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Chapitre 2 : Une double enquête auprès d’étudiant(e)s de deux facultés

2.2 Les indicateurs

Les indicateurs choisis pour cette recherche doivent nous permettre d’appréhender les différents types de socialisation familiale et universitaire se dessinant au sein de la population étudiante, mais également de réaliser plus aisément les liens et moments de rupture entre ces deux temps. En voulant tout d’abord analyser les différents types de socialisations politiques opérés durant le temps de l’enfance et de l’adolescence (en portant une attention particulière à l’instance familiale), nous voulons obtenir des données sur le milieu familial dans lequel a évolué l’étudiant(e). Ainsi, les informations obtenues quant à la condition socioéconomique, le milieu socioculturel dans lesquels les étudiant(e)s ont grandi constituent des indicateurs précieux. En effet, la plupart des enquêtes traitant de la politisation dans le cadre scolaire ou universitaire cherchent à obtenir des informations en la matière, car estiment que ces éléments conditionnent le rapport aux études et donc la capacité d’influence que ces dernières peuvent avoir dans une dimension politique [Newcomb, 1943; Michon, 2006; Dostie-Goulet 2009]. De même, les informations relatives à la place occupée et le rapport à la politique dans la structure familiale sont indispensables à la production d’une analyse pertinente, voyant dans cette dernière une instance phare du processus de socialisation politique, conditionnant de surcroît la suivante (socialisation universitaire). Enfin, puisque la socialisation primaire ne peut se limiter à l’appréhension de la socialisation familiale,

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nous devons également obtenir des renseignements quant à l’environnement dépassant ce cercle dans lequel les étudiant(e)s ont grandi : milieu urbain ou rural, type d’école fréquentée, etc.

Ensuite, souhaitant observer la potentielle influence de la poursuite d’études universitaires sur l’intérêt politique des étudiant(e)s et sur leurs représentations de l’enseignement supérieur, nous devons obtenir des données quant à leur parcours, ainsi qu’à leur rapport aux études et aux différents éléments s’y rattachant. Plus précisément, la faculté d’études (et ses filières) et son effet de « sensibilisation » et « d’orientation » sur la question de l’enseignement supérieur a été étudiée au travers de trois éléments constitutifs différents, que notre partie sur le contexte d’études et ses composantes a déjà pu laisser entrevoir.

Tout d’abord, l’enquête a cherché à collecter des informations quant aux enseignements reçus par les étudiant(e)s, mais s’est aussi attardée sur les professeurs enseignant la matière. Ainsi, nous considérons que la faculté (et les différents programmes d’études qui y sont proposés), à travers les cours, permettrait l’acquisition de concepts et de catégories propres à penser le monde social et générerait chez les étudiant(e)s l’acquisition plus ou moins importante d’une compétence politique [Delsaut, 1970]. L’acquisition de ces concepts, la pédagogie à l’œuvre pour les intégrer, le rapport aux professeur(e)s constitueraient autant d’éléments pouvant avoir une influence sur les représentations politiques des étudiant(e)s [Michon, 2006; Darmon, 2012].

Secondement, nous avons présumé de l’influence des pairs, soit les autres étudiant(e)s avec lesquels évoluent les personnes que nous avons interrogées. Ce groupe de pairs peut être considéré comme capable de sensibiliser et d’orienter plus ou moins ses membres, notamment en matière de « réflexion politique » et plus précisément ici, sur un questionnement touchant à l’enseignement supérieur. On présume ainsi que selon les programmes et facultés, le recrutement social diffère, la puissance des activités intégratrices également etc., engendrant ces différents ensembles de caractéristiques propres aux groupes et générant ainsi des socialisations distinctes.

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Enfin, nous avons considéré ce que nous avons appelé dans le chapitre précédent les conditions matérielles de l’étudiant. La variation du matériel, des structures mises à disposition des étudiant(e)s, etc., sont ainsi considérées comme capables de créer un rapport aux études spécifique et non sans répercussions sur les prises de position des étudiant(e)s sur des questions touchant par exemple à l’accessibilité financière des études universitaires, au fonctionnement des universités, etc. Ainsi nous ne cherchons pas seulement à savoir si le contexte d’études agit sur les représentations de l’enseignement supérieur des étudiant(e)s, mais aussi à comprendre par quels mécanismes.

