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Présentation générale des anticorps recombinants

 

Les anticorps sont des molécules naturelles, dont les propriétés de reconnaissance pour l’antigène (diversité des structures reconnues, affinité et sélectivité) en font des outils de choix pour cibler une molécule biologique d’intérêt.

Une immunoglobuline naturelle est composée de 4 chaînes polypeptidiques, deux de 55 kDa appelées chaines lourdes et deux de 25 kDa appelées chaines légères (Figure 22 A et B). Ces chaines forment des domaines d’environ 110 acides aminés, deux constituent les chaînes légères et quatre les chaînes lourdes. La molécule dans son ensemble est organisée en domaines fonctionnels : un porteur de la reconnaissance antigénique, dit Fab pour Fragment having antigen binding site et l’autre porteur des fonctions immunitaires, dit Fc pour Fragment cristallisable. La partie Fab contient deux sites de liaison à l’antigène, chacun étant lui-même constitué par l’association entre un domaine de la chaine lourde et un domaine de la chaine légère, dont les séquences d’acides aminés sont variables et ainsi capables de s’adapter à chaque antigène. C’est pourquoi ces derniers sont nommés VL (Variable Light) dans le cas de la chaine légère et VH (Variable Heavy) dans le cas de la chaine lourde. Les autres domaines possèdent des séquences qui diffèrent que très peu d’un anticorps à l’autre et sont donc nommés respectivement Constant Light (CL) et Constant Heavy (CH). La structure d’un domaine est faite de brins β reliés par des boucles et stabilisés par la présence de ponts disulfures (Figure 22C). Certaines de ces boucles sont directement en contact avec l’antigène, leurs séquences est donc extrêmement variable et sont appelées CDR pour Complementarity Determining Region. Les régions charpentes sont les brins β et les autres boucles et sont nommées FR pour Framework Region.

La production des anticorps à visée diagnostique ou thérapeutique a connu un véritable essor avec la mise au point en 1975 par Kohler et Milstein d’une technique permettant la production in vitro d’anticorps uniques (issus d’un seul clone de lymphocyte B) dans des conditions illimitées215. C’est la

technique de l’hybridome. Auparavant, les anticorps pouvaient être obtenus par immunisation d’un animal et récupération de l’antisérum, contenant alors un pool d’anticorps dirigés contre des épitopes antigéniques différents. L’hétérogénéité de production en termes de diversité des anticorps obtenus et de reproductibilité est un des principaux inconvénients inhérents à cette technique. En fusionnant un plasmocyte de souris préalablement immunisée avec une cellule de myélome humaine, les chercheurs ont obtenus des clones de cellules hybrides ayant conservé la propriété de la cellule cancéreuse à se

multiplier indéfiniment et celle du plasmocyte à produire des immunoglobulines. Si cette technique constitue une avancée majeure scientifique, et a valu à ses auteurs le prix Nobel de médecine en 1984, elle reste pour autant limitée par la nécessité d’immuniser un animal. Ainsi l’antigène doit-il être immunogène, non toxique et si l’on désire obtenir un anticorps capable de reconnaître une conformation tridimensionnelle, alors celle-ci doit être préservée pendant le processus d’immunisation. Aussi, les premières administrations aux patients d’anticorps monoclonaux n’ont pas rencontré le succès escompté, notamment dans une stratégie thérapeutique anticancéreuse où les patients ont développé une réponse immune « anti souris ».

L’ingénierie moléculaire des anticorps monoclonaux, permise d’une part grâce à l’identification des gènes codant les immunoglobulines et aux progrès de la biologie moléculaire d’autre part, revêt une importance capitale dans leur développement tant du point de vue qualitatif que quantitatif.

D’un point de vue qualitatif : diversité de formats d’anticorps recombinants

L’engouement pour les anticorps s’inscrit à l’époque dans la démarche plus générale d’immunothérapie des cancers, soit à des fins diagnostiques ou thérapeutiques.

Tout d’abord, pour éviter les réactions immunitaires contre les anticorps de souris injectés, des anticorps chimériques humains/souris ont été en premier synthétisés et aujourd’hui des anticorps totalement humanisés sont majoritairement développés.

D’autre part, la chaine constante, Fc, est connue comme porteuse de la toxicité tandis que la partie variable n’est responsable que de la reconnaissance de l’antigène et peut être isolée. En effet, il est certaines circonstances dans lesquelles la partie Fc s’avère indésirable, en donnant un fort bruit de fond en imagerie, en limitant la pénétration dans la tumeur, en déclenchant un relargage massif des cytokines216. D’où l’idée de dissocier la partie constante de la partie variable et de ne conserver

seulement les domaines de liaison à l’antigène. Les travaux fondateurs sur la structure des anticorps dans les années 50 avaient montré que l’on pouvait obtenir des fragments d’anticorps fonctionnels après digestion à la papaïne ou à la pepsine217 mais l’obtention du fragment Fv, plus petit domaine de

liaison à l’antigène, est quant à lui beaucoup plus difficile à obtenir 218,219.

