2.1 Lire la qualification par le biais du Code du travail et des Conventions collectives : une
2.1.2 La qualification à travers les conventions collectives : une codification négociée ?
Deux niveaux d’analyse sont à appréhender lorsque nous voulons saisir la
qualification à travers les accords collectifs, du moins en ce qui concerne les conventions
collectives : le premier niveau, celui du tronc commun, permet d’identifier les caractères
transversaux de la qualification quelles que soient les spécificités des emplois, des postes de
travail, des fonctions et des secteurs ; le second niveau, celui des conventions sectorielles ou
de branche, aide l’analyse des possibles particularités issues des appropriations différenciées
en fonction des fondamentaux de chaque espace professionnel en tenant compte du secteur
d’activité, de la taille des entreprises, des modes et formes d’organisation (de la plus simple à
la plus complexe), des catégories socioprofessionnelles, etc.
2.1.2.1 La qualification selon le tronc commun des conventions collectives : des
caractères transversaux ?
Le tronc commun des conventions collectives en vigueur depuis 1982
133stipule en son
Titre III portant contrat de travail au chapitre premier que l’embauche est constatée par un
document indiquant : « - le nom ou la raison sociale de l’employeur et son adresse, - les nom,
prénom, nationalité, âge, sexe, situation de famille, qualification professionnelle,
classification, salaire, lieu de recrutement et lieu d’emploi du travailleur, ainsi que les
conditions et la durée de la période d’essai, - la date du recrutement ».
133
Le tronc commun des conventions reste une particularité dans l’expérience gabonaise ; elle peut s’expliquer
par le contexte politico-syndical d’alors : l’espace politique étant dans cette période dominé par le parti unique,
la Confédération syndicale gabonaise – COSYGA assurait en quelque sorte la continuité du système centralisé
par le parti au sein des entreprises ; on peut penser qu’il en est de même de la Confédération patronale gabonaise
– CPG qui doit son émergence à la volonté politique de mettre en place une structure de référence représentant
les intérêts des employeurs. Seules trois parties ont participé à la production de ce tronc commun : la COSYGA,
la CPG, le Ministère du travail.
Cette disposition montre que le tronc commun des conventions collectives pose
d’emblée que la qualification professionnelle est plus ou moins centrale dans le rapport
salarial ; on peut également noter que cette qualification professionnelle fait l’objet d’une
mise à l’épreuve par l’institutionnalisation d’une période d’essai qui confirme ce que prévoit
le code du travail : « L’engagement définitif du travailleur peut être précédé d’une période
d’essai stipulée obligatoirement par écrit, et dont la durée maximale varie selon l’emploi
postulé. Elle ne peut être d’une durée supérieure au délai nécessaire pour mettre à l’épreuve
le personnel engagé, compte tenu de sa qualification, du niveau des responsabilités afférentes
à l’emploi et des usages de la profession » (Paragraphe A.12, article A.12.1 : 9).
L’article A.12.6 précise qu’en situation d’embauche dans une entreprise ayant un
emploi à pourvoir, « l’employeur doit s’efforcer de faire appel en priorité aux travailleurs en
service dans celle-ci. A cet effet, il prend en compte les appréciations portées par la
hiérarchie, les résultats des éventuels tests psychotechniques et essais professionnels,
l’aptitude du travailleur à recevoir une formation complémentaire qui s’avèrerait nécessaire.
