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Dans le document Être motard : Hells Angels malgré tout (Page 145-148)

Chapitre 5. Hells Angels et contrôle en milieu carcéral

2. Codétenus : crainte et admiration face à ces motards réputés

2.1 Indifférence

Peu de détenus s‟opposent franchement aux motards, d‟autant plus que ces derniers occuperaient des postes importants dans la prison (notamment : comité de détenus, emploi aux sports, à la cantine, etc.). Néanmoins, certains détenus, surtout parmi les plus vieux, sont plus solitaires et indifférents face aux motards. Denis, par exemple, a

entretenu une bonne relation avec les motards, a parfois été proche d‟eux, mais n‟a jamais cherché à entrer dans le processus pour devenir membre. Il affirme n‟avoir jamais été redevable face aux motards et n‟avoir jamais voulu devenir striker parce que les membres sont exigeants face à ceux qui se situent dans le bas de l‟échelle et leur demandent beaucoup de services : « Ils sont traités comme un striker. C‟est : « Fais mes affaires. Fais mon lavage. Fais ma bouffe. Va chercher ma cantine. Travaille pour moi. Vends de la drogue pour pas que moi… » (Denis, détenu non motard). Patrick, quant à lui, tient un discours qui montre qu‟il ne considère pas les motards comme une collectivité admirable, mais a plutôt tendance à considérer que ces individus peuvent lui être proches parce qu‟ils vivent des problématiques similaires :

Moi je connaissais rien d‟eux [les motards] avant de rentrer ici. J‟ai appris. Mais moi, j‟suis pas impressionné. Ils se sont entre-tués. Tout ça, c‟est mystérieux pour moi. Il y a eu 160 morts au moins. Je la comprends pas celle-là. Mais côté individu, on a beaucoup d‟expériences en commun : nos femmes sont parties en même temps, on a les mêmes problèmes d‟avocat, les histoires d‟enfants... À Donnacona, je les ai vus les motards, autant que les autres, se faire bronzer en bobette quand il faisait soleil. On est tous égal ; on est tous des détenus. (Patrick, détenu non motard)

Patrick fait ainsi fi de la réputation collective pour se concentrer sur l‟expérience individuelle de chacun. Peu de détenus ont verbalisé une indifférence face aux motards. Lorsqu‟ils le font, ils se ravisent parfois en cours d‟entrevue. Nous pensons ici à Eddie qui, si d‟un côté affirme qu‟il considère les HA comme tout autre détenu, plus tard en entrevue, il rectifie pour constater qu‟il porte une attention particulière à ne pas froisser un motard. Steve et Patrick sont les interviewés qui manifestent le plus d‟indifférence face aux motards. Les deux sont d‟avis que ce sont des détenus qui devraient être considérés comme le reste de cette population. Il est intéressant de noter que Steve croit que cette indifférence inquiète les motards :

Il y en a un, [nom d‟un motard] là, celui qui était président de [nom d‟un chapitre], lui il se promenait tout le temps avec six, sept gars autour. Quand il passe, tout le monde : « Salut [nom d‟un motard]! Salut [nom d‟un motard]! » Fait que moi, quand il passait, je le regardais même pas. Je voyais qu‟il me regardait. Quand ils voient que tu te crisses d‟eux-autre, ils se disent: « C‟est qui ça? » Ça les inquiète

un peu là. Quand ils voient que t‟es inquiétant pour eux-autres, ils te regardent. Ils regardent en estie. Mais c‟est ça, parce que si t‟es indifférent avec eux-autres, quand ils voient que tu te crisses d‟eux- autres, que t‟as pas une crainte, là ils te regardent. Ils veulent savoir qui t‟es et ils veulent savoir c‟est quoi tu fais là. C‟est ça le trip. (Steve, détenu non motard)

L‟indifférence de Steve lui aurait valu un certain nombre de conflits avec des motards. Il affirme que ces derniers considèrent que le respect leur est dû. Cependant, il ajoute que comme dans tout groupe d‟individus, certains sont « corrects ».

2.2 « Colère » face aux motards

Les interviewés n‟ont pas mis de mots sur leurs sentiments négatifs à l‟égard des motards. Néanmoins, on sent de l‟irritation, du mécontentement, voire de la colère chez certains. D‟emblée, un regard critique est posé par certains sur les Angels qui, à leurs yeux, ne grandissent plus dans la « culture criminelle » et ils n‟y auraient donc pas appris les valeurs (le respect, la loi du silence, etc.) ayant cours.

Ensuite, la guerre des motards a laissé certaines traces négatives à leur égard. Tel que vu précédemment, les motards sont à l‟origine d‟un resserrement des lois et les autres délinquants pensent en payer le prix :

Toutes les lois se sont resserrées. Dans le fond, ils ont fait de la merde à tout le monde. Le monde, sont pas dupes non plus. Ils savent qu‟à cause de cette guerre-là, les lois sont plus dures. Il y a un genre de climat… Il y a de l‟amertume par rapport à ça. (Denis, détenu non motard)

Ayant constaté la létalité du conflit, des interviewés considèrent les motards comme n‟étant pas dignes de confiance :

J‟aime pas le trip motard. Tu peux pas avoir confiance en eux-autres. Ils vont tout le temps aller du côté du plus fort. Même si tu serais son ami, ça fait dix ans… Même le gars qui est ton chum, il va tomber sur leur bord, c‟est peut-être lui qui va te crisser une balle dans le dos. Eux, c‟est le nombre qui l‟emporte. Moi je suis pas comme ça. Moi j‟arriverais à table et : « Vous voulez péter mon chum? Excuse-moi, t‟as pas d‟affaire à le péter là! » Tu comprends? Moi, je suis comme ça. Moi, jusqu‟à preuve du contraire, tu vas venir me dire que ce gars-là c‟est un

crosseur, ok. Bon, je vais aller y parler. Là, ils vont me dire : « Steve, parle pas à ce gars-là, c‟est un crosseur! » Moi je vais leur dire : « C‟est pas toi qui va me dire à qui parler! » Moi, je vais lui parler, même s‟il est crosseur. J‟y conte pas ma vie au gars là. Il me dit : « Salut! » J‟y dis : « Salut! » (Steve, détenu non motard)

Finalement, le fait qu‟ils s‟impliquent dans le contrôle en milieu carcéral n‟est pas toujours bien vu par les détenus. Bien que Steve considère que les motards ont simplement compris l‟avantage de ce rôle, il constate que parmi les détenus, tous ne sont pas favorables à cette collaboration :

Ils comprennent qu‟en respectant le staff, ils t‟écoeurent pas, tu comprends? Et le staff au Leclerc, ils ont des problèmes avec les Noirs, ils ont pas de problème avec les HA. C‟est sûr qu‟il y a du monde qui aiment pas les HA. Quand le keeper77 appelle un membre des HA et qu‟il lui dit: « Là, tu vas parler à tes gars. Parce que sinon, on va vous enlever vos petits privilèges. » Là le membre des HA, il fait le tour et il parle à tous ses gars : « Ben là tabarnacle, nananana….» Fait qu‟il y en a qui disent qu‟ils embarquent dans gang des screws, tu comprends? (Steve, détenu non motard)

Tous les détenus rencontrés constatent néanmoins qu‟il reste des individus « groupies » qui tentent de se rapprocher des motards.

Dans le document Être motard : Hells Angels malgré tout (Page 145-148)