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La place majeure des métropoles d’Inde du sud dans la circulation

dynamiques urbaine, technopolitaine et migratoire

A. Un espace urbain du Sud marqué par une dynamique technopolitaine

3. La place majeure des métropoles d’Inde du sud dans la circulation

La place de Bangalore dans le secteur lui confère un rôle majeur dans ces processus de circulation ou de migration de la main-d’œuvre, mais il n’est pas forcément supérieur à celui des autres métropoles d’Inde du sud. Il y a en effet quatre pôles d’importance relativement équivalente, qui peuvent tous donc sans doute s’inscrire dans la terminologie proposée par Binod Khadria de « ville-porte d’entrée » ou « ville-sas » (gateway city), c’est-à-dire des villes d’où l’on émigre, à partir desquelles on circule et où on peut rentrer (Khadria, 2004a, p.5).

Empiriquement il nous a semblé intéressant d’essayer d’estimer la part de professionnels de ce secteur quittant l’Inde à partir de chaque pôle. Il est apparu pertinent de choisir ceux dont la destination était les États-Unis, puisque nous avons vu qu’ils représentent encore les deux tiers de l’activité du secteur à l’exportation. Le Bureau des affaires consulaires du Département d’Etat américain met à disposition du public un corpus annuel de données statistiques sur les visas

délivrés, par type de visa, par pays et par consulat au sein de chaque pays66. En Inde il y a quatre consulats généraux des États-Unis : Mumbai, Kolkata, Delhi et Chennai 67 ; ce dernier couvre les quatre États du sud de l’Inde, ce qui signifie que les demandes émanant de personnes employées à Chennai, Bangalore et Hyderabad sont confondues dans les données concernant ce consulat, ceci constituant une première limite interprétative.

Repérer ces professionnels est possible en fonction du type de visa délivré. Seconde limite à notre interprétation, il n’était pas possible d’obtenir des données désagrégées à la fois par consulat et type de visa, seulement par pays et type de visa68. A l’échelle consulaire les données sont fournies sous deux catégories, visa immigrant et visa non-immigrant (cf. III.B.2.a). Les données exploitées ici reposent sur la catégorie « visa non-immigrant » qui recouvre les visas les plus couramment utilisés par les migrants indiens qualifiés (H1-B, L1) et inclut les visas pour études (F, J)69.

Ces limites étant posées, le graphique n°2.5, construit à partir des données concernant les quatre consulats situés en Inde, permet de faire un certain nombre d’observations. Pour 1994 on observe que c’était à Mumbai qu’était délivré le plus grand nombre de visas non-immigrants, ce qui correspond à son statut de capitale économique et de porte traditionnelle sur l’étranger ; Delhi, avec moins de 30 % des visas, et Chennai avec 25 %, occupaient alors le second rang ; le consulat de Calcutta a joué un rôle marginal sur l’ensemble de la période. On observe ensuite une réduction progressive de la domination de Mumbai, qui est passée de 40 % des visas non- immigrants délivrés pour l’ensemble du pays à moins de 30 %. Dans le même temps Chennai est passé de 26 % à plus ou moins 40 % à partir de 2000, surpassant Delhi à partir de 1997, et Mumbai à partir de 1999. Delhi, après une phase de régression jusqu’en 2002-2003, connaît une nouvelle expansion, au détriment de Chennai et Mumbai, sans toutefois les rejoindre. Cela montre la montée des États du Sud pour les obtentions de visas non-immigrants, ce qui correspond à Chennai, Bangalore et Hyderabad, c’est-à-dire les trois villes qui sont les hauts lieux des sociétés de services informatiques et donc des plaques tournantes de la circulation des compétences.

66 U.S. Departement of State, Bureau of consular affairs, Report of the visa office, 2004 et 2006, table XIX.

Disponibles en ligne : http://travel.state.gov/visa/frvi/statistics/statistics_1476.html, consulté le 26 juillet 2007.

67 Un cinquième consulat devrait ouvrir en novembre 2008 à Hyderabad. 68 Ces données sont exploitées dans le chapitre suivant.

