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L'étude du mécanisme d'action des toxines bactériennes a permis de mieux comprendre les rôles physiologiques des GTPases RHO. En effet, le cytosquelette cellulaire des cellules eucaryotes joue un rôle majeur dans les interactions hôte-pathogène (i.e. cellule humaine-bactérie). Les protéines RHO, en tant que régulateurs majeurs du cytosquelette cellulaire, s’avèrent être les cibles de nombreuses toxines bactériennes et certaines sont devenues de véritables outils intracellulaires permettant de moduler leur fonction.

Les toxines bactériennes peuvent interférer avec la fonction des protéines RHO en y greffant de façon covalente un groupement chimique ou en jouant le rôle d'un des régulateurs du cycle d'activation (Figure 16).

Certaines toxines bactériennes se comportant comme des GEF ou des GAPs sont alors considérées stricto sensu comme effecteurs bactériens et non exotoxines. Citons, pour leur sélectivité vis à vis des protéines RHO, les protéines appartenant à la famille des effecteurs à motif WXXXE dont

le mécanisme d’action est très similaire à celui des GEFs eucaryotes de la famille Dbl. D’autres à l’inverse se comportent comme des GAPs ; c’est le cas par exemple de YopE isolée chez Pseudobacterium tuberculosis.

Figure 16 : Modes d’actions des différentes toxines bactériennes. A : Résidus des acides aminés de RHOA (PDB : 1FTN) cibles des toxines bactériennes et types de modifications rajoutées. D’après 133.

B : Schéma récapitulatif des modes d’actions des différentes toxines bactériennes sur les GTPases RHO D’après 134.

Parmi les toxines susceptibles de modifier chimiquement les RHO, la C3 exoenzyme est la toxine la plus utilisée pour inhiber leurs fonctions. Isolée en premier lieu chez Clostridium botulinum comme susceptible d’ADP ribosyler une protéine de 22kDa liant le GTP135, 7 autres enzymes

présentant la même activité ont été depuis identifiées chez d'autres souches de bactéries Gram +. Elles catalysent la réaction d'ADP ribosylation en présence du co-substrat NAD sur l'Asparagine 41. Cette réaction intéresse tant la forme active que inactive de la protéine, comme le suggèrent les travaux de l’équipe d’Aktories ainsi que la structure du complexe C3-RHOA récemment résolue136.

Au niveau moléculaire, les travaux de l’équipe d’Aktories démontrent que, même si l’Asparagine 41 appartient au domaine reconnu par les effecteurs, le mécanisme d’inactivation de la protéine ne passe pas par un découplage de la liaison aux effecteurs. In vitro, les ADPribose RHO sont toujours capables de se lier aux effecteurs ROK et PKN alors qu’in cellulo, cette liaison n’est plus observée. Il semblerait en réalité que l’ADPribosylation de la protéine la piège dans un complexe RHO-GDI cytosolique. L’impossibilité de transloquer la protéine à la membrane plasmique la soustrait ainsi de son cycle d’activation. Cependant les RHO ADP ribosylées restent biologiquement actives : un traitement soit par du GTPS soit par une autre toxine bactérienne ayant la propriété de modifier la Glutamine 63 en Acide Glutamique permettent d’activer la protéine et de réverser complétement le phénotype cellulaire d’inhibition137,138. En outre, la C3 accélèrerait de 50% l’activité GTPasique

intrinsèque de la protéine139.

Les conséquences de l’action de la toxine C3 au niveau cellulaire ont été en partie investiguées. Seront à retenir :

 Au niveau phénotypique, la dépolymérisation du cytosquelette d'actine, témoignant ainsi de l'inactivation fonctionnelle des protéines RHO. En revanche, le squelette de microtubules n'est pas perturbé, autrement que par le changement morphologique induit 140.

 l’activation de voies de signalisation correspondant à une réponse de stress cellulaire141

 l’augmentation de l’expression de la protéine RHOB par un mécanisme encore peu identifié mais impliquant au moins la machinerie transcriptionnelle142, peut-être à relier avec

l’activation des voies de stress cellulaire précédemment évoquées.

 la diminution de la protéine RHOA 141,143 suggérant une déstabilisation de la protéine induite

par l’ADPribosylation. A noter que cette diminution sera également observée dans les travaux de Sahai (cf. ci-après).

Utilisée en tant qu’outil de biologie cellulaire, son accessibilité intracellulaire est donc un paramètre important. Or, la C3, monomérique, est dépourvue de récepteur membranaire et de domaine de translocation. Le mécanisme de pinocytose à défaut employé s’avère en effet peu efficace138. C’est

pourquoi, un peptide perméant type TAT a été ajouté à la toxine afin de s’affranchir des fastidieuses micro-injections, électroporations et perméabilisations144. Avec ce tag, les auteurs observent dans

toutes les lignées traitées une diminution de la forme totale de RHOA après 16h de traitement 145.

Notons enfin que la sélectivité de la toxine C3 n’est pas strictement réduite à la sous-famille RHOA : à de fortes concentrations, la C3 est également capable d’ADP ribosyler in vitro et in vivo RAC1146,147 .

sélective. Elle est en mesure également d’inhiber la protéine RALA (une petite protéine G de la famille RAS, partageant 35% d’homologie dans la séquence primaire avec RHOA) et cette liaison empêche l’ADP ribosylation de RHOA. Elle inhibe sa fonction par un mécanisme indépendant de l’ADPribosylation et d’après des travaux préliminaires, jouerait envers RALA un rôle similaire à celui d’un GDI148. Ainsi dans la cellule, l’effet de la toxine C3 est la conséquence de son action conjointe

sur RALA et sur RHOA.

