2.1 Lire la qualification par le biais du Code du travail et des Conventions collectives : une
2.1.1 Les traductions de la qualification dans le code du travail au Gabon
Analyser les dispositifs institutionnels qui organisent les relations de travail au Gabon
revient à affronter d’une manière ou d’une autre un écueil : la rareté des sources. Qu’il
s’agisse des sources législatives ou des règles issues de la pratique du droit du travail,
notamment en ce qui concerne les actes de la jurisprudence, il faut faire face aux mêmes
difficultés. Peu d’éléments permettent d’éclairer les possibles relations de l’organisation du
travail ouvrier avec la qualification. Nous ne tiendrons donc compte que du code du travail
depuis la mouture de 1978 (Nouvelle Edition, 1989), jusqu’à la loi n° 12/2000 du 12 octobre
2000 modifiant la loi n° 3/94 du 21 novembre 1994
120, portant code du travail de la
République Gabonaise (Direction des Publications officielles, 2001).
2.1.1.1 Les évolutions institutionnelles entre 1978 et 1994 : une qualification
attribuée ?
Les dispositions générales de la loi n° 5/78 du 1
erjuin 1978
121portant Code du travail
en République Gabonaise laissent apparaître en son article premier que la notion de
qualification est d’une certaine manière liée à un double processus de formation : un premier
processus de type scolaire (ou académique) soit technique, soit professionnel ou spécialisé ; le
second processus de type expérientiel est appréhendé comme un espace de mise en situation
des savoirs théoriques scolaires. Cette double relation est déclinée notamment à travers le
statut du stagiaire « Est considéré comme stagiaire, (…) tout élève d’une école technique ou
professionnelle ou d’une grande école spécialisée, appelée, de par le statut de son
établissement, à passer un certain temps dans l’entreprise en vue de faire asseoir par la
pratique ses connaissances théoriques acquises au cours de sa scolarité antérieure. » (Code
du travail 1978, article 1, 5).
119
Nous faisons ici référence aux codes institués par les lois relatives à la législation du travail et aux autres
accords collectifs organisant les relations professionnelles en République gabonaise : code du travail et
conventions collectives notamment.
120
Le code du travail promulgué en 1994 modifiait lui-même celui de 1978.
121
Modifiée dans un premier temps par l’ordonnance n° 15/86/PR du 3 octobre 1986 et la loi n° 44/87 du 30
décembre 1987, elle a été complétée par l’ordonnance n° 16/86PR du 3 octobre 1986 et la loi n° 45/87 du 31
décembre 1987.
Cette approche était discriminante dans la mesure où les formations non techniques ou
professionnelles ou spécialisées n’avaient aucun statut au regard du code. Nous pouvons en
déduire que les parcours scolaires de type enseignement général n’étaient pas pris en charge
par cette codification institutionnelle de la qualification. Toutefois, le code du travail de 1978
décline un troisième processus de qualification au travers des dispositions sur l’apprentissage,
la formation et le perfectionnement professionnel.
L’article 11 du Code du travail postule que « L’apprentissage et la formation
professionnelle sont des formes d’éducation. » C’est à travers un contrat d’apprentissage que
les individus acquièrent une « formation professionnelle méthodique et complète » (Code du
travail 1978, article 12, 7). En pratique, l’apprentissage peut se comprendre à la lecture de
cette disposition, comme un processus de socialisation des individus au travail : il s’agit pour
l’apprenti d’assimiler des savoirs et savoir-faire sous l’autorité d’un référent servant de tuteur.
C’est dans cette perspective que le contrat stipule qu’« un chef d’établissement ou
d’entreprise, un artisan ou un façonnier, s’oblige à donner ou à faire donner une formation »
qui consiste à ce que l’apprenti « s’oblige, en retour, à se conformer aux instructions (…) et à
exécuter les ouvrages qui lui seront confiés en vue de son apprentissage. » (Idem, article 12).
