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En 1993, Hamers-Casterman et coll. remarquent la présence de trois classes d’immunoglobulines dans le sérum de camélidés par chromatographie d’affinité sur protéine A et G. La migration en condition native et dénaturante permet d’identifier deux classes d’immunoglobulines dépourvues de chaines légères, appelées alors anticorps à chaines lourdes (heavy chain antibodies). Elles sont plus courtes que les chaines lourdes des immunoglobulines classiques, due à la perte de la région CH1. Ce qui permet de répondre à deux questions concernant la sécrétion de ce type d’immunoglobuline et leur solubilité228 : la perte de la région CH1 est due à une mutation entrainant

un épissage alternatif de la région CH1 et cette perte empêche également la rétention dans le RE et son association à la chaine légère229. (Les deux classes d’immunoglobulines identifiées diffèrent en réalité

par la distance séparant le domaine VH du domaine CH2.) Le domaine de liaison à l’antigène est ainsi appelé VHH pour Variable Heavy of Heavy chain antibodies afin de le différencier du simple domaine conventionnel VH. Son poids moléculaire (15kDa) est 10 fois inférieur à celui des immunoglobulines classiques (150 kDa) et sa taille est de l’ordre du nanomètre, d’où leur autre dénomination « nanobodies ».

La structure des VHH a été déterminée (Figure 23). Elle est très proche de celle des VH : 9 brins  répartis en deux feuillets se faisant face, reliés entre eux par des boucles. L’ensemble de la structure est stabilisé par la présence d’un pont disulfure entre les cystéines (Cys22 et Cys97 dans la numérotation Kabat définie en 1991). Les boucles contenant les régions hypervariables sont situées du même côté N-terminal, et il semble que les boucles CDR 1 et 2 soient de longueur fixe tandis que la boucle CDR3 peut être de longueur variable. La boucle CDR3 étant généralement plus longue dans les VHH que dans les domaines VH d’autres IgG, ce qui semble être important pour obtenir une surface d’interaction avec l’antigène suffisamment grande, afin de pallier à l’absence de chaînes légères. Il est également à savoir que certains VHH peuvent présenter un pont disulfure supplémentaire entre les boucles CDR, afin de contraindre la flexibilité de la longue boucle CDR3 préjudiciable en terme d’entropie de liaison à l’antigène230. De façon générale, les VHH sont de forme oblongue, formant une

surface paratopique convexe, très favorable pour s’insérer dans les cavités d’un antigène. La boucle CDR3 peut se comporter comme une longue protrusion mais elle peut aussi se replier sur la région FR2, formant une structure paratopique plus plate. Les possibilités de liaison à l’antigène sont donc tout aussi diverses que celles offerte par l’association des deux chaînes lourdes et légères dans les

immunoglobulines classiques. Les VHH sont aussi capables de reconnaître des épitopes concaves, comme le site actif d’une enzyme et discontinus, ce qui en fait des outils précieux pour distinguer différents états conformationnels de leur antigène cible voire les stabiliser ou les inhiber231.

La comparaison des structures primaires révèle que l’organisation structurale des régions constantes, FR (framework) et des régions variables CDR (Complementary Determinant Region) est conservée entre les VHHs et les VHs. En revanche, de nombreuses substitutions d’acides aminés se trouvent dans le FR2 où les acides aminés hydrophobes des VHs sont remplacés par des acides aminés hydrophiles et plus petits dans les VHHs. La combinaison Phenylalanine 37, Acide Glutamique 44, Arginine 45 et Glycine 47 (toujours dans la numérotation Kabat) devient ainsi une signature des VHHs et permet de diminuer l’association au VL et la tendance à agréger. De façon intéressante, il faut noter la même tendance à placer des acides aminés polaires et chargés dans ce qui serait la zone de contact avec le VL dans les V-NAR, soulignant la conservation de ce mécanisme dans l’évolution230.

Figure 23 : Structure cristallographique d’un VHH (orange) avec une molécule de lysozyme (vert). Les boucles CDR sont figurées en bleu clair, marine et rouge. Les liaisons H établies avec le lysozyme sont schématisées par des traits épais bleus. Noter que près de 8 liaisons H impliquent la boucle CDR3. Issu de 230.

Parmi les avantages de ces anticorps, on retiendra préférentiellement :

 le fait d’être constitué d’un simple domaine de liaison. Pour les techniques de biologie moléculaire, cela suppose n’avoir qu’à cloner une seule séquence d’ADN de moins de 400pb. La construction de banques immunes ou naïves est donc aisée à partir d’une simple PCR. Leur nature monomérique autorise de nombreuses modifications par ingénierie moléculaire pour développer des constructions multidomaines, améliorant par effet d’avidité la liaison à l’antigène.

 leur affinité de liaison à l’antigène : Les VHHs issus de librairies immunes présentent des KD de l’ordre du nanomolaire, ce qui en fait d’excellents outils pour la plupart des

applications envisagées.

 leur production aisée : Les VHHs peuvent aussi être exprimés facilement dans des microorganismes et avec de bons rendements (plusieurs milligrammes par litre de culture). Chez E.coli, le clonage en fusion avec un signal de sécrétion permet l’export dans le périplasme où les conditions oxydantes sont réunies pour permettre aux ponts disulfures de se former correctement.

 leur stabilité : les VHHs sont stables, facilement concentrés entre 1 et 10 mg/ml dans des tampons standards, PBS ou Tris et peuvent être conservés longtemps à 4°C voire 37°C sans impact sur leur propriété de reconnaissance de l’antigène. Stables également à la chaleur, la plupart sont dénaturés qu’à partir de 70°C et ont la capacité à se reformer après dénaturation. Leur stabilité chimique est évaluée à 60kJ.mol-1.

 leur tolérance à l’environnement réducteur du cytosol eucaryote : les VHHs peuvent ainsi être exprimés à l’intérieur de la cellule, pour constituer des intracorps (intrabodies). Certains d’entre eux en effet peuvent être correctement maturés dans le cytosol, donc supporter l’absence de ponts disulfures ce qui en fait un format de choix pour le développement d’intracorps (cf. III).