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Une des avancées majeures des techniques de biologie moléculaire dans la genèse des anticorps recombinants est la mise au point d’amorces de PCR permettant d’amplifier non plus un seul ADNc d’un clone de plasmocyte mais des millions232. Leur conception est basée sur la conservation

des régions 5’ et 3’ des gènes codant pour la partie variable entre les différents clones d’anticorps. Ces amorces de PCR universelles sont ainsi à l’origine de la création des banques d’ADNc d’anticorps recombinants. Différentes banques d’ADNc de VHHs ont été développées : immunes, naïves, et synthétiques.

Les banques immunes sont obtenues après immunisation d’un lama avec l’antigène cible. Il convient de récupérer ensuite l’ARNm des lymphocytes et de le sous-cloner dans un vecteur d’expression procaryote ou eucaryote, selon la technique de sélection choisie par la suite. Une des difficultés à contourner dans la construction d’une banque immune est la contamination par des VHs. Cela peut s’effectuer par le choix d’amorces dirigées sur une région sélective du VHH ou par purification des produits PCR après migration sur gel d’agarose. Une deuxième PCR nichée peut permettre d’accroître la quantité de matériel et d’introduire des sites de restrictions en prévision de futurs clonages. Les banques immunes sont généralement peu diverses (entre 10e6 et 10e7 clones) et fortement orientées

vers l’antigène cible. Mais elles fournissent en général des anticorps de forte affinité, grâce à la maturation d’affinité naturelle du système immunitaire de l’hôte. Enfin ces banques présentent les inconvénients techniques imposés par l’immunisation d’un animal : antigène immunogène, non toxique, pur, en grande quantité, non détruit par le conditionnement, et nécessité d’utiliser un animal pour chaque antigène d’intérêt. Par exemple, un VHH anti haptène (TCC : Triclocarban) présentant une forte affinité (0.98-1.37 nM) a été isolé à partir d’une banque immune de VHH et à l’aide d’un protocole de phage display optimisé233.

Les banques naïves correspondent au clonage du répertoire antigénique d’un animal non immunisé dans un vecteur d’expression. Monegal en 2009 décrit un protocole simple et efficace de construction d’une banque naïve à partir de sérum lama, identique à celui utilisé pour construire une banque immune234. La diversité de la banque obtenue est de 5.10e7 clones mais ceux-ci ne sont pas, par

définition, orientés vers un antigène particulier. Cette banque permet d’obtenir des anticorps pour différentes applications : ELISA, immunofluorescence. L’affinité des anticorps retenus varie entre 10nM et 1μM, conformément au fait que des banques naïves fournissent des anticorps de plus faible affinité que les banques immunes. Citons pour information le développement d’une autre banque naïve, en 2014, sans originalité notable235. Enfin, les banques naïves peuvent aussi être sujettes à de la

contamination par des VHs. Un travail mené au laboratoire tente d’expliquer les causes d’une telle contamination en comparant les propriétés thermodynamiques des VHs et des VHHs. Les VHHs sont effectivement plus stables que les VHs mais pourraient être paradoxalement contre-sélectionnés pendant la sécrétion périplasmique236. Ce qui permet de souligner une autre limite importante des

banques naïves : l’hétérogénéité de leur structure, empêchant d’obtenir avec certitude des anticorps avec les propriétés souhaitées.

Les banques synthétiques ne présentent pas cet inconvénient car elles sont totalement fabriquées in vitro, garantissant leur homogénéité. La diversité est introduite dans les boucles CDR et la région FR est souvent optimisée pour certaines propriétés telles que la solubilité, stabilité. Ces banques ont été déjà développées pour différents formats d’anticorps recombinants (Fabs, scFvs, VHs) et permettent la sélection d’anticorps effectivement stables et solubles. Elles présentent en outre une large diversité fonctionnelle (>10e9 clones), garantissant des clones de bonne affinité pour leur cible. En 2014, une

banque synthétique de VHH a été réalisée à partir d’un framework universel déjà identifié 237 et en

introduisant la diversité dans la boucle CDR3238. Sa diversité fonctionnelle est estimée supérieure à

1.10e9 clones. Elle a été testée pour obtenir des anticorps contre 2 cibles protéiques : la préalbumine et

la neutrophil gelatinase-associated lipocalin NGAL. Les auteurs montrent seulement leur capacité à reconnaître les antigènes in vitro, déterminent leur thermostabilité mais pas leur constante d’affinité.

La construction d’une banque demande d’anticiper son protocole de sélection. La sélection de la grande majorité des banques d’anticorps recombinants utilise la technique du phage display que nous détaillerons dans la partie Résultats. Ici, nous nous contenterons de comparer les principaux modes de sélection dans un tableau récapitulatif (Tableau 5).

