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Socialisation universitaire et critiques de la socialisation familiale Néanmoins, que l’on se place du côté des étudiant(e)s « contre » ou des

Chapitre 5 : Liens et ruptures entre socialisation familiale et universitaire

5.1 Socialisation politique : de l’instance familiale à l’instance universitaire

5.1.2 Socialisation universitaire et critiques de la socialisation familiale Néanmoins, que l’on se place du côté des étudiant(e)s « contre » ou des

étudiant(e)s « pour » le contexte familial, le passage par l’université n’est pas sans conséquence sur la construction et l’évolution de la formation et transformation de leur représentations politiques ou même de leur simple intérêt pour la politique.

Ainsi, il semble que la réalisation d’études universitaires soit marquée pour l’ensemble de les étudiant(e)s par une distanciation idéologique vis-à-vis du milieu familial, autant en terme d’intérêt, que de représentations politique, ceci passant principalement par l’idée d’une « compétence politique » accrue [Bonnal et Boy, 1978].

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Les entrevues viennent approfondir cette idée, plus particulièrement lorsque les étudiant(e)s sont issus de milieux peu politisés. Plusieurs d’entre eux mettent clairement en avant l’idée que l’université est venue leur apporter des connaissances qui les rendent plus à même selon eux d’émettre des jugements sur des questions sociopolitiques par rapport à leurs parents, questions qui touchent notamment la réflexion sur l’université. La formation universitaire, le diplôme, les autorise et leur permet selon eux, de tenir des raisonnements plus poussés, d’avoir une opinion plus raisonnée, objective et intellectualisée.

Ce constat ne se limite pas aux enquêtés issus de milieux moins politisés, bien que pour les étudiant(e)s issus de milieux aux ressources économiques et culturelles plus importantes, la prise de distance semble tout de même moins marquée. Au-delà de cette compétence jugée par certains comme « supérieure », les étudiant(e)s mentionnent de fait les « limites » de leurs parents de manière relativement explicite en matière de connaissances ou de réflexions politiques, que l’on se situe là encore dans des milieux plus populaires ou plus aisés. C’est le cas par exemple d’Émilie, ancienne étudiante au baccalauréat intégré en affaires publiques et relations internationales, maintenant inscrite à la maîtrise en affaires publiques à l’ENAP. Cette dernière a été élevée principalement par sa mère, de laquelle elle se dit extrêmement proche. Cette dernière est secrétaire, elle explique qu’elle la jugeait politisée en étant plus jeune, car discutant régulièrement de politique avec elle et du fait qu’elle ait travaillée pour le Parti Québécois : « Je croyais que ma mère était beaucoup politisée mais j’en apprends beaucoup plus… […] ». Pierre, étudiant de 29 ans à la maîtrise en affaires publiques, issu d’une famille qu’il juge relever de la classe moyenne supérieure avec un père médecin et une mère infirmière explique que ses deux parents ont été très engagés politiquement au Parti Québécois et que lui- même s’étant engagé au sein du parti s’était retrouvé avec « l’estampille » de l’idéologie parentale sur le front en amorçant sa carrière militante. Pourtant, bien qu’ayant intégré le même parti politique que ses parents, il s’estime différent d’eux dans son souverainisme et attribue cette évolution de sa réflexion en partie à son « cadre d’études » ayant permis de se forger un « esprit critique » et donc en soi une compétence supérieure :

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Est-ce que du coup dans vos pratiques culturelles, est-ce que vous vous sentez éloigné de vos parents ou proche, de manière globale ?

Très proche oui. Très proche. Je dirais, malgré le fait que j’ai appris tranquillement à développer mon esprit critique, puis à remettre en question beaucoup de choses, pis à la blague je traite souvent mes parents de souverainistes émotifs, de la première heure. Je leur dis : faut voir ça rationnellement si on veut que les jeunes Québécois gobent, en bon québécois, la bonne potion. Faut leur envoyer des arguments qui sont économiques, qui ont un caractère de libération économique, plutôt que les arguments en rapport avec la langue. […] Oui je dirais que je suis assez similaire, en tant qu’idées. Les mêmes idées que je prône en dehors du fait qu’eux, ce soit plus la langue, et moi …

Et vous avez l’impression d’un point de vue sociopolitique, vous avez l’impression d’avoir peut-être plus réfléchi ? Que ce soit plus abouti ?

