• Aucun résultat trouvé

L’impact symbolique du prix sur la sensibilité de la demande

Le prix du produit de santé, s’il ne saurait être considéré comme élément déterminant dans la délimitation des marchés de produit au regard de la méthode quantitative, peut néanmoins constituer un indice de délimitation des marchés en raison de son impact symbolique, tant concernant son niveau (A), que son financement (B).

A. Le prix élevé, synonyme de performance et d’innovation

Le prix, s’il est difficilement corrélé à la substituabilité des produits de santé par voie d’analyse de l'élasticité croisée de la demande peut néanmoins constituer un indice significatif. La Commission a à cet égard innové dans sa décision AstraZeneca en tenant compte du facteur prix alors même qu’existe une fixation nationale du prix puisque « même en cas d’inélasticité de la demande aux prix, le niveau de fixation du prix du médicament est un indice de délimitation de son marché » . 171

Le déficit informationnel et l’asymétrie d’information dans lequel se trouve captif le patient le conduit à chercher à compenser le déséquilibre en trouvant dans le prix un signal relatif à la qualité du produit convoité. Une tentative d’assimilation de la cherté du produit de santé à son efficacité . Ce phénomène, autrement qualifié 172

d’effet Akerlof, déterminerait pour beaucoup la décision de consommation d’un produit plutôt qu’un autre ; en faveur du plus cher, par hypothèse . La croyance d’une relation entre le niveau de prix et l’efficacité du produit 173

relève d’un biais perceptuel donnant au décideur à l’achat l’impression que le recours au « signal prix » réduit l’asymétrie d’information lui étant normalement défavorable.

De telle sorte que dans le domaine de la santé il pourrait être dit qu’existe une « sensibilité inverse » . Le 174

prix bas serait susceptible d’apparaître comme un contre-argument à l’achat, sous-tendant une perception de moindre qualité. C’est une des raisons pour lesquelles les médicaments génériques font l’objet de réticences au sein de la demande malgré leur avantage concurrentiel évident en termes de coût. C’est la position qu’a pu adopter la Commission en retenant comme indice d’insubstituabilité la reconnaissance par le régulateur de la supériorité thérapeutique d’un médicament par rapport à un autre. Plus exactement, en constatant un écart de prix des spécialités, la Commission suppute que, parce que la fixation du prix procède d’une analyse comparative, la supériorité du prix de l’un révèle sa supériorité de performances et, partant, son insubstituabilité . En présence 175

de deux produits répondant au même besoin, leur niveau de prix différent peut justifier leur appartenance à des marchés différents indirectement en considérant que cet écart de prix sous-tendrait, compte tenu du processus d’administration du prix, une différence de performance thérapeutique.


Décision de la Commission, AstraZeneca 2005 171

CHARISSOUX, F., pt. 1166 172

Ibid, pt. 122 173

Ibid, pt. 968 ; DIRICQ, N., « Concurrence et organisation du système de santé », Concurrence & consommation, n° 158, avril 2008, p. 22 : « dans 174

ce secteur [i.e. la santé], le volume des achats peut ne pas être fonction directe du prix, mais fonction inverse du prix : il y a des domaines où plus le prix est élevé, plus le produit a des chances de se vendre. Mais paradoxalement, cela est le signe de l’existence d’une concurrence, qui en l’occurrence ne se joue pas dans les termes communs »

Cons. conc., « Droit de la concurrence et santé », Études thématiques, 2008, p. 120 : « Si une spécialité est conventionnellement fixée à un niveau 175

élevé entre l’entreprise exploitant le médicament et les autorités publiques, c’est qu’elle détient une particularité innovante par rapport aux autres spécialités du même type, ce qui constitue un indice de délimitation du marché. La vente du médicament bénéficiant d’un prix élevé démontre en effet l’absence de pressions concurrentielles exercées par les autres médicaments moins coûteux ».

B. Le remboursement, synonyme de sécurité

L’indice du prix intervient également indirectement à travers le vecteur du remboursement. L'existence d'une prise en charge par la collectivité est souvent perçue comme un gage d'efficacité du produit qui jouit de ces conditions sur le marché, alors même que sa composition est en tout point similaire à celle de son générique. Tenant pour principe que le régulateur est rationnel et efficace, sa décision d’accorder un remboursement à une spécialité procède nécessairement d’un choix justifié. La seule existence d’un remboursement et plus encore son taux, entrainent un effet d’induction auprès de la demande qui en infère un degré de sécurité pouvant déterminer le lien de confiance entre la spécialité et son utilisateur.

