2.2 Des variables socioéconomiques pertinentes dans la construction des qualifications….160
2.2.4 Nomenclatures simplifiée : classification et/ou codification des qualifications ?
En pratique, les régimes d’organisation des travailleurs au sein des entreprises mettent
en œuvre un nombre restreint de classes de travailleurs qui composent trois catégories
socioprofessionnelles somme toute générales. La généralisation de cette nomenclature
simplifiée au sein de la Confédération Patronale Gabonaise (CPG) valide en quelque sorte le
modèle de classification
138:
- la 1
èrecatégorie regroupe les manœuvres, les ouvriers et agents d’encadrement. C’est
la catégorie socioprofessionnelle des Ouvriers que la nomenclature simplifiée désigne par
Agents d’Exécution ou Personnels d’Exécution ;
- la 2
èmecatégorie est composée des Agents de Maîtrise (Techniciens et autres
diplômés de niveau similaire). La nomenclature la désigne aussi sous l’appellation Agents de
Maîtrise ;
- la 3
èmecatégorie est constituée des Maîtrises supérieures et des cadres : cette
catégorie est désignée sous l’appellation Personnels Cadres ou Personnels d’Encadrement.
2.2.4.1 Une classification confuse
Il apparaît une première confusion entre la classe des Agents d’encadrement telle
qu’elle est définie par la classification générale de la Convention collective et la catégorie des
Personnels d’encadrement qui signifie dans la pratique patronale, l’ensemble des salariés
occupant des fonctions distinctes et « supérieures » à celles des Agents de Maîtrise et
d’exécution censés travailler sous leur « autorité ». Le collège des cadres et maîtrises
supérieures marque d’une manière ou d’une autre la division du travail au sein de
l’organisation productive. Dans ces conditions, on pourrait avancer une autre hypothèse : si la
formation certifiée par le diplôme ne suffit pas à caractériser la qualification acquise des
salariés dans leurs rapports avec le marché de l’emploi, les critères de classification quasi
personnalisés des salariés par les employeurs tendent à jouer un rôle dans la reconnaissance
des qualifications ; ce qui pose le problème des articulations réelles de la classification avec la
138
L’analyse s’appuie sur le rapport de la CPG sur les structures de l’emploi au Gabon rendu public lors du
Forum international de l’emploi en avril 2006 à Paris. Les résultats présentent la structure globale de l’emploi au
Gabon sur un échantillon de 4816 entreprises, soit une représentativité de 11% des salariés des entreprises
membres de la CPG. Il en ressort que les salariés sont répartis selon un ensemble de catégories que le patronat
appelle aussi Collèges : il s’agit des collèges Agents d’Exécution, Agents de Maîtrise et Cadres et Maîtrise
Supérieure. Si la nomenclature apparaît très simplifiée à ce niveau, la codification selon les caractères des
formations, des diplômes, et des hiérarchies professionnelles n’est pas aisée.
catégorisation et la nomenclature en usage, avec les niveaux de formation et éventuellement
les diplômes qui en assurent la certification institutionnelle.
D’un point de vue théorique, chaque catégorie correspondant à la nomenclature
simplifiée renvoie à un niveau de qualification souvent certifiée par un diplôme :
Tableau 16 : Catégories socioprofessionnelles selon le niveau du diplôme
Nomenclatures simplifiées/Catégories Référentiel indicatif des niveaux de
qualification
Personnels d’Exécution / Ouvriers
Formations de niveau : Sans, Certificat
d’Etudes Primaires, Brevet, Certificat
d’Aptitude Professionnelle, Brevet d’Etudes
Techniques, etc.
Employés / Agents de Maîtrise Formations de niveau : Brevet de Technicien
Sup., Licence, Maîtrise, et autres Bac+4
Personnels Cadres / Cadres et Maîtrises
Supérieures
Formations de niveau : Bac+5 et plus.
Toutefois, la convention collective des industries du bois dans son élaboration ne rend
pas compte de cette relation entre la classification et le niveau de formation. La contradiction
est lisible dans les dispositions du Titre III portant Contrat de Travail, chapitre premier,
notamment en ce qui concerne la formation et l’exécution du contrat que nous avons évoquée
précédemment.
