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L’instrumentalisation des visas « non-immigrants » pour immigrer aux États Unis depuis les années

historiques de constitution d’une « minorité modèle »

2. L’instrumentalisation des visas « non-immigrants » pour immigrer aux États Unis depuis les années

A partir des années 1990, la croissance continue du nombre d’entrées s’est appuyée en grande partie sur les visas dits non-immigrant (Khadria, 1999, p.78-79), qui ont permis de s’affranchir de la limite imposée sur le nombre de visas d’immigration accordés par pays et par an comme le montre le tableau n°3.1.

Il existe en effet dans la législation migratoire américaine une distinction entre les visas d’immigration, et les visas dits « non immigrant visa ». Créée par l’Immigration and Nationality Act de 1952, cette seconde catégorie de visas est dédiée à des individus qui ne sont pas censés immigrer définitivement aux États-Unis, et correspond donc à des visas temporaires : visas pour affaires (B-1), visas de tourisme (B-2), visas pour étudiants (F), visas pour le personnel diplomatique (A, G, N); visas de travail temporaires (H1 et L, principalement)7. Or il est possible, en résidant aux États-Unis avec un visa « non-immigrant », de demander, sous certaines conditions, un titre de séjour permanent, donc de passer d’un statut à l’autre. Cette opération est appelée l’adjustment, évoquée dans le point précédent. Ces visas constituent donc une troisième voie d’immigration. En ce qui concerne les Indiens, il s’agit principalement de visas pour étudiants et des visas de travail, en particulier le désormais célèbre visa H1-B.

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124 Tableau n°3.1 : Evolution de la ventilation des visas des migrants indiens aux États-Unis

(1996-2004)

Visas d’immigration Visas « non immigrants »*

A n n ée A jus te m ent s fa m il ia l pr of es si onn el dé pe nd ant TOTAL ** TOTAL *** H1-B Autres visas (L1, J1) F1 1 9 9 6 14 770 22 346 9 910 11 808 44 859 234 527 29 239 36 999 17 354 1 9 9 7 12 911 14 229 9 204 13 926 38 071 _ _ _ _ 1 9 9 8 11 855 15 375 9 533 11 058 36 482 378 006 62 544 74 330 25 543 1 9 9 9 6 932 15 179 5 362 9 356 30 237 439 398 85 012 98 702 28 335 2 0 0 0 18 674 14 267 15 557 11 543 42 046 542 743 102 453 123 071 39 795 2 0 0 1 42 256 15 443 39 010 14 714 70 290 567 775 104 543 129 383 48 809 2 0 0 2 45 687 11 402 42 885 15 077 71 105 501 745 81 091 110 103 48 708 2 0 0 3 _ 15 359 20 560 12 693 50 372 537 867 75 964 106 776 50 884 2 0 0 4 _ 13 307 38 443 16 942 70 116 611 327 83 536 115 811 51 191 * : Nous n’avons retenu que les données concernant les migrants “principaux” ; les données concernant les personnes ayant des visas de dependants relatifs à ces categories (H4, J2, L2) ne sont pas systématiquement disponibles dans les rapports annuels.

** quasi exhaustif

*** Nous n’avons retenu ici que les catégories de visas les plus significatives pour notre propos : visa L1 : transfert intra-entreprise (cf. infra) ; visa J1 : visa d’échanges culturels (exchange visitor, cf infra).

Sources : U.S. Government, Immigration and Naturalization Service (INS), Yearbooks, 1996-2001 ; US Department of Homeland Security, Yearbooks, 2002-2004.

Le tableau n°3.1 met en évidence le phénomène de relais entre visas d’immigration et visas non- immigrants dans les dix dernières années. Il montre une phase de tassement des entrées avec visas d’immigration (de 1996 à 2000), sur lesquels les Indiens connaissent une concurrence de la part d’autres groupes nationaux. A la même période on observe une envolée du recours aux visas temporaires, en particulier aux visas liés à des compétences professionnelles. Le rapport entre les deux types de visas (colonnes « total ») passe de 1 à 5 en 1996 à 1 à 10 en deux ans, et il ne redescendra plus en-deçà de 1 à 7 (2002), en dépit de l’augmentation du nombre de visas

d’immigration à partir de 2000-2001, soutenue par les visas à préférence professionnelle. Cette reprise est en fait elle-même un prolongement et une conséquence de la hausse du nombre de visas temporaires accordés (non-immigrant), car elle est due à une très forte hausse des ajustements, essentiellement des passages à un visa d’immigration à préférence professionnelle. Au total on observe un regain du flux des migrants indiens disposant de compétences professionnelles, qui passe par un élargissement des voies de l’immigration indienne à l’ensemble des types de visas disponibles. Cela explique la croissance très rapide la population indienne et d’origine indienne aux États-Unis entre les deux recensements, et sans doute par la suite.

