• Aucun résultat trouvé

L’activisme « régulatoire » de la Commission européenne concernant les produits de santé

CHAPITRE II — LA MUTATION DU RÔLE SANCTIONNATEUR DES AUTORITÉS DE CONCURRENCE AU CONTACT DES PRODUITS DE SANTÉ

Section 2 : Du droit de la concurrence au droit de la régulation des marchés de produits de santé

II. L’activisme « régulatoire » de la Commission européenne concernant les produits de santé

La Commission européenne, si elle est l’unique autorité de concurrence à disposer de prérogatives dédoublées en matière de produits de santé (A) se met implicitement en tête du mouvement visant à conférer aux autorités de concurrence de réelles prérogatives de régulation concurrentielle en matière de produits de santé (B).

A. La Commission, autorité aux prérogatives dédoublées en matière de santé

Le Professeur E. Malin expliquait que « la régulation d’un système de santé s’apparente à la quadrature du cercle : réglementation et concurrence s’opposent a priori mais elles doivent coexister en harmonie » . 564

Contrairement aux marchés ordinaires des biens et services, la Commission européenne joue sur le marché des produits de santé un rôle double . Elle détient des prérogatives ponctuelles de régulation de l'arrivée des acteurs 565

économiques sur les marchés de produits de santé. Cette dernière dispose en effet de la capacité de délivrer les autorisations administratives centralisées de mise sur le marché pour les médicaments . D’autre part, elle 566

constitue l’autorité de contrôle du jeu concurrentiel sur les marchés.

AGCM, 15 juillet 2015, Fornitura acido cólico, A473 558

LASSERRE. B., La frontière entre régulation et droit commun de la concurrence, entre persuasion et répression, devient plus ténue, Lettre de 559

l’ARCEP n°46 sept-oct 2005, p. 16 DE SILVA, I., op. cit.

560

Ibid

561

RAJA, C., op. cit., p. 586 562

CANIVET, G., « Les relations entre politique de concurrence et politique de santé », M-A. Frison-Roche (dir), La régulation des secteurs de 563

santé, Presses de Sciences Po, 2011, pp. 28 et s.

MALIN, E., « Quelle place faut-il donner aux forces du marché et à l’intervention publique dans la régulation du système de santé ? », 564

Libéralisations, privatisations, régulations, dir. N. THIRION, Ed. De Boeck et Larcier, Coll. « Droit international et économie », 2007, pp. 225-243 Comm. UE, Synthèse du rapport d’enquête sur le secteur pharmaceutique, 8 juill. 2009

565

Règlement (CEE) n° 2309/93 du Conseil, du 22 juillet 1993, établissant des procédures communautaires pour l'autorisation et la surveillance des 566

médicaments à usage humain et à usage vétérinaire et instituant une agence européenne pour l'évaluation des médicaments ; Règlement (CE) n° 726/2004 du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 établissant des procédures communautaires pour l'autorisation et la surveillance en ce qui concerne les médicaments à usage humain et à usage vétérinaire, et instituant une Agence européenne des médicaments (Texte présentant de l'intérêt pour l'EEE) JO L 136 du 30.4.2004, p. 1–33 ; Règlement (UE) 2017/745 du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2017 relatif aux dispositifs médicaux, modifiant la directive 2001/83/CE, le règlement (CE) n° 178/2002 et le règlement (CE) n° 1223/2009 et abrogeant les directives du Conseil 90/385/CEE et 93/42/CEE (Texte présentant de l'intérêt pour l'EEE. )

Si les rapports qu’entretiennent le droit de la concurrence et le droit de la régulation sont parfois présentés comme l’articulation entre droit commun et droit spécial, il n’en est rien en pratique, tant leur relation relève, au contraire, d’un envahissement des normes sectorielles par les normes concurrentielles. Si la Commission dispose de prérogatives de plusieurs ordres, cette articulation s’organise différemment pour les autorités nationales de concurrence en fonction des choix politiques des États membres. Certains, tels que les Pays-Bas, choisissent le cumul des compétences au profit de l’autorité de concurrence. D’autres, à l’image du Royaume-Uni ont opté pour un partage des compétences entre autorités. Le cumul, dans le chef d’une seule et même autorité, crée une probabilité significative de perméabilité entre ces compétences. C’est cette initiative que la Commission soutient.