Tableau 5 : Description des principaux modes de sélection des banques d’ADNc d’anticorps recombinants

Phage display Ribosome display Yeast display Mammalian display principe l’anticorps est fusionné

à une protéine de la capside du phage

l’anticorps est lié à l’ARNm par l’intermédiaire du ribosome (ou de la puromycine dans le mRNA display). l’anticorps est fusionné à une protéine de la membrane

l’anticorps est fusionné à une protéine transmembranaire

taille librairie 10e7-10e10 10e12-10e14 10e7 (10e9) 10e6 formats

d’anticorps

scFv, Fab, Fab2, sdAb,

diabody

scFv, sdAb scFv, Fab, dAb Ig pleine taille, scFv

stratégie sélection

in vitro, ex vivo, in vivo in vitro FACS FACS

valence présentation

monovalent multivalent

monovalent multivalent multivalent

avantages Robustesse simplicité large maitrise versatilité nombreux formats d’anticorps totalement in vitro large taille de la banque

diversité par PCR rapide et automatisable

cellule eucaryote permettant la formation des ponts

disulfures et N Glycosylation

possible

sélection d’une paire de VH/VL par maturation

d’affinité naturelle

inconvénients taille de la banque

introduction de la diversité par clonage

lente

mise en œuvre délicate par l’instabilité relative

du complexe mRNA/ribosome/Protéine

taille restreinte des banques par efficacité

de transformation

taille restreinte de la banque difficile à mettre en

œuvre

applications banques naïves,

immunes, synthétiques maturation d’affinité maturation d’affinité augmentation de la stabilité maturation d’affinité Augmentation de l’expression et de la stabilité sélection d’anticorps à visée thérapeutique

Nous terminerons ce paragraphe en évoquant une méthode totalement inédite de sélection de VHH parue en 2014239. Les auteurs ont développé un outil bioinformatique leur permettant d’identifier

à partir des séquences d’ADNc d’un animal immunisé d’une part, et de l’analyse en spectrométrie de masse des VHHs isolés par chromatographie d’affinité de ce même animal d’autre part, les clones d’ADNc les plus intéressants. Ils développent leur méthode sur deux antigènes communs, la GFP et la mCherry et poursuivent leur étude en caractérisant les clones obtenus. La puissance de l’outil bioinformatique permet de ne cribler que quelques anticorps (quelques dizaines seulement) par rapport au phage display qui nécessite de cribler quelques centaines de clones. L’intérêt de cette méthode prend également tout son sens dans l’identification d’anticorps spécifiques chez les patients atteints du VIH240.

 

Les anticorps intracellulaires

 

Caractéristiques générales

Exprimer dans le cytosol des cellules un anticorps constitue une approche séduisante pour, de façon générale, aborder les questions de protéomique fonctionnelle dont les applications possibles intéressent aussi bien la recherche fondamentale que la thérapeutique. Il s’agit de cibler les interactions protéines-protéines, de perturber les voies de signalisation, de suivre en direct la dynamique spatiotemporelle de leur activation. Pour les cibles présentant des variants d’épissage ou qui diffèrent par une modification post traductionnelle, cette approche constitue un moyen d’étude inédit.

Des études rapportant l’utilisation d’anticorps à l’intérieur des cellules sont rapportées dès les années 1980, en utilisant la microinjection. Cependant, cela s’avèrera vite fastidieux, limité par la quantité d’anticorps nécessaire et la quantité de cellules à injecter, limité également par la faible proportion d’anticorps correctement formé à l’intérieur du cytosol eucaryote. Là encore, le développement des anticorps intracellulaires est donc intimement lié à celui des techniques de l’ADN recombinant. Biocca et al. en 1990 ont été les premiers à faire directement exprimer dans une cellule de mammifère de lignée non lymphoïde des fragments d’anticorps VH et VL, démontrant aussi leur capacité à s’associer correctement. Cependant, ils s’avèreront non fonctionnels dans la cellule. Le défi est grand : il s’agit d’identifier des molécules qui puissent être stables et solubles dans l’environnement intracellulaire, sans pont disulfure et sans l’intervention de protéines « chaperons » alors que, au fil de l’évolution, elles ont été destinées à être sécrétées et par conséquent à être stables dans l’environnement extracellulaire. Or, le caractère réducteur du cytoplasme ne permet pas la formation des ponts disulfures, qui contribuent pourtant à 4-6 kCal/mol soit environ 10% de la stabilité globale de l’anticorps241. De plus, l’encombrement moléculaire intracellulaire favorise l’oligomérisation des

protéines et leur agrégation242, agrégation à l’origine d’un stress « protéotoxique » pouvant entrainer la

mort cellulaire. Enfin, le niveau d’expression propre à l’intracorps peut augmenter son instabilité241.

Quels sont donc les principaux déterminants de la fonctionnalité d’un intracorps ? Théoriquement, ce serait un anticorps intracellulaire qui :

 Tolère l’absence de pont disulfure  Soit soluble dans le cytosol eucaryote

 S’exprime correctement dans le cytosol eucaryote  Soit capable d’atteindre sa cible

 Présente une bonne affinité et sélectivité pour sa cible  Ne présente pas donc pas d’effet non spécifique  Soit résistant aux protéases intracellulaires.