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Le trafic d‟influence

Dans le document Être motard : Hells Angels malgré tout (Page 171-176)

Chapitre 5. Hells Angels et contrôle en milieu carcéral

4. Le contrôle proscrit par le personnel du Service correctionnel

4.2 Le trafic d‟influence

Le second trafic dont il a été question au cours des entrevues en est un plus difficile à cerner. Le personnel du SCC considère que les motards exercent un trafic d‟influence85. C‟est ainsi qu‟ils sont perçus comme contrôlant diverses sphères d‟activités du quotidien, que ce soit la priorité à la cantine, le choix des cellules, ou les places à la table lors des repas :

Quand je te dis qu‟ils ont des privilèges, par exemple, c‟est eux autres qui s‟occupent de la cantine. Le jeudi, on reçoit les fruits et légumes. Admettons qu‟il y a 100 commandes, les 25 premiers paniers qui sont faits, ils ont les meilleurs fruits et légumes. Les premiers à recevoir le leur, c‟est toujours les membres, les gens du crime organisé et les proches. Le 100e, c‟est celui qui est en protection. Qu‟ils fassent ça, c‟est conscient, mais c‟est aussi inconscient je pense. Je pense que sont pas si conscients qu‟ils créent une hiérarchie. Et ça, ça dépend qui contrôle la cantine, parce que chaque personne a sa façon de faire. (Patrick, détenu non motard)

On a eu des gens justement, toute la gang du chapitre qui a été éliminé, qui était là, qui avait chacun leur bout de rangée. Parce que c‟est toute une structure qui s‟installe autour des Hells. Comme la dernière cellule de chaque rangée, c‟était un full patch. C‟est ça, c‟est vraiment structuré, organisé. Eux autres, ils ont vraiment la dernière cellule. Les deux cellules suivantes, c‟est les lieutenants. C‟est vraiment ceux qui

85 Nous n’avons trouvé aucun document contenant une description formelle du trafic d’influence. Nous

avons fait la demande au SCC pour obtenir des informations supplémentaires à cet effet, information qui nous a été refusée considérant qu’elle n’était pas nécessaire selon les objectifs de la thèse. À la lumière des informations recueillies auprès des interviewés, il s’agit essentiellement de juger que le détenu utilise son statut d’affilié au crime organisé pour contrôler, obtenir des privilèges ou des faveurs de la part des autres détenus.

sont le plus proche d‟eux autres. C‟est pas des gars qui vont faire des jobs de bras86. C‟est vraiment des gens proches, qui sont hangaround, qui sont proches de l‟organisation, d‟un membre. Après ça t‟as tout, en t‟en venant, la hiérarchie s‟établie. Jusqu‟aux premiers qui sont n‟importe qui. Mais proche proche proche, ça peut être des frotteux ou des strickers ou des hangaround ou des gens qui sont appelés à le devenir. La dernière cellule, c‟est toujours un membre. En s‟en venant, la hiérarchie descend jusqu‟en avant. Parce que si on gaz, c‟est les premières cellules qui sont le plus gazées. Vers la fin, elles sont beaucoup moins gazées, entre autre. C‟est pour ça qu‟ils prennent toujours la cellule du fond. Quand on gaze, le call se fait. Puis ils ont le temps de mettre une serviette en bas de leurs portes; ils sont moins gazés. Quand on s‟en vient, pour faire une ronde, y a tout le temps des calls qui se font; les premières cellules avisent toujours les cellules à venir. Ça fait que si y a de la gaffe qui se fait en montant dans les cellules, les premiers détenus vont caller. Ils ont toujours un code. Y‟a quelque chose qui se crie dans la rangée. Et tu sais que c‟est parce qu‟on rentre dans la rangée. Tout le monde a le temps de se préparer. (Jocelyn, personnel de surveillance)

Tout le monde se met à genoux devant lui, et on te donne une table. Hey! On le sait qu‟il y a des détenus, que ça fait des mois qui sont dans cette rangée-là, qui ont même pas de table pour manger sur l‟heure du dîner. Ils mangent dans leur cellule. Lui y arrive, et c‟est le comité d‟accueil, tous ses chums qui viennent le voir, c‟est ses amis Hells, et là, oups, y a un petit napperon lui. Il a une table et il peut manger avec tout le monde. Ils ont encore le contrôle, ça on le sait. (Pascale, personnel de surveillance)

Dans un même ordre d‟idées, les autorités carcérales disent être intervenues parce que des détenus se désistaient pour leur visite familiale privée (VFP) afin de laisser leur tour aux motards. Ils auraient aussi sévi lorsqu‟ils ont remarqué que les motards s‟octroyaient des droits supplémentaires lors de fêtes communautaires :

Ouais c‟est assez... avant ça non, mais là avec le nouveau système... parce qu‟avant ça, y en avait qui se désistaient; les petits étaient obligés de se désister, pour augmenter la fréquence des gros. Parce qu‟on a 6 VFP. Y a des dates pré-établies d‟avance. Un moment donné, y en a qui se désistaient et là les motards remplissaient les vides. Admettons qu‟il y en a 6 et y en a un qui dit : « Moi je peux pas y aller ». Ils s‟arrangeaient pour prendre quelqu‟un d‟autre pour le remplir. Maintenant, y ont arrêté ça parce que dans le fond, le turnover était plus grand parce que si t‟en as 6, y en a 3 qui lâchent, y en a 3 nouveaux qui

