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De la socialisation politique familiale à la socialisation universitaire : étude d'un processus continu auprès d'étudiants et d'étudiantes à l'Université Laval

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Texte intégral

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De la socialisation politique familiale à la socialisation

universitaire : étude d'un processus continu auprès

d'étudiants et d'étudiantes à l'Université Laval

Mémoire

Marie Hautval

Maîtrise en science politique

Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

© Marie Hautval, 2016

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De la socialisation politique familiale à la socialisation

universitaire : étude d'un processus continu auprès

d'étudiants et d'étudiantes à l'Université Laval

Mémoire

Marie Hautval

Sous la direction de :

Pauline Côté, directrice de recherche

Émilie Biland-Curinier, codirectrice de recherche

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Résumé

Ce mémoire propose de considérer les effets du passage par l’institution universitaire sur la politisation des étudiant(e)s. La socialisation politique étant un processus continu au sein duquel de multiples agents interviennent, la capacité d’action de facteurs et d’instances parallèles et antérieurs à la poursuite d’études universitaires est également interrogée. Le poids de la socialisation familiale ainsi que ses liens et ses points de rupture avec la socialisation universitaire ont été tout particulièrement soulignés. Aussi, le présent mémoire a porté une attention particulière à la capacité d’action de l’université et de ses composantes (professeurs, enseignements, pairs, etc.) sur la formation et la transformation de représentations politiques précises, celles touchant directement au domaine de l’enseignement supérieur. Coût des études universitaires, financement de l’institution, gestion des campus, autant de thématiques renvoyant à un questionnement plus global sur l’accès aux études supérieures, mais également sur le rôle de l’institution universitaire au sein de la société. Afin de répondre à ces questions, une enquête faisant usage de questionnaires a dans un premier temps été menée auprès d’étudiant(e)s de l’Université Laval relevant des facultés des sciences de l’administration et des sciences sociales, puis des entretiens avec certains répondants ont été réalisés. Les étudiant(e)s ont ainsi pu fournir des renseignements sur leur milieu familial, leur rapport aux études, leur situation socioéconomique, leurs pratiques socioculturelles ou encore leur opinions politiques, notamment en matière

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Table des matières

Résumé iii

Table des matières iv

Liste des tableaux viii

Remerciements ix

Introduction 1

Chapitre 1 : Ce que l’on sait de la socialisation politique, par la position sociale, la

famille et les études 6

1.1 L’influence des caractéristiques sociales et de l’instance familiale dans le

processus de socialisation politique 6

1.2 Les effets de l’éducation en matière de socialisation politique : de l’école

primaire et secondaire, aux études supérieures 9

1.3 Jeunesse étudiante et socialisation politique 12

1.4 Principaux concepts 17

1.4.1 La socialisation politique : un processus continu 17

1.4.2 Le contexte d’études et ses composantes 18

1.4.3 Les représentations de l’enseignement supérieur 26

1.5 Problématique et question(s) de recherche 28

Chapitre 2 : Une double enquête auprès d’étudiant(e)s de deux facultés 29

2.1 La sélection des cas 29

2.2 Les indicateurs 31

2.3 Une méthodologie mixte 33

2.4 Processus de recrutement 37

2.5 Les répondants 40

Chapitre 3 : Socialisation politique et héritage familial 47

3.1 Des étudiant(e)s issus de familles « privilégiées » 48

3.1.1 Des revenus familiaux élevés 49

3.1.2 Des parents diplômés 49

3.1.3 Des parents relevant des classes moyennes supérieures 50

3.2 Intérêt et orientations politiques : ce qui se joue dans l’espace familial 52

3.2.1 Intérêt politique et position sociale héritée 52

3.2.2 Orientations politiques et position sociale héritée 54

3.2.3 La politisation familiale 55

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Chapitre 4 : Socialisation politique et poursuite d’études supérieures 65

4.1 Le Cégep 67

4.1.1 Histoire d’une institution récente et originale 67

4.1.2 Études collégiales : profils des enquêtés 67

4.1.3 Le Cégep comme première politisation ? 70

4.1.4 L’action de différents facteurs au Cégep 71

4.1.5 Les limites 74

4.2 L’université 76

4.2.1 L’université comme deuxième temps de la socialisation politique étudiante 77

4.2.2 Socialisations différenciées selon la faculté 79

4.2.2.1 Les professeurs 80

4.2.2.2 Les enseignements 83

4.2.2.3 Les pairs 87

4.2.2.4 L’engagement associatif 91

4.2.3 Socialisations et situations socioéconomique 92

Chapitre 5 : Liens et ruptures entre socialisation familiale et universitaire 96

5.1 Socialisation politique : de l’instance familiale à l’instance universitaire 97

5.1.1 Différentes trajectoires intrafamiliales 97

5.1.2 Socialisation universitaire et critiques de la socialisation familiale 99

5.1.3 Effets propres de la socialisation universitaire 103

5.2 Trajectoires individuelles et socialisation politique 108

5.2.1 Portraits généraux 109 5.2.2 Contexte familial 109 5.2.3 L’expérience du Cégep 111 5.2.4 L’expérience universitaire 112 5.2.5 Expérience politique 114 5.2.6 L’expérience professionnelle 115 Conclusion 117 Bibliographie 121

Annexe 1 : Questionnaire de recherche 131

Annexe 2 : Guide pout les entretiens semi-dirigés 149

Annexe 3 : Calendrier du terrain de recherche 153

Annexe 4 : Courriel de recrutement pour l’enquête par questionnaire diffusé sur les

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vi

Annexe 5 : Courriel envoyé aux professeurs en vue de solliciter la participation de

leurs étudiant(e)s en accédant à leur classe 157

Annexe 6 : Courriel de recrutement auprès des associations étudiantes 159

Annexe 7 : Courriel de recrutement pour les entretiens 161

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Liste des acronymes

AEC : Attestation d’études collégiales

AESS : Association des étudiant(e)s en sciences sociales AG : Assemblée générale

ASSÉ : Association pour une solidarité syndicale et étudiante

BIAPRI : Baccalauréat intégré en affaires publiques et relations internationales CEGEP : Collège d’enseignement général et professionnel

DEC : Diplôme d’études collégiales DEP : Diplôme d’études professionnelles

ENAP : École nationale d’administration publique FSA : Faculté des sciences de l’administration FSS : Faculté des sciences sociale

MBA : Master in business administration UDEM : Université de Montréal

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Liste des tableaux

Tableau 1. Répartition des étudiant(e)s des deux facultés selon leur niveau d’intérêt pour la politique ... 41 Tableau 2. Répartition des étudiant(e)s des deux facultés selon leur fréquence de vote aux élections provinciales ... 42 Tableau 3. Répartition des étudiant(e)s selon leur fréquence de suivi de l’actualité ... 42 Tableau 4. Répartition des étudiant(e)s des deux facultés selon leur positionnement politique sur un axe « gauche/droite » ... 43 Tableau 5.Répartition des étudiant(e)s des deux facultés selon leur position sur la

question de la gratuité scolaire ... 43 Tableau 6. Répartition des étudiant(e)s des deux facultés selon leur avis quant au montant des frais de scolarité actuels ... 44 Tableau 7. Répartition des étudiant(e)s des deux facultés selon leur avis quant au fait de considérer l’université comme une entreprise ... 44 Tableau 8. Répartition des étudiant(e)s des deux facultés selon leur avis sur la

composition du Comité exécutif de l’Udem ... 45 Tableau 9. Répartition des étudiant(e)s selon les revenus annuels du père et de la mère 49 Tableau 10. Répartition des enquêtés selon les diplômes de leurs parents ... 50 Tableau 11. Répartition des étudiant(e)s selon la catégorie professionnelle de leurs

parents ... 51 Tableau 12. Intérêt politique des étudiant(e)s selon le niveau de revenus du père ... 53 Tableau 13. Intérêt politique des étudiant(e)s selon le niveau de revenus de la mère ... 53 Tableau 14. Répartition des étudiant(e)s selon la fréquence à laquelle leurs parents

s’informent (radio, TV, presse) ... 56 Tableau 15. Répartition des étudiant(e)s selon les fréquences de vote de leurs parents .. 57 Tableau 16. Répartition des étudiant(e)s selon la fréquence de propos politiques de la part des parents ... 58 Tableau 17. Répartition des étudiant(e)s selon la fréquence des discussions politiques avec leurs parents ... 58 Tableau 18. Intérêt politique des étudiant(e)s selon la fréquence des discussions avec le père ... 59 Tableau 19. Répartition des étudiant(e)s selon leur cursus collégial ... 69 Tableau 20. Répartition des étudiant(e)s des deux facultés selon le niveau d’intérêt envers leurs études... 84 Tableau 21. Répartition des étudiant(e)s selon leur faculté et la fréquence de leurs