Les toxines A et B isolées de Clostridium difficile (aussi nommées TcdA et TcdB) catalysent l’ajout d’un groupement monoglucosé à partir de l’UDP-glucose sur un autre acide aminé hautement conservé entre les GTPases, la Thréonine en position 35/37. Cette glycosylation intéresse autant la sous-famille RHOA que RAC, CDC42 et TC10 et est indépendante de la conformation de la protéine. Au niveau phénotypique, les cellules adoptent une morphologie arrondie avec dépolymérisation du cytosquelette d’actine identique à celui observé après l’action de la toxine C3149. Cependant son

mécanisme d’action semble bien différent. Au niveau biochimique, la glycosylation a pour conséquences fonctionnelles la diminution de l’activité GTPasique intrinsèque, l’inhibition du changement conformationnel vers la forme active par l’absence de liaison des GEF ou GAPs et enfin l’inhibition de la liaison à l’effecteur PKN150. L’étude menée par l’équipe de Just permet de proposer

le modèle d’action suivant. La glycosylation diminue l’activation par les GEFs et inhibe totalement la signalisation cellulaire en aval. Les RHO glucosylées sont présentes de façon monomérique inactivables dans le cytosol mais également à la membrane plasmique où elles ne peuvent se lier au GAPs et aux GDIs. Les RHO glycosylées saturent les sites d’interaction membranaires et empêchent les RHO non modifiées d’être activées 151.

L’adénylation ou AMP-ylation est une autre modification covalente inhibitrice rajoutée par les toxines bactériennes sur les GTPases RHO. VopS a été identifiée chez Vibrio parahaemolyticus comme capable de catalyser l’attachement du groupement AMP (à partir du substrat ATP) sur l’acide aminé 37 (ou 35) de RHO, RAC et CDC42 et IbpA chez Histophilus somni sur la Thréonine 34. La sélectivité de ces toxines sur la forme active des protéines mérite d’être soulignée (la Thréonine étant alors située vers l’intérieur de la protéine) et a été particulièrement bien documentée concernant IbpA

152. Bien que RHO, RAC et CDC42 soient toutes trois substrats de VopS in vitro, son effet a été

largement étudié in cellulo sur RAC et CDC42 : la protéine RAC ainsi modifiée ne peut se lier à son effecteur PAK entrainant in fine l’inactivation de la signalisation en aval jusqu’à l’observation d’un phénotype cellulaire arrondi153,154.

D’autres enzymes bactériennes inactivent les RHO par clivage de leur groupement isoprénique. YopT est une cystéine protéase identifiée chez Yersinia sp. qui clive le groupement

isoprénique juste après la cystéine C-terminale. Suite à l’action de YopT, le cytosquelette d’actine est totalement détruit et les cellules adoptent un phénotype arrondi. En effet, le clivage post traductionnel du groupement lipidique induit l’inactivation des RHO par détachement de la membrane plasmique155.

Enfin, bien que la partie polybasique soit reconnue par la protéase, YopT semble agir sur différentes GTPases (RHO, RAC1, CDC42 et RHOG) aussi bien in vitro que in cellulo, et ce, sans spécificité conformationnelle156.

A contrario, certaines enzymes sont capables d’activer les RHO. C’est le cas des CNF (Cytotoxic Necrotizing Factor) de E.coli ou Yersinia pseudotuberculosis. En réalisant la réaction de déamidation sur le résidu glutamine 61 ou 63 de RAC1, CDC42 et RHOA, l’hydrolyse du GTP est inhibée, ce qui bloque la protéine dans une conformation active. En conséquence, apparaissent filopodes, lamellipodes et fibres de stress. Des trois CNF retrouvées chez E.coli, seule CNF3 semble être sélective pour RHOA sans que les raisons de cette sélectivité soient clairement mises en évidence157. L’activation des RHO est un moyen d’induire leur dégradation, ce qui permet alors au

pathogène d’envahir la cellule cible158.  

En dépit de leur utilité pour décortiquer les fonctions des RHO dans la cellule, les toxines bactériennes ne sont que très peu utilisées en clinique. Plusieurs raisons inhérentes à cela :

 La nature de la toxine bactérienne : en tant que grosse protéine recombinante, les étapes de production sont contraignantes et celles de validation, de conditionnement et finalement de délivrance tombent inévitablement sous l’égide d’une réglementation particulière.

 La nature ubiquitaire des RHO et à leurs rôles multiples dans les cellules eucaryotes. Le profil de toxicité par voie systémique est facilement anticipé comme extrêmement large et il est nécessaire d’avoir recours à un usage localisé ou vectorisé.

 La localisation intracellulaire des RHO : il est nécessaire de pouvoir passer la membrane plasmique et ce qui dans le cas d’une protéine recombinante est une étape limitante.

Ainsi le seul exemple dans la littérature à retenir concerne la Cethrin® actuellement en phase II de développement clinique159. L’inhibition des RHO par la toxine C3 a montré un effet bénéfique

sur la régénération neuronale après un traumatisme de la moelle épinière. Couplée à un agent de transport et formulée de façon à être administrée en topique, pendant l’intervention chirurgicale, la C3 a obtenu des résultats encourageants dans l’essai de phase I/IIa malgré le petit nombre de sujets inclus160,161.

C’est pourquoi des petites molécules pharmacologiques ont été développées afin de pallier à ces limites d’usage.