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Le retour : perspectives historiques et politiques

B. Les retours de migrants qualifiés jusqu’aux années

2. L’exception des professions libérales

Le présupposé d’un non-retour général n’est par ailleurs pas valide en ce qui concerne les professions libérales où a cours la pratique de migrer pour se former puis rentrer exercer en Inde. Cela concerne les médecins et les architectes, c’est-à-dire des migrants dotés de types de qualification qui sont aisément transférables. Les diplômes de médecine et d’architecture28 délivrés en Inde font l’objet d’une reconnaissance au moins partielle aux États-Unis, et les titres américains sont reconnus en Inde. Faire un cycle d’études complémentaire en Grande-Bretagne ou aux États-Unis et / ou y exercer quelques années est donc assez courant dans ces professions. Migrer pour se former et / ou exercer à l’étranger constitue en outre un atout pour revenir s’établir professionnellement en Inde. Il est d’usage pour un médecin en Inde d’indiquer sur sa plaque les diplômes qu’il possède ; dans le cas des médecins formés à l’étranger, au fil des rues ou à l’entrée des cliniques privées, la mention “UK” ou “USA” est fièrement affichée sur leurs plaques à la suite de celle de leurs diplômes, comme sur la photo n°4.1. Certaines cliniques privées renommées appuient une partie de leur communication et de leur réputation sur le fait que leurs praticiens sont formés à l’étranger (Rihouey, 2000, p.175).

De même un diplôme étranger est valorisé professionnellement dans l’architecture. La moitié des architectes interrogés dans le cadre de l’enquête sur les formes urbaines étaient diplômés de seconds cycles américains, or la majorité travaillait voire dirigeait des cabinets prestigieux à Bangalore (cf. annexe n°6).

Voici deux exemples de parcours de returnees des années 1980, ceux d’un ophtalmologiste et d’un couple d’architectes, dont les retours dans les années 1980 se sont déroulés assez aisément sur le plan professionnel. Ils m’ont semblé représentatifs de la façon dont un certain nombre de personnes exerçant ces professions rentraient en Inde alors qu’au même moment d’autres personnes très qualifiées dans d’autres domaines ne le faisaient pas.

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Pour exercer comme médecin en Inde il faut avoir obtenu le MBBS (Bachelor of Medecine and Surgery) ; on est architecte avec un Bachelor of Architecture (B.Arch).

180 Photo n°4.1 : Pancarte d’un cabinet de dentiste mettant en avant

sa formation et son expérience à l’étranger (Vijay Kumar, Bangalore, été 2008)

Le docteur Anil Wani est ophtalmologiste. Il est parti poursuivre ses études en Grande-Bretagne en

1977 puis a travaillé de 1981 à 1989 en Arabie Saoudite. Durant l’entretien, il a insisté sur l’intérêt de l’expérience acquise en Grande-Bretagne, où il a appris à utiliser des appareils dernier cri, ce qu’il oppose au manque de formation sur le plan technique à la même époque en Inde, en particulier au maniement des équipements. Son retour est dû à la saoudisation (cf infra) des cadres hospitaliers et du personnel médical, bien qu’il souligne ne pas avoir été contraint à quitter son poste ni le pays. Il s’est réinstallé à Bangalore pour sa qualité de vie, même s’il n’y connaissait personne [lui et sa femme sont originaires du Maharashtra], ce qui a rendu difficiles les débuts, notamment la constitution d’une clientèle. Il a le sentiment qu’il a pu bâtir progressivement une réputation grâce à ses compétences et à sa pratique un peu différentes de celles des médecins indiens en général, en accordant plus d’attention et de temps au patient.

Nous pouvons ajouter ici quelques éléments de contextualisation, afin d’éclairer ce retour d’Arabie Saoudite en 1989. Le secrétaire de l’association de returnees de Bangalore (Returned NRI) (cf. VIII.C.2) rapporte que l’association, créée en 1990, comptait à ses débuts une part

importante de médecins rentrant du Proche et du Moyen-Orient. Il reliait ce fait d’une part aux politiques d’éducation des ressortissants nationaux et de nationalisation des cadres de l’économie menées dans les pétromonarchies à partir des années 1980, connues sous les termes génériques d’omanisation ou de saoudisation (Venier, 2003 ; Lavergne, 2003), d’autre part aux efforts menés à partir des années 1980 en Inde pour remédier à l’état désastreux du système de santé29.