La qualification par l’apprentissage est de fait un processus expérientiel. La question que ce
dispositif pose est que dans les faits, le contrat d’apprentissage n’est pas une pratique
répandue dans les parcours d’insertion au Gabon ; du moins, aucune statistique officielle ne
donne à observer la mise en application de cette disposition.
À ce propos, l’Office national de l’emploi (ONE) ne présente à aucun moment, dans
ses objectifs comme dans ses différents rapports d’activité, la prise en charge de publics en
contrat d’apprentissage, bien que les objectifs affichés parlent
122:
- d’assister les personnes à la recherche d’un emploi ou d’une formation pouvant
faciliter leur insertion ;
- d’assister les employeurs pour l’embauche et le reclassement (interne et externe) de
leur personnel ;
- de mettre en œuvre les dispositions spécifiques arrêtées par le gouvernement en faveur
de l’emploi.
Les rares chiffres sur les publics sans formation, sans qualification certifiée par des
diplômes ou un certificat de travail (pour la main-d’œuvre dite spécialisée notamment) et pris
en charge par l’ONE ne donnent pas d’information sur les dispositifs ayant permis d’assurer
leur insertion professionnelle. Le Fonds d’aide à l’insertion et à la réinsertion professionnelles
(FIR)
123affirme avoir donné satisfaction à 80,8 % de demandeurs d’emploi identifiés comme
« main d’œuvre banale » en 2006
124sans précision sur les dispositifs qui en ont assuré
l’encadrement. Le rapport statistique de l’ONE en 2004 présentait également les mêmes
imprécisions :
Tableau 14 : Population prise en charge par l’ONE et type d’accompagnement en
2004
Type d’accompagnement Effectifs
Stages et formations en entreprises 167
Formations relatives à l’auto emploi 100
Formations d’encadrement à la recherche d’emploi 217
Actions P.A.D.G.E
125relatives à l’appui aux créateurs d’emploi 12
Total : 496
(Dont) Contrats d’apprentissage 17 3,43%
Source : Rapport statistique de l’Office National de l’Emploi, 2004.
Le rapport indique que « par niveau de qualification, les stages autorisés en 2004, en
majorité, ont été accordés à la catégorie (de la) main d’œuvre qualifiée (44,4%). » (ONE,
2004, p. 8). Cela suppose que près de 55,6 % des stages accordés concernaient la catégorie de
main-d’œuvre non qualifiée au sens d’absence de certification conventionnelle de la
formation. Or, nous pouvons constater dans le même temps que seuls 17 contrats
d’apprentissage (3,43 %) ont été effectifs en 2004 ; et sur toute la période allant de 1994 à
2004, il y eut en tout 203 contrats d’apprentissage (ONE, idem, p. 10), soit une moyenne
123
Sous structure de l’ONE (dont l’une des formes consiste à aider financièrement les employeurs pour la
formation de recrutement à travers des stages de pré-insertion ou d’insertion, des contrats d’apprentissage ou des
formations d’adaptation au poste).
124
Document de communication, forum international de l’emploi, Confédération du Patronat Gabonais (CPG),
Paris, 2006. Par ailleurs, il faut entendre par « main-d’œuvre banale » les populations de travailleurs employés à
des postes de travail supposés ne pas nécessiter ni une qualification, ni une spécialisation. C’est une
main-d’œuvre à tout faire, notamment du travail manuel. Mais l’usage de cette catégorie par certains employeurs dans
la classification n’est pas sans poser question sur son statut. Les nomenclatures en vigueur (Conventions
collectives) utilisent plutôt le terme de « manœuvre ordinaire » pour identifier des travailleurs sans spécialité
pouvant être employés à tout poste ne nécessitant pas de compétences particulières (manutention, entretien, etc.).