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Remerciements

Mes remerciements vont en premier lieu à ma directrice de recherche, Madame Émilie Biland-Curinier, pour le temps qu’elle m’a octroyé, l’oreille attentive qu’elle a su prêter et la patience dont elle a usée à mon égard. Je la remercie également pour sa rigueur intellectuelle, qui a su me rassurer et m’encadrer tout au long de ma rédaction.

Je tiens ensuite à remercier ma mère, qui a su m’épauler durant ces derniers mois, autant par sa relecture que par son écoute lors des moments plus difficiles moralement dans la réalisation de ce projet.

J’aimerais également remercier Francis, qui a subi de nombreux exposés oraux sur différentes sections de ce mémoire, sans jamais se plaindre et ce, même si cela lui semblait bien loin de son propre univers. Je le remercie également plus globalement pour son soutien sans faille.

Je remercie ensuite mes ami(e)s, universitaires ou non, elles et ils ont su avoir des mots d’encouragement ou de réconfort lorsque j’en avais besoin. Je ne cite pas de noms, la liste est longue et toutes et tous se reconnaîtront.

Enfin, je tiens à remercier toutes ces personnes qui m’ont fait part de leur intérêt pour mon sujet, que ce soit celles ayant directement participé à cette étude ou non. Me signifier votre intérêt a été source de motivation et d’inspiration.

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Introduction

Ce mémoire trouve son origine dans une expérience personnelle. Après bientôt sept années passées à étudier la science politique à l’université, je1 constate combien mon

rapport à la politique s’est transformé, cette évolution se manifestant tant au niveau des problématiques retenant mon attention, qu’en terme d’opinions ou encore de sentiment d’aptitude à m’exprimer sur certains sujets. Cette trajectoire personnelle m’a poussée à m’interroger sur la dimension formatrice et transformatrice des études universitaires sur le(s) rapport(s) des jeunes adultes à la vie politique.

Bien que me considérant comme issue d’une famille française politisée, avec des parents parlant (et me parlant) de politique de manière construite et poussée, ma politisation ne m’est jamais apparue aussi fluctuante que depuis que je poursuis des études supérieures. Ayant réalisé mon cursus académique au sein de trois campus universitaires, eux-mêmes se trouvant dans trois pays différents (la France, la Belgique et le Québec), j’ai été confrontée à des organisations universitaires diverses sur maints aspects. Les méthodes d’enseignement, le rapport entre professeurs et étudiant(e)s, la dynamique de la vie associative, la gestion des campus etc., présentaient des visages extrêmement variés d’un lieu à l’autre, m’obligeant à chaque fois à intégrer une nouvelle manière d’exercer mon « métier d’étudiante » [Coulon, 2005]. Aussi, la poursuite d’études supérieures au sein de différentes structures et pays a permis la rencontre d’un grand nombre de personnes, qu’il s’agisse d’autres étudiant(e)s ou de professeur(e)s, débouchant sur des discussions à connotation politique marquées par des points de vue et des manières toujours différentes de les exprimer. Ces changements de contextes et ces interactions variées constituent autant d’éléments dans lesquels je vois des potentiels facteurs explicatifs quant à la transformation de certaines de mes opinions et représentations politiques et ce tout particulièrement concernant l’enseignement supérieur et les multiples dimensions politiques qu’il recouvre.

1 L’emploi du « je » ne sera utilisé que dans l’introduction afin de donner une dimension plus personnelle à

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J’ajouterai que mon intérêt pour le sujet s’est également formé sur un élément tout à fait contextuel et propre au Québec. Débarquant fraîchement au lendemain dudit « printemps érable », je découvrais une université et ses étudiant(e)s marqués par un évènement politique fort. Ce mouvement social étudiant, faisant suite à l’annonce de l’augmentation des frais de scolarité par le gouvernement libéral de Jean Charest en 2012, marquait en effet l’expression et la rencontre de plusieurs visions de l’enseignement supérieur dans un questionnement plus global sur les services publics et le processus démocratique [Julien, 2012]. Si j’étais consciente du fait que cette mobilisation n’avait pas engendré de réactions pour l’ensemble de la population étudiante, ni même une réaction univoque – on opposait ainsi les « carrés rouges » aux « carrés verts », soit d’un côté les étudiant(e)s s’opposant à la hausse des frais de scolarité et de l’autre, celles et ceux en faveur de l’augmentation et plus généralement en opposition avec le mouvement de grève mené par les « carrés rouges » – je me suis alors questionnée sur les origines de ces représentations et conceptions de l’enseignement supérieur chez ces étudiant(e)s. Le « printemps érable » a vu se mobiliser des étudiant(e)s sur un sujet les concernant directement puisqu’impliquant une institution (l’université) dans laquelle ils évoluaient quotidiennement. C’est dans cette optique que j’ai décidé de considérer l’institution universitaire comme une possible instance de socialisation politique, tout particulièrement quant à la formation et transformation des représentations politiques des étudiant(e)s en matière d’enseignement supérieur. Ainsi, c’est une réflexion quant au pouvoir socialisateur d’une instance sur des questions qui lui sont directement reliées que je souhaite ici approfondir. De plus, ce projet permet de se resituer dans le contexte occidental actuel, s’interrogeant de manière récurrente sur les questions d’éducation en temps de massification de l’enseignement supérieur.

Pour ma part, la sensibilisation aux questions politiques se rapportant au monde de l’éducation s’est amorcée relativement jeune en privilégiant un angle social et économique, celui de « l’accès » à l’éducation. Je suis issue d’une famille que je considère comme disposant d’un capital culturel certain, de par une mère ayant atteint le niveau universitaire de la maîtrise et ayant ensuite poursuivi comme mon père une carrière de journaliste dans la presse écrite régionale française. Cependant, les ressources économiques familiales m’ont à plusieurs reprises limitée dans la réalisation de mon

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parcours académique, conditionnant ma propre vision de l’égalité dans l’accessibilité à l’éducation, notamment dans sa dimension supérieure. Aussi, au sein du cadre familial, j’ai toujours senti un certain respect pour l’institution universitaire, dépeinte comme un lieu de connaissance et de réflexion au service de la réalisation d’une société et de sa population. C’est avec cette image que j’appréhendais moi-même mon entrée au sein de cette structure. L’expérience de l’institution m’a confrontée à des individus (qu’ils ou elles soient étudiant(e)s, fonctionnaires, professeur(e)s) dotés une vision plus ou moins similaire à la mienne, m’obligeant moi-même à la reconsidérer en certains points. Le fonctionnement, le financement et la gestion des universités au sein des différents pays dans lesquels j'ai étudié sont également venus teinter mes propres représentations en la matière. Je me suis donc rendue compte à quel point ma vision de l’université avait évolué entre le moment où je ne m’y trouvais pas encore et celui où j’en étais membre à part entière, que cette vision concerne la dimension d’accès aux études, une perspective se concentrant sur le rôle et la fonction de l’institution ou bien encore son fonctionnement.