Mohan et Nina Bopiah, la cinquantaine, dirigent un cabinet d’architecture situé au nord du

Cantonment. Ils sont tous les deux originaires de la région du Coorg, un ancien royaume

indépendant situé sur les contreforts des Ghats dans le sud-ouest du Karnataka, à la frontière avec le Kerala30. Mohan, après avoir suivi un premier cycle d’architecture en Inde, est parti à la fin des années soixante faire son second cycle d’architecture [M.Arch.] à l’Université de Berkeley. Rejoint par sa femme, ils ont ensuite travaillé dans les mêmes cabinets, d’abord à Washington, puis en Angleterre. Ils sont rentrés en 1980 en Inde, par attachement à leur pays et pour se rapprocher de leurs familles. Ils ont fondé ce cabinet à Bangalore, où ils avaient fait leurs études, et y ont exercé leur activité avec un certain succès, en travaillant sur des projets de grande taille, pour des entreprises et des administrations. Les choses ont été assez faciles car ils avaient leur portfolio étranger à faire valoir auprès des clients locaux. En 2005 leur cabinet employait une dizaine de personnes et ils bénéficiaient d’une certaine reconnaissance dans le milieu local de l’architecture, presque tous les architectes rencontrés par ailleurs leur témoignant un grand respect.31

Ces deux entretiens mettent en avant des personnes dont les compétences étaient transférables et l’expérience étrangère recherchée. Leurs parcours sont caract éristiques des nombreux returnees exerçant des professions libérales en Inde, où l’aller-retour pour se former et acquérir de l’expérience est une pratique valorisée, sinon courante. Elle est en effet réservée à des individus à la fois assez doués pour être sélectionnés dans des formations étrangères et appartenant à des familles assez aisées pour assumer une partie des frais du séjour à l’étranger. Ceci explique que, jusqu’aux années 1990, les retours durables de migrants hautement qualifiés aient été apparemment dominés en nombre par des personnes exerçant des professions libérales (Helweg & Helweg, 1990, ; Khadria, 1999). A l’inverse, les ingénieurs, cadres ou scientifiques hésitaient et finalement évitaient de rentrer en Inde, faute de perspectives de réinsertion professionnelle satisfaisantes ce que nous allons examiner dans le point suivant.

29 Entretien, Pradeep (RNRI), 20/07/2004

30 Etre Coorgi constitue encore à l’heure actuelle un élément identitaire fort au Karnataka, ce qui est renforcé dans le

cas des Bopiah par le fait qu’ils sont issus de la noblesse coorgie.

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182 3. Les frémissements des années 1990. Echecs, jalons d’un savoir-rentrer et

place de l’entreprenariat

En ce qui concerne les années 1990, un flux de retour de migrants asiatiques très qualifiés travaillant aux États-Unis (Coréens, Taïwanais mais aussi Indiens), a été décrit (Kapur & McHale, 2005, p.163-172 ; Saxenian, 1999 ; Saxenian, 2006). Il était lié en partie à la récession qui a touché l’économie américaine au début des années 199032. Mark Holmström, dans son étude du district industriel bangaloréen reposant sur un travail de terrain mené en 1993, évoque ces professionnels rentrant des États-Unis (Holmström, 1994, p.20). Nous allons nous appuyer ici sur les entretiens menés avec des returnees précoces, concernant à la fois leur propre retour ainsi que leurs observations durant cette période.

Par échec on entend une non-pérennisation du séjour en Inde et donc du projet de migration de retour, qui varie en fonction d’éléments tels que la période, le type de formation des migrants, leur secteur d’activité. Le vice-président de l’association « RNRI » (Returned NRI) et lui-même rentré en 1998, estime que les trois quarts des gens qu’il a vu revenir dans les années 1990 ont échoué et sont repartis à l’étranger33. La suite de l’entretien mené avec le Dr C. (cf. point précédent), rentré en 1992, évoquait aussi de nombreux échecs dans le milieu universitaire, qui avaient alimenté les précautions prises par lui-même sur les conditions de son retour.

