• Aucun résultat trouvé

Pour obtenir la collaboration de participants Hells Angels

Dans le document Être motard : Hells Angels malgré tout (Page 46-52)

Chapitre 2. Démarches de recherche

2. Les entretiens

2.1 La parole donnée au motard

2.1.1 Pour obtenir la collaboration de participants Hells Angels

Nous nous attendions à une résistance considérant la nature illégale de certaines activités des HA, qui par réflexe de protection, risquaient d‟être suspicieux et peu bavards.

Nous avons donc décidé d‟aborder un motard avec qui nous entretenions un intérêt commun : le combat ultime12. Ayant réalisé une précédente étude sur ce sujet, nous avions été en contact avec certains motards qui pratiquaient ou assistaient régulièrement à l‟activité. Profitant d‟une soirée de combats, nous lui avons fait part du sujet de notre thèse. Ce membre Hells Angels a d‟emblée accepté de discuter avec nous. Par la suite, il passa près de 4 mois avant que la rencontre ait lieu. D‟une part, il n‟était pas facile à joindre parce qu‟il changeait parfois de téléavertisseur. D‟autre part, la relation était clairement hiérarchisée : nous avions besoin de lui et lui n‟avait pas besoin de nous. Nous ne faisions pas partie de ses priorités. Il avait mis des règles claires : 1- nous laissions notre numéro de téléphone sur son téléavertisseur et il retournait l‟appel quand il le pouvait/souhaitait; 2- aucune référence aux Hells Angels lors des conversations téléphoniques. En janvier 2005, l‟entrevue a finalement eu lieu, dans un bar qu‟il fréquentait régulièrement. Au milieu de l‟après-midi, l‟endroit était désert et nous bénéficiions de toute l‟intimité nécessaire à une telle entrevue.

Nous envisagions alors d‟utiliser le procédé de tri boule de neige (Beaud, 1998; Pires, 1997; Wright, Decker, Redferm & Smith, 1992), dans lequel les interviewés donnent accès à d‟autres interviewés. Dans un tel cas, nous croyions que la localisation des premiers individus, qui pourraient par la suite nous mettre en contact avec d‟autres participants, constituerait l‟étape la plus cruciale. Rapidement, nous avons compris qu‟il ne fallait pas compter sur la collaboration des motards pour nous aider à entrer en contact avec leurs pairs : la plupart d‟entre eux ne souhaitait pas montrer qu‟ils avaient participé à la recherche. De plus, chacun d‟eux était persuadé être le seul qui accepterait de parler, et que si nous réussissions à convaincre un autre Hells de participer, il ne serait pas aussi transparent qu‟eux. Chaque participant se sentait seul habileté à informer adéquatement.

12

Le combat ultime, aussi connu sous le nom d’arts martiaux mixtes, est un sport constitué d'un mélange de boxe, de kick-boxing et d'arts martiaux.

En mars 2005, l‟autorisation de procéder à des entrevues avec des motards sous juridiction fédérale13 (SCC) a été obtenue. Comme l‟établissement Leclerc est connu pour être le « fort » des HA, c‟est par celui-là que nous avons débuté. Une amie y travaillant a présenté le résumé de l‟étude à un motard. À ce moment, le projet était décrit comme s‟intéressant à la carrière des motards. Nous demandions aux participants de parler de leur expérience comme motard. Intéressé, il a tout de même tenu à « consulter le groupe » avant de se prononcer. Deux jours plus tard, il a annoncé : « le groupe a décidé de ne pas participer ».

En septembre 2005, une collègue nous a mis en contact avec un motard qu‟elle avait elle-même rencontré dans le cadre de son emploi. Cet individu s‟est montré très ouvert. Néanmoins, comme lors de la première entrevue et comme celles qui allaient suivre, il ne pouvait et ne voulait pas me mettre en contact avec autrui.

Un mois plus tard, lors d‟une entrevue d‟embauche pour être agente de libération conditionnelle (ALC)14 on nous demande de discuter de la thèse. C‟est alors qu‟on nous réfère à un individu au SCC qui pourrait nous mettre en contact avec d‟autres motards. Tout de suite, cette personne (dont nous taisons le nom parce qu‟il deviendra plus tard lui-même un interviewé) agit comme intermédiaire auprès d‟une gestionnaire dans un pénitencier. Cette dernière propose l‟étude à deux Hells Angels15, dont un refuse catégoriquement de parler de son affiliation. Le second accepte une entrevue dans laquelle nous lui demandons : « Pouvez-vous me parler de votre expérience comme

13 Tous les motards incarcérés ayant participé à l‟étude étaient sous juridiction fédérale. La prison

(provinciale) Rivière-des-Prairies nous a refusé l‟accès, justifiant cette décision par le nombre restreint de motards s‟y trouvant.

