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L’espoir initial d’une homogénéité réglementaire

Section 2 : L’irrémédiable cloisonnement des marchés nationaux illustré

I. L’espoir initial d’une homogénéité réglementaire

L’e-commerce de produits de santé, en tant que nouveau canal de commercialisation présente des avantages significatifs tant du point de l’accès à une offre diversifiée (A), que de la possibilité nouvelle pour les consommateurs de comparer les prix et d’effectivement réorienter leur consommation vers un commerçant établi dans un autre État membre (B).

A. Le rationale théorique du commerce en ligne : l’accès facilité à une offre diversifiée

L’élément caractéristique de la vente en ligne des produits de santé est le dépassement de l’obstacle symbolique des frontières nationales. Malgré le cloisonnement des marchés, la mondialisation des échanges s’applique indistinctement aux produits de santé. En effet, le montant des exportations françaises de médicaments s’élevait en 2015 à 25,4 milliards d’euros. Les exportations et importations françaises n’ont pas ailleurs pas cessé de croître depuis les années 1990 . Il a très tôt été jugé par les autorités de concurrence, et plus particulièrement 280

par l’Autorité française qu’« une adaptation aux nouvelles réalités du marché » est nécessaire. Cette dernière en a également déduit la nécessité d’une « ouverture limitée et encadrée de la distribution au détail de médicaments », dans laquelle « le monopole officinal serait redessiné » . Dans ce même avis, l’Autorité a considéré que si les 281

disparités réglementaires entre États membres justifient une segmentation de certains marchés, « il reste toutefois que, dans ce cadre, [...] existent des opportunités pour développer le jeu de la concurrence et quelques espaces à ouvrir dès lors que les restrictions de concurrence contenues dans le corpus législatif ou réglementaire n’apparaissent manifestement pas fondées sur des objectifs de santé publique ou de préservation des comptes sociaux ». L’espace électronique et numérique en fait partie.

Ce sont ces objectifs que les institutions européennes poursuivent en incitant les États membres à introduire dans leur ordre national les mécanismes de vente en ligne des produits de santé . Une telle évolution donne à 282

repenser la chaîne de distribution. À l’aune de la mise en place du commerce en ligne, la localisation de l’offreur n’est plus nécessairement l’élément principal d’analyse de l’étendue des marchés. La vente en ligne efface les

ESPESSON-VERGEAT, B., « La spécificité…. », op. cit. 279

LEEM, « Bilan économique », édition 2019, http://www.leem.org/article/exportations-importations-1 280

Aut. conc., Avis n° 13-A-24 du 19 décembre 2013 relatif au fonctionnement de la concurrence dans le secteur de la distribution du médicament à 281

usage humain en ville, pt. 712 et s.

Directive 2011/62/UE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2011 modifiant la directive 2001/83/CE instituant un code communautaire 282

relatif aux médicaments à usage humain, en ce qui concerne la prévention de l’introduction dans la chaîne d’approvisionnement légale de médicaments falsifiés Texte présentant de l'intérêt pour l’EEE, JO L 174 du 1.7.2011, p. 74–87 

notions de territoires et les barrières. Elle permet de recentrer la concurrence sur la réponse au besoin du consommateur-patient.

Le développement du commerce de produits de santé en ligne, motivé par l’harmonisation européenne 283

vise également à permettre une relative homogénéité des circuits de commercialisation entre les États membres, laissant espérer voir émerger un potentiel élargissement des marchés . Par exemple, les produits en vente libre, 284

en raison de pressions réglementaires moindres, sont des objets propices au rapprochement des conditions de commercialisation. Sur la base de ce constat, l’Union a adopté la directive 2011/62/UE, permettant une mise en concurrence des e-pharmacies européennes et internationales, auxquelles ont librement accès les consommateurs depuis leur domicile. . 285

Cette autorisation permet aux officines nationales de répondre à la concurrence des sites se situant dans les autres États membres de l’Union. Internet élargit le champ géographique des transactions, en permettant aux distributeurs d’accéder aux clients isolés. Le pharmacien d’officine qui ouvre un site internet dispose théoriquement d’un nouveau moyen pour concurrencer les officines physiques en France et situées dans les autres États membres. C’est aussi pour lui, une occasion de développer ses ventes et d’améliorer son revenu.