Les fragments d’anticorps sont donc le fruit des connaissances structurales des anticorps par clivage protéolytique et des progrès des techniques de l’ADN recombinant. Aujourd’hui il se distingue différents formats d’anticorps dits recombinants, c’est à dire obtenus par clonage à l’intérieur d’un vecteur d’expression procaryote ou eucaryote. Le concept a été totalement exploité avec les fragments VH et VL isolés, également appelés single domain antibodies. Pour information, en 2007, une équipe rapporte le plus petit fragment d’anticorps recombinant (3kDa) composé de deux boucles CDR

séparées par une région FR220. Cependant, ceux-ci sont peu solubles, tendent à s’agréger et à perdre

leur affinité de liaison à l’antigène. En effet, la présence de la chaine légère dans une immunoglobuline classique masque les résidus hydrophobes de la chaine lourde.

C’est pourquoi un grand intérêt a été porté à la découverte chez les camélidés d’une part et chez les poissons cartilagineux d’autre part, de l’existence d’immunoglobulines dépourvues de chaîne légère mais porteuses d’un seul domaine de liaison à l’antigène (Figure 22 D et G). Cette classe d’immunoglobulines est fonctionnelle et représente entre 10 et 25% de la quantité totale d’anticorps d’un lama. Les domaines de liaison à l’antigène sont respectivement nommés VHH, Variable Heavy of Heavy Chain Antibody, (Figure 22E) chez les camélidés et V-NAR (Figure 22H) chez les poissons cartilagineux. Nous nous concentrerons sur les premiers.

Figure 22 : Comparaison des différentes structures des immunoglobulines naturelles et de leurs fragments d’anticorps recombinants dérivés. A : Schéma de l’organisation d’une immunoglobuline classique. B : Différents formats d’anticorps recombinants dérivés : Fab, scFv, single domain VH C : Organisation structurale du domaine VH en feuillets . Les boucles CDR et le pont dissulfure sont figurés. D : Schéma de l’organisation d’une immunoglobuline naturelle de camélidés. E : Schéma du fragment VHH dérivé et son organisation structurale (F). Remarquer la longue boucle CDR3. G : Schéma de l’organisation d’une immunoglobuline naturelle retrouvée chez les poissons cartilagineux. Les immunoglobulines naturelles de camélidés sont dépourvues du domaine CH1 tandis que celles retrouvées chez les poissons cartilagineux contiennent 5 domaines constants. H : Schéma du fragment V-NAR dérivé et son organisation structurale (I). D’après 221.

D’un point de vue quantitatif : la production chez E.coli

Les applications médicales nécessitent également de grandes quantités d’anticorps. Or, la production d’anticorps monoclonaux par la technique de l’hydridome demande beaucoup de précautions, est onéreuse, et difficilement mise en œuvre du point de vue industriel 222.  Le système

d’expression choisi est donc particulièrement important. Parmi les différents systèmes d’expression, E.coli présente de nombreux avantages par sa simplicité de mise en œuvre, les rendements obtenus, l’efficacité de transformation, la connaissance approfondie de la génétique et de la biochimie et la maitrise de longue date de sa manipulation à l’échelle industrielle.

La première tentative d’utilisation des techniques des techniques de l’ADN recombinant pour produire chez E.coli des anticorps date de 1980 et utilise l’ADNc de la chaine kappa d’un anticorps monoclonal223. Cette preuve de principe correspond à la première synthèse d’anticorps recombinants.

Des anticorps « entiers » ont aussi été exprimés mais les produits se sont avérés inactifs et agrégés dans le cytoplasme224,225. Plükthun et Skerra sont les premiers à rapporter en 1988 la production d’un

fragment variable fonctionnel chez E.coli en posant l’hypothèse que le transport de la protéine du cytoplasme vers le périplasme est fonctionnellement équivalent à celui vers la lumière du réticulum endoplasmique dans les cellules eucaryotes. Ce fragment variable correspond à l’hétérodimère VH/VL qui s’associe spontanément dans le périplasme oxydant et reconnaît pour forme monovalente sa cible. Il présente une affinité similaire à celui de l’anticorps monoclonal pleine taille dont il est issu226.

Cependant, les difficultés d’association fonctionnelle des domaines VH et VL dans le périplasme amène l’équipe de Whitlow à imaginer une nouvelle construction liant par un peptide les domaines VH et VL. Ils rapportent la première production chez E.coli d’un nouveau format d’anticorps purement recombinant, plus tard nommé scFv pour single chain Fragment Variable227.

Toutefois, les rendements obtenus étaient initialement relativement décevants et ont nécessité le développement de nombreuses optimisations tant sur le plan des vecteurs d’expression cytoplasmiques ou periplasmiques que des souches bactériennes modifiées pour les enzymes régulant le caractère oxydo-reducteur de leur cytosol.

Les fragments variable d’anticorps à chaîne lourde de