Si le poste vacant relève d’une catégorie supérieure, le postulant peut être soumis à la
période d’essai correspondante ; si l’essai n’est pas concluant, le travailleur est rétabli dans
son précédent emploi aux conditions antérieures, sans que cela soit considéré comme une
rétrogradation. »
Même en l’absence d’une définition explicite, la qualification selon le tronc commun
des conventions collectives semble à chaque fois renvoyer à un certain nombre de termes tels
que l’essai (professionnel), l’épreuve (du personnel), la responsabilité (assurée),
l’appréciation (de la hiérarchie), le test psychotechnique, l’aptitude (du travailleur), la
formation. Tous ces termes évoquent entre autre l’idée que la qualification est toujours le fait
d’un processus par lequel un certain nombre de mécanismes permettent de la valider et de la
reconnaître comme telle. Les modalités de validation peuvent varier d’une catégorie à une
autre, ou d’un emploi à un autre : le paragraphe A.13 du tronc commun en rend compte de la
manière suivante :
MO – MS : 15 jours renouvelable 1 fois
OS – OS2 – E2 : 1 mois renouvelable 1 fois
OP1 – OP2 : 2 mois renouvelable 1 fois
OP3 – E3 – E4 – AM et Cadre : 3 mois renouvelable 1 fois
134.
La qualification peut être appréhendée comme une validation d’aptitudes productives
via leur mise à l’épreuve dans des conditions de travail concrètes données.
À côté de la période d’essai, le tronc commun prévoit comme le code du travail, des
dispositions relatives à l’apprentissage. Ces dispositions posent que « L’apprentissage
comporte une formation d’ensemble alliant une culture générale sommaire à l’acquisition
d’une technique professionnelle théorique et pratique ». La qualification est donc à saisir sous
deux angles, celui de la construction d’un socle de savoirs généraux et celui de la construction
des professionnalités au travers des aptitudes techniques des emplois considérés. Car, lorsque
l’entreprise forme les individus pour ses besoins, c’est elle-même qui sélectionne et
embauche, responsabilise, classifie et détermine à terme les trajectoires professionnelles des
individus au sein de l’entreprise.
2.1.2.2 La qualification à l’aune des conventions collectives du secteur du bois :
quelles spécificités ?
Les conventions collectives des exploitations forestières et des industries de sciage et
placage participent à l’élaboration des nomenclatures des métiers et emplois du secteur
forestier. Elles contribuent aussi à la construction des catégories professionnelles et à une
certaine classification des emplois, des postes et des salariés qui les occupent. Dans l’industrie
de transformation du bois, la convention collective des sciages et placages classifie les
salariés de la branche sous deux catégories : celle des ouvriers et celle des employés.
2.1.2.2.1 Éléments de construction de la catégorie ouvrière
La catégorie des ouvriers est constituée de quatre classes :
- Première classe, les manœuvres ordinaires – MO Ce sont des travailleurs « sans
spécialité pouvant être employés à tout poste de manutention et d’entretien ne nécessitant pas
de compétence particulière ».
- Deuxième classe, les manœuvres spécialisés – MS Ils représentent des travailleurs
« affectés aux tâches simples [qui] n’exigent qu’une adaptation de courte durée, qu’une
initiation professionnelle sommaire et ne comportant qu’une responsabilité réduite à leur
bonne exécution matérielle ».
- Troisième classe, les ouvriers spécialisés – OS Cette classe regroupe des travailleurs
« affectés à des tâches nécessitant soit une expérience professionnelle, soit une formation
adaptée et comportant de ce fait une responsabilité quant à la bonne exécution de cette tâche
et aux moyens employés pour y parvenir. » L’accès à cet emploi peut être subordonné à un
ensemble d’essais professionnels appropriés à chaque spécialité de la catégorie.
- Quatrième classe, les ouvriers professionnels – OP Ce sont des travailleurs
« possédant des connaissances techniques acquises soit par expérience pratique, soit par
formation professionnelle et qui portent l’entière responsabilité de l’organisation et de la
bonne exécution des tâches qui leur sont confiées. ». Ces travailleurs ont éventuellement des
capacités d’utilisation de croquis ou de plans sur la base de leur instruction suffisante quant à
l’interprétation correcte des instructions et des procédures prescrites. L’accès à cet emploi
peut être, comme le précédent, subordonné à un ensemble de tests professionnels liés
spécifiquement à chaque spécialité. Dans ces conditions, le travailleur affecté à un poste
similaire peut être conduit à exercer une autorité ou plutôt une fonction d’encadrement sur
une équipe relativement réduite, et constituée de travailleurs appartenant à une classe
inférieure à la sienne.
