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Fonctionnement de l‟organisation : le point de vue des HA

Dans le document Être motard : Hells Angels malgré tout (Page 123-128)

Chapitre 3. Hells Angels : défis et résilience

2. Différentes perspectives quant à l’organisation

2.2 Fonctionnement de l‟organisation : le point de vue des HA

Une force des HA réside dans le fait que pour certains aspects ils sont soudés par une solidarité et que pour d‟autres aspects, le « chacun pour soi » est prôné :

Oui, c‟est dans moi d‟être HA. Mais quand t‟es HA, t‟adhères à un régime de vie : du bicycle, des rides de bicycle, des partys et des regroupements. C‟est la base des motards. Ensuite vient la criminalité que chacun fait ce qui veut. Moi je connais des Hells qui font pas du tout de crime. Et dans ton crime, t‟impliques le moins de monde possible, parce que si je coule j‟implique le moins de monde possible. Moi j‟ai décidé de faire du crime et d‟avoir des businesses légales. Tu fais tes affaires à toi. Sévrine : donc personne ne parle des délits ? Certains aiment se péter les bretelles. Pas moi. C‟est pas une bonne chose. Quand tu fais parler de toi, ça va mal. (Bernard, motard)

Le crime, c‟était pas une affaire d‟ensemble. Quand il y avait des réunions des HA, on regardait les choses à l‟agenda. À chaque anniversaire de chapitre, tous les membres doivent être là. Sinon ils doivent avoir une bonne raison. C‟est comme ça pour que les membres s‟impliquent au point de vue social. On peut aussi se mettre à parler des lois qui peuvent toucher le club, comme le gangstérisme. Mais on ne parle pas de crimes. Parfois on parlait de stupéfiants ou de canards [Rock Machine], mais on ne parlait pas de crime précis. (Pierre, motard)

À la base, les motards se sont regroupés pour autre chose que la perpétration d‟actes criminels. Alain (2003) a déjà discuté de l‟importance de la culture des motards pour leur continuité. Ils ont développé un style de vie qui leur est cher. Ils font la fête et aiment circuler ensemble en motocyclette Harley Davidson: « You can‟t believe the rush you feel in your gut when everybody is kick-starting their bikes and we‟re ready to go » (Barger, 2000, p.5). Ils tiennent donc une force dans le groupe et non uniquement dans le groupe criminel. Le rapport de 1980 notait : « Les motards criminalisés sont relativement peu nombreux au Québec : 300 tout au plus. Mais la cohésion et la détermination leur confèrent une force redoutable » (Alain, 2003, p.117).

Plusieurs ont rapporté qu‟au fil du temps, les organisations criminelles, d‟abord fondées sur un sentiment d‟appartenance fort, ont bifurqué pour s‟orienter davantage vers des buts mercantiles (Paoli, 2003; Quinn & Kosh 2003; Sher & Marsden, 2003). Le style de

vie tourné vers la fête serait mis de côté. Comme il a été vu que la richesse des Angels québécois a grandement fructifié en 20 ans, il est possible qu‟ils aient fait des activités lucratives une priorité. Néanmoins, Serge Quesnel, un ancien tueur des Hells, affirme:

Les Hells c‟est comme un trip d‟adolescent… Une secte! Tu es tellement « brainwashé »! Ca va vite… Oui les motards c‟est vraiment une secte! On dirait que tu n‟as pas conscience de ce qui se passe. Ces gars-là vouent un culte incroyable au symbole « Hells Angels »! Pour eux, la mort n‟existe pas. Ils se croient immortels! (Martineau, 2002, p.233)

Cette cohésion est importante à noter dans la continuité puisqu‟elle permet de rassembler les gens, même dans les périodes les plus difficiles. Le « brotherhood », permet de s‟ajuster ensemble aux événements et de continuer à rassembler les individus en période moins facile. Claude explique la présence de cette fraternité et hiérarchie tout en affirmant qu‟elle concerne la sphère non criminelle du groupe :

Du point de vue bicycle, y en a une hiérarchie. Mais là, y ont [les autorités] mélangé le côté motard avec le côté business. Dans le côté motard, y a une hiérarchie; pour faire partie de la famille, t‟es à l‟étude un an. C‟est un peu pour voir si tu t‟accordes bien avec les autres. Tu commences hangaround et tu montes dans la hiérarchie. Le côté business, c‟est pas la même affaire. Y ont mélangé la hiérarchie des motards avec la hiérarchie criminelle. (Claude, motard)