J’ai mené des entretiens avec trois autres returnees précoces, trois hommes possédant des diplômes d’ingénieurs indiens (Bachelor of engineering) et qui sont rentrés respectivement en 1995, 1989 et 1987 : Vasudev, Edgar, Pradeep. Ils sont tous les trois revenus des États-Unis une fois leurs diplômes de second cycle en poche, en management (MBA) pour Vasudev, en ingénierie (M.Eng) pour les deux autres. Ils étaient dépourvus de toute expérience professionnelle et n’avaient pas de perspective d’emploi en Inde. Tous les trois décrivent une réinsertion professionnelle difficile sinon chaotique, bien qu’ils travaillent dans trois sous-secteurs assez différents : Vasudev dans le management, Edgar dans les services financiers aux entreprises, Pradeep dans l’électronique. La période depuis leur retour des États-Unis est caractérisée pour les trois par différents faits : avoir multiplié les emplois, avoir tenté de créer leur propre entreprise

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DUNN Ashley, Skilled Asians Leaving U.S. For High-Tech Jobs at Home, New York Times, 21/02/1995, cité dans Migration News, avril 1995, vol.1, n°2.

Disponible en ligne : http://migration.ucdavis.edu/mn/more.php?id=624_0_3_0, consulté le 23 mai 2006

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avec un succès limité, être au moment de l’entretien « consultants » ou « free lance ». J’ai soumis ces profils assez proches au responsable du cabinet bangaloréen d’une firme internationale de conseil en ressources humaines34. Son interprétation était assez négative : il a analysé ces parcours comme caractéristiques de personnes qui n’ont pas pu se réinsérer correctement dans le tissu économique local. L’entreprenariat à petite échelle et le statut d’indépendant camouflent d’après lui cette impossibilité. Ce sont des pis-allers, assurés grâce à des familles aisées (dans les trois cas) qui ont la capacité financière de soutenir leurs fils dans des projets à petite échelle. Si Pradeep et Edgar sont restés discrets sur ces difficultés, Vasudev a été assez disert dans son analyse :

« Quand je suis rentré, j’ai rencontré beaucoup de problèmes, parce qu’en 1995 personne ne rentrait. Très peu de gens revenaient à l’époque. […] Le problème est que les gens n’ont pas … ils ont cru que je m’étais planté, personne ne voulait me donner un emploi, et j’ai traversé une sale période. Même quand j’ai eu un emploi, j’ai eu des soucis. J’étais plus étrange que les étrangers, parce que personne ne connaissait quelqu’un qui soit rentré [des États-Unis]. Donc c’était un mélange de perplexité et de suspicion. » (Vasudev, 23/10/2004)35

Plus loin dans l’entretien, il explique être passé à l’entreprenariat grâce au capital familial (en s’associant pour créer en 1996 une entreprise d’informatique qui n’a pas vraiment marché), en raison de ses difficultés et de son insatisfaction sur le plan professionnel. Il est revenu à plusieurs reprises, durant la suite de notre entretien d’une durée totale d’une heure, sur le fait qu’il se trouve toujours dans une situation professionnelle et économique qu’il juge décevante sinon précaire, bien qu’il ait été consultant pour des entreprises importantes et assure des enseignements depuis huit ans dans la prestigieuse école de commerce de Bangalore (IIM). Pour conclure sur ces trois retours qui se sont soldés par des parcours professionnels délicats, il est intéressant de relever une dernière coïncidence : Vasudev a divorcé suite à son retour en Inde (le retour étant présenté comme la raison du divorce), Pradeep ne s’est marié qu’à la quarantaine en 2003, et Edgar est resté célibataire. Ces situations matrimoniales atypiques pour des hommes indiens d’âge mûr et de bonne famille ne font qu’ajouter une dimension sociale à la mauvaise réinsertion qui caractérise leurs parcours respectifs.

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; J., responsable d’un cabinet de conseil en ressources humaines, Bangalore, 06/10/2004. Après avoir eu un premier long entretien avec lui, sur sa proposition je lui ai soumis quelques itinéraires professionnels que j’avais des difficultés à interpréter, de manière anonyme mais en précisant les emplois, les entreprises, etc.

