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Chapitre 3 : Socialisation politique et héritage familial

3.3 Limites de la socialisation familiale

Comme nous l’avions avancé au début de ce chapitre, bien que l’instance familiale ait un rôle établi en matière de socialisation politique, sa capacité d’influence varie selon différentes caractéristiques. Ainsi, la position sociale ou encore la légitimité, la place qu’occupe la politique au sein de l’instance familiale ont pu être mises en avant et présentées comme des facteurs qui selon leur niveau, détenaient une capacité socialisatrice plus ou moins grande. Cependant, ces facteurs semblent également avoir présenté des limites explicatives quant au processus de socialisation de certains de les étudiant(e)s. Nous avons pu par exemple constater que la position sociale ne permettait pas toujours d’expliquer le niveau d’intérêt pour la politique des étudiant(e)s. En effet, certains d’entre eux sont issus de milieux peu dotés en capitaux culturel et économique et présentent un intérêt marqué pour la politique. Par ailleurs, bien que nous ayons pu constater la corrélation entre le niveau de politisation des parents et celui de leurs enfants, ainsi que la prégnance de certaines sensibilités politiques d’une génération à l’autre, nous avons également pu voir que si cette corrélation s’avère être réelle, elle n’est pas systématique. Ainsi, certains étudiant(e)s issus de familles peu politisées, ont un intérêt marqué pour la politique. C’est le cas notamment de Christine, une étudiante de 33 ans en

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sociologie, issue d’une famille aux revenus modestes et qu’elle décrit comme peu intéressée par la politique et dont les ressources culturelles sont à son sens peu importantes :

Mais je pense que mon intérêt justement pour la politique c’est… T’sais, on dit que la socialisation elle se fait dans le milieu familial par rapport à ça. Bah moi on va dire que oui, parce qu’elle s’est fait peut-être en contre-exemple. T’sais, vraiment, j’ai toujours valorisé ce qui était intellectuel. J’ai voulu me distancer profondément de ce milieu-là.

C’est parce que tu sentais un manque de ..?

Ouais, absolument. Beh en fait c’est la fermeture d’esprit à tout ce qui est… T’sais le type de discours qu’on entend sur la politique … […]

Mais donc ouais c’est ça. Je me suis formée comme en contre-exemple de mon milieu, mais sans être fâchée

Les entretiens nous ont également permis d’observer le cas de certains étudiant(e)s ayant des opinions clairement contraires à celles de leurs parents, notamment en matière d’enseignement supérieur (question de la hausse des frais de scolarité).

Ainsi, mous mentionnons précédemment le fait que les travaux sur la socialisation politique ont progressivement mentionné l’existence d’autres instances ou facteurs de socialisation agissants lors de l’enfance des individus. Ces derniers pourraient nous permettre de mieux comprendre le processus de socialisation primaire de certains de nos enquêtés. Mais notre recherche ne nous a pas permis d’approfondir ce point par manque de temps et de moyens. Nous avons cependant pu constater l’influence de certains éléments externes et parallèles à la sphère familiale dans la construction de l’identité politique des enquêtés. Ainsi, Simon, qui est d’origine française, fait mention de l’influence de la région dans laquelle ils ont grandi et de ses habitants lorsqu’il s’exprime sur la formation et l’évolution de ses opinions politiques. En décrivant le cercle familial comme une « base » de sa construction politique, il l’élargit finalement à son milieu rural d’origine :

Je viens de la campagne, la campagne agricole, donc qui est plutôt ancrée à droite. Ce qui est je pense plutôt courant pour les grandes exploitations agricoles. L’est de la France c’est très connoté à droite aussi, donc ça a du sens.

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L’influence de l’école est aussi mentionnée. Ainsi, Simon de nouveau mentionne- t-il le rôle de certains de ses professeurs, extérieurs au milieu rural dans lequel il évoluait et aux représentations totalement différentes de celles de son entourage. Il voit ici, un premier contact avec « l’extérieur » qui a pu aider à la naissance de son intérêt pour la politique et teinter ses représentations d’adolescent :

Je suis passé de ce cercle-là avec mon primaire et collège vraiment toujours à la campagne dans des établissements privé catholiques, donc avec aussi une certaine idéologie. Et je suis parti faire mon lycée finalement dans cet établissement public en ville. En étant complètement détaché d’où je viens, parce que je viens d’un bled paumé. Tu pars à 6h le matin et tu reviens à 19h le soir et donc oui, toute la journée, tu baignes dans quelque chose de complètement différent. J’étais dans un lycée on peut dire populaire. Peut-être le fait que je sois plus exposé à plus de diversité que dans mon milieu initial a beaucoup influencé ça. Sinon, le prof de philosophie a probablement beaucoup joué là-dedans. Je pense j’ai eu un prof de philosophie pas académique, pas structuré, à t’enseigner juste en disant les écoles de pensée c’est ça, en te décrivant les caractéristiques. C’était beaucoup plus ouvert à l’échange. Je pense que ça a beaucoup joué. […] En fait ce sont vraiment les profs les plus accessibles, les moins structurés, les moins académiques qui ont une ouverture au dialogue. Et je pense que ça a beaucoup joué. Parce que finalement, je viens d’un petit village, j’étais dans de petits établissements, cercle familial restreint, pas beaucoup de diversité, même sociale. Ou d’origines. C’est vraiment négatif ce que je dis, c’est vraiment la France consanguine [on rit]. Quand tu as trois noms de famille dans le village et que l’arbre généalogique il ressemble pas à un arbre mais … [rires].

Enfin, nous voulions souligner de nouveau le fait que l’individu n’est pas passif durant le processus de socialisation politique. Ce dernier élément devant nous permettre là encore de tenter de comprendre les limites de l’héritage familial en matière de socialisation politique. Dans le cadre de notre recherche, nous pourrions tenter l’hypothèse de l’action du sujet socialisé (l’étudiant) cherchant à se politiser malgré un milieu familial a priori non propice.

Nous avons cherché à mettre en avant la capacité d’influence du cercle familial sur la politisation des étudiant(e)s, aussi bien en termes d’intérêt que d’idées politiques, à travers différentes caractéristiques intrafamiliales : capital économique, culturel, niveau de politisation des parents etc. Nous nous sommes également penchée sur les limites de cette influence, en rappelant donc justement qu’elle était condition de caractéristiques

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intrafamiliales, mais aussi en rappelant l’influence d’agents parallèles et externes au cercle, qui peuvent renforcer ou non cette socialisation. Nous souhaitons maintenant nous concentrer sur l’agent socialisateur présumé que constituerait le monde des études supérieures.

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Chapitre 4 : Socialisation politique et poursuite d’études