Soulignons enfin qu’en présumant de la capacité d’action du contexte universitaire sur la formation et l’évolution de l’intérêt politique des étudiant(e)s et de leurs représentations, notamment en matière d’éducation supérieure, nous induisons inévitablement la variable temporelle. Cette potentielle action opère progressivement dans le temps. Les travaux traitant de la politisation par le biais des institutions académiques ont en effet souvent étalé leurs terrains sur plusieurs années, afin de constater au mieux l’évolution dans le temps des représentations et attitudes politiques [Newcomb, 1943; Guimond et Palmer, 1990; 1996; Michon, 2006; Dostie-Goulet, 2009]. 2.3 Une méthodologie mixte

Afin d’opérer le choix de la méthode qui puisse nous permettre d’atteindre nos objectifs de recherche, nous avons tout d’abord décidé de nous pencher sur les différents protocoles d’enquête mis en œuvre dans les travaux portant sur la politisation dans le cadre scolaire ou universitaire. Ceci dans le but de mettre en évidence les avantages et inconvénients de chacune des méthodes utilisées.

Certains travaux ont décidé de réaliser un protocole d’enquête faisant usage de l’enquête par questionnaire. C’est ainsi notamment le cas de Serge Guimond et Douglas L. Palmer, mais aussi d’Olivier Collard-Bovy et Benoît Galand. Dans les deux cas, il s’agissait de vérifier par la distribution de questionnaires auprès d’étudiant(e)s, si le système éducatif pouvait engendrer des variations d’attribution causale en matière de chômage et de pauvreté en fonction des filières d’études universitaires [1990; 1996;

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2003]. En plus de questions portant donc sur les thématiques du chômage et de la pauvreté, des données étaient recueillies quant aux domaines et niveaux d’études des participants, leur sexe, leur âge, leur profession, ou encore le niveau d’études de leurs parents. Dans notre cas, il nous est donc apparu pertinent dans le cadre de cette recherche comparative de réaliser un questionnaire afin de pouvoir établir de la même manière que pour les travaux ici mentionnés, un profil morphologique de notre population étudiante. De plus, la collecte d’informations nombreuses et variées devait permettre un traitement statistique. Cette technique nous offre également la possibilité d’établir ainsi des typologies de socialisations chez les enquêtés et de pouvoir ainsi éventuellement constater déjà d’une potentielle proximité des étudiant(e)s des mêmes programmes et facultés en différents points (situation socioéconomique, pratiques socioculturelles, représentations politiques, rapport aux études, etc.).

A l’inverse une recherche comme celle de Benjamin Gourisse, traitant du lien entre l’engagement politique et le passage par les institutions de l’enseignement supérieur après avoir constaté la forte proportion d’étudiants parmi les militants d’organisations syndicales actives lors du coup d’État turc de 1980, a préféré la réalisation d’entretiens seule, en soulignant que malgré les risques de la méthode, celle-ci constituait la seule permettant réellement d’accéder au récit des expériences individuelles [2011 : 42].

Les deux méthodes présentant donc des attraits différents, il a été décidé de réaliser un protocole d’enquête double, couplant questionnaires et réalisation d’entretiens avec certains étudiant(e)s ayant répondu au questionnaire. Dans les années 1930, T.M Newcomb réalisait déjà une enquête auprès de la communauté d’étudiantes du college Bennington utilisant à la fois des questionnaires et des entretiens semi-dirigés [1943]. Plus récemment Sébastien Michon a fait lui aussi ce choix, de même qu’Eugénie Dostie- Goulet [2006; 2009]. Cette méthodologie mixte semblait la meilleure afin d’atteindre nos objectifs et ce, pour plusieurs raisons. Elle permettait tout d’abord de coupler les avantages mentionnés précédemment quant à chacune des méthodes, mais également d’en éviter les écueils. L’enquête par questionnaire présente en effet plusieurs limites, auxquelles les entretiens permettent de palier et vice et versa. Ainsi, comme le souligne Eugénie Dostie-Goulet :

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L’approche par questionnaires, bien que pouvant souvent donner un portrait valable de l’histoire des répondants, force à délimiter les réponses. L'ajout d'entrevues semi-dirigées me permettait de creuser certains sujets qui étaient ressortis comme étant particulièrement intéressants après une première analyse des données de sondage [2009 : 22].

La réalisation d’entretiens doit donc nous permettre ainsi d’approfondir notre analyse sur le rapport entre les différents temps et instances de socialisation politique, notamment en permettant de compléter des éléments apparus pertinents lors du traitement des questionnaires. Aussi, l’enquête par questionnaire aide à définir « qui » sont les étudiant(e)s et ce qu’ils pensent sur les sujets nous intéressant, tandis que les entretiens semblent être plus à même de nous aider à obtenir l’expression d’attributions causales quant à leurs opinions politiques, notamment en matière d’enseignement supérieur et à appréhender les facteurs explicatifs quant à la formation et l’évolution de ces dernières. En effet, comme le rappelle Daniel Gaxie, les enquêtes quantitatives privilégient quelques facteurs et simplifient l’explicitation des connexions causales, le nombre des variables ne pouvant épuiser la complexité des réalités observées [2002 : 174]. Aussi, comme le souligne Sébastien Michon dans sa thèse afin de justifier son propre protocole de recherche :

Les enquêtes quantitatives ne sont cependant pas les plus adaptées pour recueillir des discours, des représentations, des justifications et le sens donné aux actions. Les questionnaires ne permettent pas d’atteindre une pluralité d’aspects liés à la manière dont les acteurs se considèrent [2006 : 43-44].