Cet intérêt et cette réflexion personnelle renvoient donc à un questionnement plus général sur la socialisation politique des individus, c'est à dire sur le processus regroupant l’ensemble des mécanismes et instances intervenant dans la formation et transformation de leurs représentations, opinions et attitudes politiques [Percheron, 1985]. Le processus de socialisation a été schématiquement divisé en deux temps dans la littérature scientifique. Le premier, serait celui de la socialisation dite « primaire » et se déroulerait pendant l’enfance, alors que la socialisation dite secondaire interviendrait donc par la suite, à l’âge adulte. Les travaux de sociologie confèrent au premier temps de socialisation un pouvoir d’influence très fort sur l’individu. L’enfant construit en effet les « premiers filtres » qui lui permettront de percevoir ultérieurement le monde, notamment dans sa dimension politique [Bourdieu, 1980 : 90]. Peter Berger et Thomas Luckmann décrivent la socialisation primaire comme profondément ancrée dans l’individu et de ce fait extrêmement efficace [2006]. Les recherches en sociologie ont d’ailleurs longtemps considéré la socialisation primaire comme étant la seule ayant un véritable impact. Pourtant, la socialisation secondaire ne peut être considérée comme une simple « actualisation » des éléments antérieurement intériorisés [Darmon, 2006 : 71]. Tout ne

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se joue pas durant l’enfance et ce, même si les différents facteurs et instances relevant de la socialisation secondaire doivent composer avec une personne ayant déjà réalisé une première construction [Darmon, 2006 : 71]. Les deux temps de socialisation ne sont donc pas déconnectés l’un de l’autre et c’est pourquoi il est parfois considéré artificiel de diviser le processus de socialisation en deux étapes. Aussi, comme le souligne Muriel Darmon :

Vu la diversité des instances et mécanismes socialisateurs à l’œuvre, la variation des calendriers socialisateurs, elle-même produite socialement, et enfin la force indéniable de la société dans son modelage des individus, il semble beaucoup plus réaliste de présupposer une continuité de l’action de cette dernière [2006 : 99].

C’est avec cette approche que j’ai souhaité appréhender mon propre projet de recherche. En partant d’une réflexion et d’impressions personnelles, j’ai souhaité réaliser une étude voyant dans le processus de socialisation politique, quelque chose de continu, s’amorçant en premier lieu au sein de la sphère familiale et se poursuivant jusque dans le cadre universitaire.

L’originalité et la pertinence de ce projet reposent donc tout d’abord sur cette volonté de considérer l’articulation entre différents temps et instances quant à la formation et la transformation des représentations, opinions et attitudes politiques d’étudiant(e)s. Aussi, le présent mémoire s’est particulièrement concentré sur l’articulation entre la socialisation familiale et celle réalisée durant les études universitaires. Si la première instance est celle qui a été la plus étudiée en matière de socialisation politique, la seconde n’a été que très peu considérée, des études sur l’école primaire et secondaire lui ayant été préférées. Ceci peut être considéré comme étonnant à l’heure où les travaux et recherches scientifiques portent une attention plus marquée pour les agents relevant de la socialisation secondaire, dont l’université fait schématiquement partie. De plus, il me semblait nécessaire d’appréhender la politisation par l’université pour étudier la socialisation politique sur une thématique précise, celle de l’enseignement supérieur.

Pour ce faire, j’ai choisi de mobiliser un protocole d’enquête à la fois qualitatif et quantitatif. La proximité m’a conduite à m’intéresser aux étudiant(e)s de l’Université

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Laval, et à envisager une double prise de contact avec certain(e)s d’entre eux : tout d’abord par le biais d’un questionnaire accessible en ligne, puis par la réalisation d’entretiens semi-dirigés avec certains répondants afin d’approfondir leurs réponses et les compléter.

Dès lors, dans quelle mesure la formation et la transformation des opinions et représentations politiques des étudiant(e)s – tout particulièrement en matière d’enseignement supérieur – peut-elle être considérée comme un processus de socialisation politique continue, s’amorçant au sein de la sphère familiale et se poursuivant jusqu’au sein du cadre universitaire ?

Afin de répondre à cette question, le premier chapitre de ce mémoire situera ce sujet de recherche dans la littérature scientifique afin d’en souligner la pertinence et l’originalité, tout en exposant également ses concepts-clés et la problématique à laquelle il cherche à répondre.

Dans un second chapitre, je justifierai la méthode adoptée pour répondre à cette question de recherche, et présenterai les modalités de sélection des cas et de collecte des données.

Les trois chapitres suivants expliciteront les résultats obtenus sur le terrain. Je reviendrai tout d’abord sur les différents types de socialisations politiques opérés au sein du milieu familial des étudiant(e)s enquêtés, afin de questionner la force socialisatrice de l’instance familiale dans sa dimension politique. Ensuite, je me concentrerai sur l’entrée dans le monde des études supérieures et j’étudierai deux institutions, le Collège d’enseignement général et professionnel (Cégep) et l’université, en tant qu’instances de socialisation politique. Tout comme pour l’instance familiale, je mettrai en avant différents types de socialisations par les études, afin de souligner la variabilité des contextes d’études et des agents de socialisation qui leur sont associés. Enfin, dans le cadre du dernier chapitre, je considérerai les articulations possibles entre ces deux temps de socialisation quant à la formation et l’évolution de la politisation des étudiant(e)s, notamment en matière d’enseignement supérieur.

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Chapitre 1 : Ce que l’on sait de la socialisation politique, par la

position sociale, la famille et les études

1.1 L’influence des caractéristiques sociales et de l’instance familiale dans le processus de socialisation politique

Les approches classiques en matière de socialisation politique ont privilégié l’étude d’agents socialisateurs précis. Ainsi, pour ce qui a trait aux travaux traitant de l’influence des caractéristiques sociales dans le processus de socialisation politique, The people’s

choice, étude publiée en 1944 sous la direction de Paul Lazarsfeld de l’Université de

Columbia est devenue une référence. Elle établit le lien entre la position sociale et le vote pour un parti en montrant que les personnes avec une position sociale élevée, vivant à la campagne et protestantes votent plus fréquemment pour les Républicains, tandis que les catholiques urbains de milieux populaires votent plutôt pour les Démocrates [Lazarsfeld, Berelson et Gaudet, 1944]. Les auteurs en concluent qu’« une personne pense politiquement comme elle est socialement. Les caractéristiques sociales déterminent les préférences politiques » [Lazarsfeld et al., 1944 : 27]. The people’s choice établit ainsi l’existence de socialisations politiques différenciées en termes de comportements politiques et de représentations selon la classe sociale d’appartenance. Le vote ne serait donc pas un comportement individuel, mais le résultat d’un façonnement de l’individu par des normes collectives, celles relevant de sa classe sociale.

Avec un angle d’approche quelque peu différent, d’autres recherches se sont penchées, non pas sur la variation des représentations et orientations politiques selon les classes sociales, mais sur la variation du niveau de politisation (le terme regroupant à la fois les notions de participation politique, de sentiment de compétence politique, de l’expression d’opinions et d’accès à la profession politique) des individus selon leur position sociale. Ainsi, il a été constaté une répartition inégale de la politisation en fonction des milieux d’origine des personnes, ainsi que de leur niveau de diplômes. Dans

Le Cens Caché, Daniel Gaxie considère que s’il y a égalité de droit pour tous devant le

vote, il n’en est pas de même dans les faits [1978]. Le capital culturel que possèdent les classes sociales dominantes leur confère une compétence politique supérieure (s’ensuivent une participation politique et une expression des opinions plus active) à celle

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des classes sociales plus populaires et ce malgré une égalité de droit, d’où cet emploi par l’auteur de l’expression de « cens caché » [Gaxie, 1978]. Le terme de compétence politique doit être ici entendu à la fois dans une dimension objective (ou cognitive) et une dimension subjective. La compétence politique s’évalue tout d’abord en termes de connaissances sur le champ politique, de capacité à en parler, « à penser politiquement les problèmes politiques, à mobiliser les concepts, les classements, les savoirs estimés nécessaires à la compréhension de cet univers » [Gaxie, 1978]. Elle tient d’autre part au fait de se sentir subjectivement autorisé à adopter une posture de jugement sur des sujets et questions politiques [Gaxie, 1978; Blondiaux, 2007 : 761]. Daniel Gaxie et Pierre Bourdieu se rejoignent sur cette double dimension de la notion de compétence politique. Ainsi, dans La Distinction l’auteur définit ce concept en ces termes :

La capacité plus ou moins grande de reconnaître la question politique comme politique et de la traiter comme telle en y répondant politiquement, c'est à dire à partir de principes proprement politiques (et non éthiques par exemple), capacité qui est inséparable d'un sentiment plus ou moins vif d'être compétent au sens plein du mot, c'est à dire socialement reconnu comme habilité à s'occuper des affaires politiques, à donner son opinion à leur propos ou même à en modifier le cours [Bourdieu, 1979 : 466].

