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dynamiques urbaine, technopolitaine et migratoire

A. Un espace urbain du Sud marqué par une dynamique technopolitaine

1. La trame précoloniale et coloniale

Il existe peu de travaux sur l’urbanisme de Bangalore, ce qui correspond à la faiblesse générale des travaux sur la ville et l’urbain en Inde jusqu’à une date très récente. Nous nous appuierons ici principalement sur : Heitzman (2004), Mathur & Da Cunha (2006), Nair (2005), Srinivas (2004), Vyasulu (1970). Nous n’avons pas introduit de photographies dans cette première partie : on pourra se reporter au chapitre 7.

a. Un rôle militaire durable : d’une situation de marge à une situation de carrefour dans le sud de l’Inde

L'acte de naissance historique de Bangalore est la construction d’un fort au lieu-dit Bengaluru en 1537 par Kempe Gowda Ier, seigneur de Yelahanka, ville située aujourd’hui à une quinzaine de kilomètres au nord de Bangalore. Vassal du puissant empire hindou de Vijayanagar (1336-1646) qui dominait alors le plateau du Deccan et faisait face au sultanat de Delhi, il reçut en fief cette marge méridionale de l’empire, à charge pour lui d’assurer le contrôle et la sécurité des limites de l’empire sur un territoire d’une douzaine de localités, ce qui lui donnait le droit de construire une place-forte4. Cette place-forte s’insère alors dans un paysage rural structuré par une trame de villages et hameaux, sur un plateau élevé (entre 900 et 950 m d’altitude) et sec, où à chaque noyau de peuplement correspond un lac-réservoir appelé tank ou kere5, relié par un réseau dense de canaux et de vannes : ce réseau est encore visible sur la carte de Bangalore en 1871 (cf. document n°2.1). La croissance spatiale de Bangalore s’est donc opérée à partir et autour de la trame des tanks et des noyaux villageois qui leur sont associés.

La cité que décrivent les Britanniques, qui s’en emparent en 1791 lors des guerres de Mysore, est donc partagée entre le fort construit au 16ème siècle (kote), et la ville qui assure les fonctions productives et commerciales (pete). Cette structure spatiale apparente selon moi Bangalore aux nombreuses « villes-forts » du nord du pays tamoul, fondées par des vassaux locaux entre le 14ème et le 18ème siècle, décrites par Anne Viguier (2007, p.68-71). Elle les oppose au modèle

4 Ce mode de territorialisation est caractéristique de l’organisation de l’espace de l’empire de Vijayanagar (Viguier,

2007, p.49-53).

5 Le terme générique de tank désigne un plan d’eau, en partie ou totalement artificiel, qui permet le stockage de l’eau

pluviale et de ruissellement. Le tank est consubstantiel au développement d’un noyau villageois ou urbain dans un climat subtropical de mousson en Inde du sud (hors Kerala), atténué ici par l’altitude.

68 urbain organisé autour d’un ou plusieurs temples, dont l’archétype est Madurai, souvent présenté comme le seul modèle d’urbanisme précolonial en Inde du sud6. Bangalore apparaît aux militaires britanniques, d’après les différentes relations écrites (Mathur & Da Cunha, 2006), comme une cité marchande prospère, un centre de production textile important (coton et soie)7, et une des principales places militaires du sud de l’Inde, comptant 100 000 habitants environ. Le niveau de développement précolonial de Bangalore est en partie une conséquence de la chute de Vijayanagar en 1565 : elle entraîna le glissement des routes commerciales transcontinentales vers le sud et ainsi vers Bangalore, qui devint ainsi un nouveau carrefour d’échanges (Heitzman, 2004, p.24-25). Ceci permit le développement économique et démographique de la ville qui bénéficiait en ces temps d’instabilité de la protection offerte par le fort : elle fut ainsi le fief successif de seigneurs de la guerre marathes, moghols, puis du conquérant Tipu Sultan (Jayapal, 1997 ; Mathur & Da Cunha, 2006 ; Nair, 2005, p.28-29). Tout ceci souligne la situation de marge de cette région, entre le royaume de Mysore de la dynastie hindoue Wodeyar qui se développe à l’ouest, la pression croissante des occidentaux au sud-est, et les velléités des royaumes musulmans du nord du Deccan, dans une période de recompositions géopolitiques constantes. On peut s’arrêter sur Tipu Sultan et Haydar Ali, qui sont restés des figures majeures de l’histoire du Karnataka et de Bangalore : Haydar Ali, général en chef de l’armée du rajah de Mysore, devint de facto le souverain du royaume, qu’il laissa entre les mains de son fils, Tipu. La défaite finale de Tipu, et la mise à sac de Srirangapatnam, ville située entre Bangalore et Mysore dont il avait fait sa capitale, marque un tournant décisif pour Bangalore et le royaume de Mysore. C’est à la suite de cette défaite que Bangalore est arrimée au Mysore, à la tête duquel les Britanniques restaurent les Wodeyar, qui dirigent l’Etat depuis Mysore. Bangalore acquiert néanmoins une grande importance dans le royaume puisque les Britanniques choisissent en 1807 d’en faire leur grande garnison du Mysore, en raison de son climat salubre8, dans le prolongement du rôle militaire important qu’elle jouait déjà, ainsi que la résidence du représentant britannique, qui

