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Deux analyses sont principalement intéressantes. Il s’agit des études de C. Bouet

(1978) et de L. Biffot (1961) auxquels nous nous référons d’emblée. Il convient d’y associer

également les conclusions des thèses de J. Ndong Nkogo (1984) et de J.-P. Mackosso Ikapi

(1985). Ces analyses peuvent être considérées comme pionnières de la sociologie du salariat

gabonais en ce qui concerne la problématique de la production des qualifications ouvrières à

proprement parler.

1.3.2.1 Problématique de la main-d’œuvre à partir des données officielles entre 1960

et la fin des années 1980

Pour introduire son analyse, C. Bouet note à la fin des années 1970 que « les

problèmes qui se posent aujourd’hui au Gabon à propos de la main-d’œuvre ne sont pas

nouveaux. Ils prennent cependant une acuité accrue du fait de la conjonction de deux

facteurs : un taux de salariat si élevé

105

que tout recrutement nouveau de main-d’œuvre locale

menace l’équilibre général du pays ; une accélération brutale de l’essor industriel et de

l’équipement, source de besoins accrus en main-d’œuvre, essentiellement en main-d’œuvre

qualifiée » (p. 376).

Au-delà de ces constats plus ou moins ponctuels, et près de 30 ans plus tard, des

analyses de synthèse sur le salariat et particulièrement la problématique des qualifications

manquent paradoxalement jusqu’à ce jour. À propos de la situation du salariat et de l’emploi

par exemple, il souligne pour le cas du Gabon (au début de la décennie) que « Les sources

concernant le travail salarié sont disparates et jamais exhaustives. Alors que les fichiers

statistiques sont parfaitement au point et mis à jour pour certains secteurs de l’économie,

comme la production et l’exportation de l’okoumé, tronquées, fragmentaires, imprécises sont

105

Cette position est discutable. Malgré le fait que la population gabonaise ne comptait 448.000 habitants au

recensement de la population de 1961 et 518.000 âmes à celui de 1970 (jusqu’au milieu des années 80, elle ne

compterait que 840.000 habitants, cf. A-F. Avenot, 2008, p. 65), il reste que la population active salariée ne

comptait elle aussi que 74.000 individus en 1973, autour de 80.000 en 1977. Cela représente à peine entre 14,28

% et 15,44 % de la population recensée en 1970 (cf. « Rush sur le Gabon » in Tiers-Monde, Janvier-Mars 1977,

tome 18, n° 69, pp. 155-157. Une telle proportion ne saurait être qualifiée de très élevée même si l’on considère

en général que la démographie gabonaise est marquée par sa jeunesse.

d’une façon générale les données concernant le moteur essentiel de cette économie : la

main-d’œuvre salariée » (C. Bouet, 1973).

Si dans ces années 1970 les recherches posent le problème de la main-d’œuvre au

Gabon en terme de besoins en qualification (puisque c’est dans cette période allant des années

1960 jusqu’au début des années 1980 que l’ORSTM publie la plupart de ses études trop

souvent sectorielles et parcellaires sur l’économie gabonaise et ses problèmes de

main-d’œuvre), il n’en a pas toujours été ainsi. Plusieurs moments sont à observer dans l’histoire

structurelle du salariat gabonais, moments à travers lesquels il est possible de saisir dans quels

termes les rares études qui se sont intéressées (trop souvent de façon indirecte et implicite) à

la question de la qualification de la main-d’œuvre l’ont abordé dès la mise au travail des

populations au sein des sociétés concessionnaires en Afrique Équatoriale Française (AEF).

À défaut de restituer ici une histoire précise du salariat au Gabon

106

(un objet d’étude

susceptible de constituer tout un projet de recherche), nous pouvons retracer dans une certaine

mesure, les termes dans lesquels les problèmes de mobilisation au travail ont été formulés

jusqu’à ce jour. Mais disons d’entrée de jeu, que les données qui sont disponibles sur cette

question relèvent très souvent de recherches superficielles comme le souligne C. Bouet (op.

cit.). Elles sont d’autant plus difficiles à classer en catégories disciplinaires qu’elles sont le

fruit de rapports d’études à la demande de l’administration coloniale ou post-coloniale. Dans

ce contexte, leurs visées premières ne sauraient être considérées comme scientifiques. À ce

propos, J. Copans (1981) observe que les problématisations anthropologiques et sociologiques

n’y sont que rarement visibles. Pour le cas du Gabon, cette carence est d’autant plus marquée

que de réelles monographies sur le salariat manquent, du moins sous forme de publications

officielles. Par ailleurs les institutions de production des données statistiques et qualitatives

comme la Direction Générale des Statistiques et des Études Économiques (DGSEE), l’Office

National de l’Emploi (ONE), le Ministère du travail, etc. tardent à rendre visibles et

analysables les structures et les dynamiques des espaces socioprofessionnels nationaux.