Ils se différencient alors ainsi de leurs confrères américains en la matière, ne considérant que la dimension cognitive de ce concept [Blondiaux, 2007 : 761].

Si la littérature scientifique s’est à maintes reprises penchée sur les liens entre position sociale et politisation, l’instance phare en matière de recherches sur la socialisation politique est la famille. Certains des travaux effectués sur cette question sont devenues des références. Herbert Hyman s’attarde ainsi sur l’influence du milieu familial quant à la transmission d’opinions partisanes [1959]. Il popularise alors les notions de « transmission » et « d’héritage » au sein de la sphère familiale [Tournier, 2010 : 64]. L’idée que « les orientations politiques individuelles sont essentiellement le produit de la socialisation familiale » devient alors en quelque sorte un postulat de départ dans les recherches en matière de socialisation politique et non plus une hypothèse [Hyman, 1959 : 85]. Dans la même lignée, mentionnons le travail d’Angus Campbell, Philip E. Converse, Warren Miller et Donald E. Stokes dans The American Voter, qui s’emploient

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dans les années 1960 à démontrer la prégnance des identifications partisanes à l’un des deux grands partis américains et la proximité des préférences politiques des enfants avec leurs parents [Campbell et al.,1960]. Cependant, des recherches ultérieures sont revenues sur cette corrélation entre les opinions et attitudes politiques des enfants et celles de leurs parents [Marsh, 1971 ; Connell, 1972 ; Searing et al., 1973]. Ces dernières ont alors souligné les limites de l’identification partisane entre parents et enfants, notamment en insistant sur le manque de stabilité dans le temps de celle-ci.

Aussi, les travaux sociologiques reviennent progressivement sur le constat faisant de l’individu socialisé un être inactif dans le processus de socialisation. Les recherches d’Herbert Hyman ou bien encore de Talcott Parsons et Robert F. Bales ne laissaient qu’une place extrêmement réduite au pouvoir d’action de l’individu socialisé, la socialisation étant considérée comme un processus d’inculcation à sens unique [Parsons et Bales, 1955; Hyman, 1959]. Les sociologues contemporains récusent cette idée de « socialisation-dressage ». En ce sens, mentionnons les recherches d’Annick Percheron, qui insistent sur le fait que la socialisation « n’est pas un simple mécanisme de répétition ». Selon elle, l’individu réalise « une logique de tri et pas seulement d’accumulation » [Percheron, 1991]. Il y a donc une « appropriation » et une « négociation » de l’héritage familial réalisée par un individu actif [Masclet, 2015 : 47; Darmon, 2006]. La remise en cause de la « toute puissance » de la sphère familiale en matière de socialisation politique ne signifie pas que son impact n’est plus considéré. Ainsi, pour citer Annick Percheron de nouveau, « l’emprise » de l’instance familiale serait selon elle d’autant plus grande en termes de transmission du politique, lorsque cette dernière se constitue de parents affichant leurs préférences politiques auprès de leurs enfants [1993]. La force de transmission de l’héritage serait donc ainsi condition des caractéristiques intrafamiliales. Dans une même optique, Sébastien Michon dans sa thèse de doctorat consacrée aux effets de la carrière étudiante sur la socialisation politique, démontre que la variable la plus clivante en matière de socialisation politique familiale est celle de la place des discussions politiques dans le cercle familial [2006]. Il constate également que les enfants des classes supérieures ont plus de chance d’être politisés, les capitaux économique et

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culturel jouant donc sur le niveau de politisation. La force de transmission de l’héritage serait donc ainsi condition des caractéristiques intrafamiliales.

1.2 Les effets de l’éducation en matière de socialisation politique : de l’école primaire et secondaire, aux études supérieures

Le temps de la socialisation primaire a été à tort longtemps considéré comme l’équivalent de la socialisation familiale. Des travaux comme ceux de M.K. Jennings et R.G. Niemi sont venus reconsidérer cette thèse et ont ainsi mis en avant que d’« autres agents de socialisation disposent d’une importante capacité d’action », les enfants n’étant donc pas « une copie carbone » de leurs parents [1968 : 183]. Ainsi, d’autres recherches ont étudié le rôle joué par les pairs [Langton et Karns, 1969], les médias ou le contexte politique [Minow et al., 1973 ; Miller et Sears, 1986] dans la formation des systèmes de représentations politiques des enfants et adolescents. Mais ce sont surtout toute une série de recherches se concentrant sur le poids potentiel de l’école dans ce processus que nous voulons ici mentionner. Dès 1963, G.A Almond et S. Verba soulignaient déjà l’importance de la participation à l’école pour préparer à la participation politique [1963]. M.K Jennings, K.P Langton et R.G Niemi ont eux aussi mis en avant le pouvoir socialisateur de l’école secondaire en attestant de l’influence des cours d’instruction civique sur le niveau des connaissances politiques des élèves, mais aussi sur leurs représentations politiques, les connaissances acquises les rendant plus critiques vis-à-vis des institutions et du système politique en général [Jennings et al.,1974].

Cependant, leurs résultats démontrent aussi que cette relation est faible. De plus, Annick Percheron, ayant réalisé de multiples travaux sur les enfants, s’attarde peu sur cette instance et atteste surtout de ses limites [1984 : 15-29]. Bien que ne niant pas l’action de l’école, elle en nuance le poids en rappelant que cette dernière n’a plus vocation à former des citoyens républicains et patriotes, comme Émile Durkheim le mentionnait, et qu’elle opère une socialisation politique différenciée et inégalitaire selon la classe sociale à laquelle appartiennent les enfants [Percheron, 1984 : 26-27; Durkheim, 1963 : 16]. L’école se limite à l’acquisition de connaissances quant « au fonctionnement

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des institutions », « normes », « règles » mais qui n’est pas selon l’auteur réellement significative d’un point de vue politique.

Annick Percheron se distancie donc de l’approche de Daniel Gaxie voyant dans l’école un réel moyen d’acquérir une compétence politique, dans les termes définis précédemment. En effet, selon lui, « l’école permet d’acquérir une disposition à s’intéresser aux problèmes politiques en même temps que les instruments intellectuels nécessaires à leur compréhension », elle « fournit « un matériel verbal et conceptuel » [Gaxie, 1978 : 167]. Malgré des conclusions plus ou moins positives et affirmées quant à la politisation par l’école, la capacité d’influence de cette institution n’a pas été jusqu’à être réfutée. De plus, des recherches plus récentes sont venues réaffirmer le pouvoir d’action de cette instance quant au processus de socialisation politique [Denver et Hands, 1990; Campbell, 2006].