Parallèlement, les chapitres des Hells Angels sont indépendants à l‟intérieur de l‟organisation. Les chapitres fonctionnent donc comme des associations regroupées sous une même bannière. À l‟intérieur de chaque chapitre, les membres sont également autonomes (Ouellette & Lester, 2005) : « Le membre en règle Hells Angels est autonome dans ses activités criminelles qu‟il dirige seul ou en association avec d‟autres mais il doit respecter les règles et la philosophie du chapitre. » (Pigeon, 1998, p.6). Stéphane, un agent-source, le confirme : « Pour le business, ce sont toutes des cellules indépendantes. » Sirois affirme que le partenariat n‟est pas obligatoire, mais qu‟il peut être utile parce que si l‟un se fait arrêter, les partenaires peuvent rapidement le remplacer (Sirois, 1999-2000). Le réseau que représentent les Hells Angels permet aux membres de s‟associer avec des gens en qui ils ont confiance et de poursuivre lorsqu‟une cellule

est détruite. En ce sens, le groupe procure un réseau élaboré de relations qui peuvent être utilisées au bénéfice des membres dans une variété de façons (Quinn et Koch, 2003).

On constate que la solidarité dans les activités sociales et l‟autonomie dans les activités délinquantes a pu aider le groupe à se maintenir en vie. Mais surtout, on remarque que les motards considèrent que s‟ils commettent des délits, ils le font sur une base individuelle, tout au plus en cellules, ce qui s‟éloigne de la conception de Cressey (1969) pour se rapprocher de celle de Reuter (1983). Le discours des interviewés exprime donc leurs préoccupations quant à ce qu‟ils considèrent être la réalité construite par les autorités et les médias. Ils sont très critiques face aux affirmations faites concernant les Hells Angels. Bernard affirme :

Les Hells Angels, pour eux, c‟est tous des criminels. Mais c‟est pas vrai. [….] La police et le gouvernement a monté un scénario de film. [….] Oui y avait des charges sérieuses dans ce procès. Je vais pas nier ça. Mais ils ont monté un beau grand bateau. (Bernard, motard)

Les motards affirment que certains dans le groupe ne sont pas impliqués dans la criminalité. Ils ajoutent que ceux qui le sont, font leurs délits sans que toute l‟organisation ne sache ce dans quoi ils s‟impliquent. Ils ne s‟associent pas tous en ayant un objectif commun :

Mais moi je dis que c‟est pas une organisation criminelle. C‟est une organisation dont tous les membres ont un dossier criminel. Parce que dans une organisation criminelle, on dirait que tout le monde pousse dans le même sens. On dirait que tout le monde est sur un même crime. Mais là c‟est pas ça. C‟est bien diversifié. C‟est plus comme un ramassis de criminels! Nous autres, on se parle toujours à l‟oreille. Les délateurs sont venus dire que c‟est pas tout le monde qui sait les affaires de tout le monde. C‟est des secrets entre le monde. Mais malgré ça, eux autres, d‟après ma hiérarchie, y disent que je savais tout. Mais les délateurs l‟ont dit là que c‟était secret. C‟est secret. Tu peux pas être au courant de ce que l‟autre fait. Tu peux te dire : « Y marche un peu. » Mais tu sais pas quoi. (Claude, motard)

Les propos des motards rejoignent une critique conceptuelle faite par Hawkins (1969) qui, dans une réplique à Cressey (1969), questionne la validité du témoignage de

Joseph Valachi, ce repenti de la Cosa Nostra. Hawkins (1969) considère que l‟existence du crime organisé, de la mafia en particulier, n‟a pas su être démontrée; à son avis, on se fonde sur le même type d‟affirmations pour prouver son existence que pour prouver celle de Dieu. Selon lui, tous les faits et gestes rapportés par les témoins seront interprétés en faveur de l‟existence de la mafia et on lui attribue des caractéristiques telles que l‟invisibilité, l‟immatérialité, la permanence et l‟omnipotence. Pour Hawkins (1969), nous avons créé le mythe de la mafia et pour confirmer ce mythe, on a pigé à l‟intérieur du discours de Valachi ce qui convenait sans en questionner la validité. Haller (1992) reprend lui aussi la question des Familles de la mafia italienne aux États- Unis. Plutôt que de démolir l‟argument de Cressey (1992), il en offre une vision alternative dans laquelle il conçoit ces familles comme fournissant des liens sociaux et du prestige aux membres, formant une sorte de gouvernement pouvant dicter et faire appliquer des règlements, et fournissant un réseau de contacts d‟entrepreneurs. Néanmoins, tel que les motards se décrivent eux-mêmes, Haller (1992) affirme de la mafia italo-américaine:

Members own and operate their hustles and their businesses independent of the family. Whether they join a partnership to back a numbers bank, put money on the street in a loansharking operation, or assume an interest in a bar or vending machine company, they are largely independent entrepreneurs. (Haller, 1992, p.5)

On admet donc que les familles exercent plusieurs fonctions dans la vie économique des participants, sans toutefois qu‟elle soient elles-mêmes des entreprises. Comme Morselli (2009) l‟a souligné l‟image des HA a fait en sorte que même si ce n‟est pas une organisation criminelle en soi, l‟image des Hells comme une menace sociale en a fait l‟emblème du crime organisé au Québec. Comme Naylor (1997) le souligne et comme le démontre, dans une certaine mesure, Morselli (2009) : « What might appear to be part of an ongoing, hierarchically controlled conspiracy might, on closer analysis, turn out to be a few episodic and commercially unrelated arms-length business deals.» (Naylor, 1997, p.2). Comme les motards le décrivent, Naylor (1997) croit que l‟organisation fournit un code d‟éthique aux membres, mais que la gestion des entreprises criminelles

est laissée aux individus, qu‟elle se fasse sous forme de partenariats avec les autres membres ou avec des indépendants.

On constate donc une rupture entre la description des motards et la façon dont ils se sentent perçus. La réputation des HA, aura un impact sur la lutte qu‟on leur livre. En retour, les motards sont d‟avis, comme Naylor (1997) a démontré que c‟était possible, que cette lutte aura aussi un impact sur la réputation du groupe. Du point de vue des HA, on a voulu confirmer une réputation déjà établie. La réputation de groupe ayant du succès et évoluant grâce à la violence déjà établie et renforcée avec le conflit et sa médiatisation devient toujours plus forte cette fois avec les procès et leur médiatisation. Les motards considèrent que leurs sentences furent exemplaires :

Ma sentence, c‟est vraiment une sentence exemplaire. Y a un gars avec Ben Laden qui a reçu 7 ans. Moi, ce que j‟ai fait c‟est de la complicité, et j‟ai pogné X ans. J‟ai pas fait d‟argent avec la drogue, mais j‟étais armé et j‟étais tout le temps avec lui [nom du membre]. En été, on avant des runs65 obligatoires. Il fallait qu‟il y ait quelqu‟un 24 heures par jour au local, parce qu‟on avait des amis de partout dans le monde donc le monde peut appeler n‟importe quand. (Marc, motard)

Sanchez-Jankowski (1991) a discuté de l‟utilité des médias dans la continuité des gangs, « encourageant » leur image mythique. Gambetta (2009) avance que la résilience de la mafia est le résultat de la persistance de la croyance en son immortalité. Néanmoins, les présents résultats laissent croire que cette croyance engendre une lutte plus forte encore contre ce groupe. La réputation collective s‟étend effectivement à tous les membres (Gambetta, 2009), et les motards considèrent maintenant qu‟ils sont les grands perdants dans cette situation :

Avec la guerre qu‟il y a eu, on coule tous. Tout le monde coule. Y a quelqu‟un, à quelque part, qui lâche pas le morceau. Le dossier est pas fermé et il sera pas fermé tant qu‟il restera quelqu‟un dehors. (Claude, motard)

Tremblay (2010) souligne que la réputation est contagieuse. Ainsi, les gestes des uns contamineront la réputation de tous. Si les Hells se préoccupaient peu de la cohérence

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entre les faits et leur réputation individuelle alors que cette dernière servait leurs intérêts, ils implorent maintenant un manque de concordance. Au-delà de la sentence, toute cette lutte qui leur a été faite a eu des impacts sur la solidarité à l‟intérieur du groupe. Les motards eux-mêmes se sont mis à chercher des boucs émissaires pour la situation qui était vécue.

Dans le document Être motard : Hells Angels malgré tout (Page 123-128)