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Les îlots marginaux de sensibilité au prix

L’inélasticité de la demande n’est pas synonyme d'absence totale de prise en compte du prix. En effet, cette présomption d’insensibilité au prix est réfragable concernant certains produits dont la régulation est moins intense par nature (A). On constate également une tendance à la sensibilisation des patients au prix par le biais d’initiatives de contrôle budgétaire des États membres (B).

A. La sensibilité au prix cantonnée aux médicaments non remboursables

L’insensibilité de la demande de produits de santé résulte de l’administration des prix et de leur prise en charge à l’échelle nationale. Ces obstacles réglementaires sont inopérants à deux égards, redonnant au prix son impact théorique. D’une part, l’élasticité-prix de la demande demeure sur le segment de marché du produit en vente libre. Le prix des produits y est libre, théoriquement soumis à la loi de l’offre et de la demande, et ce sont les patients qui endossent intégralement le rôle de financeur, laissant l’assurance maladie publique totalement absente de ce marché. Face à ces produits dits « OTC » (over-the-counter), aucun intermédiaire n’intervient dans la prise de décision du patient. L’homo economicus ressurgit donc et influence le choix de la spécialité la moins chère. Conséquence directe de la concurrence par les prix retrouvée, le marché de l’OTC est en augmentation constante depuis dix ans, expliquant l'attrait de l’exploitation de cette branche par les entreprises . 164

En outre, cette survivance de la sensibilité de la demande au prix des produits de santé s’observe lorsque la logique assurantielle propre à chaque État membre ne prend pas à sa charge la totalité du prix du produit de santé . Dans cette hypothèse, l'excédent non-remboursable du prix est à la charge du patient. La demande se 165

révèle élastique sur la portion du prix dépassant celle du remboursement. Ce phénomène prend par ailleurs de l’ampleur en Europe, plusieurs études ayant démontré que cette part de prix « subie » par le patient n’a cessé d’augmenter depuis le début du XXe siècle. Le prix du produit se transforme peu à peu en réel coût pour le

patient, accroissant sa propension à y être sensible. Cette zone de sensibilité exploitable par les autorités de Decision of the Office of Fair Trading, abuse of a dominant position by Reckitt Benckiser Healthcare (UK) Limited and Reckitt Benckiser Group 162

plc, decision No. CA98/02/2011 Case CE/8931/08, 12 April 2011, pt. 4.123 Ibid, pt. 4.32

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ZABOTTO, J., « Le corridor de prix des médicaments non soumis à prescription obligatoire », thèse, Université Toulouse III, 2014 164

CHARISSOUX, F., op. cit., pp. 317-318 165

concurrence dans l’appréciation de la substituabilité des produits et la délimitation des marchés avait été identifiée par le TPICE à l’occasion de sa décision AstraZeneca lorsqu’il considérait que « le prix des IPP a pu être supérieur au niveau de remboursement fixé par les autorités publiques, de telle sorte que le patient était amené à supporter cet excédent, une élasticité de la demande était susceptible d’exister » . 166

Si cette nuance de l'analyse quantitative est en bonne voie, les termes « coût » et « prix » sont en pratique encore utilisés indistinctement par la CJUE , relativisant donc l’espoir de voir une dichotomie claire entre ces 167

deux termes et partant la reconnaissance d'îlots d’élasticité de la demande émerger dans un futur proche. Si cette sensibilité partielle ou totale est ici naturelle, on constate également que les pouvoirs publics, dans une tentative de maîtrise du budget de santé accroissent la sensibilité des patients au prix.

B. La sensibilité au prix indirectement incitée par les pouvoirs publics

Sur la période récente, un phénomène initié par les autorités publiques ré-instaure une élasticité-prix de la demande en matière de produits de santé. Dans un soucis de maîtrise des dépenses de santé, nombre d’États ont opté pour des politiques sanitaires incitant les patients à opter pour la version générique du produit princeps prescrit par le professionnel de santé . Les médicaments génériques, habituellement moins onéreux, s’ils font 168

également l’objet d’un remboursement par la sécurité sociale, impliquent une prise en charge moindre de leurs prix naturellement inférieurs. Si cette politique n’a pas d’incidence sur le traitement du patient, l’immixtion d’incitations économiques permet l’introduction d’une sensibilité au prix particulière.

Le mécanisme du « tiers payant contre génériques » est un exemple topique des externalités économiques des politiques fomentant la substitution princeps/générique. Généralisé en 2012 en France, ce dispositif a été mis en place, afin d’inciter les patients à accepter que le pharmacien leur délivre un médicament générique. Le patient a le choix d’accepter la substitution générique pour les produits prescrits ayant fait l’objet d’une « générification » . En cas de refus, celui-ci se trouve dans l’obligation de s’acquitter personnellement du 169

montant de la facture correspondant aux produits princeps non substitués, et donc d’avancer les frais . 170

Cette politique soumet le patient à un arbitrage comptable, et cherche à tester sa considération du prix, gageant qu’elle sera sensible. Certains arguent que cette sensibilité au prix et à la prise en charge du coût du produit n’est qu’une sensibilité ex ante, effacée par le remboursement ex post du produit au même taux ; pourtant ce mécanisme suppose bien un arbitrage de la part du patient, qui, s’il bénéficie toujours d’un remboursement, supportera pour une durée variable le coût plein du produit. La sensibilité au prix est donc ici introduite de façon indirecte mais contraignante. Cette sensibilité est d’autant plus contrainte que les incitations à substituer un produit princeps à un générique touchent aujourd’hui chaque maillon de la chaîne de décision. La pertinence du test SNIPP pourrait être réévaluée à l’aune de telles politiques.

Décision de la Commission, AstraZeneca, 2005, pt. 177 166

CJUE, 6 décembre 2012, AstraZeneca AB et AstraZeneca plc contre Commission européenne, C-457/10 P, pt. 56 « La Cour de justice de l’Union 167

européenne désigne-t-elle le « coût total d’un traitement » Site internet de l’ANSM

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CMA, Reckitt Benckiser, pt 4. 20 169

CHARISSOUX, F., op. cit., p. 316 170

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