B. La multiplication des actions de régulation déguisées en matière de produits de santé

La Commission européenne participe aujourd’hui au phénomène de « mélange des genres » par son utilisation parfois indistincte de prérogatives de régulation concurrentielle et d’outils de droit de la concurrence. Choix critiqué par certains comme une instrumentalisation du droit de la concurrence afin d’atteindre les finalités posées par le droit de la régulation . Réprimandé par d’autres comme une compétence illégitime confiée à 567

l’autorité de concurrence alors qu'il est acquis que la concurrence est inapte à remplir tous les objectifs de régulation que requiert le secteur de la santé . 568

L’Autorité européenne considère, elle, que la complémentarité de ces deux matières est possible et devrait primer. Son rapport d’enquête portant sur le secteur pharmaceutique en témoigne. Ce dernier fut publié en sa qualité d’autorité de concurrence, établissant dès son incipit sa préoccupation pour la santé des citoyens européens et son objectif de fourniture des médicaments sûrs, efficaces et abordables tout en créant un environnement favorable à la recherche. Pourtant, à travers les différents thèmes et pratiques étudiés, on lit entre les lignes de ce rapport les prémisses d’une réelle émancipation de la Commission vis-à-vis de ses prérogatives initiales. En abordant entre autres la possibilité de prohibition per se du seul usage stratégique des droits propriété intellectuelle ou processuel, la Commission cherche à façonner le marché, selon les optimums qu’elle définit elle- même, notamment en termes de répartition des parts des marchés entre génériques et princeps. Constat réitéré à l’aune de sa nouvelle enquête conduite sur le même secteur entre 2009 et 2017. Allant parfois jusqu’à s’adresser directement aux États membres afin de les aider à remédier aux « dysfonctionnements des marchés pharmaceutiques » imputables aux lacunes des réglementations nationales. La Commission appelle donc les États membres « à faire meilleur usage de la possibilité de reconnaître mutuellement les autorisations de mise sur le marché en améliorant les procédures et en réduisant les charges administratives qui pèsent sur les entreprises » . 569

Ces prérogatives visant à façonner le marché sont indubitablement celles d’une autorité régulatrice.

La Commission semble ainsi aller au-delà de son rôle de « garde-fou » de la concurrence lui ayant été originellement attribué, afin d’endosser également le rôle de régulateur, en guidant la mise en oeuvre de contraintes aux opérateurs puissants dans le but de faciliter l’accès des concurrents aux marchés de produits de

GENESTE B., « Du droit de la concurrence au droit administratif : le regard du juge sur le fonctionnement du marché », dans M.-A. FRISON- 567

ROCHE (dir.), La régulation des secteurs de santé, Coll. « Droit et économie de la régulation », vol.6, Presses de Sciences Po et Dalloz, 2011 FRISON-ROCHE, M-A., «   Protection de la santé publique, maîtrise des dépenses de santé, droit général de la concurrence et régulation 568

sectorielle », Petites affiches, 6 mai 2010, n° 90 « Thus, the Commission is claiming that the initiative first launched on January 15th 2008 and that led to the sector inquiry report stems from competition law, as if regulating a sector were nothing more than a part of general Competition Law, a sort of special, secondary part of the whole, thereby giving the competition authority special jurisdiction because it has overall jurisdiction »

Comm.UE., communication sur la délimitation des marchés…, 1997 569

santé . Controversées, ces initiatives sont pourtant légitimées dans leur didactique, prônant la complémentarité 570

du droit de la concurrence et de la régulation, voire leur indissociabilité.

Les institutions françaises sont elles encore réticentes à suivre la trajectoire de la Commission européenne. La France a notamment fait le choix de ne pas confier la régulation des télécoms à l'autorité de concurrence, en créant l’ARCEP, à la faveur d’une coopération entre les autorités et au détriment d’une concentration des prérogatives . Si certaines Autorités nationales refusent de se voir adoubées comme autorités régulatrices, la 571

convergence et l’entrecroisement entre régulation et concurrence semble parfois inévitable au regard des prérogatives dont ces dernières disposent déjà et utilisent fréquemment en matière de produits de santé.

§ 2 : L’évolution nécessaire du rôle des autorités de concurrence illustrée par la conjoncture sanitaire Tel qu’illustré par Marie-Anne Frison-Roche, le paradigme selon lequel la régulation est une exception à la concurrence, supposant une démonstration continuelle de la légitimité de la régulation au regard de l’ordre concurrentiel est dépassé en matière de produits de santé. Dans des secteurs partiellement voire totalement réglementés, la régulation ne constitue pas une pratique exceptionnelle et indicible. Si de nombreuses autorités de concurrence, y compris française se sont longtemps refusées à se considérer pleinement comme des autorités de régulation, les compétences qui ont pu leur être accordées au fil du temps participent à la création de réelles autorités de régulation. Les prérogatives concurrentielles leur étant confiées contiennent des mécanismes permettant à l’image des autorités de régulation de concilier des intérêts divergents, tels que les intérêts sanitaires et commerciaux (I). L’utilité de ces compétences et leur intensité étant accentuée par le phénomène actuel de crise sanitaire (II).

Outline

Documents relatifs