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Chapitre 5 : Liens et ruptures entre socialisation familiale et universitaire

5.1 Socialisation politique : de l’instance familiale à l’instance universitaire

5.1.1 Différentes trajectoires intrafamiliales

Comme cela avait été suggéré dans le cadre du troisième chapitre, notre enquête nous amène à considérer principalement deux grands types de socialisation politique familiale, que nous pouvons néanmoins nuancer en diverses sous-catégories. Ainsi, nous pouvons schématiquement parler de socialisation se faisant « avec » ou « contre » la famille. En effet, nous avons pu précédemment constater que certains étudiant(e)s s’inscrivaient ou non dans la même lignée que leurs parents, que ceci soit en termes d’intérêt ou d’orientations politiques.

Tout d’abord, le positionnement « contre » la sphère familiale semble pouvoir être appréhendé sous l’angle de l’intérêt politique, lorsque l’on se réfère aux entrevues réalisées. Ainsi, nous avions déjà mentionné le cas de Christine, étudiante de 33 ans en sociologie, qui expliquait avoir réalisé sa construction politique et avoir forgé son intérêt en la matière en « contre-exemple » de son milieu familial, qu’elle juge alors peu intéressé et compétent en la matière. Aussi, sa volonté d’apprendre, de se renseigner semble pouvoir être considéré comme une socialisation de « distanciation » du milieu familial. Ceci nous renvoie aux travaux de Sébastien Michon nous parlant de « promotion politique » et de « promotion culturelle » acquise grâce au milieu scolaire, ce dernier engendrant inévitablement une prise de distance avec le milieu d’origine [2006 : 96]. Néanmoins, il est à noter qu’elle décrit ce processus en expliquant qu’elle souhaitait cette prise de distance, mais qu’elle ne l’a pas réalisée en étant « fâchée » pour autant avec son milieu familial.

Dans la même lignée, Philippe, étudiant en science politique de 30 ans, issu d’un milieu familial qu’il définit comme relativement « pauvre » en terme de capital culturel et de connaissances politiques décrit tout comme Christine une certaine prise de distance avec

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son milieu familial et plus généralement la ville dans laquelle il a grandi, tout en insistant sur le fait qu’il les comprend, qu’il se sent tout de même proche d’eux :

Mais, culturellement c’est sûr que je vois une différence entre moi et ces gens-là. Mais pas du point de vue…Parce que je pense qu’il y a plusieurs façons de le voir. Pis souvent, c’est pour ça que j’adore discuter avec eux, parce que je sens que j’apporte des pistes de réflexions qu’il y aurait pas eu autrement, etc. C’est…Je te dirais que oui je vois davantage une différenciation, qu’une ascension culturelle. Pis je le vois comme un outil qui peut aider justement ces gens-là qui ont pas eu la chance d’avoir les outils que moi j’ai finalement.

L’université marque alors pour ces deux étudiant(e)s l’accès à une « ouverture d’esprit », à un milieu de « connaissances » à laquelle ils n’ont pas pu avoir accès dans leur milieu d’origine.

Si dans ces cas, les deux étudiant(e)s marquent une distanciation avec leur milieu familial, ils restent « proches » de ce dernier, la prise de distance ne s’avère pas être conflictuelle. A l’inverse, d’autres, comme Geneviève, étudiante de 20 ans en relations industrielles, ayant grandi principalement avec son père dans une famille dont les parents étaient séparés, semblent avoir une relation quelque peu conflictuelle avec sa mère qui a pu conditionner la construction de son identité politique. Se définissant comme de « gauche, mais quand même très modérée », elle exprime une opinion très critique vis-à- vis des personnes profitant du bien-être social en refusant de travailler. En posant par la suite des questions sur son milieu familial, nous parvenons à faire un lien avec son histoire personnelle. La mère d’Geneviève vit de l’aide sociale, ce que sa fille voit de manière très négative du fait qu’elle considère sa mère comme apte au travail :

Est-ce que tu penses que ça a pu avoir une influence sur ce que tu penses (au sujet des personnes vivant sur le bien-être social) ?

C’est sûr, c’est sûr que ça a eu une influence [avec un ton très affirmé]. Quand j’étais jeune, j’étais pas d’accord avec son mode de vie, elle avait des avantages que certaines personnes travaillant au salaire minimum avaient pas. […] Je trouvais ça injuste pour les gens qui travaillaient, puis en vieillissant j’ai pu faire le parallèle avec les gens qui travaillaient au salaire minimum pis voir que ça avait pas de bon sang [elle rit], que ce soit eux qui travaillent et aient pas ces avantages-là. Donc oui c’est sûr que ça a eu une influence le fait que je voie que ma mère ne travaille pas, que pour cette option-là qui faisait que quand j’étais plus jeune j’étais plus de droite.

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Ainsi, nous constatons ici deux types de socialisations se faisant « contre » la sphère familiale, l’une se définissant en termes d’intérêt politique et l’autre en termes d’orientation politique. Si Christine se dit issue d’une famille aux ressources modestes (tant d’un point de vue économique que culturelle), Philippe et Geneviève décrivent un milieu familial aux ressources économiques correctes. Geneviève, qui a été élevée par son père décrit ce dernier comme relevant de la classe moyenne élevée, ce dernier étant passé du statut de plombier à celui d’enseignant en plomberie et réalisant un salaire annuel de plus 70 000 dollars. Cependant, elle explique que sa mère peut être considérée comme « pauvre », et relevant de la « culture populaire » puisque vivant du bien-être social et qui ne semble donc pas avoir été sans influence dans la construction de l’identité politique de la jeune fille. De son côté Philippe explique que comparativement au milieu dans lequel il a grandi (Forestville sur la Côte-Nord), ses parents réalisaient des salaires corrects bien que devant travailler énormément pour y arriver (cumul d’emplois pour la mère). La construction « contre » semble donc plutôt se dérouler dans des milieux familiaux où capitaux économique et culturel sont plus modestes.

Les autres enquêtés relèveraient donc de ce que l’on pourrait appeler une socialisation s’inscrivant dans la lignée de celle relevant du cadre familial. Ce sont ces étudiant(e)s qui eux-mêmes sont issus de milieux jugés comme politisés et qui évoquent des « valeurs politiques » semblables à celles de leurs parents. Ce type d’étudiant(e)s, que l’on se situe tant au niveau du questionnaire que des entretiens est majoritaire.

5.1.2 Socialisation universitaire et critiques de la socialisation familiale