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La formation de métastases est un processus multi-étapes, extrêmement complexe dans lequel les cellules tumorales commencent par s’évader de la tumeur primaire, pénètrent dans les vaisseaux sanguins, puis s’arrêtent et prolifèrent finalement dans des organes à distance. Pour se détacher de la tumeur primaire et envahir le tissu adjacent, les cellules tumorales doivent détruire leurs jonctions intercellulaires, remodeler leurs adhésions avec la matrice extracellulaire, et finalement se frayer un

chemin jusqu’aux vaisseaux sanguins. Les cellules tumorales s’engagent ainsi dans un programme transitoire, connu sous le nom de transition épithélio-mésenchymateuse ou EMT. L’EMT est donc un processus dans lequel des cellules épithéliales, non motiles et cohésives se convertissent en des cellules individuelles douées de propriétés migratoires et invasives, en adoptant un phénotype mésenchymal. Il peut être induit par de nombreux stimuli différents (TGF, récepteurs aux facteurs de croissance à activité tyrosine kinase, WINT, PI3K/Akt/mTor…) mais aboutit à un programme présentant des traits caractéristiques : dissolution des jonctions intercellulaires épithéliales, perte de la polarité apicobasale au profit d’une polarité avant/arrière, réorganisation de l’architecture du cytosquelette d’actine et changement de morphologie cellulaire, inhibition de l’expression des gènes épithéliaux et activation de celle des gènes d’origine mésenchymale, augmentation de la mobilité cellulaire et acquisition de capacités à dégrader la matrice extracellulaire. Les GTPases RHO sont donc impliquées à plus d’un titre dans ce processus par leurs rôles multiples sur le cytosquelette d’actine.

Changement de morphologie et motilité cellulaire :

 Dans les cellules cancéreuses :

L’assemblage des filaments d’actine ainsi que leur contractilité sont les déterminants majeurs de la morphologie cellulaire. L’assemblage des filaments est impliqué dans la formation de différentes structures membranaires (filopodes, lamellipodes..) et dans les adhésions cellulaires à la matrice. Les filaments d’actine situés sous la membrane plasmique forment une structure corticale garante de l’intégrité cellulaire. Leur contractilité permet d’établir une tension à l’intérieur de la cellule. Ainsi la forme d’une cellule dépend d’un équilibre entre tension et adhésion. Leur contractilité leur permet également d’évaluer la rigidité de la matrice extracellulaire : c’est ce qui régit la méchano-transduction du signal, c’est à dire la capacité de la cellule à percevoir la qualité (rigidité, composition, densité) du microenvironnement tumoral et à s’y adapter en changeant de morphologie et de mode de migration. Ce qui a pour première conséquence de pouvoir observer au sein d’une même tumeur, différentes morphologies cellulaires, et différents types de migration en fonction du microenvironnement rencontré. Ce qui a pour deuxième conséquence, purement didactique, de distinguer les éléments essentiels à la migration (polarité avant/arrière, protrusion, rigidité corticale, contractilité du cytosquelette d’actine, contacts physiques avec la matrice extracellulaire) de ceux qui ne sont qu’optionnels et qui définissent le mode de migration cellulaire (attachement par l’intermédiaire des intégrines, dégradation de la matrice extracellulaire, adhésion intercellulaire, chimiotactisme). Sont ainsi définis en 3D: les modes de migration individuels et les modes de migration collectifs (selon la perte des jonctions intercellulaires) et au sein des modes de migration individuels, le mode mésenchymal ou amœboïde (selon l’engagement des intégrines et la dégradation de la matrice

extracellulaire par protéolyse)92. A noter que des transitions entre les modes de migration

mésenchymal et amœboïde, mésenchymal et collectif ou amœboïde et collectif ont été observées92.

L’EMT réalisée dans sa totalité aboutira à un mode de migration mésenchymal dans lequel les cellules adopteront un phénotype allongé, fibroblastique et engageront avec la matrice extra cellulaire (MEC) des forces de tractions importantes au niveau des intégrines situées à l’avant et à l’arrière de la cellule. De façon concomitante, des protéases sont sécrétées pour digérer la matrice extra cellulaire au niveau des protrusions membranaires, qui, en 3D sont qualifiées d’invadopodes. Le mode de migration mésenchymal est réputé lent (0,1-2m/min) par le turn-over des formations focales.