6 Il est ainsi frappant que R. Ramachandran, dans son ouvrage de référence sur les villes indiennes, ne propose en ce

qui concerne les villes du sud de l’Inde que ce modèle (1989, p.49-50) et fasse quasiment l’impasse sur l’urbanisation de l’Inde du sud à l’époque moderne, hormis en ce qui concerne sa partie nord, en contact avec l’influence musulmane (ibid., p.48-59).

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Bangalore est mentionnée dès le 12ème siècle dans des registres fiscaux des souverains Hoysala pour des taxes prélevées sur ces activités.

8 Les forces britanniques initialement stationnées à Srirangapatnam, dans une zone basse et humide, y avaient essuyé

en quelques années de nombreuses pertes. Il existe un topos sur le caractère agréable du climat de Bangalore, qui est salubre et frais principalement en raison de l’altitude du site. Par ailleurs la question des températures n’est pas à prendre à la légère, comme en témoigne la genèse coloniale d’une couronne de stations d’altitude sur les pentes de l’Himalaya (Darjeeling, Simla) comme des Ghats (Ooty, Connoor) ; rappelons que Simla à partir de 1888 a accueilli le quartier général de l’armée des Indes, ainsi que la capitale d’été du Raj (sept mois par an) (Delvert in Beaujeu- Garnier et al., 1991).

dirige de fait le royaume de 1834 à 1881 (Markovits, 1994, p.480-482). Cette décision donne naissance à la « station » militaire et civile (Civil and Military Station) créée à partir de la garnison (cantonment) qui est établie à quelques kilomètres à l'est du noyau urbain initial, le fort9 s’avérant inadapté aux effectifs et à l’organisation des troupes coloniales.

b. Un espace urbain sous le signe de la dualité coloniale

Après la Grande mutinerie de 1857-1858 qui est passée « pratiquement inaperçue » au Mysore (Markovits, 1994, p.481), les Britanniques choisissent de regrouper leurs troupes à Bangalore, en faisant le principal pôle militaire du sud de l’Inde (Encyclopedia Britannica, 1911) : on y compte 45 000 militaires à la veille de la Première Guerre Mondiale, pour 100 834 personnes en tout dans la Station10. Cela permet à Bangalore d’être très bien intégré au réseau ferré mis en place par les Britanniques, où elle devient un nœud ferroviaire essentiel pour passer d’une rive à l’autre du sud de la péninsule, au nord de la trouée de Palghat. C’est un élément essentiel du rôle que joue Bangalore, avec Hyderabad et Chennai, dans la structuration du sud de l’Inde (Durand-Dastès, 2002, p.90).

Sur le plan de la morphologie urbaine cette implantation renforce la dualité de l’espace urbain, caractéristique des espaces colonisés : ville indienne (« City », terme anglais et colonial qui supplante celui de « pete ») à l’ouest, ville de garnison britannique à l’est (« cantonment » ou « station »11), séparée par à peine 2 à 3 km (Dupont, 2002, p.68-69 ; Ramachandran, 1989, p.59- 68). La coupure est matérialisée par le glacis végétal de Cubbon Park, parc de 25 hectares créé en 1864 sur décision du représentant britannique, qui accueille symboliquement la Résidence britannique12. Les deux entités relèvent d’ailleurs d’autorités distinctes : la City fait partie du royaume de Mysore, alors que la Station est sous administration britannique (Nair, 2005, p.74- 76).

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Il ne reste quasiment rien du fort originel à la période contemporaine, mis à part quelques soubassements et les ruines d’un bastion de la muraille.

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Chiffre avancé par le Dr. S.K.Aruni (Indian Council of Historical Research), « Images of Bangalore », communication au National workshop on urban history of Bangalore, Christ College, Bangalore, 21-22 mars 2003.