En somme, ce protocole de recherche nous permettait donc une meilleure interaction et l’obtention d’un propos a priori plus complet, permettant finalement la production d’une meilleure analyse.

Dans les deux démarches il s’agissait d’instaurer la variable temporelle. En effet, le contexte d’études est supposé agir progressivement, dans un laps de temps relativement long. Le projet se réalisant dans le cadre d’une maîtrise, il était difficile d’interroger des étudiant(e)s alors en début de baccalauréat et de revenir vers eux en fin de cycle. Le choix a été fait de se concentrer tout d’abord sur une seule cohorte d’étudiant(e)s en fin de cycle de baccalauréat (environ 60 crédits complétés et plus). Les questions obligeaient ainsi l’étudiant à regarder son parcours de manière rétrospective. Le

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nombre de répondants que nous souhaitions obtenir ayant été difficile à atteindre, il a été finalement décidé d’ouvrir notre recherche aux étudiant(e)s des second et troisième cycles, ayant dont déjà passé un nombre conséquent d’années au sein du contexte universitaire.

Ce questionnaire comportait 132 questions (Annexe 1) et nécessitait entre 25 et 30 minutes pour le remplir. Il était composé de cinq sections différentes, nous offrant des informations se rapportant notamment aux « indicateurs » précédemment mentionnés. Tout d’abord, une première partie interrogeait l’étudiant sur des questions que nous avons appelées « d’ordre général » (sexe, âge, citoyenneté, etc.). Une seconde section se penchait sur le parcours scolaire et universitaire des répondants en cherchant à récolter donc des informations sur la situation académique actuelle de l’étudiant de manière stricte (programme en cours, nombre de crédits complétés, moyenne, etc.), mais aussi en s’intéressant au rapport aux études de l’étudiant. La section cherchait également à retracer le passé académique de l’étudiant (d’autres programmes universitaires ont pu être fréquentés, informations sur les études collégiales et secondaires, etc.). La troisième partie du questionnaire avait pour but de nous donner des informations sur les origines et la situation socioéconomique actuelle de l’étudiant (revenus de l’étudiant, accès aux prêts et bourses, aide financière familiale, etc.). Ainsi toute une série de questions portaient non pas directement sur l’étudiant, mais sur la condition socioéconomique du milieu familial dans lequel il a évolué (revenus des parents, métier exercé). La quatrième partie devait fournir des renseignements sur les pratiques et habitudes socioculturelles de l’étudiant. Nous entendons ici connaître les loisirs de ces derniers par exemple. Mais il s’agissait également d’évaluer le capital culturel de chacun. Avec cette section nous voulions également pouvoir juger de l’intérêt pour la politique de manière générale de l’étudiant et de son orientation (pratiques de vote, militantisme, etc.).Dans cette même section, nous nous devions également d’interroger l’étudiant sur son milieu familial dans sa dimension culturelle (diplômes des parents, pratiques culturelles de ces derniers, etc.). Nous voulions ici comprendre la place que tenait la politique dans les discussions familiales (fréquence des discussions, thématiques abordées, etc.) Enfin, une dernière série de questions portait sur les représentations de l’enseignement supérieur des

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étudiant(e)s, dans les termes évoqués dans notre cadre conceptuel : accessibilité aux études, rôles et financements universitaires, fonctionnement interne de l’institution.

La grille d’entretien (Annexe 2) se composait des mêmes intitulés de sections que pour le questionnaire, mais comme expliqué précédemment, elle avait pour objectif de compléter les réponses limitées et synthétiques de la précédente méthode et surtout devait pousser l’étudiant à se questionner sur la formation et l’évolution de ses représentations politiques, notamment en matière d’enseignement supérieur. Ainsi, toute une série de questions portaient directement sur l’influence éventuelle que l’étudiant pouvait accorder à la sphère familiale et au contexte d’études, comme éléments socialisateurs dans une dimension politique. Si l’étudiant répondait favorablement, nous cherchions donc à comprendre quels étaient les facteurs au sein même de ce contexte d’études, ceci nous renvoyant vers les indicateurs précédemment exposés notamment (enseignements, pairs, etc.).