L’intérêt principal de ce canal de distribution est qu’il permet à la demande d’avoir au bout des doigts un panorama presque complet des offres des pharmacies, qu’elles soient implantées dans leur État de résidence ou dans un autre État membre. La mise en place de ce medium offre aux pharmacies un plus grand terrain géographique d’exercice. L’harmonisation de la possibilité d’ouvrir une e-pharmacie accessible dans un autre État membre supprime théoriquement les entraves à l’accès même au marché.

En somme, l'objectif théorique de la directive adoptée par l’Union était d’assurer un level playing field pour toutes les pharmacies implantées dans les États membres pratiquant le commerce en ligne de produits de santé. L’harmonisation ayant pour dessein de concrétiser pour les consommateurs un accès homogène aux produits de santé commercialisés par des entités étrangères. Offrant donc l’espoir d’observer sur ce segment de marchés des conditions d’accès au marché suffisamment homogènes pour dépasser le seul spectre national.

B. Le rationale pratique du commerce en ligne : l’homogénéisation des critères de prix

L’étude menée par Brynjolfsson tend à montrer que la commercialisation de produits en ligne augmente le bien-être des consommateurs grâce à la diversité des produits qu’il peut proposer . Le second bénéfice que l’on 286

peut retirer du commerce des produits de santé en ligne est l’opportunité d’observer une hausse de la sensibilité

Code de la santé publique, article L. 5125-33 : « On entend par commerce électronique de médicaments l’activité économique par laquelle le 283

pharmacien propose ou assure à distance et par voie électronique la vente au détail et la dispensation au public des médicaments à usage humain et, à cet effet, fournit des informations de santé en ligne. L’activité de commerce électronique est réalisée à partir du site internet d’une officine de pharmacie ».

DEBARGE, O., « Le commerce électronique des médicaments : une mutation inachevée », Petites affiches, n°18, 24 janv. 2019

284

ESPESSON-VERGEAT, B., « E-pharmacie : entre concurrence et sécurité », Revue Lamy de la concurrence, nº 38, 1er janvier 2014 285

BRYNJOLFSSON, E., et. al., «   Consumer Surplus in the Digital Economy: Estimating the Value of Increased Product Variety at Online 286

Booksellers », Paper 176, MIT Sloan, 2003 ; COMBE, E., et. al., « Les nouvelles pratiques commerciales dans la vente en ligne », Séminaire Philippe Nasse, Concurrences n° 4-2013

prix de la demande de produits de santé. Cette sensibilité permettant d’évaluer « à la hausse » l’étendue des marchés géographiques . 287

On constate tout d’abord que l’autorisation du commerce en ligne de produits OTC induit inévitablement pour ce type de produits une concurrence par le prix, qui devient le critère principal de l'évaluation des limites géographiques de ce marché sur ce segment de marché économique. Ces produits, non soumis à prescription ou à remboursement subissent des contraintes réglementaires moindres. Restent donc aux fins de l’analyse de la délimitation des marchés, le facteur du prix comme boussole des consommateurs. Conformément à la directive 2011/62, les États membres ont veillé dans leur transposition de l’acte normatif européen à préciser que le prix des produits OTC est librement fixé librement par le pharmacien. Le prix découle alors non plus principalement des obligations réglementaires propres aux produits de santé, mais des contraintes financières liées à l’exploitation même de la vente en ligne. Au titre de tels coûts fixes on identifie entre autres les coûts de création et gestion du site, le prix d’approvisionnement, le coût du stockage, du transport, de livraison du produit, etc… La concurrence entre pharmacies virtuelles et réelles pourrait de surcroit conduire à une baisse des prix des produits au bénéfice du consommateur, liée à la dématérialisation des opérations de vente. Du côté de la demande, la commercialisation de ces produits en ligne lui permettrait en cas de variation de prix de transférer les commandes vers une pharmacie implantée dans un autre État membre en changeant simplement de site internet. Les possibilités pour la demande de se déporter vers des e-pharmacies étrangères sont d’autant plus nombreuses que certains sites, créés dans un autre État membre, ont développé une interface accessible dans langue du consommateur.

En définitive, l’initiative de l’Union est louable. La création d’un nouveau canal de distribution , réservé à certains produits pour lesquels les dissimilitudes réglementaires sont minimes plutôt que de tenter d’harmoniser les réglementations de ces produits est ingénieuse. Si ces objectifs théoriques laissaient penser lors de l’adoption de la directive 2011/62 à une potentielle homogénéisation des conditions de commercialisation, cet espoir s’oppose aujourd’hui aux vives réactions des autorités nationales et leur transposition restrictive des modalités de ce nouveau canal de distribution.

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