Il s’agirait dans les faits d’une sensibilité « de niche », valorisant un produit au prix plus élevé, signe de qualité et de performance. Ces constats, qui demeurent aujourd’hui embryonnaires peinent à être pris en compte dans l’analyse de la substituabilité quantitative de la substituabilité des produits. L’adaptation des autorités de concurrence à ce trait particulier, aléatoire par nature et résolument irrationnel se présente comme ardue.

En définitive, si les autorités de concurrence intègrent spontanément dans leur analyse du marché pertinent les facteurs de segmentations que constituent les données scientifiques et réglementaires liées au produit de santé, la place accordée à l’usage thérapeutique réel est inquiétante dans sa capacité à éclipser d’autres éléments du faisceau d’indice habituel telles que les caractéristiques physiques et réglementaires des produits. De même, si le prix joue un rôle dans la perception des produits de santé par les patients, la formation de celui-ci à l’aune des mécanismes de remboursement rend la demande, incarnée tant par le médecin, que par les services hospitaliers et les patients, imperméable aux variations de prix et aux incitations financières. Le test d’élasticité de la demande n’a donc qu’une pertinence très limitée dans le domaine des produits de santé.

Malgré la plasticité de la Communication de la Commission sur la délimitation des marchés, une réévaluation des maximes en matière de délimitation qualitative et quantitative du marché pertinent est donc aujourd’hui impérative afin de préciser les possibilités de hiérarchisation des critères dans le faisceau d’indice. De même, il serait bienvenu que les possibilités d’altération du test SNIPP soient établies de façon définitive. Ces nécessités ont d’ailleurs été entendues et matérialisées par la Commission européenne qui a le 3 avril 2020 publié sa feuille de route pour une évaluation de sa Communication de 1997, prévoyant entre autres une consultation publique multi-sectorielle d’au moins 12 semaines . Si cette perfectibilité de la méthodologie posée en droit 176

européen de la concurrence est indéniable concernant les marchés économiques, cette remarque est tempérée concernant la délimitation des marchés géographiques.

RONZANO, A., « Marché pertinent : la Commission européenne a rendu publique sa feuille de route pour une évaluation de sa communication 176

CHAPITRE II — L’ATOMISATION DES MARCHÉS GÉOGRAPHIQUES À L’AUNE DE

L’HÉTÉROGÉNÉITÉ DES POLITIQUES SANITAIRES

Dans le cadre de la délimitation des marchés géographiques, les autorités de concurrence , menées par la 177

jurisprudence de la CJUE , recherchent l’étendue du territoire sur lequel s’exerce une concurrence homogène, 178

au regard des conditions de production et de commercialisation des biens étudiés. En effet, en droit européen, le marché géographique peut être constitué de plusieurs États lorsque les conditions de concurrence sont suffisamment homogènes , ou d’un seul dans le cas contraire . L’enjeu est de déterminer s’il pourrait exister 179 180

un « marché européen des produits de santé ».

L’analyse des marchés géographiques par les autorités de concurrence utilise la somme d’un faisceau d’indices qualitatifs et quantitatifs. Néanmoins, les produits de santé, par leur nature politique et leur potentielle toxicité, font l’objet de réglementations sanitaires et commerciales afin de contenir les risques qui leur sont inhérents. Ces réglementations fournissent en effet une mine d’informations précieuses sur la façon dont se structurent les marchés et constituent ainsi l’indice premier et essentiel auquel les autorités de concurrence se fient.

Si les autorités de concurrence ont avec agilité saisi les nuances des réglementations nationales à l’origine d’une hétérogénéité des conditions de mise sur le marché entre États, elles doivent néanmoins tirer la conclusion inévitable d’une segmentation nationale des marchés et affirmer de manière presque systématique qu’il n’existe pas de marché européen des produits de santé, mais une somme de marchés nationaux.