Dans ces conditions, c’est par l’analyse des écrits d’historiens et d’anthropologues

économistes qu’il est possible de rendre compte des évolutions dans l’étude des populations

des travailleurs au Gabon. L’histoire et les évolutions des structures productives apparaissent

106

J.-E. Etoughé-Efé (2000) en donne quelques repères à travers son article Introduction du salariat dans les

comme le matériau le plus à même de rendre possible cette entreprise. En pratique, il importe

de saisir le développement des formes de mobilisation au travail au travers de l’analyse de

contenu des textes publiés entre 1960 et 1980. Ce qu’il convient de mettre en relief, ce sont

les critères de sélection de la main-d’œuvre tout au long des transformations de l’économie

gabonaise à travers quelques textes d’historiens. Ainsi, deux moments majeurs sont

perceptibles dans le traitement des structures salariales dont les historiens parlent

essentiellement en termes de main-d’œuvre.

Nous pouvons retenir avec C. Bouet que les salariés du secteur de l’industrie du bois

sont, comme l’ensemble du salariat gabonais, marqués par un déséquilibre entre les

catégories. Une répartition des salariés selon la catégorie donne la synthèse suivante.

Tableau 8 : « La répartition des salariés par catégories socio-professionnelles »

107

Catégories Gabonais Etrangers Total

1- Entreprises privées

Directeurs, cadres supérieurs 103 451 644

Ingénieurs 1 268 269

Cadres administratifs 96 509 605

Techniciens 427 1 040 1 467

Agents administratifs 229 415 644

Ouvriers très qualifiés 1 138 544 1 882

Employés de bureau 2 817 391 3 208

O.H.Q 4 681 147 4 826

O.S. 12 284 256 12 540

Manœuvres 19 606 163 19 769

Gens de maison 1 073 24 1 097

Non classés 3 658 2 3 660

Total entreprises 46 313 4 300 50 613

2- Administrations publiques

Fonctionnaires 4 661 Nd 4 661

Militaires 1 346 Nd 1 346

Enseignants privés 1 082 100 1 182

Contractuels, personnel permanent de l’Etat 2 524 200 2 724

Personnel temporaire de l’Etat 1 400 Nd 1 400

Agents des collectivités locales 1 600 Nd 1 600

Total Administrations publiques 12 612 300 12 913

Total général 58 926 4 600 63 526

Source : C. Bouet, 1978, p. 380.

107

Nous reprenons ici le titre utilisé par C. Bouet. La répartition concerne tous les salariés du secteur privé et de

l’administration publique.

Le constat que dresse ce tableau est que le salariat gabonais jusque à la fin des années

1970 est largement constitué de catégories les moins qualifiées. C. Bouet écrit à cet effet « la

main-d’œuvre gabonaise se présente donc comme une masse de manœuvre peu qualifiée,

mais presque totalement autochtone : 7,2% des salariés seulement sont des ressortissants

étrangers, essentiellement européens (à 82,3%) » (p. 380). Dans les années 1970, cette

situation aurait confronté l’économie nationale à une pénurie de main-d’œuvre non seulement

en nombre, mais aussi en qualification. S’ajoute à cet état de fait, la situation dans le système

de formation où « Les établissements scolaires techniques sont loin de « produire » des

techniciens requis et la formation « sur le tas », pratiquée par toutes les entreprises

actuellement implantées dans le pays, ne peut constituer une solution idéale pour de nouvelles

entreprises venant effectuer des travaux sectoriels dans un temps limite » (idem. p. 386-387).

Presque dix ans plus tard, le constat de C. Bouet est confirmé vers la fin des années

1980. A.-H. Barro Chambrier (op. cit.) souligne justement qu’« un certain nombre

d’obstacles continuent donc d’entraver le développement du secteur forestier parmi lesquels :

les coûts d’exploitation élevés et la faible productivité de la SNBG ; le nombre insuffisant

d’ouvriers qualifiés ; et en règle générale, les hauts niveaux

108

de traitements et de salaires »

(p. 29). À la lecture de L. Biffot (1961), nous notons un certain nombre de caractères sur trois

« populations témoins » de salariés : travailleurs urbains, salariés de chantiers d’okoumé et

travailleurs d’usine « innovante » dans l’organisation du travail. En matière de qualités

qualifiantes de ces échantillons de populations de salariés, nous observons qu’en ce qui

concerne la population des salariés urbains, le tableau qu’il dresse rend compte d’une

distribution déséquilibrée entre les catégories. Car, L. Biffot lie le qualificatif « intellectuel »

et inversement la notion d’« illettrisme » à la notion de scolarisation et du niveau intellectuel

qu’il considère comme un critère de classification.