La socialisation, qu’elle soit politique ou non, n’étant « jamais totale ni terminée » et ne s’arrêtant pas avec le passage à l’âge adulte, réseaux sociaux (familiaux, professionnels, communautaires etc.) et contextes conjoncturels sont toujours susceptibles d’influencer nos comportements politiques à toute période de la vie [Percheron, 1985; Joignant, 1997 ; Gaxie, 2002 ; Ihl, 2002; Berger et Luckmann, 2006]. Bien que les recherches plus récentes portent une attention plus marquée sur les socialisations secondaires comme nous avons déjà pu le souligner, ou aient pu accorder une attention plus marquée à l’école comme instance de socialisation politique, relativement peu de travaux portent sur l’influence de l’enseignement supérieur quant à la formation et transformation des comportements, attitudes et représentations politiques des individus. Sébastien Michon rappelle ainsi que « ce n’est pas tant sur l’influence des études ou de l’école que sur les effets et les limites des caractéristiques sociales et familiales que portent la plupart des recherches sur les comportements politiques » [Michon, 2006 : 9]. Cette institution intervient pourtant dans la vie de nombreux individus que l’on considère alors comme adultes (ou presque) et peut donc être considérée comme relevant a priori du temps de la socialisation secondaire.

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Notre projet s’inscrivant dans une démarche voyant dans la socialisation politique un processus continu, nous souhaitons établir les éléments de continuité et de rupture entre les instances relevant de la socialisation dite primaire et celle dite secondaire. Ainsi, si le présent mémoire tentera principalement d’établir les liens et les discontinuités entre la socialisation politique réalisée au sein de l’instance familiale et celle opérée durant le passage par l’université, considérer l’institution scolaire dans sa globalité, soit celle obligatoire tout d’abord (école primaire et secondaire) puis celle relevant du supérieur, permet de l’observer elle aussi dans une logique de socialisation continue. L’éducation primaire et l’éducation secondaire pourraient en effet conditionner directement le rapport à l’institution universitaire. De plus, comme le souligne Vincent Tournier, il y aurait « un impact du niveau d’études sur le rapport à la politique (intérêt politique, degré de connaissances, implication dans les activités politiques) » [2009 : 85]. De la même manière, il a été admis que l’éducation et la participation électorale entretiennent une relation positive assez certaine [Miller et Shanks, 1996; Verba et al., 1995]. Au-delà donc de l’effet de l’institution scolaire, c’est le niveau et donc le nombre d’années passées à étudier qui seraient déterminants pour comprendre la portée de cet agent sur la formation et la transformation des représentations et attitudes politiques.

Aussi, l’expérience universitaire semble pertinente à étudier en termes de socialisation politique de par la place qu’elle occupe dans la vie d’un(e) étudiant(e). En effet, l’institution universitaire, sous différents aspects, semble être très présente dans la vie des étudiant(e)s : temps passé en cours, temps d’étude qui lui est associé, celui passé avec les autres étudiant(e)s ou encore temps consacré à des activités ayant lieu au sein de l’institution universitaire ou étant reliées à elle (conférences, associations étudiantes, etc.). Cette « place » de l’institution universitaire dans la vie étudiante est cependant à considérer avec précaution, car selon notamment le type d’études (durée par exemple) ou encore l’implication personnelle de l’étudiant(e) dans ses études, elle peut tendre à s’amenuiser ou à s’étendre. L’espace universitaire, tout comme l’espace de l’école primaire et secondaire, est un espace d’apprentissage de savoirs et il peut paraître judicieux de voir en lui de ce fait un milieu socialisateur d’un point de vue politique. Au-delà de savoirs et de compétences, l’université permettrait la transmission de

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certaines normes et valeurs car elle constitue un nouveau groupe de référence pour les étudiant(e)s, en dehors du cadre familial, auquel il faut s’adapter pour l’intégrer pleinement [Newcomb, 1943; Feldman et Newcomb, 1969; Alwin, Cohen et Newcomb, 1991]. Dans un rapport consacré aux effets à long terme de l’éducation scolaire et universitaire synthétisant des travaux existants dans différentes disciplines, Christian Baudelot et François Leclercq attestent de l’influence de la durée du temps passé au sein de l’institution scolaire sur l’évolution de certains « comportements » ou « valeurs » que l’on pourrait qualifier de « politiques » : une tendance moindre à l’autoritarisme, une attitude plus égalitariste, une tendance à être moins en proie aux préjugés, au dogmatisme, etc. [Baudelot, Leclerq et al., 2005]. Armand Chatard, Alain Quiamzade et

Gabriel Mugny parle « d’effet libéralisateur » des études sur les individus [Chatard et al,. 2007]. Ces premiers éléments nous poussent à considérer l’institution

universitaire comme une instance de socialisation politique, bien qu’elle doive être observée dans toute sa diversité et complexité pour évaluer au mieux de son action sur des représentations politiques précises (intérêt pour des thématiques politiques spécifiques et positionnement sur ces sujets).

1.3 Jeunesse étudiante et socialisation politique

Si notre sujet de recherche vise à contribuer à l’étude de l’institution universitaire comme agent de socialisation politique, il cherche également à compléter la littérature scientifique sur la jeunesse et plus précisément, la jeunesse étudiante. En effet, les travaux ayant fait le choix de s’attarder sur cette thématique sont nombreux et divers et semblent pouvoir nous aider à confirmer l’hypothèse selon laquelle la poursuite d’études supérieures constitue un agent de socialisation politique.

Pierre Bourdieu dans un entretien avec Anne-Marie Métaillé, « La "jeunesse" n’est qu’un mot », critique l’idée de considérer la jeunesse comme une unité et rappelle que derrière cette appellation, il y a divers univers sociaux qui existent, plusieurs jeunesses, notamment selon la classe sociale à laquelle on se réfère [Bourdieu, 1984]. En voyant une jeunesse aux réalités multiples, Pierre Bourdieu s’oppose ainsi à la vision culturaliste, telle celle développée par Edgar Morin [1962], essentialisant une

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« nature juvénile supposée interclassiste » [Galland, 1997 : 50]. Comme Pierre Bourdieu, ce projet de recherche veut considérer la jeunesse dans toute sa pluralité. Il se penche d’ailleurs sur un sous-groupe qui la constitue : la jeunesse étudiante. Bien qu’au sein de cette sous-population constitutive de la jeunesse on puisse constater une diversité d’univers sociaux, la jeunesse étudiante peut être considérée comme un ensemble avec certaines caractéristiques communes : celle de suivre une formation et d’être en passe d’accéder au statut d’adulte. Aussi, comme le souligne Sébastien Michon : « Les étudiant(e)s ne sont déjà plus ce qu’ils étaient, mais ne sont pas encore ce qu’ils seront » [Michon, 2008 : 64]. Le passage par l’espace des études supérieures est une transition entre l’adolescence et l’accès « complet » au statut d’adulte [Grignon et Gruel, 1999]. Ce temps d’étude s’apparenterait comme le dit Pierre Bourdieu à une phase « d’apesanteur

sociale », de « no man’s land social » [Bourdieu, 1984]. Il constituerait un temps de

réflexion sur l’avenir professionnel et la place qui en découle dans la société, pouvant plonger l’étudiant dans une certaine indétermination [Michon, 2008 : 64]. De plus, le passage aux études supérieures est également celui d’éventuels changements de contextes sociaux – tel que le départ du domicile parental – induisant une certaine prise d’autonomie vis-à-vis de la famille. Ces différents éléments mentionnés ont amené plusieurs chercheurs, tel que T.M Newcomb, à voir dans l’expérience étudiante, un moment qui pourrait déterminer de manière durable les orientations politiques du fait qu’elle soit une période d’apprentissage, de changement, et d’instabilité [1969]. C’est avec cette même conception que nous voulons dans le cadre de notre étude considérer l’expérience étudiante.

La jeunesse étudiante n’est donc pas un objet de recherche nouveau. Elle a été étudiée sous l’angle de ses caractéristiques socioculturelles, de ses conditions de vie [Elrich, 1998; Galland et al., 2010], de son « rapport aux études » [Coulon, 2005], ou bien encore de ses valeurs [Roy, 2007; Doré, Hamel et Méthot, 2008]. Cependant, ces recherches n’abordent pas directement la question du rapport au politique des étudiant(e)s. Elles constituent cependant un ensemble de travaux qui devra être pris en compte dans le cadre de ce projet. Elles décrivent en effet divers facteurs et éléments qui

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pourraient conditionner la formation de représentations politiques, notamment en matière d’enseignement supérieur.