14

Doutant des possibilités de rendre ma thèse à terme, je m’inscris dans un processus d’embauche pour devenir ALC au SCC. J’ai finalement choisi de poursuivre au doctorat plutôt que de me diriger vers le marché du travail.

15

Sur place, nous avons appris qu’un autre motard pourrait être intéressé à participer s’il apprenait la tenu de ces entrevues, mais qu’on refuse de l’en informer parce qu’il se valorise toujours par son affiliation aux Hells Angels. Nous comprenons donc qu’à cette occasion, on filtre les individus pouvant nous rencontrer pour ne le permettre qu’à ceux s’étant désaffiliés du club Hells Angels. Lorsque nous questionnons cette mesure en expliquant qu’il est utile de rencontrer des motards qui le sont toujours et que le faible taux de réponse ne nous permet pas de lever le nez sur quiconque accepterait, on nous explique que pour la réhabilitation du détenu, le SCC tente de briser ce lien d’appartenance et que la participation à l’étude serait une forme de valorisation.

motard ? ». Lorsqu‟il demande des précisions, nous lui suggérons de suivre un ordre chronologique pour aborder d‟abord ses débuts auprès des motards16.

Les dix-huit mois qui suivent sont exempts d‟entretiens, malgré les efforts pour en obtenir. Des contacts et des relances avaient été faits dans les pénitenciers de Laval (3) et de Ste-Anne-des-Plaines (2), et dans des bureaux de libérations conditionnelles de la région de Montréal (5) (Maisonneuve, Ville-Marie, Laval, Lanaudière, Longueuil), sans succès. Nous cherchions à entrer en contact avec tout individu ayant été ou étant motard (peu importe le groupe auquel il avait été affilié).

En juin 2007, le pénitencier Archambault répondait à l‟appel. Émettant l‟hypothèse que les motards sont méfiants lorsque le personnel du SCC présente l‟étude, nous proposons à la gestionnaire du pénitencier Archambault de nous fournir une liste des motards incarcérés pour que nous puissions leur présenter nous-mêmes l‟étude. Après n‟avoir essuyé que des refus au cours d‟une journée passée au pénitencier, nous avons réalisé qu‟il s‟agissait d‟une mauvaise stratégie de prise de contact. D‟abord, on nous avait assigné le bureau des avocats. La déception était donc visible lorsque les motards arrivaient à l‟entrée du bureau et nous voyaient. Rétrospectivement, nous croyons que les refus successifs ont aussi eu un impact sur notre attitude qui devenait de moins en moins confiante et convaincante.

Nous faisions fasse à un problème de taille : les sujets ne répondaient pas à l‟appel. En juillet 2007, nous envisageons donc de travailler sur les motards malgré le fait qu‟ils n‟acceptent pas de nous parler. Pour ce faire, nous avons examiné la possibilité de travailler sur la réputation des Hells Angels. Cela permettait de mener des entrevues avec des gens qui côtoient les motards : des délinquants qui ne sont pas motards et des membres du personnel du SCC. De plus, au cours d‟une conversation avec une amie qui travaille comme ALC, elle nous suggère d‟assister aux audiences de motards lors de leur passage devant la Commission des libérations conditionnelles du Canada (CLCC). Nous

16

nous sommes également présentée à une rencontre du groupe Option-Vie17. Les membres de ce groupe ont diffusé ma demande dans les pénitenciers où ils travaillent. C‟est en novembre 2007 que ce qui deviendra le cœur du corpus d‟entrevue a démarré. Nous avons d‟abord obtenu, via un gestionnaire du pénitencier Leclerc, des entrevues avec deux motards qui ont accepté de nous rencontrer pour plusieurs entrevues.