Les visas non-immigrants permettent cette augmentation et autorisent à biaiser les limitations des visas d’immigration, en particulier les deux voies d’immigration « indirecte » les plus connues en Inde, le visa de travail temporaire H1-B et le visa d’études F. Les visas J1 (études, formation), L1 (transfert intra-compagnie / expatriation) en sont des supplétifs.

a. Le visa H1-B

Le visa H1 était initialement destiné à : « un ressortissant étranger, résidant dans un pays étranger qu’il n’a pas l’intention de quitter, se distinguant par son mérite et ses compétences (ability) et qui vient aux États-Unis pour des activités de nature exceptionnelle requérant exactement ses compétences et son mérite » 8 (Lowell, 2000, d’après l’Immigration and nationality Act, 1952). Ils sont réservés à des personnes ayant a priori au moins un diplôme du supérieur. En 1970 ils ont été étendus à des emplois permanents. Longtemps peu utilisés (moins de 20 000 délivrés par an dans les années 1970), leur nombre double durant les années 1980 (48 000 par an à la fin des années 1980) ; ils recouvrent alors des profils professionnels très divers, du mannequin à l’ingénieur. Une réforme et une clarification ont été opérées par le nouvel Immigration and Nationality Act de 1990, qui a créé trois catégories de H1 : H1-A et H1-C pour le personnel infirmier, et H1-B pour les specialty occupations9, limité par un numerus clausus de 65 000 visas attribués annuellement pour cette dernière catégorie.

8 «An alien having a residence in a foreign country which he has no intention of abandoning who is of distinguished

merit and ability and who is coming to the US to perform temporary services of an exceptional nature requiring such merit and ability »

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Elles sont très vaguement définies comme requérant « theoretical and practical applications of a body of highly

126 Le visa H1-B est valable pour une période de trois ans, renouvelable une fois. Il est lié à un contrat de travail aux États-Unis : un titulaire qui perd son emploi doit quitter le territoire américain dans les quatre-vingt-dix jours, sauf s’il retrouve un nouvel emploi durant cette période de grâce. Etre titulaire de ce visa permet d’entamer les démarches pour obtenir une Green Card durant les trois ou six années de séjour. L’obligation de s’engager à ne séjourner que de façon temporaire aux États-Unis a en effet été supprimée par la réforme de 1990, qui a imposé en outre que le numerus clausus soit révisé annuellement par le Congrès américain. Le visa H1-B est donc devenu implicitement à partir de 1990 un statut transitoire. C’est un outil d’ajustement de la politique migratoire aux besoins de l’économie américaine, en cohérence avec l’esprit général de la réforme de 1990. Celle-ci répondait notamment aux besoins du secteur des hautes technologies en plein développement, et plus largement aux nouveaux besoins – liés à l’informatisation de tous les secteurs de l’économie – en compétences a priori non disponibles en quantité suffisante sur le territoire américain (Arora, 2006, p. 4-5). Pour les cinq premiers mois de l’année fiscale 2000, les employeurs ayant obtenu le plus grand nombre de visas H1-B sont des entreprises de ces secteurs, soit dans l’ordre : Motorola (618), Oracle (455), Cisco (398), Mastech (389), Intel (367), et Microsoft (362)10.

Le nombre de visas H1-B accordés a fortement augmenté à la fin des années 1990, principalement pour satisfaire rapidement aux besoins de ces secteurs : les activités liées à l’informatique et à l’électronique absorbent plus de la moitié des visas (Varma & Rogers, 2004 ; Lowell, 2000). Le numerus clausus de 65 000 étant atteint en 1998, il a ensuite été considérablement augmenté grâce à une mesure de 2000 au titre éloquent : « American Competitiveness in the Twenty-First Century Act ». Celle-ci l’a fixé à 115 000 pour 1999-2000, puis 195 000 pour la période 2001-2004. L’attribution de ces visas est largement dominée par les Indiens depuis 1994, qui obtiennent depuis 1999 annuellement entre un tiers et la moitié de ces visas (Miano, 2005).

