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À partir des années 1990

Dans le document Être motard : Hells Angels malgré tout (Page 75-79)

Chapitre 3. Hells Angels : défis et résilience

1. Contexte d’évolution des Hells Angels au Québec

1.1 À partir des années 1990

Certaines informations laissent croire qu‟avec la tuerie de 1984 à tout le moins, la réputation de violence jette ses bases au Québec. À Montréal, Peter Paradis, un membre des Rock Machines (RM), affirme qu‟au début des années 1990 il connaissait les Hells et qu‟ils avaient la réputation d‟être des meurtriers qui n‟avaient aucun scrupule à s‟entre-tuer (Paradis, 2003).

La réponse policière massive ayant commencé à s‟organiser en 1994 montre la réputation croissante du groupe : « Si les Hells sont parvenus à devenir l‟organisation criminelle la plus puissante au Canada, c‟est parce que, pendant trop longtemps, la police et les politiciens les ont laissés proliférer sans intervenir » (Sher & Marsden, 2003, p.425). D‟une part, on considère les Hells comme étant l‟organisation la plus « puissante » et d‟autre part, on constate que l‟absence de réputation préalable a laissé aux motards la latitude pour s‟organiser et croître, même après la tuerie de 1984.

Au cours des années 1990, la situation est devenue plus risquée encore pour les motards. Un conflit opposant les Hells Angels aux Rock Machines (RM)/Alliance24 a éclaté. Ils luttaient pour l‟obtention du contrôle du territoire de Montréal pour le trafic de drogue. Le conflit fut particulièrement long, violent et soutenu. La guerre débute lorsque les HA décident de s‟approprier le territoire montréalais, jusqu‟alors investi par les Rock Machines et des trafiquants indépendants. Procédant à des tests statistiques, Morselli, et al. (2008) remarquent la polarisation du milieu criminel en deux sections, HA et Alliance, de même qu‟une logique de représailles dans les règlements de compte25. Ces éléments confirment la présence d‟un cas de violence collective. Entre 1994 et 2001, cette guerre des motards a fait 363 victimes dont certaines innocentes (Tanguay,

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Les Rock Machines sont le noyau dur de l’Alliance qui regroupe également des trafiquants indépendants et des petites bandes de motards (Morselli et al., 2008). Le terme Rock Machines sera ici utilisé pour représenter tous les opposants aux HA durant les années 1990.

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Leurs données proviennent d’une banque de la Sûreté du Québec. Ils ont retenu 261 victimes (126 victimes de meurtre et 135 victimes de tentative de meurtre), 55,2% sont dirigés contre les HA ou leurs affiliés, 44,8% contre l’Alliance. Ils ont agrégé ces règlements de compte sur une base mensuelle (n=96 mois).

2003)26. Si l‟on compare ce conflit à ceux étudiés par Cordeau (1990), on réalise son ampleur. Sur les onze séquences étudiées par Cordeau (1990), qui ont eu lieu de 1970 à 1986, dix ont une durée inférieure à 20 mois et n‟ont pas fait plus de 18 victimes27. Lors de la guerre des motards des années 1990, les Hells ont donc fait preuve d‟une importante capacité à endurer un conflit.

Cette guerre leur a apporté une forte notoriété publique et a provoqué une importante réaction de la population. Tanguay (2003) et Morselli et al. (2008) ont soulevé quatre événements susceptibles d‟avoir entraîné un durcissement des mesures répressives via les pressions publiques. D‟abord, en 1995 un enfant meurt lorsqu‟une bombe destinée à un motard fait exploser un véhicule. Le conflit prend également une dimension nouvelle lorsque les HA décident en juin et en septembre 1997 d‟assassiner deux gardiens de prison désignés au hasard. Dans la même veine, en septembre 2000, ils tentent d‟assassiner un journaliste dont les articles présentent une vision négative du groupe.

