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L’impossible homogénéité des réglementations nationales


B. L’introuvable plénitude de compétence de l’Union en matière de santé

II. L’impossible homogénéité des réglementations nationales


Le droit de l’Union est censé se tenir à l’écart des politiques sanitaires, son rôle dans le domaine de la santé est généralement dénigré, quand il n’est pas simplement ignoré. Pourtant, la répartition des compétences telle qu’opérée par l’article 168 TFUE prévoit des exceptions à l’hégémonie des États en la matière . En effet, 198

l’Union dispose d’une compétence partagée avec les États membres concernant certains thèmes . Cette 199

harmonisation ne vise pourtant que certains produits de santé (A), et ne saurait porter sur les éléments essentiels à la délimitation du marché géographique (B).

A. La dilution des compétences en matière de produits de santé

L’Union européenne ne dispose de prérogatives d’harmonisation que de façon « dérogatoire » . En effet, 200

afin de garantir la sécurité sanitaire au sein des États membres, l’Union peut légiférer selon la procédure classique. À ce titre, l’article 168 § 4 TFUE n’autorise l’Union à légiférer que sur trois objets : les organes et substances d’origine humaine ainsi que le sang et des dérivés du sang ; les domaines vétérinaires et phytosanitaires ; et finalement les médicaments et dispositifs à usage médical.

Notons tout d’abord que cette autorisation à légiférer, impliquant la possibilité d’adopter des actes contraignants participant à l’harmonisation, touche principalement des produits auxquels les lois du marché sont applicables de façon restreinte. Par exemple, si le sang et ses composants peuvent être utilisés comme médicaments, on ne les entend pas ici comme produits de santé intéressants du point de vue du droit de la concurrence, en ce que ceux-ci ne font pas l’objet d’une offre directe et publique au consommateur et ne génèrent pas de marge de profit pour les établissements offreurs.

La seule matière touchée par la législation européenne et envisagée par les autorités de concurrence est donc le médicament et le dispositif à usage médical. On retrouve parmi les dispositions régissant le médicament la

BISTER, S., op. cit. pt. 1759 195

À titre d’exemple, la Directive 2014/40/UE du Parlement et du Conseil, du 3 avril 2014 relative au rapprochement des dispositions législatives, 196

réglementaires et administratives des États membres en matière de fabrication, de présentation et de vente des produits du tabac et des produits connexes, et abrogeant la directive 2001/37/CE, JO L 127 du 29.4.2014, p. 1–38 

GUY, M., & SAUTER, W., op. cit. p. 5 197

Article 168 § 4 c) TFUE « des mesures fixant des normes élevées de qualité et de sécurité des médicaments et des dispositifs à usage médical ». 198

GUIGNER, S., « L'influence de l'Union européenne sur les pratiques et politiques de santé publique : européanisation verticale et horizontale », 199

Sciences sociales et santé, vol. 29, no. 1, 2011, pp. 81-106, pt. 5 Ibid

directive 2001/83/CE et le règlement 726/2004/CE. Les règlements 2017/745/UE et 2017/746/UE concernent quant à eux les dispositifs médicaux. Sont par exemple exclus de l’harmonisation les équipements médicaux.

Si le fait d’établir une disposition propre à ces produits renforce la compétence sanitaire de l’Union européenne, cette dernière n’est pour autant pas absolue. Les États membres disposant d’une liberté certaine dans l’application du droit européen. En effet, alors que le dispositif médical fait l’objet d’une harmonisation presque parfaite, le médicament voit sa législation établie par une directive, dont la transposition à l’identique dans tous les États membres n’est aucunement assurée. Le niveau d’harmonisation entre les produits de santé est donc aléatoire et inégal. Sans oublier que cette harmonisation est également partielle.

B. La stratification des normes applicables aux produits de santé

Bien que puisse être notée une claire tendance vers la standardisation des exigences sanitaires au niveau européen, il est essentiel de constater que les éléments clés à étudier afin de délimiter les marchés pertinents en droit de la concurrence demeurent régis par les institutions nationales.