108

Cette thèse des « hauts niveaux » de traitement salarial est largement discutable : l’auteur ne fait pas la

démonstration, fut-elle comparative, de l’importance des salaires dans le secteur du bois par rapport aux autres

secteurs de l’économie nationale. De plus, le salariat du secteur forestier étant jusqu’alors (1989) caractérisé par

une domination des catégories ouvrières, l’on ne peut affirmer que leur condition salariale est importante (donc

« bonne »), au prétexte que les rémunérations dépassent relativement le salaire minimum garanti (SMIG).

L’ensemble de la population ouvrière gabonaise partage une condition commune, celle de travailleur pauvre.

Tableau 9 : Répartition selon le niveau intellectuel

109

Groupe socioprofessionnel Illettrés Scolarisés

Contre-Maîtres et Chefs d’équipe 90% 10%

Manœuvres 89% 11%

Chauffeurs, conducteurs 67% 33%

Ateliers 33% 67%

Marins 26% 74%

Pointeurs, magasiniers 11% 89%

Bureaux 6% 94%

Source : L. Biffot, 1961, p. 12.

Globalement, la population témoin montre que les salariés classés comme illettrés (89

individus) représentent en proportion plus ou moins 49% ; alors que la part des salariés

scolarisés (92 travailleurs) est de 51%. Mais les niveaux de scolarisation ne se répartissaient

qu’à une échelle allant du cours préparatoire première année (soit le CP1) à la classe de

Troisième (fin du premier cycle secondaire) ; ainsi son échantillon aboutit à la répartition

suivante.

Tableau 10 : Répartition selon le niveau d’étude dans les années 1960

Scolarité Cours préparatoire Cours élémentaire Cours moyen

Effectifs 9 individus 27 individus 29 individus

dont

3 ouvriers

3 marins

2 manœuvres

1 vaguemestre

10 marins

10 ouvriers

4 manœuvres

2 chauffeurs

1 magasinier

10 ouvriers

5 marins

5 magasiniers et

pointeurs

4 employés de bureau

2 chauffeurs et

conducteurs

Titulaires du CEPE

110

Ens. 2

nd

1

er

cycle Ens. 2

nd

primaire sup.

Effectifs 17 individus 7 individus 1 individu

dont

15 bureaucrates

1 ouvrier

1 magasinier-bagagiste

7 employés de bureau 1 employé de bureau

Ens. technique

Effectifs 1 individu

1 magasinier

Source : Tableau adapté à partir des données de L. Biffot, 1961, op. cit.

109

Au terme intellectuel, nous aurions contrairement à L. Biffot préféré celui d’étude : le niveau d’étude semble

la terminologie la plus adaptée au contexte d’alors, d’autant que les politiques publiques en matière d’éducation

et de formation affirment clairement les objectifs qui consistent à faire du système éducatif national le

fournisseur de main-d’œuvre des opérateurs économiques (où les secteurs des mines, de la forêt et dans une

certaine mesure le secteur du pétrole sont les principaux demandeurs) en fonction de leurs besoins. Que ces

objectifs soient restés des discours politiques sans réelles traductions sociales et économiques est un fait qui

mérite d’être souligné, mais c’est une autre question dont cette thèse n’est pas le propos.

Les populations des travailleurs pouvaient être réparties selon l’importance ou le

niveau de scolarité, c’est-à-dire selon leur équipement intellectuel. Cet équipement scolaire

peut être appréhendé en termes de capital intellectuel en quelque sorte. Ainsi, chefs d’équipe,

contre-maîtres et manœuvres font tous partie de la catégorie de ceux n’ayant pas un

équipement scolaire important. D’autres populations comme les chauffeurs et les conducteurs

sont caractérisées par un équipement intellectuel relativement important : entre 30 et 40%.

Les marins et personnels d’atelier constituent un troisième groupe de salariés où l’équipement

scolaire prend une place sensiblement prédominante (marins et personnels d’ateliers). En fin

un quatrième groupe dans lequel l’équipement intellectuel est presque formellement central

est représenté ici par les pointeurs, magasiniers et employés de bureau.

