1.1 Éléments de littérature sur l’histoire économique de l’Afrique centrale
1.1.1 L’apport de Catherine Coquery-Vidrovitch
À la lecture de C. Coquery-Vidrovitch (1976), nous notons que les processus
économiques de l’Afrique noire depuis la colonisation sont, d’abord et avant tout, des
processus « solidaires » de « l’impact européen sur l’Afrique ». Autrement dit, l’histoire de
l’économie des territoires d’Afrique centrale est directement articulée à l’histoire de
l’expansion économique française en particulier et occidentale en général. Trois textes de
l’auteur permettent d’en saisir les contours.
1.1.1.1 « Les idées économiques de Brazza et les premières tentatives de compagnies
de colonisation au Congo français – 1885 – 1898 »
62Notons dans ce texte l’idée que le lien structurel de l’économie des territoires
d’Afrique centrale avec le capital international prend ses origines dès la fin du XIX
èmesiècle :
en 1898 a été mise en place une loi portant organisation de grandes compagnies
concessionnaires au Congo français. Cette loi devait servir, le siècle d’après, de trame sur
laquelle se construirait au fil des décennies une économie dite moderne au sens du mode de
production dominant contemporain. Elle favorise tout de même un début d’implantation du
capitalisme en Afrique centrale : la Société Commerciale, Industrielle et Agricole du
Haut-Ogooué (SHO) est l’une des structures qui marquent l’aboutissement sur les bases de cette loi
à la formation des compagnies concessionnaires. En 1890, une autre société, la Compagnie
Commerciale et Industrielle du Congo Français « obtenait non seulement la concession des
travaux d’études de la voie de communication, mais aussi le droit de rechercher les mines et
plus généralement tous les éléments que l’ensemble de la colonie pourrait offrir du point de
vue commercial, industriel et agricole » (C. Coquery-Vidrovitch, 1965, p. 65).
Trois années plus tard (1893), un émissaire du Comité de l’Afrique Française tire
d’une convention avec le lieutenant-gouverneur du territoire français le droit pour la
concession d’exploiter les mines, la forêt, mais aussi le droit de « faire au Congo toutes
opérations commerciales » (idem. p. 68). En somme, tout repose sur l’idée que la mise en
œuvre des sociétés concessionnaires devait bénéficier des garanties de la colonie concernée de
pouvoir exploiter « l’ensemble des terres vacantes, forêts et mines », sachant que
« l’exploitation des produits du sol autres que bois et minerais ou minéraux restait libre ».
Toutes ces tentatives de mise en concessions des territoires d’Afrique centrale visaient
en fait un principal objectif : penser la mise en œuvre d’une structure économique sous le
format d’une concession d’État. C’est ainsi qu’en 1898 est créée la Compagnie Française du
Commerce et des Colonies Africaines. C’est dans la même dynamique que la SHO rentrait en
pleine activité en 1897. C. Coquery-Vodrovitch dit d’elle qu’elle est la « première et la plus
vaste des sociétés concessionnaires, elle fut aussi la mieux dotée (…) ».
62
Nous reprenons ici le titre du texte de l’auteur publié en 1965 dans les Cahiers d’études africaines (Volume 5,
n°17, pp. 57 - 82.)
Nous pouvons y lire les marques de l’importance du régime des concessions dans la
structuration de l’économie gabonaise à travers celle de la grande colonie du Congo Français.
Cette centralité du système concessionnaire est sous-tendue par l’idéologie selon laquelle, « il
n’y a que le système des grandes concessions qui pourra produire quelque chose d’utile et de
durable dans la région du Haut-Ogooué
63» (p. 79). Mais celles qui sont mises en place en
cette fin du XIX
èmesiècle ne prospèrent pas, faute de mobilisation des financiers français. C.
Coquery-Vidrovitch écrit à ce propos, « Certes, loin de bouder la conquête d’un empire, la
France s’était empressée de défendre sa part de Congo ; mais l’impérialisme économique,
longtemps balbutiant, l’emporta tardivement sur l’impérialisme politique (…). » (p. 81). Les
balbutiements enregistrés entre 1880 et 1898 peuvent être considérés comme les bases
historiques de la formation d’une économie gabonaise, via le développement progressif de
l’économie du Congo Français.
