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Les RHO GTPases, comme les protéines RAS, sont souvent qualifiées de protéines « undruggable ». En effet, il est difficile de développer des analogues de nucléotides comme cela a été fait pour les protéines kinases, du fait de l’affinité de l’ordre du nanomolaire pour le GTP et le GDP, et de la concentration importante (de l’ordre du micromolaire) de ces nucléotides dans la cellule. Il existe en outre peu de surfaces favorables en dehors de la poche de liaison du nucléotide à l’interaction protéique. Malgré tout, plusieurs stratégies ont été mises en œuvre pour cibler l’activité des RHO sans modifier son expression cellulaire.

La localisation des protéines RHO actives étant sous la dépendance de leur modification post traductionnelle, la première approche a consisté à inhiber la prénylation des protéines. Il existe trois enzymes appartenant à la famille des prényltransférases : les farnésyl transférases et les géranylgéranyl transférases type I (et II). La farnésylation de RAS étant nécessaire à sa fonction et à son pouvoir transformant, les inhibiteurs de farnésyltransférases ont été largement développés et testés dans plus de 70 essais cliniques avec des résultats très décevants. Les inhibiteurs de géranylgéranyl transférases de type I ont été moins étudiés, de sorte qu’aujourd’hui cette stratégie a été laissée de côté.

Au laboratoire, de nombreuses études ont été faites au début des années 2000 à propos des inhibiteurs de prénylation (cf. figure 7). Entre autres, leur utilisation a permis de montrer que la modification de RHOA par un groupement lipidique (farnésyl ou géranylgéranyl) était nécessaire à sa fonction17. Le laboratoire a également développé une approche originale pour étudier le rôle de la

prénylation en développant un anticorps polyclonal de lapin capable de reconnaître et d’immunoprécipiter sélectivement la forme farnésylée de RHOB in cellulo162. Cet anticorps est

capable de reconnaître sélectivement la cystéine méthylée liée à un groupement farnésylé, évitant ainsi les étapes fastidieuses de marquage radioactif. Enfin, le rôle de RHOB dans la réponse aux inhibiteurs de prénylation a été plus particulièrement étudié. Selon l’hypothèse développée par Pendergast, la disparition de la forme farnésylée de RHOB au profit de la forme géranylgéranylée serait impliquée dans l’effet anti-transformant des inhibiteurs de farnésylation163. Cela implique que les deux formes de

RHOB auraient des rôles cellulaires antagonistes : la forme farnésylée induirait la transformation alors que la forme géranylgéranylée l’inhiberait. Ainsi au laboratoire, des mutants de RHOB dont la boite CAAX ne peut être que géranylgéranylée ou que farnésylée ont été réalisés pour étayer cette hypothèse. Les résultats indiquent que la transformation de cellules murines NIH-3T3 induite par ras est renforcée par l’expression du mutant farnésylé de RhoB alors qu’elle est inhibée par l’expression du mutant géranygéranylé164. Cependant, ce résultat n’a pas été reproduit en cellules humaines.

géranylgéranyltransférase de type I empêche la disparition des fibres de stress et l’arrêt du cycle cellulaire165.

Une autre stratégie consiste à inhiber l’action des GEFs. Cependant la diversité des séquences et des structures malgré le domaine DH/PH conservé suggère la diversité de régulation et des mécanismes d’action des GEFs et rend peu efficace une stratégie ciblant l’activité des GEFs de façon directe.

Le premier inhibiteur décrit est un petit peptide d’une quarantaine d’acides aminés, le peptide TRIPα (Trio Inhibitory Peptide α). Il a été isolé à partir d’un criblage double-hybride en levure d’une banque d’aptamères166. Les aptamères sont de courts peptides dont la conformation est contrainte dans

le squelette de la thioredoxine A, dont les propriétés de liaison permettent entre autres de discriminer des protéines présentant de fortes homologies de séquences. Il a été sélectionné pour sa capacité à interagir avec le domaine GEF2 de Trio. Après optimisation du peptide initial, le TRIPE32G a été retenu

pour sa capacité d’inhibition sélective de l’activation de RHOA par TGAT, un variant d’épissage oncogénique de TRIO. Il a été par la suite validé dans les fibroblastes NIH 3T3 et dans des modèles de xénogreffe tumorale chez la souris167.