Au cours de ce conflit, sur 1089 arrestations liées à la violence28, 86,4 % ont impliqué un suspect associé aux Hells Angels (Morselli, et al., 2008). À partir de la seconde moitié des années 1990, la réaction policière et législative s‟organise et peut être divisée en 4 périodes (Morselli, et al., 2008; Tanguay, 2003) : 1- Avant Carcajou (entre janvier 1994 et septembre 1995), alors que la lutte contre les motards est peu concertée; 2- Carcajou Montréal (octobre 1995 à juin 1996) : une escouade regroupant 80 membres provenant de la Sûreté du Québec, de la police de Montréal et de la GRC. Bénéficiant d‟un budget quasi illimité, son mandat est de démanteler les bandes de motards criminalisés (Sher et Marsden, 2003). Ils concentrent leurs efforts sur la région montréalaise, alors seul siège de la guerre. Ils multiplient les arrestations espérant ainsi que les motards se sentiront si surveillés qu‟ils commettront des erreurs et que ce stress

26 Il y eut 23 victimes innocentes, parmi lesquelles 8 sont décédées (Tanguay, 2003). 27

L’autre conflit a déjà été abordé ici, c’est celui opposant les Outlaws aux Hells, conflit ayant a duré 7 ans pour faire 23 victimes.

28 Arrestation faites par les corps policiers au Québec. Ce chiffre a été calculé en fonction des

informations publiées dans les journaux puisque plusieurs corps policiers ont refusé l’accès aux données aux chercheurs.

amènera un arrêt des hostilités (Tanguay, 2003)29; 3- Carcajou Montréal et Carcajou Québec (juillet 1996 à avril 1998) : comme au début de 1996 le conflit s‟est étendu à la région de Québec, on y avait envoyé, ainsi qu‟à Sherbrooke, des ressources de Carcajou. Par la suite, on crée une unité parallèle; 4- Les Escouades Régionales Mixtes (ERM) (mai 1998 à décembre 2001) : elles remplacent Carcajou et se situent dans plusieurs villes du Québec (notamment Québec, Trois-Rivières, Sherbrooke, Hull, Chicoutimi) (Ouellette & Lester, 2005). On souhaite ainsi s‟adapter à l‟ampleur des Hells Angels et de leurs clubs affiliés qui ont des ramifications à travers la province. Pour Tanguay (2003), ces événements servent d‟indicateurs de l‟intensité du contrôle policier. À ceux- ci s‟ajoutent le nombre d‟arrestations faites mensuellement par ces escouades (un total de 1089 arrestations menées par les corps municipaux, la police de la Ville de Montréal, la SQ, la GRC) 30 et l‟adoption en 1997 de la loi anti-gang (C-95). En 1999, un numéro sans frais est établi dans le cadre de la Stratégie nationale pour combattre les activités des bandes de motards. La population peut rapporter tout fait qui lui semble susceptible d‟aider dans la lutte contre les motards. Des policiers de la GRC y répondent 24 heures sur 24 (La Gazette, 2002). En 2001, les groupes de motards sont donc considérés comme étant le groupe criminel le plus dangereux, même lorsqu‟on le compare à la pègre traditionnelle (Sondage Léger Marketing, publié dans le Soleil, 6 août 2001)31. Cette même année, le Regroupement des innocentes victimes du crime organisé (RIVCO) est créé (Ouellette & Lester, 2005).

29 À la fin de 1995, 131 personnes sont détenues à la suite de plusieurs opérations ayant permis de saisir

notamment 124 420 $, 10 kilos de haschisch, 702 bâtons de dynamite, 680 détonateurs, 19 mitraillettes (Duchesne, 2003, 6 novembre).