En ce qui concerne les enquêtes scientifiques traitant directement du rapport au politique des étudiant(e)s, certaines approches ont été privilégiées dans la littérature. Ainsi, la question du vote, de la participation ou encore de l’intérêt pour le champ politique de la part des jeunes (étudiant(e)s ou non) sont des sujets qui semblent avoir été mis en avant dans les recherches en science politique. En témoignent notamment des travaux comme ceux d’Anne Muxel [2001;2002;2005]. Dans le cadre québécois, la thèse d’Eugénie Dostie-Goulet cherche à expliquer les raisons de la naissance de l’intérêt politique de jeunes du secondaire dans la ville de Montréal et se penche notamment sur l’influence de l’école dans ce processus [2009]. Cette thèse conclut qu’il existe une influence des discussions politiques entre enseignants et élèves sur le développement de l’intérêt pour la politique. Eugénie Dostie-Goulet constate un intérêt supérieur des élèves en « histoire » où les discussions dites « politiques » sont a priori plus nombreuses qu’en « sciences » [2009 : 89-90]. Elle explique également que l’intérêt est condition de la forme dans laquelle ces discussions se déroulent. Les élèves sont sensibles aux débats et exemples concrets, ce qui en matière de politique peut régulièrement se produire [Dostie-Goulet, 2009 : 89-90].

Aussi, certains travaux ont cherché à se pencher plus directement sur certaines conceptions et opinions politiques des étudiant(e)s, au-delà donc de la simple question de l’intérêt politique ou de la participation. Ainsi, Doug McAdam dans Freedom Summer, aborde le cas d’étudiant(e)s d’universités américaines prestigieuses partant dans le Mississipi durant l’été 1964 afin d’aider à l’inscription des électeurs noirs sur les listes électorales suite à leur obtention des droits civiques [2012]. Grâce à une enquête par questionnaire couplée à une série d’entretiens, il constate que ces jeunes issus de familles bourgeoises aux « affinités de convictions », tout particulièrement concernant le mouvement des droits civiques, vivent durant cet été une expérience les radicalisant politiquement [Raynaud, 2012 : 2]. Ils y découvrent en effet le revers du rêve américain auquel ils n’avaient jamais été confrontés par le passé, de par leur éducation familiale se

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voulant « optimiste » et « idéaliste » [Raynaud, 2012: 2-3]. Ces volontaires deviennent par la suite le symbole d’une Nouvelle Gauche aux États-Unis qui s’investit dans les mouvements sociaux d’alors (féminisme, opposition à la guerre du Vietnam) [Raynaud, 2012 : 3]. Au Québec, Louise Quesnel, dans le deuxième tome de Jeunesse et Politique, décrit le milieu étudiant québécois des années 1970 et le militantisme qui s’y rattache en soulignant l’intérêt des étudiant(e)s pour des enjeux précis et plus « modestes » que par le passé, comme les thématiques de la ville et de l’université [Quesnel, 1994]. Considérant les jeunes comme relevant d’un groupe aux valeurs et comportements qui lui sont propres, elle a mené une enquête par questionnaire visant à comparer des étudiant(e)s en science politique à celles et ceux d’autres programmes à l’Université Laval. Bien que le contexte socioéconomique de l’époque pèse sur l’ensemble de ces étudiant(e)s en terme de politisation, Louise Quesnel estime cependant que les étudiant(e)s de science politique ont un niveau de politisation plus élevé que les autres et seraient ainsi plus enclins à la mobilisation et à s’intéresser à des enjeux sociopolitiques. Elle défend donc l’idée de sous-ensembles au sein de la population étudiante. Cette étude apporte par conséquent elle aussi des éléments de réflexion quant à la multiplicité des profils étudiants dans leur rapport au politique.

Si des travaux ont donc pu mettre en avant les opinions et intérêt des étudiant(e)s sur des questions politiques précises, la conception même (dans sa dimension politique) que ces derniers se font de l’institution dans laquelle ils évoluent directement n’est que peu présente dans cette littérature. De plus, l’influence directe de l’institution sur la formation de représentations politiques, tout particulièrement en matière d’enseignement supérieur n’est pas non plus suggérée. Néanmoins, notons qu’une littérature conséquente traite des mouvements sociaux étudiant(e)s, présentant les campus, notamment depuis les années 1960, comme des lieux de socialisation politique pour une jeunesse étudiante toujours plus nombreuse face à la « massification » de l’enseignement supérieur [Dubet, 1994 ; Passard, 2008]. L’« éveil des campus » des années 1960 dans un grand nombre de pays a poussé un certain nombre de chercheurs à s’interroger sur les raisons particulières ayant poussé les étudiant(e)s à se mobiliser et ainsi à considérer le lieu même du campus universitaire [Granjon, 1985 ; Passard, 2008]. À la fin des années 1990, le Québec est

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considéré lui aussi comme une société ayant amorcé le « virage vers la massification de l’enseignement supérieur » [Kamanzi, Doray et Laplante, 2012]. Bien qu’il faille prendre avec précaution l’idée qu’une massification de l’enseignement supérieur signifie la réelle démocratisation de l’accès à ce dernier à l’ensemble des classes sociales [Duru-Bella,1996 ; 2003], la présence d’un nombre toujours plus conséquent d’étudiant(e)s sur les campus universitaires rend plus pertinent l’objet de cette étude, à savoir celui d’évaluer le pouvoir d’influence d’une institution à laquelle un nombre de plus en plus important de personnes a accès. En effet, entre 1985 et 2005, le nombre d’inscriptions aux études de premier cycle est passé de 196 634 à 203 330 [CREPUQ, 2006].

Nombreux sont les mouvements étudiant(e)s nés d’enjeux à proprement parler limités au cadre universitaire, comme ce fut le cas à la base avec la révolte de Berkeley en 1964 aux États-Unis [Passard, 2008]. Les travaux de recherche démontrent cependant que ce qui naît sur les campus a la capacité de sortir en dehors du cadre estudiantin. Ainsi, des mouvements étudiants ayant à la base des revendications concernant stricto sensu le cadre universitaire peuvent s’étendre à des thématiques dépassant ce milieu. De plus, les grèves étudiantes peuvent parfois emmener avec elles d’autres groupes au sein de la société. Pour exemple, la rentrée universitaire de 1967 de l’Université de Nanterre est marquée en France par une grève étudiante pour des raisons touchant exclusivement l’organisation et la gestion de l’université. En mai 1968, le mouvement étudiant n’est alors plus seulement critique vis-à-vis du système universitaire, c’est une remise en cause globale des sociétés occidentales qui est émise, notamment à travers la critique du consumérisme ou encore la dénonciation de la guerre au Vietnam, etc. [Tartakowsky, 2016]. De plus, la contestation s’étend à travers tout le pays, non seulement dans les universités mais aussi dans le monde du travail : c’est une grève généralisée qui se poursuit ensuite dans le pays avec le soutien plus global d’une part importante de la population française (le mouvement ouvrier soutient la cause étudiante, etc.) [Tartakowsky, 2016]. Dans le cas québécois, le mouvement de 2012 semble pouvoir constituer un exemple similaire. Si certaines universités québécoises sont plus actives que d’autres, c’est un mouvement étudiant global qui s’est constitué progressivement au sein de la province. Les revendications de départ qui portaient sur la contestation de

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l’augmentation des frais de scolarité annoncée par Jean Charest, ont évolué en une critique plus globale de la société québécoise sur différents points mise en avant par le mouvement étudiant, mais également soutenue par d’autres franges de la population. Ces différents évènements renforcent notre conviction de porter un intérêt tout particulier à l’institution universitaire en tant que vecteur de socialisation politique et potentiellement capable d’insuffler un vent de mobilisation dépassant des enjeux relevant de son propre cadre et emmenant avec elle des individus qui n’en sont pas issus.