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184 Des échanges avec Jayaprakash et Saurav Mukherjee, maître de conférence à l’Indian Institute of Management - Bangalore, nous amènent toutefois à ne pas envisager ces difficultés comme un passage obligé ou une fatalité pour ceux qui rentraient dans les années 1990. Ils percevaient cette époque comme ayant offert à des immigrés la possibilité de rentrer en obtenant des emplois à responsabilités extrêmement bien payés, parfois au même salaire qu’aux États-Unis ; mais il s’agissait de cadres expérimentés, que des entreprises localisées à Bangalore recrutaient avant même leur retour en Inde. Mes deux interlocuteurs ont souligné l’attrait exercé sur ces entreprises moins par les diplômes étrangers que par l’expérience professionnelle internationale, dans des grands groupes, de ces personnes, à l’époque impossibles à trouver sur le marché indien.

Cela indique a contrario certaines raisons des difficultés dans les trois cas de retours décrits précédemment comme pour les jeunes gens interrogés dans les années 1980 par A. et U. Helweg : le manque de préparation (pas de recherche d’emploi préalable au retour), l’inexpérience (jeunes diplômés) et le manque de contacts professionnels à Bangalore. Par ailleurs une période sans emploi de plus de quelques mois a rapidement été considérée comme suspecte, dans le contexte de croissance économique des années 1990. Ces parcours difficiles soulignent à l’inverse des « bonnes pratiques » du retour. Les échecs des années 1980-1990 ont permis de constituer un savoir-rentrer plus efficace et mis en œuvre par les returnees des années 2000 (cf. VI.B.2).

4. Entreprendre : pis-aller ou ressort du retour

Durant mon enquête de terrain j’ai rencontré un certain nombre de migrants dont le projet de retour s’articulait, ou s’est articulé à un moment depuis leur retour, avec un projet entrepreneurial. Comme nous l’avons déjà évoqué dans le point précédent, le recours à l’entreprenariat, créer sa propre entreprise, a pu constituer un re cours pour pérenniser le retour dans le cas de returnees éprouvant des difficultés de réinsertion professionnelle en Inde, ou servir à structurer un projet de retour. Il existe de nombreux travaux sur l’entreprenariat migrant (Light, 2000; Ma Mung, 1994 ; Peraldi, 2001). La question du passage à l’entreprenariat de la part de migrants très qualifiés comme ressource de la mobilité semble toutefois assez peu explorée, car ils n’ont a priori pas besoin de ce recours pour s’insérer dans les réseaux de l’économie mondialisée et de la circulation36. Il convient sur ce point d’insister sur le rôle des qualifications ou de la compétence pour opérer des distinctions au sein des « élites migrantes » entre salariés, professions libérales et entrepreneurs (Jaulin, 2004).

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J’ai mené en tout six entretiens avec des individus qui s’inscrivent dans cette démarche37 : deux d’entre eux étaient à la tête d’entreprises florissantes de plusieurs centaines de salariés, liées au secteur des NTIC. Les quatre autres étaient dans des situations moins claires que nous avons déjà évoquées et approfondirons ici.

Créer une entreprise suppose de pouvoir mobiliser un capital économique élevé, à partir de différentes sources : localement ou / et par des réseaux transnationaux, ou / et grâce au capital propre accumulé en migration. Par ailleurs entreprendre en Inde impose de subir les aléas d’un Licence raj38 qui n’a pas complètement disparu après 1991 et de se confronter aux subtilités du fonctionnement de l’économie indienne. Le cas présenté ci-dessous est à ce titre intéressant en dans la mesure où l’échec du projet entrepreneurial met en évidence les difficultés que rencontrait encore en 2003 un immigré aisé désireux de revenir faire des affaires en Inde :

Rita, la cinquantaine, a été interrogée quelques jours avant qu’elle ne quitte Bangalore pour

Singapour fin juillet 2004. Elle et son mari étaient rentrés en Inde un an et demi plus tôt. Il avait fait carrière dans une grande banque anglo-saxonne, et pris sa pré-retraite après une vie d’expatriation en Afrique et en Amérique du Nord. Tous deux sont citoyens canadiens depuis une dizaine d’années. Il souhaitait venir s’installer en Inde et s’occuper en y faisant des affaires, grâce au capital accumulé durant sa carrière [leur appartement et leur train de vie sont parmi les plus luxueux que j’ai vus à Bangalore en 2004] et à celui mobilisable grâce à ses relations transnationales au Canada. Mais la complexité des démarches, la rupture avec son associé indien dans un projet immobilier, et le caractère véreux sinon mafieux de ce secteur dans les grandes villes indiennes39 l’ont découragé. Sollicité au bout d’un peu moins d’un an par d’anciennes relations professionnelles, pour pourvoir à des fonctions importantes dans le secteur financier et bancaire en Malaisie, il a préféré abandonner ses projets à Bangalore et repartir. Rita espère