69 Cela recouvre aussi les visas d’infirmières (H1-C), ce qui pourrait ne pas être pas anodin dans cette partie de

l’Inde où est formée la grande majorité des infirmières indiennes. Toutefois il semble que ce visa ne soit dans les faits quasiment pas délivré en Inde ; les routes migratoires des infirmières s’apparentent plutôt à des sauts de puce d’une destination à l’autre, pour aboutir aux États-Unis (Percot, 2005).

112 Graphique n°2.5 : Répartition des visas non-immigrants délivrés

dans les quatre consulats généraux des États-Unis en Inde (1994-2004)70

0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% 80% 90% 100% 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 Kolkata Delhi Mumbai Chennai

(Source : Département d’Etat Américain, Bureau des affaires consulaires, statistiques sur les visas, tableau XIX : Nonimmigrant Visas Issued by Issuing Office, Fiscal Years 1998-2007. Disponible en ligne : http://travel.state.gov/pdf/FY06AnnualReportTableXIX.pdf, consulté le 10 janvier 2007)

Le même rapport du Bureau des affaires consulaires du Département d’Etat américain permet par ailleurs de resituer ces consulats dans une géographie mondiale des flux de personnes qualifiées à destination des États-Unis. Nous avons utilisé les données par consulats (tous pays) et établi un classement des consulats de par le monde en fonction du nombre de visas non-immigrants accordés par an (tableau n°2.3). Les limites temporelles retenues couvrent la période 1999-2004. 1999 est l’année où le consulat de Chennai à la fois dépasse celui de Mumbai en nombre de visas attribués et apparaît parmi les quinze consulats qui dans le monde ont distribué le plus de visas non-immigrants ; 2004 est la date de la plus grande partie de nos enquêtes. Nous avons reporté ces données ci-dessous, en mettant en italique le nom des consulats mexicains, omniprésents dans cette liste ; ils délivrent de manière structurelle des centaines de milliers de visas non- immigrants à l’échelle du pays, ce qui renvoie à la grande densité des échanges transnationaux entre ce pays et les États-Unis, qui est d’une nature différente des relations entre l’Inde et les États-Unis (Faret, 2003).

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Ce classement montre en premier lieu la domination des visas délivrés au Mexique, ainsi qu’en Corée du Sud, à Taïwan et en Colombie. Il permet d’observer l’apparition et la place croissante occupée par l’Inde parmi les pays fournissant aux États-Unis les compétences nécessaires au fonctionnement de son économie ; il faut d’ailleurs noter qu’elle s’impose d’ailleurs durant cette période devant les consulats de République Populaire de Chine71. A une échelle plus fine, il faut constater l’insertion graduelle du consulat de Chennai et de l’espace qu’il polarise, parmi les consulats délivrant le plus de visas non-immigrants pour les États-Unis à l’échelle internationale. Cette croissance est d’autant plus remarquable que le nombre total de visas non-immigrants délivré a diminué à partir de 2002, suite aux attentats du 11 septembre. Si l’on met à part les « relais » mexicains et celui que semble devenir Bogota, on remarque qu’en 2003 et 2004 quatre pôles sont situés en Asie orientale et méridionale : Séoul, Taipei, Manille et Chennai, Mumbai et Beijing se situant un peu plus bas dans le classement. Chennai à partir de 2000 et Mumbai de 2003 font partie de la petite dizaine de lieux majeurs d’accès aux États-Unis. La différence de statut entre Chennai et Mumbai reflète leur polarisation différenciée de pôles urbains majeurs. Cela jette un éclairage original sur le rapport de force entre la métropole économique du pays, seule ville potentiellement mondiale de l’Inde d’après F. Landy (2004), et les villes du sud du pays que polarise ici Chennai.

En nous appuyant également sur le graphique n°2.4, nous pouvons aller plus loin dans ces remarques, jusqu’à 2003. En effet on constate sur le graphique n°2.4 que Hyderabad et Chennai ont été largement distanciées par Bangalore dès 1997-1998, en termes de valeur exportée, or l’exportation de valeur est fortement liée à l’envoi à l’étranger de personnels « onsite ». Le rapport entre la valeur exportée depuis Bangalore et depuis Chennai est dès 1997 constamment supérieur à 1 à 2, et à partir de 1998 de 1 à 4 en ce qui concerne Hyderabad. On peut donc inférer que la croissance de la demande de visas au consulat méridional est dûe sur la période 1999-2003 pour la plus grande part à Bangalore, ce qui est un élément expliquant qu’elle supplante son concurrent immédiat le plus sérieux, la National Capital Region.