L’agence fédérale américaine en charge des questions migratoires, l’Immigration and Naturalization Service (INS), publie un rapport annuel (Yearbook), disponible en ligne. Pour les années 2000, 2001 et 2002, les rapports annuels de l’INS comportaient une section spécifique concernant les H1-B, ce qui n’a eu lieu que durant cette période de trois ans qui fut marquée par une augmentation sans précédent du nombre de H1-B délivrés. Voici le profil typique du bénéficiaire d’un visa H1-B tel qu’il est brossé dans ces rapports annuels :

10 Source : INS, 2002, cité par Devesh Kapur, 2005, p.58. En 2006 cette tendance s’était accentuée, puisque six des

dix entreprises ayant obtenu le plus de visas H1-B étaient les grandes SS2I indiennes : Infosys, Wipro, TCS, Satyam, Patni, Larsen and Toubro Infotech ; les quatre autres appartenaient au même secteur : Microsft,Cognizant, IBM, Oracle, d’après un document diffusé par le site web Information Week (McGee, 2007).

“The typical H-1B beneficiary whose petition was approved in fiscal year 2000 / 2001 / 2002 had the following characteristics : born in India; 29 / 29 /30 years old; holding a bachelor’s degree; working in a computer-related occupation; and receiving an annual compensation of $ 52,800 /

55,000 / 53,000. 37 / 41 / 24 percent of all beneficiaries were born in India, had either a bachelor’s or master’s degree, and were employed in a computer related occupation. The beneficiaries continuing in H-1B status were two years older and earned $ 14,000 / 15,000 /

15,000 more annually than the typical initial beneficiaries. Their other characteristics were the same.”

Traduction :

« Le titulaire typique d’un visa H1-B obtenu présentait [cette année] les caractéristiques suivantes : il est né en Inde, est âgé de 29-30 ans, est titulaire d’un diplôme universitaire de premier cycle, travaille dans une activité liée à l’informatique, et gagne annuellement 52 800 /

55 000 / 53 000 dollars US11. [Cette année] 37 % / 41 % / 24 % de tous les titulaires étaient nés

en Inde, possédaient un diplôme universitaire de premier ou deuxième cycle et travaillaient dans une activité liée à l’informatique. Les personnes faisant l’objet d’un renouvellement de leur visa H1-B [c’est-à-dire au bout des trois premières années] étaient âgés en moyenne deux ans de plus et gagnaient 14 000 $/ 15 000$/ 15 000 $, les autres caractéristiques étant les mêmes. »

Sources : 2000 Statistical Yearbook of the Immigration and Naturalization Service (p.134) ; en bleu : 2001 Statistical Yearbook of the Immigration and Naturalization Service (Temporary admissions Section, p.15)

; en rouge : 2002 Statistical Yearbook of the Immigration and Naturalization Service (p.97).

Il est étonnant de voir un document officiel d’accès public brosser de manière aussi directe ce qui apparaît quasiment comme une caricature : cela souligne la position centrale occupée par les jeunes informaticiens indiens dans les quotas de H1-B attribués, sur une période de plusieurs années. Au-delà du cliché médiatique que constitue leur place centrale dans le secteur informatique mondialisé, on constate qu’il s’agit d’un fait statistiquement fondé et avalisé par l’administration.

11 D’après Marc Abélès dans son travail ethnographique sur la Silicon Valley, le salaire annuel moyen d’un actif

dans la Silicon Valley en 1999 avait atteint 53 700 dollars US, soit 40 % de plus que le salaire annuel moyen pour l’ensemble des États-Unis la même année (2002, p.20).

128 Pourtant certaines restrictions prévalent pour pouvoir recruter des é trangers, restrictions qui sont censées protéger les intérêts des salariés américains. Un employeur ne peut demander à faire venir un salarié étranger dans le cadre d’un visa H1-B que sous conditions, les deux principales étant : il faut qu’il apporte la preuve d’une pénurie de main-d’œuvre compétente sur le marché du travail américain pour l’emploi dont il dispose ; il doit par ailleurs verser un salaire au moins égal à ce qui se pratique habituellement. Mais ces conditions ne font l’objet que de vérifications très partielles, en raison de la faiblesse des moyens de contrôle de l’INS et de l’inspection du travail. Aussi le recours au visa H1-B donne-t-il lieu à de nombreux abus et infractions (Chakravartty, 2005 ; Miano, 2005)12.