L’on ne saurait à l’heure actuelle ce que porte cette catégorie, ni les pratiques qui l’accompagnent au sein des
entreprises.
annuelle de 20 de contrats d’apprentissage assurés par l’ONE. Dans ces proportions, la
production des qualifications par le biais de l’apprentissage demeure encore une pratique
marginale au sein des institutions publiques et des entreprises.
À côté du processus de qualification par l’apprentissage, le Code du travail prévoit
également la formation professionnelle qualifiante. Elle consiste à « donner une formation
générale théorique et pratique, en vue de l’obtention d’une qualification professionnelle
sanctionnée par un diplôme ou un certificat délivré ou reconnu par le Ministère de la
formation professionnelle » (Code du travail 1978, article 13 : 7). On note que ce processus,
par la formation théorique et pratique, renvoie à l’idée que la qualification est adossée à la
certification par le diplôme d’une part, mais elle est également référée à l’épreuve de la
pratique d’autre part. De ce point de vue elle s’appréhende comme une acquisition plus ou
moins continue
126des savoirs et des savoir-faire, car la formation professionnelle qu’encadre
l’article 15 du code postule que « la formation professionnelle continue, ou perfectionnement
professionnel, a pour objet de permettre l’adaptation permanente des travailleurs au
changement des techniques et des conditions de travail (…) ».
Cette disposition sur la formation professionnelle continue traduit, en quelque sorte,
l’hypothèse que la qualification est un processus d’acquisition et de perfectionnement des
savoirs et savoir-faire professionnels toujours inachevé. L’article 54 du même code apparait
comme une illustration de la qualification comme construction tout au long d’un processus ;
car, « À l’expiration de son contrat, tout travailleur peut exiger de son employeur, (…) un
certificat de travail indiquant la date d’entrée, celle de sa sortie, la nature et les dates des
emplois successivement occupés dans l’entreprise et la catégorie professionnelle (…) » ; par
ce mode de certification des trajectoires professionnelles, l’on peut poser l’hypothèse que la
qualification est un croisement des trajectoires scolaires d’une part et des trajectoires
expérientielles d’autre part.
Qu’on soit en situation d’apprentissage ou en situation de formation continue au titre
du perfectionnement, on note que le code du travail en vigueur entre 1978 et 1994 laissait une
place fortement dominante de l’employeur quant à la validation et la reconnaissance de la
qualification comme produit d’apprentissage : le certificat de travail que délivre l’employeur
126
Ce qui du fait de la moyenne ou longue durée d’acquisition, mais aussi du fait des rapports sociaux et
économiques qui la déterminent, permet de considérer la qualification comme un processus social global.
fait foi, a priori, de reconnaissance et de validation des qualités éprouvées du salarié en
termes de savoirs professionnels liés au métier ou à un emploi spécifique, de savoir-faire
pratiques ou opérationnels, de psychologie ou de sociabilité professionnelle. L’on est dans ces
conditions face à la qualification attribuée par l’employeur ou, dans le meilleur des cas, face à
une qualification que le travailleur "s’auto-attribue" par le biais du choix de la ou les
fonctions qu’il souhaite inscrire sur le justificatif de son parcours professionnel qui s’exprime
sur le marché du travail sous la formulation d’expérience professionnelle.
2.1.1.2 La qualification dans le code du travail de 1994 et 2000 : évolutions et
permanences
Dans cette période, nous nous appuyons particulièrement sur le code promulgué en
2000, étant donné qu’il reprend largement l’essentiel des dispositions du code précédent (Loi
n° 3/94 du 21 novembre 1994) ; seuls quelques articles ont été modifiés
127. Au titre des
dispositions générales, aucune évolution particulière n’est à signaler ; comme dans le
précédent code, il est établi un lien entre l’exercice du travail (salarié) et l’accès à un
ensemble de qualités professionnelles. Mais ces dispositions restent évasives sur la
déclinaison de ces qualités. L’on peut simplement constater que la désignation du travailleur
s’entend comme « toute personne qui s’est engagée à mettre son activité professionnelle,
moyennant rémunération, sous la direction et l’autorité d’une autre personne physique ou
morale, publique ou privée, appelée employeur. » (Loi n° 12/2000 du 12 octobre 2000, p.
