cit. 316

Code de la propriété intellectuelle, article L. 611-10 317

Ibid, article L. 123-3 318

l'industrie des biotechnologies sont particulièrement actives en matière de dépôt de brevets. Les médicaments représentent environ 8 % des demandes de brevets au plan international . 319

Si le recours aux droits de propriété industrielle constitue un usage commercial non limité aux produits de santé, l’éventail d’outils propres à cette protection permet de prendre en compte les spécificités des produits de santé et permet aux primo-arrivants d’asseoir leur position. Du fait des rendements commerciaux très élevés de ces produits, les brevets sont déposés très en amont de l'exploitation commerciale, avant même l'entrée en développement clinique. La durée moyenne du développement du produit à son exploitation commerciale est de dix à douze ans. Cette période justifiée par les exigences sanitaires liées à l’obtention de l’AMM réduit significativement la période d’exploitation effective de son produit que le producteur pourra mener en demeurant protégé par le brevet. L’instauration du Certificat complémentaire de protection (CPP) en 1993 permet donc de tenir compte de la durée des procédures sanitaires liées aux produits, en prolongeant jusqu'à cinq ans la durée de protection du brevet . Si ses conditions d’octroi fragiles sont satisfaites , le CPP octroyé supplée le brevet à 320 321

son expiration et octroie de ce fait au producteur une durée d’exploitation effective et exclusive de son produit plus longue . 322

Tant d’outils, qui, s’ils ne sont pas par leur nature premièrement conçus afin d’épouser les formes des produits de santé, permettent pourtant dans la pratique de prendre en compte leurs spécificités. De surcroît, ces éléments de protection de la protection intellectuelle prolongent le monopole d’exploitation et partant les positions dominantes sur les marchés visés. Les autorités de la concurrence ont d’ailleurs reconnu que les brevets et CPP confèrent un « monopole temporaire » à leurs titulaires , empêchant catégoriquement l’exercice d’une 323

concurrence horizontale durant cette période . 324

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