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Un champ migratoire en reconfiguration

B. Les migrants indiens très qualifiés : d’une relation bipolaire à la formation d’un sous-champ migratoire multipolaire

3. Les pétromonarchies du Moyen-Orient

L’accession de la région du Golfe persique au rang de bassin migratoire majeur à l’échelle mondiale s’est en grande partie nourrie des migrations sud-asiatiques. Si la majorité de celles-ci est composée de migrants pas ou peu qualifiés, elles comprennent aussi des migrants qualifiés, au premier rang desquels, chronologiquement, les médecins (Percot, 2005). Jusqu’à la mise en place des politiques d’arabisation44 dans les années 1990, un certain nombre de postes à responsabilités, pour lesquels étaient requis un niveau de compétence élevé et une certaine expérience, étaient détenus par des Indiens (Nayyar, 1994). C’était notamment le cas dans la finance, la banque, l’administration et le secteur de la santé. En fait la demande de personnels très qualifiés dans les domaines technique, scientifique et médical s’est même accentuée depuis les années 1980 avec le développement et la diversification de l’économie de ces États (Rangaswamy, 2004, p.292). L’échec partiel des politiques d’arabisation et les deux guerres du Golfe, qui ont renforcé la part des migrants asiatiques, n’ont toutefois pas permis de se passer de la main-d’œuvre qualifiée étrangère, notamment indienne (OMI, 2005, p.53-60 ; Rigoulet-Roze, 2007). Aussi cette région constitue-t-elle depuis les années 1960 un autre pôle de migration pour les Indiens très qualifiés, non musulmans compris.

Ce type de main-d’œuvre migrante y fait l’objet comme ailleurs de conditions spécifiques de migration, qui contrastent avec celles que connaît la majorité peu qualifiée : accès au regroupement familial, développement d’une vie sociale communautaire structurée par des institutions propres (écoles indiennes reconnues par le gouvernement indien, clubs, lieux de culte non musulmans) (Singhvi et al., 2000). Toutefois ils demeurent sous l’autorité du sponsor ressortissant du pays obligatoire pour tout migrant, le kafil, et, sauf exceptions, ne peuvent être naturalisés ni rester sur place au-delà de la durée de leur contrat de travail, notamment une fois leur vie professionnelle terminée (Venier, 2003, p. 194-196)45.

Malheureusement, il n’existe aucun chiffre ni étude portant sur cette catégorie de migrants présents dans le Golfe46. Ceci reflète le fait que l’ensemble des migrants présents dans le

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Il s’agit de former et de placer des jeunes ressortissants nationaux aux postes d’encadrement de l’économie, à la place des immigrés.

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Ces informations ont été vérifiées en ce qui concerne les migrants très qualifiés (médecins, cadres supérieurs) auprès du Dr Wani (entretien, Bangalore, 26/07/2004) et d’Asarvari Agrawal (Bangalore, novembre 2004).

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Deepak Nayyar présente certes des chiffres désagrégés en fonction du type d’emploi figurant sur le contrat de travail (unskilled, skilled, white collars, high skill) qui furent collectés par le Ministère indien du Travail pour la période 1984-1986. Toutefois comme le souligne l’auteur, cette catégorisation n’étant pas basée sur le niveau de formation ou de diplôme, elle ne permet pas repérer les migrants très qualifiés (médecins, ingénieurs). Par ailleurs un biais est introduit dans les définitions : la catégorie « skilled » correspond aux travailleurs du BTP ;

Golfe a été jusqu’ici peu étudié (Venier, 2003). Cela renvoie aussi à l’absence de données existant côté indien sur le nombre de migrants qualifiés, puisque ceux-ci, à la différence des migrants peu qualifiés, sont dispensés de demander une autorisation de migrer auprès du ministère indien du travail47 (Nayyar, 1994, p. 25). Enfin, il n’y a pas de sources accessibles sur ces questions en ce qui concerne les pétromonarchies, contrairement aux pays industrialisés du Nord.

Dans l’après-guerre les principaux pays neufs anglophones48 ouvrent leurs portes aux migrations asiatiques selon une chronologie et des modalités similaires et inédites de migration sélective. Les contours d’une nouvelle catégorie de migrants se dessinent. À partir des années soixante s’opère ainsi une recomposition de ce sous-champ migratoire indien, le pôle britannique perdant son statut de destination évidente faute d’avoir perçu les spécificités de cette catégorie de migrants49. Les pétromonarchies du Moyen-Orient deviennent un autre pôle, sur lequel on dispose comparativement de peu d’informations.

« high skilled » au personnel paramédical, aux techniciens et contremaîtres ; noyés dans une catégorie « others » mal définie, les migrants très qualifiés au sens où nous l’entendons ne peuvent être repérés (1994, p.28-30).

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Cette autorisation est en voie de disparition pour tous les migrants.

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La Nouvelle-Zélande n’adopte de politique de ce type qu’à partir de 1991, c’est-à-dire dans une phase ultérieure de définition de politiques migratoires spécifiques aux migrants qualifiés (Shachar, 2006, pp.179-183).

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Mis à part le personnel médical formé dans les pays du Commonwealth, qui fait l’objet de dispositions particulières, la Grande-Bretagne n’a mis en place de mesures favorisant l’entrée de migrants qualifiés qu’en 2002. Elle s’inscrit ainsi dans un rythme européen marqué par l’impératif durable du « zéro immigation » qui s’est instauré depuis les chocs pétroliers (Shachar, 2006, pp.192-194).

Conclusion

Nous nous sommes attachés dans ce chapitre à montrer les spécificités sur le plan spatial des migrations d’Indiens très qualifiés, en les mettant en regard de l’ensemble des migrations sud-asiatiques puis indiennes. Les migrants très qualifiés peuvent être envisagés comme un groupe de migrants qui se caractérise par sa mise en place récente, une répartition privilégiant les pays occidentaux et des flux fortement déterminés par des dispositifs politiques qui leur sont dédiés, donc des pôles, des rythmes et logiques de diffusion assez originaux par rapport à ceux qui prévalent dans le champ migratoire dans son ensemble. On observe en particulier un glissement du pôle britannique qui dominait durant la période coloniale à une concentration dans les pays neufs anglo-saxons au cours des trois à quatre dernières décennies. De plus l’attraction du bassin migratoire des pays du golfe arabo- persique sur l’ensemble des migrants asiatiques semble s’exercer aussi sur ces migrants, ce qui constitue un élément de similitude avec le champ migratoire dans son ensemble.

Par ailleurs le recours à la notion de sous-champ migratoire n’exclut pas les autres logiques dont peut relever la mobilité des individus en fonction de leurs autres ressources identitaires, notamment leur origine géographique et leur identité régionale, ainsi que leur appartenance religieuse. Cela souligne au contraire l’insertion du sous-champ dans le champ migratoire et ses relations étroites avec ses différentes composantes, notamment dans les pays d’accueil. Enfin il faut signaler la difficulté à identifier ces migrants à partir des données disponibles, élaborées en général seulement sur la base de l’appartenance nationale, ce qui est un problème récurrent pour les migrants très qualifiés. Cela constitue une limite à l’exercice, puisque cela nous a sans doute amené à donner plus de poids à des destinations où ce type de migrants est bien identifié, tels que les pays anglo-saxons, au détriment de phénomènes sans doute plus diffus mais difficiles à appréhender.

Chapitre 2