Ce que nous observons c’est le caractère commun à tous les groupes : le faible niveau

de scolarisation de ces salariés. Car, L. Biffot le souligne justement : « Un fait [qui] mérite

peut-être que l’on s’arrête un instant : la présence de quatre scolarisés du CE2 parmi les

manœuvres et d’un CM2 parmi les contre-maîtres et chefs d’équipe. » Mais quelle

signification en donner ? « Que peuvent signaler ces présences ? » s’interroge-t-il. Il formule

sa réponse comme suit : « Disons tout d’abord que, il ya vingt-cinq ans, vers 1935 et même en

1940, un CM2 ne serait pas avisé d’exercer un emploi de contre-maître : c’était l’époque où

un certifié d’études primaires élémentaires était un intellectuel, et où avec le CE2 on obtenait

encore une place de commis aux écritures, de pointeur, d’"écrivain" (…) » ; le fait est que

« Le cycle des études était alors couronné dans le Gabon tout entier par le certificat

d’études ; seule la Congrégation du St-Esprit dispensait un enseignement secondaire aux

jeunes gens se destinant au sacerdoce » (p. 12 et suivantes).

Par ailleurs, le fait d’avoir des salariés scolarisés au niveau CE2 dans la catégorie

manœuvre est interprété comme une évolution du rôle central ou de l’importance du niveau de

scolarité dans la classification professionnelle. De fait, avec la diffusion de la scolarisation et

la mise en place d’un enseignement secondaire recevant une population qui croit

régulièrement, le CEPE tend à perdre son prestige ; d’autant plus que L. Biffot constate

pendant les années 1960 que « même le BEPC (Brevet d’études de premier cycle)

111

et le

brevet élémentaire ne procurent plus qu’une modeste situation dans un bureau. » Ce qui lui

permet de soutenir l’idée qu’il y a tendance à la « revalorisation »

112

de l’emploi sur le marché

public ou privé au travers de l’intégration d’individus scolarisés dans des emplois

qu’autrefois, seuls des personnes analphabètes occupaient.

Aussi écrit-il qu’« à mesure que diminue le pourcentage des illettrés au Gabon, à

mesure aussi doit baisser dans la Fonction Gabonaise le pourcentage de ces derniers. Les

niveaux et diplômes scolaires perdent en prestige mais gagnent en efficacité car le même

emploi exercé médiocrement par un CM2 ou par un CEPE ne le sera que mieux, toutes

choses égales d’ailleurs, par un breveté. (…), un CE2 remplira avec plus d’efficacité le rôle

tenu jusqu’alors par un illettré ; car celui-ci n’aura, en règle générale, jamais le champ

perceptuel, l’esprit d’initiative, le pouvoir d’abstraction de celui-là, si l’on admet que la

scolarisation, par l’apport de schèmes et patterns nouveaux, façonne l’être, actualise des

virtualités qui sans elles ne demeureraient ordinairement que possibles » (Idem.).

En somme, l’idée défendue est qu’entre les années 1930-1940 et les années

1950-1960, les emplois n’ont pas la même exigence. Alors que certains emplois pouvaient être

occupés dans le temps par un salarié titulaire d’un certificat ou d’un brevet, ils devenaient

plus facilement accessibles aux salariés ayant un baccalauréat, une licence, ou ayant satisfait

un concours, etc.

Sur ce premier échantillon, nous pouvons donc penser la formation et par elle la

qualification des salariés gabonais jusque dans les années 1960 en termes de processus

d’équipement des travailleurs en savoirs à l’aune de leurs scolarités. Car, au sortir des années

1940, le pays s’est doté d’un « enseignement primaire supérieur », un lycée et un Collège

secondaire ; mais paradoxalement la population des déscolarisés avec des niveaux de 5

e

, 4

e

et

3

e

s’accroît.

Si nous nous intéressons particulièrement à son second échantillon de 233 individus

sur 630 salariés concernés, nous pouvons noter pour les populations de salariés

d’exploitations forestières (dans la même période) les caractéristiques suivantes :

- les manœuvres constituent la catégorie dominante de la population des employés des

chantiers d’exploitation forestière, soit un peu plus de 51,50 % de l’échantillon ;

- une seconde catégorie regroupe menuisiers, scieurs et maçons, soit 10,30 % ;

- une troisième catégorie se compose de cuisiniers, soit 4,72 % ;

- une quatrième catégorie est celle des conducteurs, des pinassiers et des matelots, soit

7,72 % ;

- la cinquième catégorie est constituée de mécaniciens, soit 15,87 % ;

- la sixième catégorie est celle des contremaîtres, des bureaucrates, des magasiniers et

des infirmiers, soit 9,87 %.