1.4 Principaux concepts

Après avoir situé notre sujet dans la littérature afin d’en démontrer la pertinence, nous souhaitons maintenant amener des éléments de définition quant aux principaux concepts qui sont amenés à être utilisés dans le cadre de cette recherche.

1.4.1 La socialisation politique : un processus continu

Comme nous l’avons déjà indiqué dans l’introduction, l’étude ici menée entend considérer le processus de socialisation politique dans une perspective continue. En effet, nous estimons que multiples sont les instances et agents ayant un impact sur la formation et donc la transformation des représentations, opinions et attitudes politiques, et que ces derniers agissent tout au long de la vie. Ainsi, la notion de socialisation politique renferme en elle les principes de temporalité, de successivité et de juxtaposition [Darmon, 2006 : 112]. Voir dans l’institution universitaire un agent de socialisation politique nous oblige ainsi à considérer que l’étudiant(e) n’est pas seulement en contact avec cette dernière durant ses études : des facteurs externes peuvent également venir travailler ses représentations politiques. Ainsi, ne doivent pas être omises les socialisations antérieures et parallèles. Dans ce cas-ci, nous choisissons de nous concentrer principalement sur deux instances et leur pouvoir socialisateur : la famille et l’expérience universitaire. Sébastien Michon affirme que si les recherches scientifiques ont mis en avant le fait que la socialisation politique des étudiant(e)s se fait principalement lors de la socialisation primaire et privilégie donc des instances comme la famille, l’influence de la carrière étudiante ne doit pas être sous-estimée [Michon, 2006].

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Notre intérêt reposant sur l’articulation entre ces deux types de socialisation, nous nous attendons à considérer des éléments de continuité, mais aussi de rupture. Dans une optique de continuité du processus, Muriel Darmon choisit d’employer le terme « d’emboîtement » des socialisations, au-delà donc de la succession ou de la juxtaposition [Darmon, 2006 :112]. Ainsi, comme le souligne Peter Berger et Thomas Luckmann : « Le présent est interprété de façon à être maintenu en relation constante avec le passé [Berger et Luckmann, 2006: 270]. Si les produits d’une socialisation peuvent constituer la base d’une autre, il peut également arriver qu’il y ait contradiction ou du moins discontinuité entre deux temps de socialisation. Ainsi, certains travaux insistent ainsi sur le fait que l’éloignement de la sphère familiale permet une meilleure « prise » de l’institution universitaire sur les représentations politiques des étudiant(e)s [Newcomb, 1943; Gourisse, 2011]. Sébastien Michon évoque quant à lui le cas des étudiant(e)s en promotion culturelle et scolaire qui s’éloignent plus facilement des représentations familiales et accordent une valeur supérieure aux orientations politiques et à la politisation de leur groupe de pairs (soit ici des étudiant(e)s), cherchant ainsi à « combler leur retard » en adoptant les mêmes discours et pratiques qu’eux [2006: 154].

1.4.2 Le contexte d’études et ses composantes

Comme le souligne Sébastien Michon, le « recours à différentes enquêtes et méthodes (quantitatives et qualitatives) a permis de montrer que les identifications politiques des étudiant(e)s sont avant tout expliquées par leurs socialisations primaires, mais qu’il convient de ne pas occulter le poids du contexte d’études » [2006 : 226]. Nous décidons donc d’étudier l’impact de la socialisation universitaire sur les représentations sociopolitiques en empruntant la notion de « contexte d’études » à Sébastien Michon. L’enquête de celui-ci voulait estimer la contribution de l’institution universitaire à la socialisation politique des étudiant(e)s, autrement dit l’influence du passage par l’université sur leur niveau de politisation et leurs orientations politiques sur des thématiques diverses. Pour opérationnaliser cette influence, il forge le concept de « contexte d’études ». Celui-ci dépend de plusieurs facteurs : le recrutement social (âge, origine sociale) des étudiant(e)s, leur recrutement scolaire (passé scolaire), le type d’études (techniques, théoriques), le type d’activités universitaires (connaissances,

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nombre d’heures de cours, rapport au savoir), et finalement le devenir professionnel des étudiant(e)s [2006 : 25]. Ainsi, selon le « contexte », les étudiant(e)s ne sont pas confrontés aux mêmes organisations scolaires et pédagogiques ni aux mêmes enseignements et n’ont pas les mêmes interactions avec les acteurs universitaires, enseignants et groupes des pairs [2006 : 24]. Chaque contexte a ses codes, ses routines, pratiques et usages qui formeraient « des univers de socialisation dans lesquels les étudiant(e)s acquièrent des connaissances, endossent des rôles, développent des manières de faire, d’être et de penser » [2006 : 24]. Sébastien Michon aborde le contexte d’études dans une dimension politique en considérant qu’il constitue un « contexte d’action entraînant l’activation, l’inhibition ou l’acquisition de dispositions politiques », voire un contexte d’action pouvant entraîner la « transformation » de représentations politiques [2008 : 64]. En ce sens ce concept n’est pas « déconnecté » des socialisations antérieures de l’individu car il insiste sur l’idée qu’il peut notamment agir comme « renforcement » ou au contraire comme « modérateur » de ce qui a été appris antérieurement.

Dans le cadre de cette enquête, cette notion sera abordée via l’angle plus précis du programme et de la faculté d’études. Le programme d’études ou la filière, pour reprendre les termes de Sébastien Michon, est considéré par ce dernier comme une des caractéristiques constitutives du contexte d’étude dans sa globalité, la variable de la « matrice » disciplinaire – entendons par ce terme les concepts fondamentaux, les modèles et les valeurs en usage dans la discipline – nous apparaît comme relativement synthétique, subsumant un certain nombre de variations que nous avons énoncées précédemment: « l’origine sociale, le sexe et le passé scolaire, mais aussi le poids du degré de sélectivité de la formation, de son degré d’encadrement pédagogique, de la nature (plus scientifique ou littéraire) des études, du degré d’ascétisme scolaire exigé, de rapports très spécifiques à l’avenir professionnel et au monde social » [Michon, 2006 : 115]. Ainsi ces variations selon la filière engendrent des contextes d’études divers et variés. L’usage de ce concept dans cette enquête permettra d’analyser de manière plus approfondie la multiplicité et la diversité des « moyens d’action » de l’institution

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universitaire sur les représentations politiques des étudiant(e)s. Cette institution et ses membres sont ainsi considérés dans toute leur richesse et diversité.

Nous avons mis en avant précédemment que les travaux portant sur l’influence de l’instance universitaire dans la formation ou la transformation des représentations politiques (ou comportements et attitudes politiques) sont peu nombreux. Cependant dans le cadre de ce travail nous pourrons néanmoins prendre appui sur quelques études touchant plus ou moins directement à notre sujet. Nous décidons d’aborder le contexte d’études sous l’angle de la matrice disciplinaire et ici de mettre en avant trois dimensions qui le constituent : les enseignements et enseignants, les pairs (autres étudiant(e)s) et les conditions matérielles d’études reliées à chaque type de programme.

Certains travaux se sont penchés sur l’influence que pouvait constituer les enseignements sur le niveau de politisation des étudiant(e)s et sur leurs représentations/orientations politiques, certains même l’ont fait en choisissant des questions sociopolitiques précises. Ainsi, Sébastien Michon fait le constat de différents niveaux de politisation selon que l’on soit en sciences humaines et sociales ou en sciences et techniques, les sciences humaines présentant des taux de politisation plus élevés [2008 : 68]. Il démontre que ces niveaux de politisation ne sont pas le seul effet d’une politisation parentale élevée ou d’une certaine position sociale des étudiant(e)s selon les filières car en effet avec des parents aux niveaux de politisation équivalents ou avec les mêmes positions sociales dans les deux types de filières, on retrouve tout de même un taux plus important d’élèves intéressés par la politique en sciences humaines et sociales (cas des étudiant(e)s étudiant la science politique dans cet article). Sébastien Michon présume donc notamment de l’action du contexte scolaire et « d’une activation et acquisition différentielles de dispositions favorables selon la filière » [2008 : 63]. Nous faisons ainsi l’hypothèse qu’en fonction de la matrice disciplinaire et du contenu des enseignements qui y sont rattachés, la question de l’enseignement supérieur (son rôle dans la société, la manière dont il doit être abordé par les instances politiques comme par les élèves, etc.) et l’importance lui étant accordée varie.

