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Clubs écoles : bassin de recrutement et système de promotions

Dans le document Être motard : Hells Angels malgré tout (Page 90-94)

Chapitre 3. Hells Angels : défis et résilience

2. La résilience des Hells Angels

2.2 Forces organisationnelles

2.2.2 Clubs écoles : bassin de recrutement et système de promotions

Pour qu‟une telle organisation se perpétue, une forme de recrutement est nécessaire, et ce, particulièrement en période de conflit armé et de répression alors que l‟on perd certains membres de façon permanente à cause de la mort, ou temporaire en raison de leur incarcération. Pendant une telle période, le recrutement se fait plus massif étant donné le besoin de « soldats » pour vaincre l‟ennemi (Paoli, 2003; Reuter, 1983). Afin

42 Salvatore Cazetta en 2007 avait fait l’objet d’un scandale parce que bien que membre Hells Angels, il

était un fondateur du distributeur de Cintron, une boisson énergisante, commanditaire principale de l’émission de téléréalité Loft Story (Meunier & Cédilot, La 16 avril, 2009).

de prospérer dans le milieu criminel, il importe donc de jouir d‟un important réseau de recrutement (Steffensmeir & Ulmer, 2005, p.275). Les motards québécois sont principalement constitués de Caucasiens et en ce sens, ils ont un bassin de recrutement, au Québec, beaucoup plus fertile que celui dont jouissent d‟autres types de groupes criminels organisés (Triades chinoise, mafia russe, mafia italienne, etc) (Tremblay et al., 2009).

Néanmoins, à la fin des années 1980, les membres HA se faisaient de plus en plus vieillissants (Tremblay et al., 1989). Il fallait trouver un moyen de contrer ce phénomène pour éviter que le groupe ne disparaisse. L‟instauration massive de clubs écoles (aussi appelés « club affiliés ») a grandement aidé. Ces clubs ont aussi permis d‟investir plus de régions et de solidifier l‟emprise des Hells au Québec.

Depuis leur arrivée dans la province, les HA utilisent les plus petits clubs pour la distribution de drogues. À titre d‟exemple, le rapport de 1980 sur les groupes de motards criminalisés indique que les Night Angels, créé en 1973, sont affiliés aux HA. Les Death Riders de Laval représentent le plus ancien club école des Hells Angels. Créé en 1966, il y est affilié depuis l‟arrivée des HA en 1977 (Ouellette & Lester, 2005). Néanmoins, c‟est au cours de la décennie 1990 et de l‟an 2000 que les clubs affiliés ont proliféré43. Bien que certains membres HA proviennent d‟ailleurs, la plupart y sont puisés (Pigeon, 1998, p.4). Dans une déclaration statutaire, Sirois affirme : « Le but du club affilié, c‟est de former ses meilleurs éléments dans le but que ces membres-là puissent un jour devenir des Hells Angels ou des Nomads » (Sirois, 1999-2000).

Les clubs écoles sont également utiles dans le contrôle du territoire : « En plus de l‟aider à contrôler son territoire, d‟y assurer la distribution de sa marchandise illicite, d‟y contrôler les bars et les clubs, le club école empêche les organisations rivales de s‟installer » (Ouellette & Lester, 2005, p.52). Le groupe affilié existe pour servir les

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intérêts du chapitre par lequel il est parrainé (Pigeon, 1998, p.5). S‟il y a conflit avec autrui, ce sont les membres de ces groupes qui sont utilisés pour le régler.

L‟utilisation des clubs affiliés comme exécutants assurait, du moins jusqu‟à l‟opération Printemps 2001, une certaine immunité aux membres HA en les distanciant des exécutants (Ouellette & Lester, 2005; Pigeon, 1998; Sher & Marsden, 2003). Les forces policières ont ainsi peine à se rendre aux têtes dirigeantes et il est plus facile de remplacer les membres au bas de l‟échelle en cas d‟incarcération. À cet effet, pendant les dernières années du conflit (1998, 1999, 2000), les Hells ont également créé des Cliques44. Se situant sous les clubs écoles dans la hiérarchie, elles avaient les mêmes objectifs et obligations que les clubs affiliés. Elles étaient utiles à la sécurité des têtes dirigeantes, mais aidaient également au recrutement : il a été démontré que le système de promotions comble un besoin de valorisation et de pouvoir chez les participants (Leduc, 2006). Le fait d‟appartenir à une clique d‟allégeance HA crée un sentiment d‟appartenance très tôt dans le processus, ce qui encourage à vouloir gravir les échelons de cette organisation (Pigeon, 1998).

Ces groupes hiérarchiques font partie d‟un système de promotions, auquel Leduc (2006) s‟est intéressé (voir annexe 1 pour comprendre l‟organigramme des promotions). En procédant à une étude de cas45, elle confirme son hypothèse générale selon laquelle ce système est une des raisons qui explique la résilience du groupe en attirant de nouvelles recrues et en contribuant au dévouement des membres à la cause de l‟organisation.