11 Le terme « cantonment » au sens strict désigne uniquement la garnison, mais à Bangalore il est communément

utilisé jusqu’à nos jours pour designer le centre-ville d’époque coloniale ; le terme de « station » est inusité, contrairement à d’autres villes. On peut avancer l’hypothèse que la fonction militaire étant ici prédominante dans le développement de la ville coloniale, la confusion est demeurée jusque dans les termes.

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Il semble que les limites de la C&M station étaient également marquées par un bornage de trente-neuf piliers, mais il n’en reste presque aucun à ce jour (Jayapal, 1997, p.52).

70 Graphiques n° 2.1.a et 2.1.b: Croissance de la population à Bangalore (1871-1941)

a) City C&M Station 0 50 000 100 000 150 000 200 000 250 000 300 000 350 000 400 000 450 000 1871 1881 1891 1901 1911 1921 1931 1941 b) 0 50 000 100 000 150 000 200 000 250 000 300 000 1871 1881 1891 1901 1911 1921 1931 1941 City C&M Station

(Source : Compilation de recensements décennaux, Census of India, Series-30, Karnataka, Provisional population totals, paper 2 of 2001, p.20)

Le graphique n°2.1.a nous montre que la population de l’ensemble de l’entité urbaine triple quasiment entre le premier recensement décennal mené par les Britanniques et celui de 1941, réalisé à la veille de l’Indépendance : elle passe d’un peu moins de 150 000 habitants à près de 407 000 en 1941. Lors du recensement de 1941, soit six ans avant l’Indépendance et huit ans avant la fusion des deux unités urbaines, on compte 248 334 habitants dans la City et 158 426 dans la C&M Station.

Le graphique n° 2.1.b met en évidence une croissance différenciée des deux parties de l’entité sur le long terme. La partie coloniale est plus peuplée et le demeure jusqu’en 1911, période durant laquelle la croissance des deux parties est assez similaire (on remarque notamment le même recul démographique consécutif à l’épidémie de peste de 1897-1898). Toutefois, à partir de 1901, la population de la City croît plus rapidement et rattrape celle de la C&M Station en 1921.

Le dualisme spatial et démographique se retrouve dans la composition de la population. La population de la City était assez homogène, dominée par les hindous kannadophones. La croissance rapide de la Station eut pour conséquence l'arrivée massive de populations venues de l’extérieur du Mysore. Les Britanniques encouragèrent la venue de Tamouls de la Présidence de Madras voisine pour occuper les emplois de service, auxquels s’ajoutèrent les commerçants et artisans marathis, gujaratis et rajasthanis du bazar qui fut créé au nord de la garnison13 comme on peut le voir sur la carte n°2.1 puisque les soldats n’avaient pas le droit de se rendre dans la City (Mullen, 2001, p.5 ; Nair, 2005, p.43-45). La Station accueillait ainsi une population marquée par la présence massive d’Occidentaux, d’Anglo-indiens, et une population « indigène » aux origines et croyances plus diverses que dans la City, avec notamment une présence importante de musulmans urduphones (Nair, 2005, p.63).

Pour resituer cette évolution à l’échelle inter-urbaine, Bangalore qui était une ville-fort quelconque du sud du Deccan, n’était-ce la période brillante mais brève de Haydar Ali et Tipu Sultan, doit à l’implantation coloniale sa croissance démographique et son escalade dans la hiérarchie urbaine du sous-continent, au détriment de Mysore. Bangalore en 1881 est la neuvième ville la plus peuplée de l’Inde (dans ses limites de 1947) ; après un recul dans le classement consécutif à la peste, elle est huitième à la veille de l’Indépendance (Bose, 1994).

c. L’héritage urbanistique colonial, une matrice durable

Le développement de l’espace urbain est donc marqué par deux modalités urbanistiques, d’une part celle incarnée par la City, d’autre part l'influence britannique, avec l'application de modèles urbanistiques et architecturaux importés qui se sont imposés d’abord dans la Station et ont créé ensuite de nouveaux espaces urbains coalescents avec la City14, constituant un héritage

13 Ce regimental bazar a donné naissance au quartier commerçant à forte proportion musulmane de Commercial

Street et Shivaji Nagar, situé au nord de Parade Ground / M.G Road.

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72 encore présent. Les réalisations de référence de cette modalité coloniale se trouvent dans le cantonment et les civil lines15, organisés selon les principes du grid et du zonage fonctionnel, et caractérisés par une recherche de l'espace et la distance physique pour assurer la distance sociale, ainsi que par des référents architecturaux occidentaux (Issar, 2002; King, 1984 ; Kaviraj, 1997 ; Lang, 2002; Mullen, 2001). Sur le document n°2.1, on peut observer le contraste entre la trame viaire géométrique et peu dense prévalant à l’est dans la Station, autour de la bande verte de Cubbon Park, et celle de la city dans la partie sud-ouest de la carte, beaucoup plus dense et complexe.