3)
128; ce qui peut laisser penser que l’exercice du travail relève fondamentalement d’une
activité professionnelle. Le statut d’apprenti l’illustre plus ou moins : l’apprenti étant
considéré comme un individu en situation d’acquisition « des connaissances professionnelles
théoriques et pratiques lui permettant d’entrer dans la vie active » au sein d’une entreprise ou
d’un établissement quelconque, on peut en déduire que la qualification est traduite dans ce
contexte par des connaissances professionnelles théoriques et pratiques acquises. Car, l’on
note dans ces codes, que l’entrée dans la vie active
129est déterminée, entre autre, par
l’apprentissage de ces connaissances. Ainsi, le code décline l’apprentissage comme « une
forme d’éducation ayant pour but de donner une qualification professionnelle théorique et
127
Sont concernés par la modification, quelques dispositions ou articles portant suspension et résiliation du
contrat de travail, conditions générales de travail, travail des femmes et des enfants, services de placement et
conflits collectifs du travail.
128
Les articles du Code du travail auxquels nous ferons souvent référence sont présentés en annexe (cf. annexe
2).
pratique aux personnes définies [comme apprentis] » (code du travail, Loi n° 3/94 ; Loi n°
12/2000, chapitre II, art. 81 : p. 20).
Les dispositions organisant l’apprentissage ne font pas mention des formes que
pourrait prendre la validation officielle des qualifications issues des parcours d’apprentissage.
L’on peut simplement noter que le code du travail prévoit en son article 84 que « La durée de
l’apprentissage varie en fonction de la spécificité du métier. Toutefois, elle ne peut être
supérieure à deux ans. » Toute expérience de deux ans au moins dans une unité productive
peut-elle être considérée comme un parcours d’apprentissage lorsque les individus concernés
sont au départ sans qualification reconnue du moins sous la forme certifiée ? Quelle est la
forme de prise en charge institutionnelle de ce processus de qualification au titre des rapports
salariaux et du fonctionnement du marché du travail ? Dans sa forme actuelle, le code du
travail ne prévoit pas de statut à cette forme de qualification, ni dans le cadre des
nomenclatures socioprofessionnelles (lorsque celles-ci existent), ni au niveau des formes de
certifications censées traduire la reconnaissance étatique de cette dernière. A priori, la
reconnaissance explicite de la qualification par apprentissage dépend essentiellement de la
seule organisation productive dans laquelle l’apprenti a acquis les savoirs et savoir-faire du
métier pour lequel il a été formé ; d’autant que le code prescrit en son article 87 (chapitre II, p.
21) qu’« à l’issue de l’apprentissage, le maître [formateur de l’apprenti] doit s’efforcer
d’embaucher son apprenti. » De plus, le même code affirme que « L’apprenti dont le temps
d’apprentissage est terminé, passe un examen
130en vue de l’obtention d’un certificat
d’apprentissage délivré par le maître » (Chapitre II, article 95 : p. 22). De fait, l’apprenti
manque de statut et de reconnaissance conventionnelle sur le marché du travail à l’instant
qu’il quitte l’entreprise ou l’organisation formatrice. Cela dit, la qualification par
apprentissage révèle malgré tout, nombre d’ambiguïtés que le code du travail ne permet pas
de résoudre.
Au demeurant, nous notons dans l’idée d’apprentissage, et notamment à travers le
statut d’apprenti, qu’il apparait l’autre idée de processus, une sorte de parcours ou de
trajectoire conduisant à l’acquisition des qualités susceptibles de favoriser l’entrée dans la vie
active. La codification du statut de stagiaire est un complément de cette idée de processus : en
effet, « est considéré comme stagiaire, tout élève d’une école technique ou professionnelle ou
130