Parallèlement, nous avons constaté que la question de départ devait changer. Nous avions demandé aux trois premiers interviewés (en 2005) de faire part de leur expérience comme motard. Nous décelions par la suite un malaise à parler de cette expérience en général, mais surtout, plusieurs refus étaient motivés par une « loi du silence » à propos du choix de vie que représente celui de devenir motard. Nous avons donc formulé notre question autrement. Les motards choisissant de participer à l‟étude allaient plutôt discuter sur l‟interrogation suivante : « J‟aimerais que vous me racontiez votre expérience depuis votre dernière arrestation. ». L‟expérience comme « motard » allait inévitablement ressortir puisqu‟il s’agit d‟un motard, puisque ce titre fait partie de son identité. Néanmoins, en ne mettant plus l‟accent sur le mot « motard » dans la question, elle devenait moins sensible pour l‟interviewé; elle devenait plus générale à ses yeux. Toujours nous nous intéressions à l‟expérience du motard. En procédant ainsi le Hells Angels parlait d‟abord de son arrestation, de son expérience au cours du procès et de son expérience en milieu carcéral. Par la suite, tous les motards ont, sans intervention de notre part, discuté de leur expérience comme motard avant leur dernière arrestation. Ils ont donc d‟emblée abordé leur vécu et leur perception du conflit des années 1990 et reculant encore dans le temps, les motivations à intégrer et cheminer dans le groupe. Les entrevues suivaient donc un patron similaire : dans un premier temps, une chronologie de leur expérience depuis leur dernière arrestation, dans un second temps, leur expérience, racontée en reculant dans leur vie pour comprendre leur expérience de motard avant l‟incarcération.

17

Regroupe des délinquants condamnés à perpétuité qui sont réinsérés dans la communauté. Leur rôle est d’aider les détenus purgeant de longues sentences à cheminer au cours de celles-ci.

À partir de 2008 (pour se poursuivre en 2009 et 2010), beaucoup d‟entrevues ont été faites. Ce revirement de situation s‟explique, mis à part le changement dans la consigne de départ, par quatre raisons : la rencontre avec un gestionnaire au Leclerc, notre présence accrue dans les pénitenciers, une plus grande confiance en nous et l‟élargissement de la population ciblée.

D‟abord, nous avons été mis en contact avec un gestionnaire au Leclerc qui possède une bonne réputation tant auprès des détenus que du personnel et qui est influent auprès de ceux-ci. Au total, grâce à lui, trois motards, un gardien et deux ALC ont accepté de participer à l‟étude. Il est également lui-même devenu un interviewé. Non seulement, il a quantitativement bonifié l‟échantillon, mais deux motards ont apporté une contribution particulièrement riche en acceptant de nous rencontrer à maintes reprises.

Ainsi, notre présence répétée dans ce pénitencier a permis de créer un réseau de contacts dans lequel nous devenions un visage familier. La durée moyenne des entrevues était de deux heures. Nous ne pouvions toutefois mener que deux entrevues par jour, compte tenu des horaires des détenus; une en avant-midi et la seconde en après-midi, de sorte que nous avions des « périodes libres » entre 11h00 et 13h30 environ. De plus, afin de faciliter notre entrée le matin, nous arrivions souvent 30 à 60 minutes avant la première entrevue. Notre visibilité a augmenté tant auprès des détenus qu‟auprès des ALC. Nous avons profité des pauses entre les entrevues pour entretenir des discussions informelles avec des gardiens et des ALC. Dès lors, nous avons obtenu une plus grande collaboration de leur part. Nous avons compris qu‟en procédant ainsi, notre demande de références ne se trouvait plus « sous la pile », mais « sur la pile » des tâches à faire. Nous pouvions également discuter avec chacun d‟eux de nos besoins et faire un suivi la semaine suivante afin de savoir s‟ils avaient contacté les détenus susceptibles de faire partie de l‟échantillon. En étant présente sur les lieux, l‟information circulait mieux. Étant sur place, nous nous rendions également disponible pour tout détenu souhaitant nous parler, évitant ainsi qu‟un délai ne lui laisse le temps de changer d‟idée.

Parallèlement, considérant la faisabilité du projet, nous avons développé une plus grande confiance en nous, adoptant donc une attitude plus déterminée. Nous avons à nouveau contacté tous les pénitenciers de la région de Montréal (Leclerc, Montée St-François, Centre fédéral de formation, Archambault, Établissement Ste-Anne-des-Plaines, Drummondville, de même qu‟une maison de transition de Laval), et obtenu cette fois des entrevues.

Finalement, nous intéressant à l‟expérience du motard sous l‟angle de la réputation, nous avons élargi la population susceptible de faire partie de l‟échantillon pour y inclure tout détenu souhaitant partager l‟expérience vécue auprès des motards, de même que les membres du personnel du SCC qui côtoient les motards dans le cadre de leur travail.

Dans le document Être motard : Hells Angels malgré tout (Page 46-52)