Ce qui explique pareille catégorisation selon L. Biffot, c’est le caractère fluctuant de la

qualification des salariés des chantiers d’exploitation : « on est aujourd’hui maçon, l’an

prochain on est peintre, comme on peut aussi bien être manœuvre ou mécanicien » (p. 58). Il

s’appuie sur la répartition qu’il obtient en rapprochant de façon comparative les deux

dernières professions des salariés. Il résume son observation à travers le tableau suivant.

Tableau 11 : Évolution des professions dans les années 1960

Professions antérieures Profession actuelle

Transbordeur (3ans), boy (4ans) Affûteur

Manœuvre Affûteur

Manœuvre, charpentier Manœuvre

Mécanicien Manœuvre

Manœuvre Plombier

Jardinier, mécanicien Scieur

Porteur d’eau, tireur de billes, contre-maître Manœuvre

Conducteur Manœuvre

Boy-cuisinier, mécanicien Manœuvre

Maçon Mécanicien

Blanchisseur Mécanicien

Manœuvre, aide-mécanicien, jardinier Aide-mécanicien

Manœuvre, aide-pinassier Aide-mécanicien

Aide-conducteur Pointeur

Manœuvre Infirmier

Planton, contremaître Infirmier

Pointeur Infirmier

Conducteur de locotracteur Scieur

Conducteur Manœuvre

Boy-cuisinier, affûteur Cuisinier

Manœuvre, contre-maître Boy

La circulation d’une « profession » à une autre (à chaque différente) est interprétée

comme une fluctuation de la qualification. Cette fluctuation L. Biffot la tient comme l’un des

principaux marqueurs de la population ouvrière en matière de qualifications (idem. p. 59).

Cette « instabilité dans la qualification » justifie selon l’auteur un certain nombre

d’hypothèses :

- soit la qualification est l’objet d’attribution par l’employeur au salarié concerné, soit

le travailleur « s’attribue » lui-même le titre ;

- ceci induit dans le cas où c’est l’employeur qui attribue titres et qualification, ou

même que le salarié se « l’attribue » lui-même, il y a de fait absence de spécialisation du ou

des travailleurs engagés ;

- le passage de manœuvre à aide-mécanicien, de jardinier à aide-mécanicien traduit

des professions de même niveau d’exigence, de même niveau de complexité, de mêmes

modalités de rémunération. Cela indique qu’il peut avoir pour effet de dévaloriser certaines

professions par rapport à d’autres, etc. ;

- ce caractère instable est susceptible de rendre compte des tendances des instances de

direction de rendre uniforme et planifier des professions, à même d’avoir des passerelles entre

elles : « ce qui permet de payer un ‘‘aide-mécanicien’’ comme un manœuvre, ou tout au

moins de faire remplir par le manœuvre le rôle qui devrait être tenu par un ouvrier plus ou

moins spécialisé. » (p. 59) ;

- il y a également dans cette instabilité le facteur d’une impossible (ou plutôt

improbable) spécialisation par « approfondissement professionnel », c’est-à-dire en termes de

maîtrise de savoir-faire afférente ;

- elle peut avoir pour effet la démotivation du travailleur quant à l’idée du travail bien

fait.

Il note à cet effet que « la qualification attribuée à un travailleur finit par créer chez

ce dernier des attitudes et comportements spécifiques. C’est ainsi que, en Guinée, nous avons

vu un salarié contremaître de 3 ou 4 manœuvres refuser obstinément de prendre machette et

de débroussailler ne serait-ce qu’un moment. À Libreville, nous avons retrouvé le même

comportement chez un contremaître de 2 manœuvres. Que se passe-t-il ?

socio-professionnellement cet individu se place sur un palier supérieur à celui du manœuvre. Que,

au point de vue salaire, il soit payé comme un manœuvre et l’on forme un aigri. Que quelque

temps après on lui dise “vous êtes manœuvre”, et l’on ne fait qu’accroitre la crise psychique

de cet individu : l’intéressé se sentira lésé. La qualification professionnelle attribuée (par

lui-même, par d’autres) à un individu finit par être pour cet individu comme un second

patronyme et le changement, les fluctuations que peut comporter la qualification

socioprofessionnelle peuvent avoir des effets psychiques semblables à ceux qu’entraîne un

changement de patronyme » (p. 60).

En admettant cette analyse, il convient d’ajouter le fait que la fluctuation de la

qualification professionnelle, dans cette hypothèse qu’elle pourrait dépendre de la volonté du

salarié s’attribuant une profession, pouvait être fortement tributaire de la situation du marché

de l’emploi d’alors. Car, L. Biffot ne précise pas si les professions antérieures mentionnées

dans ce tableau porte uniquement sur toutes les situations vécues par les salariés au sein de la

même entreprise. Ces données portent également sur des qualifications professionnelles