La pratique décisionnelle des autorités de concurrence ne détaille que rarement les raisons d’une telle segmentation des marchés. Il est essentiel de comprendre que la législation européenne concernant les produits de santé ne vise que des aspects et facettes ponctuels du produit de santé, non-essentiels au regard de l’analyse concurrentielle. La directive 89/105 en est un exemple parfait . Adoptée afin de régir la transparence des 201

mesures régissant la fixation des prix des médicaments, cet norme traite en effet du prix, facteur essentiel de l’analyse concurrentielle en ce qu’il est administré et fait l’objet d’un remboursement. En théorie donc, cette législation communautaire vise un élément essentiel de la délimitation des marchés géographiques. Les institutions européennes affichant clairement leurs prétentions dans l’incipit de cette directive :

Considérant que les États membres ont adopté des mesures de nature économique relatives à la commercialisation des médicaments en vue de maîtriser les dépenses de santé publique [...]. Considérant que des disparités entre de telles mesures peuvent entraver ou fausser les échanges intracommunautaires des médicaments, et avoir de ce fait une incidence directe sur le fonctionnement du marché commun des médicaments

Cette directive n’ignore pas pour autant la prévalence des normes nationales concernant la fixation du prix, comme composante de l’organisation des systèmes de santé . Seuls des principes européens limités s'appliquent 202

ainsi aux règles encadrant les produits de santé. En outre, en l’absence d’un budget européen dédié (malgré la possibilité d’établir des plans pluriannuels ), il est impossible pour l’Union de légiférer sur la fixation tarifaire 203

du produit et de son remboursement. Les principes conducteurs de la fixation des prix et des politiques de remboursement, éléments essentiels à l’analyse concurrentielle, reviennent donc pleinement à la souveraineté de chaque État membre. De surcroît, les règles organisant la distribution au détail restent également presque Directive du Conseil concernant la transparence des mesures régissant la fixation des prix des médicaments à usage humain et leur inclusion dans 201

le champ d'application des systèmes nationaux d’assurance-maladie, 11.2.1989, L 40/8 (89/105/CEE) Ibid, préambule

202

ex : Règlement (UE) n ° 282/2014 du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2014 portant établissement d'un troisième programme 203

d'action de l'Union dans le domaine de la santé (2014-2020) et abrogeant la décision n ° 1350/2007/CE Texte présentant de l'intérêt pour l’EEE, JO L 86 du 21.3.2014, p. 1–13 

exclusivement nationales. Les mêmes limitations du champ d'application des règles de l'Union s'appliquent aux dispositifs médicaux. En outre, la publicité, la fabrication, la distribution en gros et le statut de prescription des dispositifs médicaux restent actuellement principalement soumis aux règles nationales . 204

Le corps de normes applicables au produit de santé tout au long de son cycle de vie est donc composite, aléatoire, et parfois illisible en raison de la multiplication de textes le régissant. Seuls des aspects non-essentiels à l’analyse concurrentielle des marchés sont donc visés par l’harmonisation de l’Union. Les barrières nationales en termes de marché pertinent résultent ainsi du fait que les États membres conservent leur souveraineté sur les éléments déterminants en matière de produits de santé.

§ 2 : La compartimentation des marchés, manifestation de l’hétérogénéité des contraintes réglementaires Malgré les tentatives d’harmonisation des exigences de sécurité des produits de santé, ces initiatives visant à fomenter la convergence entre les législations nationales ne parvient pas à toucher les éléments considérés comme « essentiels » à la délimitation des marchés géographiques. L’absence d’homogénéité à l’échelle de l'Union ne résulte donc pas des coûts de transports particulièrement élevés , et ce grâce à la proximité 205

géographique entre États, l’efficience des réseaux de transport et la liberté de circulation dans l’Union . En la 206

matière, chaque État membre établit sa propre conception de la santé publique et des moyens utilisés afin de garantir la sécurité sanitaire . La diversité des exigences réglementaires constitue une émanation de ces 207

conceptions pléthoriques. Par voie de fait, ces disparités participent à la compartimentation des marchés du fait de la diversité des modalités d’exercice de la concurrence, incarnée d’une part par les différentes conditions de commercialisation (I), mais également par les écarts de prix entre États (II).

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