Une juxtaposition de préoccupations de santé nationales et européennes régit l’espace européen des produits de santé. La nature des produits de santé, et leur statut de bien de nécessité justifie une intervention principalement nationale concernant leurs modalités de commercialisation, propre à contenir les risques de tels produits et à garantir la sécurité sanitaire. Souveraineté nationale, conciliée comme faire se peut avec les velléités harmonisatrices limitées de l’Union européenne en matière de santé . Les producteurs et commerçants de 181

produits de santé se trouvent donc soumis à un mille-feuille réglementaire de législations sanitaires nationales dirimantes n’ayant pu être harmonisées . De sorte que les éléments clés de la délimitation des marchés 182

géographiques varient significativement d’un État à l’autre ; bien loin du postulat initial d’homogénéité des conditions de commercialisation (Section 1). La lueur d’espoir, concernant la possible extension géographique de certains marchés illustrée par des initiatives privées, visant à garantir un accès aux produits de santé à tous les citoyens de l’Union est pourtant cantonnée et limitée face à la grande méfiance des pouvoirs publics nationaux (Section 2).

Comm. UE., Communication sur la définition du marché en cause aux fins du droit communautaire de la concurrence, op. cit., pt. 8 « La 177

dimension géographique du marché pertinent correspond « au territoire sur lequel les entreprises concernées sont engagées dans l’offre des biens et services en cause, sur lequel les conditions de concurrence sont suffisamment homogènes, et qui peut être distingué de zones géographiques voisines parce que, en particulier, les conditions de concurrence y diffèrent de manière appréciable.»

CJCE, 14 février 1978, United Brands Company et United Brands Continentaal BV contre Commission des Communautés européennes. Bananes 178

Chiquita, C-27/76 pt. 12 Ibid

179

CJCE, 29 avril 2004, British Sugar plc contre Commission des Communautés européennes, C-359/01 P 180

Version consolidée du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, OJ C 326, 26 oct. 2012, articles 29, 30 34 et 36 181

ESPESSON-VERGEAT, B., « Les spécificités…. », op. cit. 182

Section 1 : L’irréconciliabilité intrinsèque entre politique sanitaire et harmonisation européenne,

origine du cloisonnement des marchés

Il est fréquent pour la Commission européenne d’identifier des marchés pertinents dont les limites géographiques dépassent l’échelon national. Si la protection des consommateurs est un objectif transcendantal dans l’encadrement des biens de consommation , les enjeux de santé publique et de protection du patient sont 183

renforcés et accrus en matière de produits de santé. La répartition des compétences entre Union et États Membres dans les traités n’autorise pas l’Union à légiférer directement sur les produits de santé. Laissant une interrogation : peut-il exister un « marché européen » des produits de santé ? 


Répondre à cette question nécessite un bref excursus dans le droit normatif européen et national, afin de mieux comprendre la structure réglementaire encadrant les produits de santé. En la matière, force est de constater que par sa nature même, la structure des marchés des produits de santé affecte directement la possibilité pour les patients de transférer leur consommation vers des entreprises implantées dans d’autres États Membres, mais également la capacité des entreprises situées dans un État membre de développer leurs activités sur d’autres territoires, emportant une segmentation indéniable des marchés.

Cette circonstance est expliquée par l’absence d’harmonisation des conditions de commercialisation à l’échelle européenne (Paragraphe 1). Une telle hétérogénéité est prise en compte par les autorités de concurrence qui concluent presque systématiquement à la compartimentation des marchés au niveau national (Paragraphe 2). § 1 : L’impossible Europe de la santé, source d’hétérogénéité entre les contraintes réglementaires

D’un point de vue juridique, le produit de santé est saisi tout à la fois par le droit national et le droit de l’Union européenne. Malgré une complémentarité dans leurs attributions ratione materiae, les ordres juridiques français et européen nourrissent les contradictions du traitement du produit de santé.

D’un point de vue théorique, la définition des enjeux et des objets des politiques sanitaires relèvent des compétences régaliennes des États membres. Par la nature politiquement et médicalement sensible des produits de santé, la capacité des États membres de définir leurs priorités sanitaires et les réglementations adéquates afin de garantir la sécurité des produits leur revient de droit (I). La compétence de l’Union n’étant en la matière qu’une compétence anecdotique, marquée par le principe de subsidiarité. Le produit de santé se trouve placé au centre d'un ensemble normatif kaléidoscopique relevant davantage d'une stratification de textes juridiques et de recommandations scientifiques plutôt que d'un appareil normatif pensé de façon homogène (II).
184

Concernant la sécurité des patients, le programme d’action communautaire dans le domaine de la santé publique (2003-2007), premier 183

programme « intégré » dans ce domaine, a contribué à des améliorations essentielles en matière de santé publique. Un projet relatif à l’amélioration de la sécurité du patient en Europe, intitulé « SIMPATIE - Safety Improvement for Patients in Europe » - a été financé.

BISTER, S., op. cit.

Outline

Documents relatifs