Norman Matloff soutient dès 2003 qu’il n’y a pas eu de pénurie de main-d’œuvre dans ce secteur de l’économie ; il avance que les visas H1-B ont été utilisés par les employeurs pour maintenir la pression sur le niveau des salaires dans le secteur de l’informatique durant le boom du secteur à la fin des années 1990 (Matloff, 2006). Ses hypothèses sont depuis largement reprises. Toutefois toutes les demandes et pressions politiques pour réduire le numerus clausus ont été fortement contestées par le secteur économique, avec Bill Gates en guise de porte-parole. Un certain nombre d’aménagements et de dérogations existe, qui permet aux entreprises américaines de continuer à faire venir la main-d’œuvre étrangère hautement qualifiée ; en voici quelques-uns. Depuis 2001 les visas H1-B liés à un contrat de travail avec une université ou un laboratoire de recherche sont accordés de façon surnuméraire et illimitée (Miano, 2005, p.2). Pour l’année 2005 le Congrès a voté une rallonge exceptionnelle de 20 000 visas H1-B, réservés à des personnes titulaires de diplômes américains. En 2005 et 2006 le nombre total de visas d’immigration sur base professionnelle a été gonflé en « récupérant » des visas non utilisés dans les années précédentes : ces deux années-là respectivement 94 000 et 33 341 visas d’immigration supplémentaires ont été attribués, soulageant le goulet d’étranglement créé par la réduction du nombre de visas H1-B en ouvrant plus large les portes de l’immigration aux professionnels (LPRF, 2006, p.513). Ces dernières mesures soi-disant exceptionnelles montrent le caractère de

12 Il est courant qu’un salarié en H1-B touche un salaire inférieur à ses collègues effectuant le même travail, soit

qu’une partie aille à la SS2I qui l’emploie, soit, s’il est salarié de l’entreprise à part entière, parce que celle-ci le sponsorise pour obtenir une carte verte, auquel cas les frais juridiques sont souvent défalqués du salaire d’un « commun accord ».

13 « The large number of Legal Permanent Residents in the employment preferences in 2005 was primarily due to the American Competitiveness in the21st Century Act of 2000, which recaptured 130,107 unused employment-based visa numbers from 1999 and 2000 to be made available to 1st, 2nd, and 3rd preference employment-based immigrants once the annual limit had been reached. Approximately 94,000 of those recaptured visa numbers were used in 2005. None of these visas were used in 2006. In addition, the REAL ID Act of 2005 recaptured 50,000 unused employment-based visas, 5,125 of which were used in 2005. In 2006, 33,341 of these visas were used, exceeding the 2006 employment preference limit of 143,949. The majority of the visa numbers recaptured by the

plus en plus factice de la distinction entre visas temporaires et visas d’immigration à base professionnelle, puisque le recours à l’un ou l’autre dépend de facteurs conjoncturels, et les enjeux politiques, économiques et sociaux qui sont désormais liés aux questions de visas et d’immigration de personnes à haut niveau de qualification aux États-Unis.

Enfin on a pu observer dans le tableau n°3.1 que d’autres types de visas de travail sont largement utilisés, notamment le visa L1, « visa de transfert intra-entreprise », qui permet à une société de faire venir aux États-Unis des salariés employés dans une autre partie du monde. Il correspond en théorie à de nouveaux modes d’organisation des entreprises à l’échelle internationale (expatriation, firmes multinationales), mais sert en fait de supplétif aux limites du programme H1-B, et est massivement détourné pour en fait recruter à l’étranger des salariés qui travailleront ensuite aux États-Unis (Martin, 2003, p.15 ; Chakravartty, 2005, p.8). Les chiffres montrent cette instrumentalisation du visa L1 : le nombre total de visas L1 a progressé de 75 315 en 1992 à 328 480 en 2001, puis est revenu à 214 484 car une reprise en main a eu lieu suite à la dénonciation de cette dérive. Néanmoins, en ce qui concerne les personnes de nationalité indienne, on observe une augmentation constante : 2 255 visas délivrés en 1996, 15 531 en 2001, et 23 134 en 2004, où il représente l’équivalent du quart du contingent de H1-B. En outre le visa L1 génère pour les Indiens en général beaucoup de visas de dépendants (L2), environ 40 à 50 %, selon les années.

Nous verrons plus loin que le recours massif à ces visas s’articule avec de nouveaux modes de circulation migratoire et vient modifier le profil de la population indo-américaine.

b. Le visa pour études (F1)

Le visa F1, tel qu’il est envisagé actuellement par beaucoup de familles en Inde, est devenu une sorte de préalable à l’immigration aux États-Unis. Durant mon séjour à Bangalore en 2004, j’ai pu observer une pratique visiblement connue et assez courante dans la classe moyenne urbaine à haut niveau d’éducation (professions libérales, enseignants du supérieur et chercheurs, cadres supérieurs) et qui m’a été détaillée également dans deux entretiens14. Les parents envoient REAL ID Act were issued to individuals whose country of origin was the Philippines (57 percent) or India (22 percent).» (DHS, 2006). Les passages soulignés le sont à mon initiative.

14

Entretiens : C., Bangalore, 17/10/2004 ; Anand, Bangalore, 25/05/2004. S’ajoutent les informations collectées par observation participante durant les quatre mois où j’ai habité dans le quartier des logements de fonction réservés aux enseignants, sur le campus de l’Indian Institute of Science de Bangalore.