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Entretiens : Pradeep, Bangalore, 21/07/2004 ; Edgar, Bangalore, 09/11/2004 ; Prakash, Bangalore, 18/11/2004 ; Vivek, Bangalore, 08/11/2004 ; Kumar, Bangalore, 08/11/2004 ; Narayan, Bangalore, 11/08/2004. Nous excluons ici des entretiens menés avec des personnes qui sont rentrées en Inde pour être employées dans l’entreprise familiale.

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Le mot « raj » signifie pouvoir de contrôle, Etat en hindi. Cette expression évoque de manière humoristique le poids de la bureaucratie, notamment la nécessité d’obtenir des autorisations écrites (licence) multiples, qui pesait sur l’activité économique en Inde au moins jusqu’en 1991.

39 L’ampleur des pratiques illégales dans le secteur immobilier et dans celui des services à Bangalore, la corruption

de fonctionnaires et de responsables politiques, ainsi que la collusion entre administration, monde politique et promoteurs immobiliers, font l’objet d’une couverture médiatique au moins hebdomadaire, que ce soit dans la presse quotidienne ou dans les magazines nationaux. L’existence d’organisations criminelles organisées dans les villes indiennes, le rôle qu’elles jouent dans ces secteurs et les profits qu’elles en tirent, ont fait l’objet de travaux de recherche essentiellement à Mumbai pour le moment : Heuzé, 2000 Heuzé, 2007 ; Weinstein, 2008.

186 revenir « pour de bon » dans quelques années, une fois que son mari prendra effectivement sa retraite.40

Ici l’échec de la stratégie entrepreneuriale a mis fin au projet de retour, soulignant l’imbrication entre entreprenariat et migration.

Par ailleurs le développement d’entreprises transnationales a joué un rôle essentiel dans le développement mondial du secteur dit des hautes technologies, comme l’a montré Anna Lee Saxenian, Bangalore étant un des lieux où s’est manifesté ce phénomène (1999, 2006). Selon elle, le développement du secteur des hautes technologies aux États-Unis s’est appuyé sur la création d’entreprises qui sont transnationales dès leur création. Les entrepreneurs d’origine étrangère créent des sociétés implantées aux États-Unis, dans des lieux stratégiques du secteur tels que la Silicon Valley qui permettent d’accéder au capital-risque facilement et de maximiser les interactions stratégiques pour la pérennisation et la croissance de l’entreprise. En fait seules les fonctions tertiaires supérieures (activités commerciales, marketing) sont localisées aux États- Unis, les tâches de production sont elles effectuées dans le pays d’origine du ou des entrepreneurs, et le fonctionnement couplé est assuré par des relations à base ethnique. Saxenian a ainsi mis en évidence le rôle crucial qu’ont joué les liens transnationaux pour le développement des activités de haute technologie en Israël, à Taïwan, en République Populaire de Chine et en Inde (2006). C’est typiquement dans ce schéma que s’inscrit l’itinéraire migratoire et professionnel de Prakash :

Prakash, 46 ans, est né et a grandi à Bangalore. Après un premier cycle en ingénierie mécanique (B.E mechanic) à Visvesvarya College of Engineering (Bangalore University), il a poursuivi un second cycle en management (MBA) à l’Indian Institute of Management de Calcutta, une des meilleures écoles de commerce du pays. Il est entré sur le marché du travail indien en 1982 avant de partir aux États-Unis en 1988, où il resté jusqu’en 1998. Pendant huit ans il a travaillé pour différentes entreprises dans le domaine des services informatiques, dans des États du nord des États-Unis (Etat de Washington, Pittsbugh, Chicago). Mais en 1994 il avait créé avec ses frères une entreprise transnationale dans le domaine des semi-conducteurs (Span Systems) : la société- mère était basée aux États-Unis, mais assurait seulement la partie commerciale des opérations, gérée par Prakash et son épouse ; ses frères géraient quant à eux la filiale indienne où était localisée toute l’activité de conception et de production. En 1996 Prakash a quitté son emploi pour devenir à plein temps le PDG de Span Systems USA, avec un bureau dans la Silicon Valley. Il est