2.2.4.2 Une entrée par le contrat de travail
Les dispositions d’embauche consignent clairement que l’engagement de tout salarié
doit indiquer entre autres, sa qualification professionnelle, sa classification, son salaire, le
lieu d’emploi, les conditions et la durée d’essai. Mais la consigne ne fait pas le lien entre la
qualification et une quelconque forme de formation certifiée par le diplôme ; du moins, on n’y
perçoit pas le lien direct. Mais la nomenclature simplifiée peut traduire la construction d’une
forme de qualification qui croise à la fois des savoirs produits par des formations spécifiques
certifiées et des savoirs produits de l’expérience en situation de travail. Les dispositions
relatives à la période d’essai montrent que celle-ci peut varier selon l’emploi postulé ; et que
la période d’essai est un moment de mise à l’épreuve du salarié
139.
On constate qu’en pratique, la qualification et la catégorie socioprofessionnelle ne se
déclinent pas systématiquement sous la forme du diplôme à l’entrée de l’entreprise : la
nomenclature que nous venons de présenter est en contradiction avec les usages dans les
entreprises ; alors que la nomenclature regroupe dans le collège Personnels d’encadrement,
cadres et maîtrises supérieures, les pratiques de recrutement montrent que la classe et la
catégorie du salarié à l’embauche sont relativement déconnectées des classements
théoriquement fondés sur les niveaux de formation (nous le verrons dans le paragraphe qui
suit, cf. sous section 2.2.4.3). De fait, le système de relations entre la qualification acquise du
salarié et l’emploi occupé reste à découvrir et à formaliser.
2.2.4.3 Une entrée par les aptitudes et capacités professionnelles éprouvées
L’importance accordée à la notion d’essai (période d’) dans la convention collective et
le code du travail en son article 28 (Titre II Chapitre I section 3) suppose que la négociation
qui peut entourer la détermination des qualifications et de leurs niveaux de hiérarchisation est
une des dimensions des processus de construction et de reconnaissance de celles-ci :
« L’engagement à l’essai précède la conclusion d’un contrat définitif. Il a pour but de
permettre à l’employeur de juger des ‘‘aptitudes’’ professionnelles et du ‘‘comportement’’ du
travailleur, et à ce dernier d’apprécier les conditions générales de travail, d’hygiène et de
sécurité »
140.
Cette disposition reprend intégralement celle consignée par le tronc commun des
conventions collectives. L’épreuve confronte le salarié aux procédures de la production et aux
conditions qui les déterminent. La reconnaissance de la qualification est institutionnellement
soumise à une période d’essai pendant laquelle le salarié demandeur d’emploi est censé faire
preuve de ses aptitudes professionnelles. Si la disposition prévoit que le salarié pendant cette
139
La pratique renvoie à celle qui accompagne les thèses de l’organisation humaine de la production centrée sur
la démarche par les compétences. La notion d’épreuve implique une « confrontation » entre ceux qui doivent
donner la preuve de leur qualification/compétence (les salariés), et ceux qui ont les outils pour les identifier, les
évaluer, les reconnaître, et les classifier ou les organiser (les employeurs). Dans le cas des employés des
industries du bois, la mise à l’épreuve consisterait à sélectionner les personnels engagés compte tenu à la fois de
leur qualification, des responsabilités que confère l’emploi et des difficultés liées aux usages de la profession.
140Direction des Publications Officielles [2001], Code du travail en République Gabonaise, Loi n°3/94 du 21
novembre 1994, modifiée par la loi n°12/2000 du 12 octobre 2000, p. 8.
période apprécie les conditions de mise en œuvre de la qualification acquise par la
démonstration d’un savoir-faire (en supposant qu’il se détermine aussi librement au regard de
l’emploi), dans les faits, le travailleur fait face non pas à un enjeu de choix de l’emploi selon
ses intérêts, mais au défi d’obtenir un emploi, de s’y maintenir ; pour cela, l’enjeu principal
du salarié est une adaptation et une intériorisation des procès ou procédures de la production.
La qualification dans la pratique est a priori une qualification à occuper un poste, à
exécuter avec exactitude une tâche de travail donnée. On pourrait être tenté de parler de
« qualification productive » dans la mesure où, la reconnaissance du salarié qualifié semble
beaucoup plus déterminée par sa pratique productive que par l’éventuel titre du diplôme qui
certifie sa formation. On peut aussi penser que dans certains cas, en l’absence d’une
qualification par le diplôme, c’est encore la catégorie socioprofessionnelle (au regard de la
nomenclature simplifiée) dans laquelle est classé l’emploi considéré qui « qualifie »
l’individu : un diplômé de l’École de commerce affecté à une tâche classée dans la catégorie
exécution pourrait bien être identifié comme personnel exécutant, donc ouvrier.