Ce second modèle s'incarne encore aujourd’hui dans les rues ombragées et calmes, dépourvues de commerces, bordées de bungalows entourés de vastes jardins, des environs de Parade Ground, l’actuelle M.G. Road, artère centrale et « vitrine » de Bangalore. La place donnée à la nature, sous la forme d’alignements d’arbres, de squares, de parcs intra-urbains, et de jardins privatifs ornementaux, diffère aussi nettement des jardins maraîchers et horticoles (tota) qui entouraient alors la city16. Nous approfondirons plus loin les héritages morphologiques, en particulier dans la fabrique des espaces résidentiels, de l’urbanisme et de l’architecture d’époque coloniale (cf. VII.A.1). Nous retiendrons l’image de garden city coloniale, créée et popularisée par les Britanniques, qui reste aujourd’hui une image forte de Bangalore, faisant du paysage arboré, ombragé et verdoyant des quartiers résidentiels construits sous les Britanniques un must.

L’espace urbain dual d’époque coloniale constitue de fait à l’heure actuelle ce qui a été décrit comme le centre-ville (core area) par le dernier plan d’urbanisme (BDA, 2007) Il concentre à l’heure actuelle les trois pôles commerciaux principaux de la ville (le quartier de Shivaji Nagar - Commercial Street qui correspond à l’expansion du bazar de la Station ; Brigade Road - M.G. road ; City Market) ; les institutions politiques et administratives du gouvernement du Karnataka autour de Cubbon Park ; enfin il est intéressant de relever que l’ancienne artère commerçante de Parade Ground, rebaptisée M.G(andhi) Road, accueille désormais l’embryon de CBD de Bangalore, qui se développe à l’est. Le centre-ville est limité à l’est par la demi-couronne des terrains militaires d’époque britannique, repris par l’armée indienne, et à l’ouest par une bande nord-sud d’espaces industriels et ouvriers d’époque coloniale (industrie textile). Les quartiers résidentiels d’époque coloniale, au nord et au sud, désormais en situation péricentrale, accueillent

15 Les civils britanniques et leurs familles étaient logés dans ces quartiers résidentiels civils (civil lines), spatialement

distincts des quartiers résidentiels destinés aux familles des officiers britanniques, qui étaient situés dans la garnison même. Les civil lines à Bangalore se trouvent au sud de Cubbon ParkCette distinction entre la partie militaire et la partie civile des implantations urbaines britanniques est rappelée par Anthony D. King (1990, p.19).

16 La place donnée à la nature, sous la forme d’alignements d’arbres, de squares, de parcs intra-urbains et de jardins

privatifs ornementaux diffère nettement des jardins maraîchers et horticoles (tota) qui entourent Pettah. Sur la place de la « nature » à Bangalore, voir Jayapal (1997, p.173-188), Mathur & Da Cunha (2006), Srinivas (2005).

les classes moyennes et aisées. On les retrouve sous la dénomination d’ « espaces centraux » sur la carte n°2.1.

Document n°2.1 : Carte de Bangalore, 1877

(Source : Mysore and Coorg : A gazetteer compiled for the government of India. Bangalore : Mysore Government Press, 1877, extrait de Mathur & Da Cunha, 2006, p.79)

74 2. La technopole

a. Des éléments historiques localisés propices à l’évolution technopolitaine

Le royaume du Mysore est considéré comme « l’un des États les mieux administrés de l’Empire des Indes » (Markovits, 1994, p.481). A la suite de la période d’administration britannique, le pouvoir est rendu au maharajah de Mysore et à ses ministres. Ceux-ci, en particulier le diwan M. Visvesvaryya, mettent en place une politique de développement qui jette les bases d’un Etat parmi les plus modernes de l’Inde à l’Indépendance (ibid.)17.

Cela passe par une politique d’éducation à grande échelle : le taux d’alphabétisation en 1951 à Bangalore est ainsi de 43,1 % (Karnataka : 29,8 %, Inde entière : 18,33 %) ; en 2001, 85,7 % de personnes à Bangalore sont alphabétisées (Karnataka : 67 %, Inde entière : 65,4 %). Cela donne une main-d’œuvre plus éduquée que la moyenne nationale (Economics Survey of Karnataka 2002-2003)18. Une politique de formation d’une élite éduquée locale est aussi menée : un premier college est créé à Bangalore dès 1875 ; en 1911 M. Visvesvaryya et J.N. Tata, le fondateur de la dynastie et co-financeur de l’institut, inaugurent l’Indian Institute of Science, qui est devenu un institut d’enseignement supérieur et de recherche d’élite, placé sur le même rang que les Indian Institutes of Technology19 en termes de renommée internationale ; en 1917 est fondée la première école d’ingénieurs de l’Etat à Bangalore (Central college) (Municipal Handbook, 1931).