71 La République Populaire de Chine a cinq consulats américains délivrant des visas non-immigrants : Beijing,

Shanghai, Guangzhou, Chengdu et Shenyang, auquel on ajoutera celui de Hong Kong que distinguent les statistiques américaines.

114 Tableau n°2.3 : Classement des quinze consulats américains distribuant le plus grand

nombre de visas non-immigrants annuellement (1999-2004)

Source : ibid.

Bangalore s’affirme donc comme un des pôles majeurs organisant la circulation des compétences indiennes _ sinon leur migration, comme on le verra dans le chapitre suivant_ et de la relation économique États-Unis - Inde. La ville n’est pas la capitale des hautes technologies en Inde qu’elle aspire à être mais constitue cependant un pôle majeur d’un certain type de flux de richesses, d’hommes et de compétences qui participe de l’économie mondialisée contemporaine. Il semble que Hyderabad et Chennai aient connu depuis 2003-2004 une phase de rattrapage, ce qui rend donc nos remarques sur Bangalore potentiellement pertinentes aussi pour les autres villes de Classe I également engagées dans une dynamique technopolitaine.

Rang 1999 2000 2001 2002 2003 2004

1 Séoul Séoul Séoul Séoul Séoul Séoul

2 Ci. Juarez Ci. Juarez Ci. Juarez Monterrey Monterrey Mexico

3 Bogota Taipei Mexico Mexico Mexico Monterrey

4 Taipei Mexico Tijuana Ci. Juarez Bogota Taipei

5 Mexico Monterrey Monterrey Taipei Taipei Bogota

6 Monterrey Tijuana No. Laredo Bogota Guadalajara Guadalajara

7 Sao Paulo Bogota Taipei Manille Chennai Chennai

8 Tijuana Manille Matamoros Tijuana Ci. Juarez Londres

9 Londres Beijing Bogota Matamoros Manille Manille

10 Caracas Londres Guadalajara Hermosillo Londres Beijing

11 Manille Tel-Aviv Manille Guadalajara Tijuana Tokyo

12 Tel-Aviv Sao Paulo Nogales No. Laredo Hermosillo Hermosillo

13 Beijing Chennai Chennai Chennai Tel-Aviv Mumbai

14 Rio de J. Guadalajara Londres Beijing Mumbai Tel-Aviv

Conclusion

Bangalore constitue notre poste d’observation d’un phénomène migratoire original au Sud, articulé à une forte spécialisation professionnelle. A ce titre il était nécessaire de présenter ce terrain qui est aussi visiblement une « porte d’entrée » vers les réseaux de l’économie mondialisée en essayant d’en analyser de front les spécificités spatiales et économiques. Nous avons cherché à le faire dans un premier temps par une approche des évolutions de l’urbanisme en relation avec les dynamiques économiques locales, puis en interrogeant le rôle de la dynamique technopolitaine et de ses acteurs dans les choix politiques et urbanistiques récents. Il convient de souligner à nouveau l’originalité des processus à l’œuvre dans un contexte de ville au Sud.

Nous nous sommes efforcés d’appréhender le phénomène technopolitain en cours dans la métropole en la resituant aux différentes échelles de son insertion en Inde, celle de l’Etat du Karnataka et celle du pays. Cela nous a permis de mettre en évidence le rôle joué par l’échelon décisionnel de l’Etat du Karnataka dans la création de conditions favorables au développement d’activités à haute valeur ajoutée. Par ailleurs l’approche nationale sectorielle a mis en évidence une dynamique nationale métropolitaine ; ainsi, bien que j’ai privilégié une approche monosite, mes résultats peuvent être sinon généralisés - car nous venons de voir que les contextes régionaux par exemple pouvaient différer - du moins être considérés comme indicatifs de tendances à l’œuvre à plus petite échelle, dans d’autres lieux.

Enfin l’exposition des modalités de développement du secteur des services informatiques en Inde a mis en évidence l’importance de la circulation de la main-d’œuvre et de l’échelle internationale pour celui-ci.

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Chapitre 3