Un tableau présentant la « répartition des recrutements par niveau et filière d’étude »
dans les entreprises sondées par la CPG dans son rapport d’avril 2006 révèle quelques
enseignements quant à la désarticulation du classement théorique des salariés selon les
catégories socioprofessionnelles et les niveaux de formation afférents (cf. nomenclature
simplifiée) d’avec les pratiques patronales de recrutement.
Tableau 17 : Historique des recrutements (à N-2ans)
141 Répartition des recrutements par niveau et filière d’étude Sa ns d ip lô m es un iv er si ta ir es B ac + 2 B ac + 3/ 4 D ip lô m e d’ in gé ni eu r A ut re s ba c+ 5 et p lu s T ot al (1 ) T ot al (2 ) Cadres 4 7 11Finance/comptabilité Agents de maîtrise
(maîtrises supérieures) 11 17 8 36
47
Cadres 2 1 3 6
Juridique Agents de maîtrise
(maîtrise supérieure) 2 2 4
10
Cadres 0
Ressources humaines Agents de maîtrise
(maîtrise supérieure) 3 12 2 17
17
Cadres 4 6 5 15
Commercial Agents de maîtrise
(maîtrise supérieure) 9 6 9 24
39
cadres 9 8 8 25
Logistique/transport Agents de maîtrise
(maîtrise supérieure) 14 9 23
48
cadres 0
NTIC Agents de maîtrise
(maîtrise supérieure) 1 2 3
3
cadres 21 5 26
Electricité/
électromécanique (maîtrise supérieure) Agents de maîtrise 13 6 5 24
50
cadres 2 1 8 3 14
Informatique Agents de maîtrise
(maîtrise supérieure) 3 3
17
cadres 4 4
Génie civil Agents de maîtrise
(maîtrise supérieure) 7 4 1 12
16
cadres 0
Bâtiment Agents de maîtrise
(maîtrise supérieure) 1 1
1
cadres 9 9
Chimie/biologie Agents de maîtrise
(maîtrise supérieure) 4 1 1 6
15
cadres 7 19 3 29
Génie mécanique Agents de maîtrise
(maîtrise supérieure) 10 9 4 23
52
cadres 1 7 2 10
Autres Agents de maîtrise
(maîtrise supérieure) 5 4 9
19
Total 30 77 93 91 43 334 334
Source : Confédération Patronale Gabonaise, Forum international de l’emploi, Paris, avril 2006.
Notons que les données du tableau ne tiennent pas compte des recrutements
concernant les personnels d’exécution, autrement dit les ouvriers. Le constat est que le
diplôme n’inscrit pas toujours l’individu dans une catégorie socioprofessionnelle
préalablement définie pour un niveau de formation donné. Nous pouvons l’illustrer à partir de
quelques déductions de ce tableau ; ces déductions en forme de pourcentages peuvent servir
d’entrée pour une interprétation de la place du diplôme dans la construction des collèges
141
N représente l’année du sondage, soit 2006 ; les recrutements remontent donc à 2004. Le sondage aurait porté
sur un échantillon de 4816 entreprises adhérentes de la CPG : 11% du total.
professionnels, ainsi qu’ils sont susceptibles de susciter quelques hypothèses sur la place
réelle du diplôme dans la construction de la qualification à l’entrée de l’entreprise.
Tableau 18 : Récapitulatif des recrutements à partir du croisement du niveau d’étude
et du collège d’affiliation au moment du recrutement
Niveaux
d’étude
Sans diplômes
universitaires
(total 30)
Bac+2
(total 77) (Bac+3/4 total 93) Ingénieurs et Bac+5, +
(total 134)
Collège
d’affiliation
au
recrutement A
ge
nt
s
de
M
aî
tr
is
e
C
adr
es
A
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s
de
M
aî
tr
is
e
C
adr
es
Effectifs* 21 9 63 14 72 21 29 105
% 70 30 81,82 18,18 77,42 22,58 21,64 78,36
Source : Pourcentages calculés sur la base des données du tableau précédent (p. 11).