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Clique Québec, qui deviendra les Damners Downtown, parrainée par Québec City; Clique Sherbrooke qui deviendra un chapitre Prospect HA à London, Ontario en avril 2001 parrainée par Sherbrooke; Clique Granby qui deviendra les Evil Ones Granby, parrainée par Sherbrooke; Clique South Side St-Hyacinthe qui deviendra Evil Ones Rive Sud, parrainée par South; Clique South Side Outaouais qui deviendra les Evil Ones Outaouais, parrainée par South; Clique Laval qui deviendra Clique Connection, parraînée par Montréal via leur club affilié Rockers Montréal, section Nord; Clique No Mens Land, parrainée par Nomads via leur club affilié Rockers Montréal section est; Clique Scorpions, parrainée par Nomads, via leur club affilié des Rockers Montréal à leur fondation et à compter de mars 2000 par leur section ouest; Clique Syndicate, parrainée par Nomads via leur club affilié des Rockers Montréal à leur fondation et à compter de mars 2000 par leur section ouest (Ouellette, 2006).

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Sources de données : données de la preuve de Printemps 2001, soit les témoignages de 3 repentis et de 2 agents sources, les affidavits policiers, les écoutes électroniques; entrevue avec un témoin expert sur les bandes de motards; trois livres consacrés aux motards (Bisaillon, 2005; Ouellette & Lester, 2005; Sher & Marsden, 2003).

Même si des règles formelles sont écrites, il y a flexibilité dans le système des promotions, ce qui motive les participants à se dépasser pour les obtenir. De plus, trois capitaux permettent aux aspirants d‟être récompensés : le capital social (capacité de l‟individu à coordonner et à utiliser ses contacts et qualité de la structure de son réseau personnel), le capital criminel (notion reprise de Hagan & McCarthy (1997), réfère au penchant criminel du capital humain) et le capital coercitif (aptitude d‟un individu à commettre des gestes violents, voire mortels, et habileté à contraindre autrui par la force, la brutalité ou la menace). Comme ces capitaux ne sont pas distribués également chez tous les participants, la mise en commun de ces ressources permet un meilleur fonctionnement de l‟organisation.

Néanmoins, tous les clubs écoles restants ont été démantelés le 31 octobre 2001. Si ces clubs leur ont énormément servi à construire l‟organisation, c‟est aussi ces filiales que les policiers ont réussi à infiltrer. Les meilleurs candidats de ces clubs ont intégré des chapitres et les autres ont été mis à la retraite (Ouellette, 2006).

2.2.3 Distribution géographique

Avant le conflit des années 1990, le territoire traditionnel des HA se situait en région et dans les banlieues de l‟île de Montréal. L‟île même était contrôlée par des « familles » du crime comme les Pelletiers, Bertrand ou des trafiquants indépendants (Paradis, 2003). Les villes dans lesquels les chapitres étaient établis en font foi (voir l‟annexe 3).

Mis à part une brève apparition sur la scène montréalaise à l‟arrivée du premier chapitre, c‟est avec le club école des Rockers en 199246 que les Hells établissent un premier pied à terre à Montréal. En 1990, ils avaient donc des chapitres localisés à Sorel, Lennoxville, St-Nicolas et Trois-Rivières, comptant alors une soixantaine de membres. Par la suite, ils ont doublé leurs effectifs et créé deux nouveaux chapitres, dont les Nomads (Cédilot, 2001, 7 avril). Le chapitre des Nomads est la première section Hells Angels à établir ses

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Chapitre parrainé par Maurice Boucher, alors membre du chapitre Montréal et qui sera à la tête des Nomads. Le local des Rockers est à Montréal même (Ouellette & Lester, 2005).

quartiers généraux dans la grande ville et il s‟agit d‟une unité spéciale d‟élite qui aura pour but de prendre le marché de Montréal (Sher & Marsden, 2003).

La présence marquée des Hells Angels hors de la région métropolitaine était déjà une force en soi. D‟une part, cette décentralisation aidait au recrutement. D‟autre part, elle donnait accès à une diversité de marchés. Les plantations de cannabis étant largement à l‟extérieur de l‟île de Montréal, les Hells étaient en bonne position pour s‟y impliquer (Tremblay et al., 2009).

Les Hells s‟établissent normalement loin des grands centres urbains, privilégiant les lieux qui disposent d‟un service policier inférieur à 20 membres parce que les corps policiers y sont plus petits et moins puissants (Commission de police du Québec, 1980; Ouellette & Lester, 2005; Sher & Marsden, 2003). Ils ont donc fait croître leur entreprise en région, et lorsqu‟ils furent suffisamment solides, ils se sont attaqués officiellement à l‟important marché de Montréal.

Au début de l‟année 2009, les Hells québécois parrainent un chapitre en République dominicaine (Cédilot, 2009, 15 avril). Selon Yves Lavigne, journaliste spécialisé dans les bandes de motards, cette destination a été choisie parce que beaucoup de drogue colombienne y transite (Benjamin, 2009, 16 avril).

3. La réputation des Hells Angels : conclusions possibles ou l’introduction d’une

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