Ouais peut-être plus abouti, on peut dire ça. Parce que sinon, ce sont des gens qui sont très réfléchis. […] Peut-être oui. On peut dire ça comme ça. A cause, probablement, je le justifierai par mon cadre d’étude aussi.

Pierre semble ainsi appartenir à cette nouvelle génération de souverainistes décrites par plusieurs auteurs, notamment par Alain Dubuc, expliquant que les jeunes sont sortis de l’antagonisme entre francophones et anglophones, que leur souverainisme ne se retrouve plus dans l’histoire, mais bien « dans un environnement politique qui les a amenés à voir le Québec comme un pays », ici pour Pierre selon passant par le fait de voir le Québec indépendant du fait de besoins économiques et sociaux et non plus linguistiques [Dubuc et Choquet, 2005 : 203].

Les étudiant(e)s critiquent donc les compétences de leurs parents que ceci soit en termes de connaissances ou de réflexion politique. Ils notent les « limites » de leurs parents. Ainsi, Anne-Marie, dont les parents sont respectivement représentant en ventes pour le père et ancienne professionnelle retraitée de la fonction publique pour la mère (salaires annuels entre 60 000 et 80 000 dollars), estime avoir les mêmes valeurs « socio- démocrates » que ces derniers, mais explique qu’elle ne comprend pas forcément leurs prises de position qu’elle qualifie de non logiques :

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C’est ça, exact. Mais…T’sais c’est ça, je discute régulièrement avec mes parents de politique. Mes parents, y’ont des positions que je trouve parfois un peu étranges. C’est un peu une dissonance cognitive. […]

L’étudiante ici citée utilise ici un terme issu de la psychologie sociale pour « critiquer » ici les positionnements politiques de son entourage familial. Il y a donc ici une réutilisation du vocabulaire probablement assimilé par les enseignements universitaires reçus. Enfin, on peut mentionner que plusieurs étudiant(e)s rencontrés expliquent qu’ils cherchent à apporter des connaissances à leurs parents là où ils estiment qu’ils ont une compétence limitée. Certains mentionnent aussi la volonté qu’ils ont à les pousser à se questionner, à réfléchir et donc finalement à les orienter sur certains sujets. Nous pouvons mentionner par exemple le cas de Anne-Marie qui a fait en sorte que ses parents changent leurs lectures journalistiques car elle jugeait que ces dernières n’étaient pas de qualité, notamment quant aux informations et aux prises de position sur le mouvement étudiant de 2012 :

Ouais c’est ça, t’as l’air quand même d’avoir des parents intéressés par la chose. Tu dis qu’ils écoutent beaucoup les nouvelles, que ton père lit Le Devoir…

En fait Le Devoir, ça c’est moi qui l’a forcé [elle rit] à l’acheter car avant il achetait le journal de Québec. Pis j’étais comme… T’sais pendant le printemps étudiant entre autre, je voyais des couvertures de journal, je disais : « Voyons, ça a pas de bon sang. Comment tu fais pour lire ça ? » Il me répondait : « Bah c’est des nouvelles ». Pis là j’ai fait : « Non, non, non, les médias sont biaisés, là les médias ont une couverture médiatique qui est biaisée ». Mon père était pas nécessairement conscient de ça, fait que c’est à partir de ce moment-là que j’ai fait [elle rit] : « Là, là moi j’aimerais ça qu’on ait Le Devoir à la maison ».

Après Le Devoir, on pourrait te répondre que c’est orienté aussi.

Effectivement, en même temps je veux dire mes parents, t’sais y’était de notre bord durant la crise étudiante.

Okay, tu t’es dit ça correspond plus à leurs valeurs. Oui c’est ça, exactement.

Dans la même lignée, Émilie explique discuter beaucoup avec sa mère avec l’optique de lui apprendre des choses : Quand on écoute les nouvelles, pis je lui explique : Ha, Ha, je

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savais pas … » Politique internationale beaucoup. Fait que je cause plus, je lui explique, elle est vraiment intéressée ».