(*) : Les effectifs concernent pour chaque niveau d’étude et collège l’ensemble des recrutements sans
distinction de filière d’étude. L’intérêt est de voir comment sont réparties les populations recrutées lorsqu’on
croise leur niveau d’étude et le collège dans lequel elles sont classées au moment du recrutement. Y a-t-il des
relations fortes entre le niveau d’étude et le collège ? Et quelles que soient les relations existantes, dans quelles
mesures l’affiliation à un collège suggère-t-elle un mode de reconnaissance de la qualification et par là même de
sa définition ?
On observe que seuls les diplômés de niveaux Bac+5 et ingénieur ont une relation
forte avec le collège des cadres. En proportion, ces populations sont recrutées à plus de 78 %
en tant que cadres. Cela correspond théoriquement à la classification générale. Mais l’on peut
constater dans le même temps, qu’un peu plus de 21 % de cette population est recrutée dans
un collège inférieur (Agents de Maîtrise) ; ceci peut être considéré soit comme un décalage de
type « déclassement » ou une incohérence entre le type de diplôme et le collège, soit comme
une situation de sous-emploi ou inversement de sous-qualification du poste. Dans ce dernier
cas, la qualification du poste pourrait être le principe dominant dans les pratiques
gestionnaires, avec pour conséquence, la classification du salarié, quelque soit son diplôme ou
le niveau d’étude, par rapport à l’emploi occupé
142. Les recrutements et classements des
142
Dans ce cas, on doit supposer que les emplois connaissent aussi une certaine classification codifiée d’une part
à partir des niveaux de technicité ou d’intensité de travail non qualifié, qualifié, voire hautement qualifié, et
d’autre part à partir des niveaux de responsabilité ou de la situation dans les hiérarchies de l’organisation de la
production.
diplômés de niveau inférieur au Bac
143, et de niveau Bac+2 à Bac+4, illustrent les mêmes
ambiguïtés : les Bac+3 et 4 sont majoritairement recrutés et classés dans le collège des Agents
de maîtrise (77,42 %) contre 22,58 % classés non plus dans un collège inférieur, mais dans le
collège des cadres théoriquement constitué des diplômés de niveau Bac+5 au moins ; en ce
qui concerne les diplômés de niveau Bac+2, on constate un double décalage où, les salariés
sont recrutés dans deux collèges théoriquement supérieurs à l’affiliation classique (81,82 %
comme Agents de maîtrise et 18,18 % comme cadres) ; enfin 30 % des salariés sans diplôme
universitaire sont recrutés comme cadres contre 70 % comme Agents de Maîtrise. Ce qui
montre qu’il est difficile de lire des logiques causales fortes entre le niveau de formation
(entendu comme niveau d’étude et diplôme) et la classification professionnelle (collège
d’affiliation, catégorie socioprofessionnelle, classe) à ce niveau de construction conceptuelle.
Le contenu respectif des notions de qualification, la définition et la délimitation des collèges
professionnels sont suffisamment approximatifs pour rendre compte d’un niveau de
conceptualisation pouvant servir de base commune à tous les analystes des questions du
salariat au Gabon.
Les approximations sont une fois de plus visibles sur la nomenclature relative à la
grille des salaires qui révèle les classifications en usage
144dans le cadre de la hiérarchisation
des rémunérations : on observe que les salariés sont classés dans quatre catégories
professionnelles dont les Ouvriers, les Employés, les Maîtrises et les Cadres. La différence est
que chacune de ces catégories se compose de sous-catégories ou de sous-classes
correspondant chacune à une fourchette de rémunérations : les personnels ouvriers sont
classés soit ouvriers (simples) donc O, soit ouvriers qualifiés (OQ) ; les employés sont classés
soit Employés (simples qu’on pourrait noter E), soit employés qualifiés, c’est-à-dire EQ ; les
maîtrises sont classés soit agents de maîtrise (AM), soit hautes maîtrises que nous noterons
HM ; enfin les cadres qui sont classés soit cadres débutants que nous noterons CD, soit cadres
moyens que nous symbolisons par CM et les cadres dirigeants que nous noterons CDI. Les
grilles de salaires telles qu’élaborées ne rendent pas directement compte des véritables
143
Dans le contexte des données du tableau, on y inscrit les effectifs n’ayant pas de diplôme universitaire ;
sachant que dans le système scolaire gabonais, comme c’est d’ailleurs le cas en France, le baccalauréat
représente le premier diplôme universitaire. Les diplômes non universitaires comprennent donc toutes les formes
de certification officielle des formations aussi générales que techniques et professionnelles avant bac.
144