La migration amœboïde est caractérisée par un phénotype cellulaire arrondi, avec de nombreuses protrusions membranaires en bourgeons. Elle se différencie de la migration mésenchymale par l’absence d’activité sécrétoire des Matrix Metallo Protéases (MMPs), une faible adhésion à la matrice extra cellulaire et par une forte contractilité de l’actine corticale requise pour déformer la cellule au sein de la matrice. C’est un mode de migration rapide, entre 2-30 m/min. La voie RHOA/ROCK y est prédominante93.

Migration mésenchymale et amœboïde sont classiquement opposées : les observations fondatrices datent de 2003 et remarquent que ces deux modes de migration sont sous la dépendance respective de RAC et de RHOA 94. RAC permet de former les protrusions riches en actine à la

membrane. L’activité de RHOA est considérée comme relativement faible mais reste nécessaire pour générer une contraction suffisamment importante pour pousser la cellule au sein de la MEC. Or, RHOA est aussi impliquée dans la migration mésenchymale par son rôle dans la formation des invadopodes et la sécrétion des MMPs en participant, avec CDC42, à la régulation du complexe d’exocytose. Dans l’invadopode, l’organisation spatiale et temporelle de son activité est en revanche aléatoire tandis que celle de RHOC est particulièrement bien définie, autour du cœur de l’invadopode, afin de restreindre l’activité de la cofiline78.

Dans la migration collective, les cellules maintiennent leurs jonctions intercellulaires et migrent en amas ou sous formes de feuillets pluricellulaires au sein de la matrice extra cellulaire. Une organisation supercellulaire peut être mise en place, avec des cellules « leaders » en front de migration et des cellules « followers » à l’arrière, superposable à l’organisation subcellulaire observée dans une cellule mésenchymale en migration. Il se met en place une gangue d’actine corticale tout autour du collectif cellulaire, nécessaire à sa cohésion 95,96.

Au total, la voie RHOA/ROCK/Myosin à l’origine de la contractilité est impliquée dans tous les modes de migration des cellules tumorales. Ces mécanismes moléculaires viennent renforcer les observations fondatrices du rôle de RHOA dans l’invasion tumorale du groupe de Itoh dans un modèle de transplantation syngénique de cellules d’hépatome de rat97.

 Dans le microenvironnement :

Les fibroblastes associés au cancer synthétisent une grande partie des protéines constituant la matrice extracellulaire ainsi que les enzymes participant à son remodelage. Leur rôle dans la tumorigénèse est établi en sécrétant des cytokines pro-inflammatoires et des chimiokines favorisant la migration. Les cytokines pro-inflammatoires engagent également, au sein des fibroblastes, ROCK dans des voies de signalisation interdépendantes avec la voie JAK/STAT98. Il en résulte, dans les

fibroblastes, une augmentation de la contractilité du cytosquelette d’acto-myosine permettant de remodeler la matrice extracellulaire et favoriser la migration des cellules tumorales. Pour preuve, des co-cultures tridimensionnelles de cellules tumorales et de fibroblastes ont montré que pendant l’invasion, les fibroblastes « ouvrent la voie » aux cellules tumorales dans la matrice extracellulaire par l’activation du module de signalisation RHOA/ROCK, LIMK99. En outre, dans les fibroblastes,

cette augmentation de contractilité génère une boucle d’activation positive permettant de maintenir le phénotype de fibroblastes associés au cancer100. Ainsi la voie RHO/ROCK est engagée de façon

synergique dans les cellules tumorales et dans les fibroblastes pour favoriser la dissémination tumorale.

Ayant démontré que l’activité spatiale et temporelle des GTPases RHO était fondamentale dans la compréhension de leur rôle en général et en particulier dans la tumorigénèse, la génération de modèles murins permettant d’étudier cette régulation spatiale et temporelle est extrêmement précieuse. Ces modèles sont maintenant disponibles pour RHOA101 et RAC102. Dans un modèle murin de cancer

du pancréas, les auteurs observent in vivo l’organisation spatiale et temporelle de l’activité de RHOA, mais démontrent surtout son importance fonctionnelle : le traitement pharmacologique par le Dasatinib diminue l’invasion des cellules tumorales pancréatiques en ne touchant qu’à une localisation subcellulaire (aux pôles cellulaires) de l’activité de la protéine, sans affecter l’activité présente à l’intérieur du corps cellulaire 101.

Complémentaire des mécanismes moléculaires impliquant les GTPases RHO, la littérature recense la dérégulation des voies de signalisation des RHO dans les tumeurs humaines. A l’origine de cette dérégulation, sont retrouvées :

 la dérégulation de l’expression des RHO,

 la dérégulation de l’activité des RHO par leurs régulateurs GEFs, GAPs et GDIs,  et récemment, la présence de mutations ponctuelles dans les gènes codant les GTPases.