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rentrent, ça veut dire le Hells, en tous cas, les gros, leur tour vient plus souvent. Le turnover était comme plus rapide alors ils y allaient plus souvent. Mais les autres, ils sautaient. Tandis que là, ils ne les remplissent plus. Alors ceux qui cancellent, c‟est tant pis, ça finit là. (Yannick, personnel de surveillance)

Des tables à la visite, le patio à l‟extérieur, c‟est réservé. Ce qui est arrivé à une fête communautaire, on n‟a pas aimé ça. Un moment donné, ça vient qu‟on entre, nous autres aussi, dans une certaine routine. Puis on ne s‟en rend plus compte. Ce qui est arrivé, c‟est qu‟ils se sont installés dans le gym. Les 4 tables, les 4 plus gros étaient là. Puis tout le reste, c‟était le reste de la population. Eux autres avaient la moitié du gym et ces 4 tables là pour leurs enfants et leurs gangs. Voyons donc. (Jocelyn, personnel de surveillance)

Les Hells Angels, pour s‟assurer de pouvoir continuer à garder une mainmise sur la vie quotidienne du pénitencier, feraient des enquêtes sur les nouveaux-venus. Steve explique qu‟il s‟est senti observé lorsqu‟il est entré lors d‟une nouvelle sentence dans une rangée occupée par beaucoup de motards. Il affirme que ceux-ci faisaient faire une enquête à savoir s‟ils pouvaient lui parler ou non. Ce silence aurait duré trois jours au bout desquels les Angels auraient décidé qu‟il était digne de confiance et qu‟il pourrait ainsi demeurer dans la rangée. Les Hells, selon le personnel, vérifient que les détenus ne donnent aucune information aux autorités. Dès lors, ils feraient non seulement une enquête initiale à l‟arrivée d‟un détenu, exigeant de lui qu‟il montre son dossier indiquant ses délits, mais par la suite, ils vérifieraient les documents provenant des ALC (connu sous le nom de « REC ») lorsqu‟un détenu sort du bureau :

C‟est les Hells. Parce qu‟ils ne veulent pas avoir de taupe dans leur membres. Parce que si un détenu vient nous voir, peut-être qu‟il parle. Peut-être qu‟il nous donne de l‟info. Ils ne veulent pas ça eux autres. Anciennement on appelait ça un REC, ou des plans correctionnels. Ils disent : « Hey, montre moi ton REC. » Le détenu arrive sur le pallier, il montrait son REC et le gars lisait le REC pour voir c‟était quoi qu‟il disait dans le REC. Parce que les ALC marquent quasiment tout là- dedans. Des fois ils en mettent trop… Puis souvent, ils font un compte- rendu des rapports protégés. Eux autres, ils veulent tout voir. Ils veulent tout contrôler l‟information. Ils veulent tout contrôler leurs détenus, pour voir s‟ils ne délatent pas. (Jocelyn, personnel de surveillance)

Sans affiliation, il serait donc tout de même préférable d‟être apprécié des motards pour éviter une incarcération pénible :

S‟il y a un Hells Angel qui décide que t‟as pu le droit de respirer pour une raison, ou qui t‟aime pas, ou que son ego est blessé ou que tu lui enlèves quelque chose, ça s‟arrange mal. Tu t‟arranges mal. Même si t‟as jamais rien fait à personne, t‟es en danger. (Denis, détenu non motard)

Les activités illicites seraient des façons de maintenir certains standards de vie. Du point de vue des autres détenus, comme de celui du personnel du SCC et à certains égards, selon des motards aussi, le statut de motard rend le temps passé entre les murs moins pénible :

Il n‟y a aucune façon de faire du bon temps. Moi, tu me mets loin de ma famille, je vais dire que c‟est la fin de mon monde. Je serais pas capable. Je veux pas banaliser non plus et dire : « Il y a rien là faire du temps là! » C‟est pas vrai. Mais disons que c‟est plus facile pour un motard que pour n‟importe quel détenu qui a aucun avantage. (Julie, ALC)

J‟ai pas agi comme un motard en prison. Si j‟aurais voulu vraiment continuer et agir comme un motard, j‟aurais un petit gars qui ferait mon lavage, j‟aurais un petit gars qui ferait mon ménage, j‟en aurais un autre qui ferait mes repas. Je ferais rien, et tout serait fait. Je te dis pas que c‟est comme ça pour tous les motards, mais tous les gens qui ont une certaine influence, du crime organisé ou de criminels de plus grande stature si tu veux là, c‟est comme ça. (Alain, motard)

D‟une part, le groupe HA répond à certains besoins de sécurité, psychologiques et matériels, tel que Jacobs (1974) l‟avait noté. D‟autre part, la réputation collective des HA contribue à leur bon positionnement dans la hiérarchie des détenus. Une vie de « pacha ». Le terme choisi par Denis est celui qui représente le mieux la perception que les autres détenus et le personnel correctionnel entretiennent de la vie de la plupart des motards en milieu carcéral.

Les motards laissent peu de détenus indifférents à leur égard. Plusieurs les craignent ou les admirent. Ces sentiments nourrissent leur positionnement dans la hiérarchie

retrouvée en milieu carcéral et les placent dans un rôle où ils exercent une forme de contrôle sur les autres détenus. Le personnel de surveillance constate cette dynamique et, dans une certaine mesure, apprécie qu‟ils contribuent à maintenir un pénitencier relativement calme. On leur attribue néanmoins aussi un rôle dans le contrôle d‟illégalisme qui se produisent en prison, situation qui elle, n‟est pas appréciée par les autorités carcérales.

Dans le document Être motard : Hells Angels malgré tout (Page 171-176)