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Le retour : perspectives historiques et politiques

C. Les premiers pas de l’Inde vers ses migrants : du statut de Non Resident

1. La création du statut de NRI dans les années 1960-

La première forme de reconnaissance des migrants est d’ordre économique, biais qui subsiste jusqu’à nos jours. Il semble en effet que la première référence faite dans un texte légal aux migrants indiens soit, en 1961, 1’article 6 de l’Income Tax Act, qui pour des raisons fiscales distingue les « Resident Indians » et les « Non ordinarily residents ». Le terme de Non Resident Indian (NRI) apparaît pour de bon le 21 février 1970, dans le texte créant des comptes en banque dédiés aux migrants par la Reserve Bank of India (RBI). Il s’agit des comptes NRE (Non Resident

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Pour une analyse beaucoup plus détaillée et pointue de cette politique, voir Lall (2001) et Therwath (2007) ; je remercie Ingrid Therwath de m’avoir donné accès au manuscrit de sa thèse de doctorat avant sa publication.

External Account), comptes de dépôt en roupies sur lesquels seuls les citoyens indiens ne résidant pas ni ne travaillant en Inde peuvent faire des dépôts. Ces comptes bénéficient de taux d’intérêt attractifs, et les sommes déposées ainsi que les intérêts ne sont pas imposables. Cette initiative avait pour but de favoriser le rapatriement de fonds vers l’Inde par des voies bancaires légales, afin d’augmenter les réserves de devises de l’Inde dans le contexte de stagnation économique des années 1970. Il faut lire dans cette mesure un aménagement de la doctrine nationaliste par ailleurs dominante, ce que Sandhya Shukla propose d’interpréter comme un choix du moindre mal : « transformer les envois traditionnels d’argent à la famille, utilisés par la petite bourgeoisie ou la paysannerie, en une manne financière, était perçu comme une solution » dans le contexte autarcique des années 1970, où, face au manque d’investissements dans l’économie, recourir aux fonds générés par l’émigration fut jugé moins grave que de laisser entrer des investisseurs étrangers dans l’économie indienne (2005, p. 59)44. A la suite de cette première initiative, le statut de NRI est défini légalement trois ans plus tard, par le Foreign Exchange Regulations Act (FERA) (section 2, subsection 1) de 1973, qui établit, pour des raisons fiscales, ce que sont à la fois les NRI et les Persons of Indian Origin (PIO) (Lall, 2001, p.180-181).

Le terme NRI désigne un ressortissant indien détenteur d’un passeport indien qui a résidé et travaillé à l’étranger plus de 180 jours durant l’année fiscale écoulée ; il demeure un NRI même s’il se rend en Inde, tant qu’il n’y revient pas pour une durée indéterminée ni pour y exercer un emploi. C’est une définition bancaire et fiscale qui vise à savoir qui peut avoir accès aux dispositifs bancaires destinés aux migrants, et qui est imposable ou pas en Inde. Par exemple les étudiants indiens à l’étranger ne sont pas légalement considérés comme des NRI aussi longtemps qu’ils n’ont pas achevé leurs études et commencé à travailler en dehors d’Inde : la définition du NRI est donc d’emblée adossée au fait d’exercer une activité professionnelle et de percevoir une rémunération à l’étranger.

La définition du terme PIO s’inscrit dans la continuité de dispositions présentes dans la Constitution de 1950 (cf. encadré n°4.1). Il recouvre deux situations assez distinctes : soit une personne qui a été de nationalité indienne dans le passé, c’est-à-dire qui a pris une autre nationalité et a donc perdu la nationalité indienne, puisque celle-ci est exclusive ; soit une personne dont les parents ou au moins l’un des grands-parents vivait en Inde et/ou était de nationalité indienne, en 1947. Ceci recouvre aussi son conjoint, même si celui-ci n’a pas d’aïeul indien. Toutefois ce statut exclut les ressortissants de l’un des autres pays d’Asie du Sud, pour les

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« turning the traditional family remittance from currently petty bourgeois (peasant) investment into large-scale

190 mêmes raisons géopolitiques que celles qui ont dicté les articles 6, 7 et 9 de la Constitution (Pakistan, Bangladesh, Népal, Sri Lanka).

Encadré n°4.1 :

La citoyenneté indienne d’après la Constitution de 1950 et le Citizenship Act de 195545

La Constitution indienne est proclamée le 26 janvier 1950 ; y sont définis les droits et devoirs des citoyens indiens. La question de la citoyenneté y est traitée dans les articles 5 à 11 de la deuxième partie, mais c’est au Parlement élu que la Constitution, dans son article 11, confia la tâche de préciser les conditions d’accès et de perte de la citoyenneté indienne, sans qu’une modification de la Constitution soit requise pour autant. La Constitution fixe néanmoins quelques principes cadres en ce qui concerne les conditions d’accès à la citoyenneté indienne, qui sont fortement marqués par le contexte historique et géopolitique de la période qui suit immédiatement l’Indépendance et la Partition. Les articles 6 et 7 traitent ainsi de la citoyenneté des personnes qui sont parties ou arrivées du Pakistan (qui comprend alors ce qui deviendra en 1971 le Bangladesh). L’article 9 établit le principe d’une citoyenneté indienne exclusive de toute autre en référence à cette situation : en cas de naturalisation par un autre pays, un ressortissant indien perd immédiatement sa citoyenneté indienne ; c’est cet article qui est remis en cause par le débat sur la double- citoyenneté qui a émergé avec force au cours de la dernière décennie. Enfin les conditions d’accès à la citoyenneté sont établies : elles reposent à la fois sur le jus soli, établi dans l’article 5 de la Constitution (il faut être né ou résider depuis au moins cinq ans sur le territoire de l’Inde indépendante dans ses frontières de 1947), et sur le jus sanguinis, qui apparaît dans l’article 8, accordant la citoyenneté indienne à toute personne résidant hors d’Inde si un de ses parents ou grands-parents est né en Inde, sous couvert qu’il soit enregistré comme citoyen indien auprès des autorités consulaires de son pays de résidence. Cet article ouvre donc une porte à une partie des membres de la diaspora, en leur permettant d’obtenir la citoyenneté indienne.

Les droits politiques d’un citoyen indien apparaissent dans l’article 16 de la Constitution indienne : droit de vote, d’éligibilité, accès à la fonction publique, à l’armée.

L’article 12 de la Constitution confie au Parlement le droit de définir les conditions d’accès et de déni de la citoyenneté indienne. L’ensemble de ces dispositions sont donc reprises et précisées par le Citizenship

Act du 30 décembre 1955, qui constitue jusqu’à nos jours l’équivalent indien du code de la nationalité

français.

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Disponible en ligne dans sa version actuelle :