L’équipe de Zheng cible l’interaction RHO/GEF par de petites molécules pharmacologiques. Grâce aux structures tridimensionnelles des complexes GEF/RHO, elle identifie une poche de liaison sur RAC1 déterminante pour la liaison de GEFs et souligne particulièrement le rôle du résidu tryptophane 56 dans la liaison au GEF Trio et Tiam1168. Après avoir montré qu’un peptide dérivé de la

séquence de RAC1 et contenant le résidu Tryptophane 56 pouvait effectivement inhiber la liaison de RAC1 à son GEF, elle crible virtuellement en 2004 la base de composés chimiques du NCI sur sa capacité à s’insérer dans la zone contenant ce résidu. Le composé NSC23766 (Figure 17) a été par la suite caractérisé in vitro et in cellulo comme capable d’inhiber effectivement l’interaction de RAC1 avec son GEF Trio ou Tiam1. Son IC 50 a été déterminée de l’ordre de 50 μM et in fine, il inhibe la prolifération, la transformation et l’invasion d’une lignée cellulaire métastatique prostatique.

En 2012, l’équipe adopte la même démarche concernant RHOA, en ciblant une région contenant le résidu Tryptophane 58 et inhibant spécifiquement l’interaction de la GTPase avec la GEF LARG169. Après le screening de plus de 4 millions de composés de la banque ZINC, le composé G04,

ou Rhosin (Figure 17) a été identifié et validé comme inhibant l’activation des GTPases RHOA, RHOB et RHOC par les GEFs LARG, DBL, LBC, p115-RHOGEF et PDZ-RHOGEF, sans interférer avec l’activation des GTPases RAC1 et CDC42. Il n’empêche pas la liaison de la GTPase à ses autres régulateurs GAPs et GDIs ni à ses effecteurs. Son affinité pour RHOA est de l’ordre de 0,4 M. Il permet d’inhiber la prolifération et l’invasion de cellules tumorales mammaires et restaure la croissance neuronale de PC12 en réponse au NGF. Son IC50 est estimée à 30 à 50 M. Afin d’être

plus sélectif de l’interaction RHOGEF/RHOA, les auteurs ont choisi cette fois de cribler virtuellement la même banque mais pour isoler des molécules se liant directement au GEF et empêchant sa liaison à RHOA170. Le composé Y16 (Figure 17) avec une affinité de 80 nM se lie sur le site de jonction entre

les domaines DH et PH de la protéine LARG GEF et de ses apparentés de façon sélective car il ne perturbe pas l’interaction entre les GEF DBL et LBC avec RHOA. De plus, il agit synergiquement avec la Rhosin pour inhiber la croissance, la migration, l’invasion et la formation de mammosphères. Enfin, dernièrement, l’interaction entre le GEF LBC et RHOA a pu être inhibée par une petite molécule pharmacologique issue d’un criblage virtuel sur le GEF, au niveau du site de liaison de RHOA171. La molécule inhibe en réalité l’interaction de plusieurs GEFs (LARG, GEFH1, p114, p190,

PRG) avec RHOA. L’IC50 estimée est de 1,5M. L’effet inhibiteur de la molécule est validé dans une lignée cellulaire tumorale prostatique par l’inhibition des propriétés oncogéniques et invasives de RHOA (formation des fibres de stress, formation de colonies en agar mou, prolifération cellulaire, migration cellulaire).

Un autre criblage in silico à haut débit a permis d’identifier la molécule ZCL278 qui bloque spécifiquement l’interaction de CDC42 avec le GEF Intersectine et prévient les fonctions induites par l’activation de CDC42 dans les cellules172. Ce composé présente une affinité de 11,4 M pour sa cible.

Figure 17 : Présentation des structures chimiques des petites molécules pharmacologiques inhibant les GTPases RHO. Sont figurées à côté les modélisations de leur liaison au sein des RHO. A : NSC23766 inhibant RAC1 ; B : Molécule de Rhosin inhibant RHOA. Les auteurs remarquent la nécessité pour se lier à RHOA de présenter deux structures aromatiques dans la molécule séparées par un linker de longueur et de flexibilité appropriée. C : Y16 inhibant l’interaction avec LARG GEF.

Au total les exemples fructueux rapportés montrent la validité d’une stratégie basée sur l’inhibition de l’activation de RHOs. Cependant, les molécules isolées présentent finalement de faible affinité pour leur cible et n’ont pour l’instant pas encore démontré leur efficacité en clinique. D’autre part, cibler les RHOGAPs semble beaucoup plus délicat. Notamment parce qu’il est plus facile pharmacodynamiquement d’inhiber une protéine que d’isoler un agoniste, et aussi car le mécanisme d’implication des GAPs demeure insuffisamment connu105.