On peut observer que la catégorie de travailleurs ouvriers est codifiée à partir de
plusieurs modalités : la nature de l’emploi ou du poste, le niveau d’exigence technique de la
tâche, le niveau de responsabilité que suggère celle-ci tant dans l’organisation que dans
l’exécution.
C’est ainsi que dans les deux premières classes (MO et MS), c’est la simplicité des
tâches, l’absence de qualification ou de compétences spécifiques requises, mais aussi la
responsabilité marginale conférée aux MO et MS qui caractérisent les emplois, qualifient et
classifient par là même les individus ; il s’agit donc de tâches sans exigence en savoirs
théoriques et techniques. Nous pouvons avancer que les ouvriers ordinaires et spécialisés sont
fondamentalement qualifiés par l’activité exercée. C’est là une qualification décentrée du
format de la formation certifiée et de l’expérience éprouvée.
Dans les deux dernières classes (OS et OP), c’est par contre la technicité de l’emploi
qui est le caractère central : de fait, ce qui qualifie les ouvriers de la troisième et quatrième
classe c’est d’une part leur technicité, et d’autre part le niveau de responsabilité qu’exigent les
tâches relatives à leur emploi. En effet, on peut noter que dans ces deux classes, le rapport de
qualification exige une rencontre entre les savoirs techniques du travailleur et le niveau
technique du poste occupé ; de sorte que la qualification s’appréhende sur une double
perspective : premièrement comme une construction des technicités par le truchement de
l’expérience professionnelle, deuxièmement comme une production institutionnelle par
l’intermédiaire d’une formation dite spécialisée et de ce fait certifiée.
Globalement, les emplois et les postes de travail dont les activités ne font pas
référence à la qualification ou à une quelconque compétence spécifique, classifient leurs
occupants dans les classes les plus basses de la catégorie ouvrière ; la non spécialisation et
l’employabilité à toutes tâches banales
135constituent leurs qualités principales. En somme, les
emplois de MO et de MS sont marqués par une sous intellectualisation du travail au profit
d’un taux nettement fort de manutention.
Les ouvriers classés OS ont par contre des tâches plus spécifiques dont l’exercice
s’appuie parfois sur l’expérience de l’occupant du poste, ou plutôt sur sa formation
« adaptée » ; il en est de même des OP qui assurent des tâches techniques dont l’exécution
exige des acquis en savoirs techniques issus des expériences pratiques que Roger Cornu
(2001) appellerait processus d’« apprentissage-production », ou des formations
professionnelles (standards). Leur codification par rapport à une expérience avérée ou à une
formation spécifique donnée montre qu’avec les emplois d’OS et d’OP on entre dans une
première échelle d’intellectualisation des tâches et des postes de travail.
Les niveaux de simplicité ou de complexité, de technicité, d’intellectualisation ou de
manutention, constituent des critères classants de la catégorie d’ouvrier. Complexité et
technicité représentent de fait des paramètres par lesquels les emplois et les postes sont
classés du plus simple ou banal à l’exécution au plus technique ou « professionnel »
136. De
fait, les modalités d’accès à ces classes déterminent l’affectation des individus dans chaque
classe d’emplois : la non spécialisation, souvent abusivement traduite par la non qualification
(F. Hubault et P. Santelmann, 2007), est toutefois un type de compétence, celle qui caractérise
et qualifie l’homme à tout faire dans le jargon du travail ouvrier ; de sorte que la
135
Il ne s’agit pas de considérer ces emplois et postes de travail comme dénués de toute qualité ; nous essayons
surtout de tenir compte du niveau de complexité extrêmement accessible, justifiant le fait que ne soient exigées
qu’une adaptation ou une initiation sommaire et une responsabilité relativement faible.
136