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Mais au-delà de la sensibilisation à la question, on peut penser à une orientation sur cette représentation de l’enseignement supérieur via le contenu des enseignements dispensés dans les différentes filières. Yvette Delsaut en abordant le cas des étudiant(e)s en sociologie au début des années 1970, voit la possibilité d’expliquer leur action syndicale et politique par l’influence exercée par la discipline et le contenu de ses enseignements :

En dotant les étudiant(e)s de catégories et de concepts propres à penser le monde social, on les amènerait du même coup à prendre conscience plus nettement et plus vite que les étudiant(e)s des autres disciplines des particularités de leurs conditions, des intérêts communs à l’ensemble du groupe ou du rôle des étudiant(e)s dans la société [1970 : 45].

Elle présume que les enseignements de sociologie et leur contenu (fait d’aborder des concepts spécifiques et des sujets spécifiques) constitue un moyen éventuel d’acquérir une compétence politique et de modifier les représentations. Les travaux de Sébastien Michon ou bien encore ceux de Serge Guimond et Douglas L. Palmer, ont montré la sensibilisation et l’orientation via le contenu des enseignements à des questions sociopolitiques précises [Michon, 2006; 2008; Guimond et Palmer, 1990; 1996]. Sébastien Michon explique que « les théories sociologiques renvoient fréquemment à des implicites ou des idées qui s’apparentent à des positions politiques » et que nombre d’étudiant(e)s de sociologie s’approprient les théories qu’on leur inculque [2006 : 221]. Il cite pour exemple, un étudiant de sociologie s’inspirant des théories de Bourdieu pour construire sa posture d’étudiant « dilettante et politiquement engagé à gauche » [2006 : 222]. Il a par exemple intégré la position critique de l’auteur sur la télévision et l’utilise dans ses propos dans une dimension politique. Autre exemple étudié par Sébastien Michon, celui de Géraldine, étudiante en Institut d’Études Politiques en France qui a vu son orientation politique, initialement jugée par elle-même comme à la gauche du Parti Socialiste, se rapprocher de la pensée politique plus centriste de Dominique Strauss-Khan. L’auteur explique ce changement d’orientation « par l’acquisition de schèmes d’analyse pragmatique » véhiculés dans ce type de formation [2006 : 224].

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Par ailleurs, les travaux de Serge Guimond et Douglas L. Palmer en psychologie sociale renseignent sur l’influence du contenu informationnel des enseignements sur les « attributions causales » des étudiant(e)s en matière de chômage et de pauvreté [1996]. Ils montrent qu’en première année, les étudiant(e)s de commerce et de sciences sociales font des attributions causales similaires. Trois années plus tard, les étudiant(e)s en sciences sociales privilégient les explications situationnelles (le travailleur est exploité), contrairement aux étudiant(e)s de commerce qui accordent plus d’importance aux attributions « dispositionnelles » (les chômeurs ne font pas assez d’efforts pour trouver un emploi). Ils concluent à l’influence du contenu des enseignements en ces termes sur les filières de sciences sociales : « Overall, there was a clear suggestion of liberalizing effect of professors and course content in social science» [1996 :24]. A donc ici été abordée l’influence du contenu des cours (sujets et concepts enseignés) mais au-delà de ce contenu, on peut considérer qu’il y a des pédagogies différentes selon les filières rattachées aux enseignements, pouvant sensibiliser et orienter en des termes différents les étudiant(e)s sur des thématiques politiques précises. Muriel Darmon a réalisé une étude sur les classes préparatoires aux grandes écoles en France, visant à estimer les processus de formation et de transformation des élèves qui sont mis à l’œuvre. Elle démontre notamment que selon la filière de classe préparatoire, des « transformations » différentes des étudiant(e)s sont mises en œuvre via des « traditions pédagogiques », « disciplinaires » et « des philosophies éducatives » propres à chaque filière [Darmon, 2013 : 242-243]. Elle compare ainsi les pédagogies de transformation des personnes en filières scientifique et économique. Un de ses constats est que la philosophie éducative rattachée aux enseignements en filière économique va beaucoup plus loin, est plus « totale » que la philosophie éducative de la filière scientifique. En économie, les enseignements dispensés dépasseraient ainsi le cadre scolaire et ce de manière légitime, enseignements et enseignants allant jusqu’à conseiller les élèves sur leurs activités culturelles et à influencer leur hexis corporelle (expliquer comment s’habiller pour un entretien, pour les concours) [2013 : 248]. Aussi, les enseignements en filière économique ont pour objectif pédagogique de créer des conditions de réflexion et de réflexivité chez les étudiant(e)s, beaucoup plus qu’en filière scientifique avec un rapport beaucoup plus « classique au savoir » [2013 : 247]. On ne fournit donc pas que des

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connaissances, on cherche à développer une posture, un esprit spécifique [2013 : 242]. Ceci suggère que les filières et facultés universitaires renferment une pluralité de « pédagogies éducatives », créant des profils d’élèves particuliers qui pourraient nous amener à constater un rapport plus pragmatique aux études (plus professionnalisant) pour certaines, un rapport plus réflexif, théorique pour d’autres par exemple, ceci nous ramenant à la théorie sur les valeurs expressives et instrumentales.

Ont été succinctement présentés un ensemble de travaux traitant de l’action du contexte d’études via ses enseignements sur les représentations politiques des étudiant(e)s. Abordons dans un dernier temps l’influence que pourraient représenter les enseignants sur ces représentations, car ils sont directement connectés aux enseignements reçus par les étudiant(e)s. Plusieurs travaux ont montré que la qualité des cours, le respect vis-à-vis des enseignants étaient notamment des facteurs pouvant jouer sur les représentations politiques [Guimond et Palmer, 1990; 1996; Collard-Bovy et Galland, 2003]. L’enquête de T.M Newcomb dans un collège américain des années 1930 à la population estudiantine exclusivement féminine et provenant de familles plutôt conservatrices constate un changement des représentations politiques de ces dernières et l’explique notamment par le changement de groupe de référence de ces étudiantes [1943]. Celles-ci adoptent alors la communauté du collège de Bennington comme nouveau groupe de référence, communauté formée notamment de professeurs majoritairement libéraux et progressistes favorables à la politique du New-Deal [Alwin, Cohen et Newcomb, 1991: 32].

Après avoir mis en avant le rôle potentiel joué par les enseignements et les enseignants sur les représentations politiques (de l’enseignement supérieur), nous nous attacherons à démontrer la possible influence des pairs, soit les autres étudiant(e)s sur ces représentations. Dans Boys in White : Student culture in medical school, est abordé un cas de socialisation secondaire, la socialisation médicale [Becker, Geer, Hughes et Strauss, 2002]. Sont étudiés de jeunes étudiant(e)s en médecine et les « expériences prévues et imprévues au cours desquelles ces jeunes profanes deviennent détenteurs d’une partie de la culture médicale, à la fois technique et scientifique, des professionnels » [Darmon,

Figure

Tableau 1. Répartition des étudiant(e)s des deux facultés selon leur niveau d’intérêt  pour la politique
Tableau 3. Répartition des étudiant(e)s selon leur fréquence de suivi de l’actualité
Tableau 4. Répartition des étudiant(e)s des deux facultés selon leur positionnement  politique sur un axe « gauche/droite »
Tableau 6. Répartition des étudiant(e)s des deux facultés selon leur avis quant au  montant des frais de scolarité actuels
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