130 leur enfant faire son deuxième cycle universitaire aux États-Unis, car il lui sera ainsi plus facile par la suite d’entrer sur la marché du travail américain, puis de rester aux États-Unis, grâce à l’employeur qui se charge de sponsoriser la Green Card de son nouvel employé et les démarches correspondantes, lorsqu’il tient à le garder. Partir finir ses études supérieures aux États-Unis est un moyen de court-circuiter les difficultés que connaissent ceux qui tentent plus tard de partir travailler aux États-Unis15. Cela réduit aussi la durée totale des études, car certains migrants peuvent être amenés à repasser une partie de leurs diplômes une fois aux États-Unis, notamment dans les professions médicales (Mohammad, 2000, p.73 ; Raghuram, 2004a). Enfin la valeur ajoutée des titres universitaires indiens est particulièrement élevée pour les diplômes de premier cycle, en raison du système indien extrêmement compétitif de concours d’entrée dans les écoles d’ingénieurs ; elle est moindre pour les diplômes de second cycle (Sen et Frankel, 2005, p.27 ; Khadria, 2004). Le choix du moment du départ, après un premier cycle, s’explique aussi par des considérations financières : avoir obtenu un diplôme « coté » dans une institution indienne prestigieuse, en étant bien placé dans le classement final, permet en général d’entrer facilement dans une université américaine, et surtout d’obtenir de celle-ci une bourse couvrant au moins en partie les frais très élevés d’inscription et de scolarité qui sont de mise aux États-Unis. Les personnes passées par cette voie et interrogées lors de mes entretiens présentaient ces deux années d’étude avant tout comme un passage obligé pour accéder au marché de l’emploi américain et à un titre de séjour. La nature et la qualité de la formation reçue paraissaient secondaires, certains allant jusqu’à avancer qu’ils avaient en fait déjà appris l’essentiel en Inde, dans un système universitaire beaucoup plus sélectif et exigeant.

Le graphique n°3.3 met en évidence à la fois la diffusion de cette pratique dans la société indienne et l’élargissement du recours à cette voie d’immigration, en montrant l’augmentation du nombre de ressortissants indiens entrés sur des visas F entre 1995 et 2004, F1 pour les étudiants et F4 pour leurs conjoints et enfants.

15 Les travaux menés par Johanna Lessinger aux États-Unis confirment mes observations (2003, p. 171). Elle fait

remonter l’apparition de cette pratique au ralentissement de l’économie américaine dans la seconde moitié des années quatre-vingt, qui a rendu l’accès à l’emploi et donc aux visas plus difficile pour les étrangers (ibid., p.180).

Graphique n°3.3 :

Evolution du nombre de ressortissants indiens admis au titre des visas F1 et F4 (1995-2004)

0 10 000 20 000 30 000 40 000 50 000 60 000 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004

Etudiants Epoux et enfants

Sources : INS, Yearbooks, 1995-2001 ; DHS, Yearbooks, 2002-2004. Nous n’avons pu trouver que le chiffre total pour l’année 199516, et les chiffres disponibles pour 1997 posent problème (ils sont exactement les mêmes que ceux de 1996).

Le nombre de visas accordés à des ressortissants indiens entre 1995 et 2000 a plus que doublé, passant de 17 211 visas à 41 144 visas (INS, 2001), et plus que triplé entre 1995 et 2004, atteignant 52 920 (DHS, 2005). L’Inde est devenue en 2006 le premier pays d’origine des étudiants étrangers présents sur le sol américain, avec 76 500 entrées d’étudiants (et époux et enfants avec visa « dépendant ») aux États-Unis, passant ainsi devant le Japon, la Chine et la Corée17.

Cette augmentation se situe au croisement des intérêts d’acteurs indiens et américains : les familles indiennes, prêtes à faire un important sacrifice financier pour que leur enfant obtienne un diplôme américain, mais aussi les entreprises américaines, demandeuses de compétences

16 La part des époux et enfants, admis au titre d’un visa « dependant » spécifique au F1, le visa F4, ne dépasse

toutefois jamais 6 % du total.

17 Source : Rapport Open Doors 2006, Washington D.C., Institute of International Education, cité par le New York

Times, 13/11/2006. Le Département d’Etat américain prévoyait que les étudiants étrangers allaient contribuer à

132 identifiées et de qualité, ce qui semble mieux garanti par un diplôme américain, et le secteur privé de l’enseignement supérieur en plein essor, dont les étudiants étrangers sont un moteur (Varma &