Par ailleurs la ville est la première du pays à être électrifiée, à partir de 1902 (centrale hydroélectrique de Sivasamudram). Cela constitue un avantage pour la politique de soutien à l’industrialisation, en permettant le développement à Bangalore d’unités industrielles modernes, au-delà du secteur textile (Vyasulu, 1970). La présence du pôle militaire britannique favorise aussi cette ré-industrialisation, avec la création d’usines d’armement dès les années 1920. En 1940, cela entraîne notamment l’implantation à Bangalore de la première usine aéronautique d’Asie, grâce à la situation de la ville par rapport aux lignes de front, mais aussi au climat

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Le royaume de Mysore, compte tenu de sa taille, intègre l’Union indienne seulement en 1956, en ayant été largement redessiné par le States Reorganization Act (1956), qui crée la carte des États de l’Union indienne sur une base linguistique (Tirtha, p.198-201). Cet acte modifie profondément ce qui est alors l’Etat de Mysore : il se voit attribuer des districts à majorité kannadophone de la Présidence de Madras et de la Présidence de Bombay (littoral de l’Océan Indien) et du nizamat d’Hyderabad (nord-est). Il prend le nom de Karnataka en 1973 (ibid., p.401).

18 Le taux d’alphabétisation en Inde est évalué sur la base de compétences de lecture et de rédaction qui sont très

basiques, en général dans la langue maternelle de la personne.

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(Delvert, 1991). Ces unités industrielles, financées aussi bien par investissements britanniques qu’indiens, permettent également le développement d’un tissu de sous-traitants. On compte plus de 20 000 ouvriers à Bangalore lors du recensement de 1941 (Gazetteer, 1990, p.265-335).

Ce premier tissu industriel et scientifique d’époque coloniale est conforté après l’Indépendance lorsque Bangalore se voit assignée en 1947 par J. Nehru, une fonction de modèle : il présente Bangalore comme la « ville du futur » telle qu’il la rêve pour l’Inde nouvellement indépendante, lors d’une allocution prononcée sur place (Nair, 2005, p.333). La ville présente un certain nombre d’avantages : une main-d’œuvre peu chère et plus éduquée que la moyenne nationale, la disponibilité en électricité, et une très bonne desserte ferroviaire. À partir de là Bangalore, dans le cadre de la politique d’industrialisation volontariste menée par le gouvernement central dans les années 1950-1960, accueille un certain nombre de grandes entreprises industrielles publiques : téléphonie (ITI : IndianTelephone Industries, 1946) ; machines-outils (HMT : Hindustan Machine Tools, 1953) ; équipement électrique (BHEL : Bharat Heavy Electrical Limited ; BEL : Bharat Electronics Limited, 1954) (Gazetteer, 1990, p.265-335 ; Vyasulu, 1970). Toutes relèvent pour l’époque de technologies de pointe, dans le cadre d’une idéologie nationaliste de développement autonome (politique industrielle de substitution aux importations) privilégiant l’industrie, créatrice de grandes entreprises, dans des secteurs où l’Etat occupe une position monopolistique. De plus, les fonctions militaires de Bangalore ont été maintenues et renforcées par l’Inde indépendante : la ville accueille le commandement militaire de la région sud de l’Inde, ce qui se traduit aussi au niveau industriel (Heitzman, 2004, p.49). Se crée ainsi à Bangalore un tissu industriel dense : l’industrie emploie officiellement 64 973 salariés en 1957, 149 000 en 1972, 169 000 en1975, 352 000 en 1988 (Gazetteer of India, 1990) et sans doute davantage avec le réseau dense de sous-traitance assurée par de petites entreprises industrielles (small scale industries)20 (Holmström, 1994, p.17-19 ; Nair, 2005, p.81-89) ; Samuel Jonhson avance le chiffre de 40 % de la main-d’œuvre de la ville employée dans le secteur secondaire en 1981 (Johnson, 2000). Au début des années 1980 la ville est un pôle à l’échelle nationale pour les secteurs de l’électricité, de l’électronique et de la métallurgie, ce qui permet au secteur de l’électronique de se développer dans le prolongement (Holmström, 1994).

Ce pôle accueille aujourd’hui une large main-d’œuvre qualifiée de cadres et d’ingénieurs (ibid., p.20). Par ailleurs il « produit » cette main-d’œuvre pour le pays entier, puisque le Karnataka est