30 Carcajou et les ERM ont donné lieu à de multiples opérations. Sans toutes les nommer, il y eut le projet

Laron visant à faire la lumière sur les meurtres des gardiens de prison en 1997 (Ouellette & Lester, 2005). Le 29 janvier 1997, 40 policiers investissent le local des RM à Beauport, mais ne découvrent que 2 armes à feu et font 5 arrestations. Le 26 mars 1999, 22 individus sont arrêtés au cours de 18 perquisitions dans les régions de Mont-Laurier et de Montréal en rapport au trafic de drogue. On soupçonne les vendeurs de s’approvisionner chez les Rockers. 27 février 2002 : opération 4H; mars et juin 2002, opération Satchi; novembre 2002, opération Osmose; 5 novembre 2003, opération Ouragan (Duchesne, 2003, 6 novembre). Cette liste n’est pas exhaustive.

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La question posée était : « À votre avis, quel est le groupe criminalisé le plus dangereux entre les bandes de motards et la pègre traditionnelle ? Au Québec, 50% des gens ont répondu les bandes de motards, environ 30% ont répondu la pègre traditionnelle et environ 20 % ne savaient pas ou ont refusé de répondre.

La violence létale présente au cours de la « guerre des motards » a provoqué un processus d‟attrition au fil du temps et ce processus a été accéléré par les arrestations policières (Morselli et al., 2008). Les principaux résultats de Tanguay (2003) et de Morselli et al. (2008) attestent que « la diminution et la fin du conflit découlent à la fois de l‟action policière et du conflit lui-même. Cette double causalité repose sur l‟accumulation des pertes comprises comme les arrestations et la victimisation » (Tanguay, 2003, p.90). C‟est avec l‟opération Printemps 2001 que le conflit prend officiellement fin. Le 28 mars 2001, près de 2000 policiers et civils provenant de 77 municipalités du Québec procèdent à la (jusqu‟alors) plus grande opération anti-motards de l‟histoire canadienne : 122 motards criminalisés (Hells Angels ou en relation avec eux) sont arrêtés en une journée. On y cible principalement le chapitre HA Nomads et son club affilié, les Rockers. On attribue la création de ce chapitre à Maurice Boucher qui, souhaitant obtenir plus de pouvoir et d‟argent, s‟adjoint d‟autres HA pour former un chapitre qui deviendra le chef de file de la « guerre des motards ». Déjà existant pour assurer une présence sur l‟île de Montréal, le club école des Rockers devient le club école des Nomads (Ouellette & Lester, 2005). Ce sont ces factions et leurs proches sont arrêtés dans l‟opération Printemps 2001.

Des 91 individus accusés par la suite, 49 ont plaidé coupable et les autres ont subi des mégaprocès32, une première au Québec. La majorité a reçu de longues sentences d‟emprisonnement33.

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Tel que le précise le rapport du comité ad hoc du comité en droit criminel sur les mégaprocès (Boisvert et al. 2004), il n’existe pas de définition précise de ce qu’est un mégaprocès. Plutôt : […] Un nombre important d’accusés, un nombre élevé de chefs d’accusation, une preuve imposante et complexe, une combinaison de tous ces facteurs, voilà ce qui contribue à allonger et complexifier les procédures. En fait, le mégaprocès se reconnaît moins aux causes à l’origine du phénomène qu’à certaines caractéristiques le distinguant des procédures ordinaires : longue durée, complexité, coûts élevés. » (p.2)

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Les 49 accusés des suites du projet Océan ont plaidé coupable (gangstérisme, trafic de drogues), obtenant des peines jusqu’à 15 ans d’emprisonnement. Des méga-procès ont été institués pour les 42 autres : procès devant le juge Réjean Paul (21 octobre 2001 au 11 septembre 2003) de 9 individus accusés de complot pour meurtre, trafic de stupéfiants et gangstérisme. Les 9 ont finalement plaidé coupable et reçu des sentences d’emprisonnement de 10 à 15 ans (Myles, 2003, 24 septembre). Procès de 17 accusés devant le juge Béliveau : 7 plaident coupable et 9 ont été trouvés coupables obtenant des sentences 10 à 22 ans (Cédilot, 2004, 10 avril).

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