En effet, la formation de l’économie gabonaise est directement liée à l’organisation
coloniale et postcoloniale de l’économie du Congo Français. La plus grande expérience de
société concessionnaire serait la Société Commerciale, Industrielle et Agricole du
Haut-Ogooué (SHO). Cette expérience favorisa des nouvelles perspectives sur l’exploitation
coloniale en passant de la conquête, à l’origine politique, à une « mise en valeur » beaucoup
plus économique. Et si bien qu’avant 1898, les produits commercialisés sont principalement
des produits issus de la cueillette et de la chasse
64; ce qui du fait de l’étiolement des
ressources ou de la concurrence justifie par ailleurs les difficultés que ces premières
concessions éprouvent pour trouver un réel essor. C’est ainsi que le bois fait l’objet d’une
prospective commerciale depuis 1893.
1.1.1.2 Les perspectives économiques des territoires d’Afrique centrale dans la
première décennie 1900 : les compagnies concessionnaires du « Congo Français »
entre 1900 et 1909
Dans les Cahiers d’études africaines
65, C. Coquery-Vidrovitch écrit : « la colonie du
Congo français, qui regroupait divers territoires d’Afrique équatoriale (Gabon, Congo, puis
Oubangui-Chari-Tchad) fut fondée en 1886. Mais on atteignit l’extrême fin du siècle sans
63
Elle reste jusqu’à ce jour la province qui abrite les plus grandes exploitations minières.
64
Coquery-Vidrovitch C. cite principalement l’ivoire produit de chasse et le caoutchouc issu de la cueillette.
65Volume 8, n° 29, 1968.
avoir résolu le difficile problème de sa mise en valeur » (p. 96) en raison de l’état sommaire
de l’activité productive dans la colonie. Il fallait, face à ces difficultés, trouver une politique
économique et financière viable et en cohérence avec les principes fondateurs de la
colonisation. Car, « Selon les théoriciens de l’époque, écrit C. Coquery-Vidrovitch, l’objet
d’une colonie était en effet d’être pour la métropole une source de profit » (p. 96)
66. Il fallait
de fait compter sur le « démarrage » économique effectif de la colonie ; ce que l’auteur
nomme la « mise en valeur » des colonies. C’est dans ce contexte que les premiers bois
gabonais entrent de fait dans les échanges commerciaux, dès la fin de la décennie 1890, avec
une production qui passe de 1200 à 12000 tonnes entre 1899 et 1903. L’okoumé, exploité à
grande échelle, va par la suite constituer la principale matière première de l’industrie
forestière ; selon l’auteur, l’okoumé manifeste sa domination dans le commerce (au sens des
exportations) des territoires d’Afrique centrale dès la sortie de la première guerre mondiale.
Mais avant l’essor du commerce du bois, il importe de souligner les problèmes qui
mettent en question l’idéologie de la « mise en valeur » des colonies par leurs ressources
propres. Car, les carences dans la mobilisation des capitaux publics et privés par la France
67ont justifié la conception d’un système de financement de la fameuse mise en valeur adossée
sur la perception d’un impôt sur les indigènes : l’« impôt de capitation ». Un impôt qui serait
la seule manière d’obliger ces derniers « à produire et à utiliser les richesses du sol [en lui
imposant] des habitudes de travail régulières faute desquelles la mise en valeur des
territoires concédés [aux sociétés concessionnaires] ne saurait se produire »
68.
1.1.1.3 La dépendance structurelle de l’économie africaine par rapport à
l’expansion capitaliste occidentale
Pour introduire son texte sur « La mise en dépendance de l’Afrique noire … »
69, C.
Coquery-Vidrovitch écrit : « les rapports de l’Afrique et de l’Europe, depuis les débuts,
peuvent se résumer en un mot : la dépendance. » Elle énonce les caractères fondamentaux de
66
L’auteur s’appuie également sur P. Leroy-Beaulieu, qu’elle cite en ces mots « La principale utilité des
colonies est le commerce des métropoles ». cf. P. Leroy-Beaulieu, De la colonisation chez les peuples modernes,
Paris, 1882 [1874], p. 675.
67
L’auteur l’appelle « échec financier » ; situation due aux risques encourus dans une aventure que seuls les
explorateurs, Brazza notamment, percevaient les promesses d’un commerce lucratif. C. Coquery-Vidrovitch en
fait largement état dans son texte sur l’échec de l’impôt de capitation.
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